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Parcours de blogueurs : Nicolas Wild

Les blogs bd racontent des anecdotes de vie en BD, certes. Mais ceux de Nicolas Wild, ainsi que ses albums, racontent des anecdotes de vie en direct de l’Afghanistan ou de l’Iran. Présent depuis longtemps sur internet, il a encore peu d’albums à son actif mais la sortie de son blog en format papier en 2007 sous le titre Kaboul disco l’avait fait connaître auprès du public. S’inscrivant dans la mouvance récente des récits de voyage en BD à visée documentaire, les travaux de Nicolas Wild ont sur les autres blogs bd ont l’avantage incontestable du dépaysement.

Nicolas Wild se forme dans l’atelier d’illustration des Arts Décoratifs de Strasbourg, où il se trouve en compagnies d’autres futurs éminents blogueurs : Boulet, Reno, Lisa Mandel et Erwann Surcouf. Comme beaucoup de dessinateurs, il commence par l’illustration pour enfants en réalisant en 2004 quelques dessins pour Fleurus Presse. Sa toute première bande dessinée est éditée en 2000 chez un tout petit éditeur, les Oiseaux de Passage (elle peut se lire ici : Le Bourreau, très influencée par Lewis Trondheim). Puis, avec Boulet et Lucie Albon, il co-scénarise un album, Le voeu de Marc, publié, à plus grande échelle cette fois, à La boîte à bulles en 2005.

Le blog comme carnet de voyage

Entre temps, Nicolas Wild s’est installé sur la toile avec son site internet, comme de nombreux dessinateurs. En 2003, à l’occasion d’un séjour de six mois en Inde, il publie régulièrement, sur ce site, des dessins et des photos, comme des impressions de voyage (Six mois dans le sud de l’Inde ). C’est le début d’une des principales thématiques de ses travaux suivants : le voyage, car Nicolas Wild adore voyager. Internet est alors un moyen de communiquer avec la France et de raconter une expérience, de donner des nouvelles ; c’est un autre aspect du « blog » (même si les blogs n’existaient pas encore à l’époque) qui se dévoile ici, quittant les rivages du quotidien qu’on lui connaît habituellement. Mais paradoxalement, c’est en rentrant en France qu’il se lie au mouvement des blogs bd en lançant son propre blog fin 2004 sur la plateforme 20six (une plateforme bien connue des blogueurs de la première génération). Sur ce blog intitulé « Pangolin », il romance sa vie quotidienne à Paris, un peu à la manière de Boulet (le blog n’existe plus mais quelques extraits ici http://n.wild.free.fr/BD/paris.htm ).
Et puis, en 2005, il reçoit une proposition de travail dans une agence de communication en Afghanistan. C’est le début d’un long séjour dans ce pays qui donnera naissance à l’album Kaboul Disco. Il trouve là le pretexte à un album qui, comme il l’explique lui-même, dépasse le simple stade du blog par une scénarisation plus complexe. L’album sort en 2007, toujours à la boîte à bulles qui, décidément, s’intéresse aux jeunes blogueurs. Un second tome sort en 2008.
Nicolas Wild retrouve le format du blog en avril 2008 pour évoquer cette fois un séjour en Iran, mais où il revient aussi sur l’Afghanistan (From Kabul with blog). Ce blog est abrité sur la plate-forme de blogs du Monde, lui donnant ainsi une visée journalistique et documentaire. Dans ce domaine aussi les blogs sont, pour des journalistes, un bon moyen de renouer avec l’instinct du reporter vivant au jour le jour l’actualité que l’on entend à la radio, se posant en témoin. (le site du Monde accueille de nombreux blogs de voyage, mais, par exemple, je vous conseille le blog de Justine Brabant, Dakar entre quatre yeux ). Le blog est une forme renouvellé du carnet de voyage, plus rapide, plus efficace, et permettant de toucher un plus vaste public. Et le voyage donne un sens au blog, à plus forte raison à un blog bd où l’image et le récit se mêlent pour approfondir les impressions de voyage.

Bande dessinée et carnet documentaire
En lisant Kaboul Disco, on ne peut s’empêcher de penser aux nombreux albums récemment publiés traitant, eux aussi, de la vision d’un dessinateur dans un pays lointain. Emmanuel Guibert est un des principaux représentants de ce courant qui se développe particulièrement dans les années 2000 avec sa série Le Photographe, publiée chez Dupuis de 2003 à 2006. Mais Nicolas Wild, graphiquement, se rapproche davantage du Canadien Guy Delisle et de sa série de carnets de voyage (Schenzhen en 2000, Pyonyang en 2003, Chroniques birmanes en 2007). Notons aussi un album du Suisse Pierre Wazem, Presque Sarajevo, paru en 2002, traitant là encore du même thème avec le même trait synthétique. Mais rappelons-nous aussi que l’un des premiers à se servir de la BD pour témoigner de la réalité quotidienne d’une situation difficile est Joe Sacco qui publie ses carnets de voyage dans des zones sensibles du continent européen : la Palestine en 1992-1993, la Bosnie en 1994-1995. Joe Sacco ouvre ainsi la voie à un travail de dessinateur qui se rapproche de celui du journaliste-reporter.
C’est dans cette mouvance des dessinateurs globe-trotter qu’il faut replacer Kaboul Disco. Nicolas Wild a peut-être en tête les travaux de Delisle lorsqu’il commence son blog. Il partage avec les titres cités de nombreux points communs, et en particulier une volonté didactique : l’enjeu est de présenter au lecteur un pays mal connu en France en insistant à la fois sur les aspects du quotidien et sur l’expérience personnelle de l’auteur. La dimension autobiographique est utilisée pour faire du dessinateur un témoin, le plus souvent passif par rapport à l’action et véhiculant un regard étranger et curieux proche de celui du lecteur. (C’est là tout le propos du Photographe de Guibert : être dans l’oeil du photographe, l’image devenant ainsi dépendante du commentaire propre au narrateur). L’exotisme est évacué au profit d’un récit du quotidien qui s’intéresse davantage aux personnes et ne prétend pas à la beauté des paysages. Le but n’est pas non plus politique : les dénonciations sont présentes, mais pas violentes ou dramatisées. Bien au contraire, ce sont des récits parcourus par les incertitudes de l’auteur qui pose la question de son rôle sur place, de ses convictions et de ses hésitations (dans la boîte de communication où il travaille, Nicolas Wild hésite à . Il est là non pas pour se battre mais le plus souvent pour exercer son travail de dessinateur. Nicolas Wild est en Afghanistan pour réaliser une BD didactique à destination des petits afghans, Yassin et Kâkâraouf. Son seul objectif est de témoigner, au sens le plus neutre du terme, sans pathos, de raconter une expérience qui sort de l’ordinaire mais colle à la réalité.
La réduction du trait vers le schématisme accentue cet effet, chez Nicolas Wild, mais aussi chez Delisle ou Wazem, en concentrant le lecteur sur les dialogues et les situations et en donnant une large place au dialogue intérieur de l’auteur. On trouve donc finalement ces deux dimensions dans Kaboul Disco et dans les blogs de Nicolas Wild : un récit autobiographique par la forme (suite d’anecdotes, vie quotidienne, récit intérieur) mais où la vie de narrateur est dépassée par l’enjeu documentaire d’une situation politique hors norme pour nos civilisations occidentales.
Il faut bien l’avouer, on ne retrouve pas chez Nicolas Wild le dynamisme synthétique et l’humour de Delisle. Kaboul Disco n’est pas exempte de défauts et de longueurs, se concentrant surtout sur le milieu des expatriés et n’exploitant pas toujours tout le potentiel de ses histoires. Mais le récit reste sympathique et instructif ; on y trouve de belles trouvailles et le trait de Nicolas Wild permet une lecture rapide. Son blog tenu en 2008-2009 sur l’Iran montre aussi que le carnet de voyages s’adapte très bien à une lecture de petits épisodes au jour le jour, peut-être davantage qu’à un album. Personnellement, je trouve que les notes sont l’Iran montrent un progrès dans l’écriture de Nicolas Wild, la narration est mieux gérée, les notes sont plus inventives, mêlant textes, dessins et photographies (et en plus disponible gratuitement sur Internet !). Peut-être est-ce là le début d’une nouvelle carrière de dessinateur-reporter…

Bibliographie :
Le voeu de Marc (co-scenario de Boulet, dessin de Lucie Albon) La Boîte à Bulles, 2005
Kaboul Disco, La boîte à bulles, 2007-2008 (2 tomes)

Webographie :
Le blog actuel de Nicolas Wild, From Kabul with blog
Le site internet de Nicolas Wild (pas récemment mis à jour) : http://n.wild.free.fr/
Les premières pages à lire de Kaboul Disco sur le site de l’éditeur : Kaboul Disco
Une interview de Nicolas Wild sur bdencre : rencontre avec nicolas wild

D’autres titres de dessinateurs-reporters à découvrir :

Joe Sacco, Palestine, Vertige Graphic, 1996 (2 tomes)
Joe Sacco, Gorazde, Rackham, 2004 (traduction de l’anglais)
Guy Delisle, Schenzhen, L’Association, 2000
Guy Delisle, Pyonyang, L’Association, 2003
Pierre Wazem, Presque Sarajevo, Atrabile, 2002
Emmanuel Guibert, Le photographe, Dupuis, 2003-2006 (2 tomes)

Parcours de blogueurs : Libon

Après l’art décoratif retro et savant de Nancy Peña, retour vers un registre plus léger mais non moins complexe : l’humour. Parmi la fine équipe de blogueurs regroupés autour de Boulet au début du mouvement, on trouve l’un de ses collègues dessinateurs de Tchô !, Libon. Graphiste avant de devenir auteur de bande dessinée, Libon, qui a encore assez peu d’albums à son actif, pratique un humour idiot et joyeusement régressif. C’est avec sa compagne Capucine, elle aussi dessinatrice, qu’il tient depuis le début de l’année 2005 le blog turbolapin, amas hétéroclite d’anecdotes, de roman-feuilleton, d’annonces de dédicaces et de projets…

Du graphisme à la BD

Avant d’arriver à la bande dessinée, Libon, né en 1972, est infographiste, travail qu’il exerce après des études aux Beaux-Arts de Beauvais puis dans une école de graphiste. Il se démène donc dans l’industrie du jeu vidéo pendant cinq ans puis décide de se tourner vers la bande dessinée.
Il commence d’abord dans le Psikopat, un célèbre fanzine dirigé par Carali, le père de Mélaka, une autre blogueuse, fanzine qui publie surtout des dessinateurs débutants voire des amateurs. Puis, doucement, il trouve sa place dans des revues de bande dessinée. C’est dans Spirou qu’il publie sa première série en 2004, Jacques le petit lézard géant. Depuis cette date, il est un collaborateur régulier de ce journal et ajoute à son palmarès une participation dans Tchô !pour Le Miya de Boulet et surtout une première série adulte en 2006 dans Fluide Glacial, Hector Kanon. Là encore, il participe depuis, régulièrement, à cette revue. En quelques années, Libon s’est fait une petite place dans le domaine de la BD humoristique. Il se joint au mouvement des blogs dès 2005, à ce moment où la blogosphère était encore composé de collègues dessinateurs désireux de donner des nouvelles dessinées à leurs amis et à d’éventuels lecteurs anonymes.

Turbolapin, le blog de Capu et Libon
Ce blog, appelé aussi Mouton-Benzène Luxe, fait partie des quelques blogs bd à quatre mains qui peuplent la toile (citons aussi le Loveblog de Gally et Obion et Bruts de Raphaël B. et L’Esbroufe. Il est peuplé par Libon, Capu, deux dessinateurs aux styles très différents, par leur fille Lenka et par leur chat Lapin. Ce blog n’a jamais eu une régularité exceptionnelle et les notes soignées y sont rares ; il faut le situer comme le bric à brac personnelle du couple Capu et Libon, leur espace d’expression et de dialogue sur la toile.
On y trouve tout de même, en cherchant bien, l’humour de Libon et les pin-up de Capu, ainsi que des expérimentations étranges dans l’esprit décalé du couple. Le roman-feuilleton Sophia, parodie d’une sorte de film d’espionnage de série B à tendance érotique est un objet totalement non identifié dans la blogosphère et mérite certainement le coup d’oeil (Sophia, les poumons de la capitale). Il y a aussi les 2160 gags automatiques générés aléatoirement, expérience loufoque au possible, réminiscence de l’Oubapo (2160 gags de Popo et Lolo Poche ). En somme, le genre de blog bd dont on attend pas forcément des notes impeccables, mais qu’on se plait à parcourir.

Enfance et humour regressif

Mais revenons plus précisément à Libon et à ses albums car heureusement pour les fans de Mouton Benzène, si le blog n’est que trop peu mis à jour, plusieurs des séries que Libon dessine dans divers magazines sont sorties en album. A première vue, on pourrait dire qu’il oscille entre la BD d’humour jeunesse et la BD d’humour adulte, entre Spirou et Fluide Glacial… A première vue seulement car, fondamentalement, Libon emploie un humour détaché des âges et des générations, cet étrange humour dont la BD a le secret, l’humour regressif. L’avantage de l’humour regressif, c’est qu’il marche aussi bien sur les enfants que sur les adultes… Si les thématiques changent d’un public à l’autre, l’humour, lui, est toujours le même, souligné par le trait caricatural et outrancier de Libon qui rappelle parfois Pétillon.
Qu’est-ce que l’humour regressif, me direz-vous ? Pour reprendre une analyse de Thierry Groensteen dans La bande dessinée mode d’emploi (Impressions nouvelles, 2007), c’est une forme d’humour qui a élu domicile dans la bande dessinée et qui consiste à raconter les aventures d’un ou deux plusieurs personnages risibles, bêtes mais généralement innoffensifs. Libon poursuit ainsi une tradition dont Daniel Goossens est un des principaux représentants dans la génération précédente. Il est un des piliers de Fluide glacial et Libon voit en lui une de ses influences. On pense aussi à un auteur moins connu mais tout à fait drôle qui s’est fait une spécialité de l’humour crétin : Charlie Schlingo. Il est lui aussi passé par Fluide Glacial, mais aussi par les grandes revues renovatrices de l’humour adulte : Charlie Hebdo, Hara Kiri, L’Echo des savanes, Le Psikopat. C’est un peu de cet héritage d’un humour gratuitement provocateur que l’on trouve chez Libon. Le comique est alors basé sur l’impression que les personnages, adultes, se comportent comme des enfants. Hector Kanon, le héros de la série éponyme, est un beauf moderne complétement irresponsable dont les combines provoquent toujours des catastrophes. Quant à Jacques, le petit lézard géant de la série toujours éponyme, ce n’est pas forcément lui qui est bête (il n’est, après tout, qu’un lézard qui a grandi après avoir reçu une mini-bombe atomique), mais les gens qu’ils rencontrent, policiers, scientifiques, militaires. (on peut lire le début de ses aventures sur cette page ). Avec ses albums, Libon reprend bien le flambeau du loufoque et de l’incohérent. Humour enfantin et humour adulte sont réunis dans une seule et même forme où la bêtise humaine est poussée à des extrêmes délirants. Si vous aimez cette forme d’humour graphique, Libon devrait être votre prochaine lecture.

Un article plus court cette semaine, mais je vous mets des références de lecture en plus en bas pour me faire pardonner !

Bibliographie :
Hector Kanon, Fluide Glacial, 2008-2009
Jacques, le petit lézard géant, Dupuis, 2008-2009
Tralaland, Bayard, 2009
Le blog Mouton-Benzène Luxe : http://www.turbolapin.com/blog/
interview de Libon : http://www.planetebd.com/BD/interview-123.html
Et si vous voulez devenir un connaisseur de l’humour idiot de ces dernières décennies :
Daniel Goossens, Georges et Louis romanciers, 1993-2006 (6 tomes), Audie-Fluide Glacial
Charlie Schlingo, Josette de rechange, Le Square, 1981, réédité cette année par L’Association.

Parcours de blogueur : Nancy Peña

Pour poursuivre le même chemin déjà emprunté avec l’article sur Boulet, je vais vous présenter aujourd’hui une autre blogueuse déjà connue comme auteur de bandes dessinées avant d’ouvrir son blog, Nancy Peña. La comparaison avec Boulet s’arrête là ; elle possède un style extrêmement différent, très personnel et reconnaissable, et ses albums ne sont pas humoristiques mais se rapprochent de l’univers du conte. Elle diffère aussi par l’utilisation de son blog, davantage espace personnel hétéroclite que carnet d’anecdotes dessinées. En réalité, elle n’appartient que périphériquement à l’univers de la blogosphère BD. Néanmoins, Nancy Peña a su utiliser l’outil internet à la fois pour mieux faire connaître son travail et pour étendre ses expériementations. Sans aucun doute une auteur à découvrir.

La passion de l’art

Nancy Peña naît en 1979 à Toulouse et développe très tôt un goût pour les disciplines artistiques. Dès 1995, elle suit des cours de dessin à l’atelier Catherine Escudié à Toulouse ( une artiste qui dispense des cours de dessin : http://www.atelier-catherine-escudie.com/index.html). Elle poursuit ensuite un cursus universitaire classique en arts appliqués (licence, maîtrise) jusqu’à obtenir, en 2002, l’agrégation qui lui permet d’être enseignante dans cette discipline, métier qu’elle exerce actuellement.
Mais à côté de cette carrière académique, Nancy Peña met en oeuvre ses talents de dessinatrice et d’illustratrice dans divers projets, dont des albums de bande dessinée. Par l’intermédiaire de Vincent Rioult, illustrateur, graveur et maquettiste à la Boîte à Bulles, elle publie en 2003 son premier album, Le cabinet chinois, chez cet éditeur indépendant encore jeune, fondé cette même année 2003 par Vincent Henry, un journaliste BD. Ce premier album reçoit auprès des critiques un bon accueil. Elle devient alors un des auteurs réguliers de La Boîte à bulles où elle continue de publier ses nouveaux albums, dont Le chat du kimono en 2007, étrange conte onirique illustré, entre le Japon et l’Angleterre et La guilde de la mer en 2006-2007, série d’aventures maritimes plus traditionnelle à base de personnages animaliers. Toujours au sein de la Boîte à bulles, elle participe aux albums collectifs Dieux et idôles et Amour et désir.
D’autres projets occupent encore Nancy Peña, qu’il s’agisse d’albums chez d’autres éditeurs (elle travaille actuellement à la suite de la série Les nouvelles aventures du chat botté commencée en 2006 chez 6 pieds sous terre), de projets d’illustration jeunesse chez Bayard et Milan ou d’autres collectifs de bande dessinée (Drozophile n°7, revue de la maison d’édition du même nom).

Présence sur la toile


Nancy Peña n’est pas une blogueuse bd au sens où on l’entend d’habitude : son blog n’est pas un journal, une suite d’anecdotes de vie, mais plutôt un carnet de croquis sur lequel elle tient ses lecteurs au courant de l’avancement de ses projets. On n’y trouvera donc pas de courtes planches de bd mais plutôt des illustrations inédites et des motifs qui traduisent bien l’univers et l’humeur de l’illustratrice. Elle entretient pourtant des liens avec le monde des blogs bd : elle fait partie de la vague des premiers blogs de dessinateurs et sa coloriste pour La guilde de la mer n’est autre que Miss Gally, une célèbre blogueuse « historique ». (http://missgally.com/blog/)
Nancy Peña utilise très tôt le net pour se faire connaître et étendre son champ d’action. Faire la « webographie » de sa présence sur la toile en dit long. Outre son blog principal (le blog actuel est le deuxième), elle possède un site internet plus ancien encore, puisqu’il date de 2003 (et n’est plus guère mis à jour depuis, d’ailleurs). Il faut encore à ajouter le site de sa série La guilde de la mer, où l’on peut se balader dans l’univers de la série ; son book en ligne ; un blog commun avec son compagnon Guillaume Long, autobiogriffue (fermé depuis). Nancy Peña a pleinement investi internet dans sa vie professionnelle et son exemple montre bien les potentialités qu’un illustrateur peut y trouver. Chacun de ses sites a une identité graphique propre et se propose comme une invitation au voyage plutôt que comme une page internet.
Et puis Nancy Peña participe activement à la sociabilité des blogueurs bd. Elle est invitée au premier festiblog en 2005 et en 2006, elle fait partie des auteurs participant, dans le cadre du festiblog, aux « miniblogs », une petite collection d’albums édités par Danger Public où l’histoire dessinée trouve un prolongement sur le net. N’oublions pas non plus que Nancy Peña est l’une des « pirates » du site Donjon Pirate, mené par Wandrille, qui a présenté sur internet, en 2006-2007 des planches de dessinateurs encore peu connus autour de la célèbre série Donjon de Sfar et Trondheim. Elle est enfin, en 2008, avec d’autres blogueurs, au sommaire de Soupir, la revue des éditions Nékomix.

Exotisme de l’espace et du temps

Le style de Nancy Peña nous fait radicalement changer d’univers, avec un petit côté retro et exotique. On sent chez elle une bonne connaissance de techniques et de périodes artistiques assez inhabituelles dans le milieu de la bande dessinée, et cette originalité est déjà une grande source de plaisir. Du point de vue narratif, ses albums ressemblent généralement à des contes, où les évènements s’enchaînent implacablement. Ses histoires se situent dans des univers bien identifiés, soit qu’ils se rapprochent d’une Europe en pleine Renaissance (La guilde de la mer, Le cabinet chinois), soit qu’ils s’ancrent dans un Orient fantasmé (Le chat du kimono). Souvent sont présents les thèmes du voyage exotique, du rêve et de l’aventure.
Du point de vue graphique, et c’est là sa grande originalité, Nancy Peña a recours à plusieurs influences très variées qui se mêlent les unes dans les autres, sans doute le fruit de sa formation d’enseignante en art. L’Orient émerge, et en particulier le style graphique des estampes japonaises… (Combat de chats) Mais pointe aussi le spectre l’illustration anglaise du XIXe siècle, gothique et victorienne à souhait (on pourra rapprocher certains de ses dessins des illustrations d’Arthur Rackham pour Alice in Wonderland)… (Deux girafes sous Louis XVIII ) Ou encore les expérimentations optiques du graveur virtuose Maurits Cornelis Escher… Ou enfin les exubérances géométriques et colorées de l’Art déco du début du siècle… (Conduite Art déco ). Toutes ces influences ont un parfum exotique, appartenant soit à des époques éloignées, soit à des pays éloignés. Elles se mélangent, offrant ainsi des images totalement inédites, et c’est là tout l’art de Nancy Peña.
Je pourrais vous parler encore d’autres caractéristiques du style de Nancy Peña pour vous donner envie de lire ses albums et suivre son blog : son goût prononcé pour l’ornement décoratif, souvent floral et envahissant ; sa connaissance des diverses techniques de gravure (sur bois, sur gravure) dont elle chercher à se rapprocher dans ses albums noir et blanc, leur donnant ainsi un aspect vieillot ; les innombrables chats qui parcourent les pages de ses travaux… Mais j’espère déjà vous avoir convaincu !

Bibliographie :
Le cabinet chinois, 2003, La boîte à bulles
La guilde de la mer, 2006-2007 (2 tomes), La boîte à bulles
Les nouvelles aventures du chat botté, 2006-2007 (2 tomes), 6 pieds sous terre
Dieux et idoles, 2006, La boîte à bulles (collectif)
Kitsune Udon, 2006, Danger public (miniblog)
Le chat du kimono, 2007, La boîte à bulles
Drozophile n°7, 2008 (collectif)
Amour et désir, 2008, La boîte à bulles (collectif)
Soupir, 2008, Nékomix (collectif)
Tea party, 2008, La boîte à bulles
Mamohtobo, 2009 (dessin de Gabriel Schemoul), Gallimard

Webographie :

Blog : http://nancypena.canalblog.com/
Premier site, Nancity : http://nancipena.free.fr/ (2003)
Site de la guilde de la mer : http://www.la-boite-a-bulles.com/guildedelamer/
www.autobiogriffue.com (fermé)

Bernar Yslaire, Le ciel au-dessus du Louvre, Louvre/Futuropolis, novembre 2009

Au début de cette année 2009 eut lieu au musée du Louvre une brève exposition intitulée Le Louvre invite la bande dessinée. Cette phrase volontairement provocatrice en ouvre la présentation : « Qui aurait pu imaginer qu’un jour le Louvre exposerait des planches de bande dessinée ? ». En effet, qui aurait pu l’imaginer, nous sommes tous bien en peine de répondre à cette question. Et on ne le peut le comprendre que si l’on connaît le projet sous-jacent : le partenariat entre le musée du Louvre et les éditions Futuropolis pour l’édition d’une série d’albums de bande dessinée mettant en scène le musée, justement réinterprété par des auteurs. Au moment de l’exposition, trois auteurs avaient déjà publié leur album : Nicolas de Crécy, Période glaciaire en 2005, Marc-Antoine Mathieu, Les sous-sols du révolu en 2006, Eric Liberge, Aux heures impaires en 2008 et le quatrième sort justement cet automne, Le ciel au-dessus du Louvre, par Bernar Yslaire, coscénarisé par l’écrivain Jean-Claude Carrière. D’un point de vue purement bédéphilique, l’expérience est réussie : les quatre albums sont de bons albums, voire pour certains de très bons au sein même de la carrière de leur auteur. Un pas de plus dans ce rapprochement entre la bande dessinée et les musées que de nombreuses institutions culturelles, depuis quelques années, souhaitent absolument opérer pour conquérir de nouveaux publics ?

Yslaire, la Revolution française et le grandiose

Rappel rapide de la carrière singulière d’Yslaire, auteur aux multiples visages. Il est, à la fin des années 1970, Bernard Hislaire, né à Bruxelles en 1957, dessinateur au journal Spirou, un début de carrière classique pour un jeune belge. Puis, en 1986, il devient Yslaire et se lance dans une grande saga historico-romantique aux accents balzaciens, Sambre, où il va singulariser son graphisme autour de la couleur rouge et d’un réalisme virtuose. Puis, dans les années 1990, il se lance dans l’épopée numérique avec le site xxeciel.com (lancé dès 1997) qui donne naissance à une série d’albums expérimentaux, rassemblés sous le cycle XXe ciel, tentative d’analyse aux accents psychanalytiques du XXe siècle qui s’achève. (l’un des titres de ce cycle est d’ailleurs Le ciel au-dessus de Bruxelles, titre auquel ce dernier album fait référence).
A l’invitation du Louvre, il transpose donc son univers si étrange dans un album réalisé en collaboration avec le prolifique scénariste de film Jean-Claude Carrière, connu pour avoir scénarisé le Danton d’Andrzej Wajda en 1983. Si je cite ce film spécifiquement, c’est que Le ciel au-dessus du Louvre en reprend le cadre : l’année terrible, 1793, les luttes révolutionnaires. Ici, elles sont vues sous l’angle du peintre Jacques-Louis David qui se mit au service de cette fragile révolution avant de trouver avec Napoléon un mécène plus solide. L’album raconte l’histoire de la réalisation de deux tableaux : La mort de Bara, tableau inachevé actuellement au musée Calvet d’Avignon, et un autre tableau jamais réalisé devant représenter l’Etre suprême, commande de Robespierre au peintre.
Yslaire, devenu Bernar Yslaire, revient à l’exaltation romantique de la saga des Sambre et traite, à travers les états d’âme de David, de la question de la représentation picturale sous la période révolutionnaire. L’album tend vers le grandiose à tous les niveaux : le contexte héroïque de 1793 donne le ton, où l’on retrouve Danton, Marat, Robespierre, Saint-Just, illustrés par les tableaux des maîtres de l’époque (David et Girodet principalement). Le scénario, scandé implacablement par une voix narrative, aborde des questions presque métaphysiques, sur la représentation de Dieu et le rôle politique des symboles. Et surtout, le dessin d’Yslaire apporte une contribution non négligeable. Il renoue avec une alternance de deux couleurs : le rouge sang et le gris. Il joue sur les crayonnés, comme pour mettre en avant l’art en train de se faire, sujet même du volume. Et il semble nous suggérer sa propre virtuosité graphique en la mettant en lien avec celle des peintres du Louvre.

Le ciel au-dessus de Bruxelles est un album graphiquement beau, qui vient s’ajouter aux trois albums qui l’ont précédé dans la collection Louvre/Futuropolis. Il apporte une dimension mythique qui manquait peut-être jusque là et s’accorde davantage avec l’idée d’un musée fier de ses collections et de son identité historique de premier musée de France.

Rapprochement n°1 : voir l’auteur de bd comme un artiste

L’objectif de la collection de Futuropolis est d’opérer un rapprochement entre l’univers de la BD et celle du musée, a fortiori du plus illustre représentant des musées des Beaux-Arts, le musée du Louvre. L’initiative est dûe à Fabrice Douar, reponsable des éditions au Louvre, qui présente le projet par ces mots : « L’intérêt et le principe de cette collection reposent sur le libre échange entre l’auteur, avec ses souhaits et ses envies personnels, et le musée mis à sa disposition. Carte blanche est donnée à la création et à l’imaginaire afin d’instaurer un dialogue, un jeu de regards croisés, entre les œuvres, le musée et l’artiste qui invente son « histoire » en partant, au choix, d’une œuvre, d’une collection ou d’une salle du musée, ou de l’ensemble… », puis poursuit, et cette phrase m’intéresse : « il semble logique d’imaginer une collection de bande dessinée où différentes sensibilités, différents styles d’expression selon les auteurs trouveraient naturellement leur place ». C’est là une des caractéristiques de la collection : avoir choisi des auteurs qui répondent à deux critères essentiels : être des auteurs complets (scénariste/dessinateur) et mettre en oeuvre (au sens propre !) un style graphique singulier. Chacun des auteurs transpose son propre univers graphique : on reconnaît bien le trait tremblant et les couleurs pâles de de Crécy, le noir et blanc implacable de Mathieu, les effets lumineux flamboyants et les superpositions de Liberge…
Le critère de choix des auteurs et leur invitation dans une exposition tend à rapprocher l’identité de l’auteur de BD, envisagé comme un artiste complet, de celle des artistes reconnus exposés dans les autres salles du musée pratiquant ces arts nobles que sont la peinture et la sculpture. D’autres faits concourent à ce rapprochement. L’absence de contraintes éditoriales, puisque les auteurs sont libres du nombre de page, du format, de la mise en page, du sujet, transmet à l’auteur l’idéal de libre création artistique, conception qui est celle de l’artiste du XXe siècle (et qui, paradoxalement, n’était pas celle des artistes exposés au Louvre en leur temps !). Et puis, il faut avouer que la présence d’oeuvres d’art au sein des albums pousse à une comparaison entre la peinture et la BD, comparaison que font Marc-Antoine Mathieu et Nicolas de Crécy dans leurs albums respectifs en théorisant pour l’un et en réalisant pour l’autre un art séquentiel qui utiliserait des tableaux pour raconter une histoire. La BD, par cette opération magique, deviendrait-elle un des Beaux-Arts ? Mais est-ce réellement sa destination ? Un vaste débat s’ouvre ici, trop grand pour cette humble note.

Rapprochement n°2 : attirer au musée un nouveau public « amateur de bd »

J’ai observé depuis quelques années une tendance de certains musées, parisiens ou non, à entrer en relation avec le monde de la BD. L’expérience du Louvre en est certainement l’exemple le plus abouti et le plus réussi dans la mesure où il donne lieu à la fois à une exposition et à plusieurs albums de qualité. Mais elle n’est pas la seule. En ce moment, le musée de Cluny accueille une exposition sur Astérix ; en 2008, le musée Granet d’Aix-en-Provence a lancé une exposition intitulée La Bd s’attaque au musée ; le musée du Quai Branly a présenté dans l’exposition Tarzan toute une série d’originaux du comics de Burne Hogarth ; en 2009 les musées royaux de Bruxelles ont proposé Regards croisés sur la bande dessinée belge, et encore au-delà de ces deux dernières années, rappelons : l’évènement Toy comix où musée des Arts décoratifs de Paris qui invitait en 2007-2008 des auteurs de l’Association, l’exposition Hergé au Centre Pompidou en 2006, celle sur le monde de Franquin à la Cité des Sciences de La Villette en 2005… Voilà pour une lourde énumération des exemples datant des cinq dernières années, durant lesquelles le mouvement s’est acceléré. On peut aussi remonter un peu dans le temps et évoquer l’album Le violon et l’archer édité en 1990 chez Casterman, pour lequel le musée Ingres de Montauban avait invité six auteurs à donner leur vision du musée. Cet intérêt soudain soulève des questions…
Je pense là non pas tant aux questions que posent les expositions de bd en général, pour lesquelles il existe des lieux spécialement consacrés (musées de la BD à Angoulême et Bruxelles, musée Hergé à Louvain), ou qui investissent parfois des espaces d’expositions sans collections permanentes (Moebius et Miyazaki à la Monnaie de Paris en 2005, Vraoum à la Maison Rouge l’été dernier) ou liées de fait au monde du livre (Maîtres de la bande dessinée européenne à la BnF en 2004). Je pense plutôt au fait que des espaces dont la vocation première n’est pas d’accueillir ou de traiter de la BD s’intéressent au medium. En d’autres termes, les musées cités n’ont pas de BD, quelle qu’en soit la forme (originaux, albums, crayonnées, archives, etc…) dans leurs collections (la collection étant ce qui fait l’identité d’un musée). Faire venir des « objets-Bd » est donc une démarche étrangère, presque une transgression qui nécessite souvent de passer par l’institution de référence en la matière, le musée de la BD d’Angoulême, ou de solliciter des collectionneurs privées, comme ce fut le cas en partie pour Tarzan. (le Centre Pompidou a d’ailleurs acquis à l’occasion de l’exposition de 2006 une planche originale d’Hergé). Les musées ont généralement l’habitude de proposer des expositions qui se basent sur leurs collections ou, à tout le moins, qui entretiennent avec elle un rapport évident. Démarche étrange, donc, que d’inviter la BD, mais pas totalement incompréhensible.

Le Louvre s’explique : « L’appropriation du Louvre par l’univers de la bande dessinée permet de « dépoussiérer » l’image de ce dernier auprès du public amateur de BD ; et réciproquement, de faire découvrir au public du musée une forme d’expression artistique plus contemporaine. ». Voilà donc une raison : faire venir un nouveau public. Pour comprendre le présupposé que contient cette phrase, à mon sens en partie fausse, il faut se souvenir de l’exposition La BD s’attaque au musée du musée Granet d’Aix-en-Provence. Le parti pris de cette exposition était le suivant : étudier les rapports entre la BD et musée, et en particulier les représentations du musée dans la BD, en partant du principe que ce sont deux mondes étrangers voire antagonistes. Ouvrages théoriques à l’appui qui disent que la séquentialité et la reproductibilité de la BD s’opposent . Tant que l’on reste sur le plan théorique, l’idée me semble juste. Mais lorsqu’arrive cette affirmation que les lecteurs de BD et le public des musées sont deux groupes distincts, je m’interroge. Il me semble pourtant que la BD a suffisamment évolué depuis ces trente dernières années pour qu’on cesse d’opposer le monde de la « grande » culture à celui d’une culture « mineure ». Il y a, dans la BD, à côté des auteurs « grand public », des auteurs que l’on peut qualifier d’élitistes, au sens noble du terme, s’adressant à un public recherchant des albums exigeant graphiquement et littérairement ; il y a aussi tout un nuancier d’auteurs ni grand public ni élitistes qui démontrent l’inutilité d’un tel classement. On pourrait de la même manière caricaturer le public des musées : il y a un public cultivé, voire élitiste, venant avant tout pour s’instruire, qui achète tous les catalogues d’exposition et a un abonnement à l’année, et un grand public venant là en touriste curieux pour voir la Joconde et repartir. Et là encore, tout un nuancier. Il me semble terriblement injuste d’opposer les lecteurs de BD aux visiteurs de musée et de rester sur cette image de deux mondes à part. Et par ricochet, injuste aussi d’utiliser la bande dessinée comme un argument commerciale.
Que les musées concernés partent d’un a priori faux ne préjuge pas forcément de la vacuité de leurs expositions. Pour reprendre l’exemple de l’exposition du Louvre début 2009, une véritable réflexion avait été menée sur ce que doit être une exposition de BD. Depuis les années 1980, la vogue est à l’exposition des planches originales. Quoiqu’amateur de Bd, j’ai tendance à m’ennuyer devant ce type d’exposition, me disant qu’il aurait été tout aussi bien de mettre des bancs et des albums, on aurait au moins pu s’asseoir. Sans doute n’ai-je pas le respect de l’original. Le parti pris des commissaires de l’exposition du Louvre, Fabrice Douar et Sébastien Gnaedig, est de dépasser l’admiration béate et sacralisée de l’original pour une démarche plus didactique portant sur les conditions de création d’une BD. Ils ont choisi de présenter les oeuvres en train de se faire, à différents stades de leur réalisation. Il s’agissait de saisir la démarche de créateur qui sous-tend le travail de l’auteur de BD, en présentant par exemple, des planches aquarellées de De Crécy, les croquis de composition de Liberge et les étapes de l’élaboration assistée par ordinateur des planches d’Yslaire (que travaille énormément avec des outils numériques). A cet égard aussi, le projet du Louvre m’est apparu réussi. Je reviendrai surement un jour sur la question du rapport de la BD au musée et aux expositions. En attendant, même si l’expo du Louvre n’est à présent plus à l’affiche, je vous invite à lire les albums, et tout particulièrement celui de De Crécy qui reste mon préféré !

Pour en savoir plus :
Sur Yslaire et sur l’album :

Bernar Yslaire et Jean-Claude Carrière, Le ciel au-dessus du Louvre, Futuropolis/musée du Louvre, 2009
Site internet d’Yslaire : http://www.yslaire.be/
Interview en ligne des deux auteurs : http://backstage.futuropolis.fr/debat/blog/le-ciel-au-dessus-du-louvre

Sur la collection Louvre/Futuropolis :
Nicolas de Crécy, Période glaciaire, 2005
Marc-Antoine Mathieu, Les sous-sols du révolu, 2006
Eric Liberge, Aux heures impaires, 2008
Présentation de la collection sur le site de Futuropolis : http://www.futuropolis.fr/fiche_titre.php?id_article=717006
Présentation de l’exposition sur le site du Louvre : Le Louvre invite la bande dessinée
Autres références :
Le violon et l’archer, Casterman, 1990 (Baru, Boucq, Cabanes, Ferrandez, Juillard, Tripp)
La BD s’attaque au musée, Images en manoeuvres éditions/musée Granet, 2008

Parcours de blogueurs bd : Boulet

Je reprends le cours de ma réflexion sur les blogs bd (qui commence avec cet article) avec une nouvelle série d’articles. Je vais tenter de vous présenter un certain nombre de blogueurs, et particulièrement ceux qui poursuivent en parallèle une carrière d’auteur de bd et publient régulièrement, en format papier ou numérique. L’occasion aussi pour moi de vous faire découvrir des auteurs parfois trop peu connus en dehors de la blogosphère.

Contredisant ainsi magnifiquement ma dernière phrase, je commence avec un des blogueurs bd les plus connus, Boulet, sans doute le meilleur exemple de la possibilité qu’offre le format blog pour déployer et développer des talents. Mais Boulet est aussi et avant tout un auteur ayant déjà derrière lui une carrière, par laquelle je vais commencer. (Bouletcorp )

Un parcours solide dans la bd papier

C’est dans le secteur de la BD jeunesse que Boulet fait ses premières armes, dans le magazine Tchô !. Ce petit magazine mensuel, conçu autour du personnage à succès Titeuf de Zep, apparaît en kiosque à l’automne 1998 et fait progressivement son nid dans le paysage de la presse jeunesse française en augmentant sa pagination et son format. Mené par Jean-Claude Camano, il propose, outre la prépublication de Titeuf, des séries principalement humoristiques. Le jeune Gilles Roussel est repéré au festival de Sierre par Jean-Claude Camano et devient un des auteurs réguliers du journal avec plusieurs séries récurrentes : La rubrique scientifique et Le Miya en 2000, Raghnarok et Les Womoks en 2001 qu’il scénarise, avec Reno au dessin, une de ses anciennes connaissances des Arts Déco (Pourquoi je hais Reno ). Il signe alors Boulet, pseudonyme qu’il gardera par la suite. Sa participation à Tchô ! lui donne une discipline de travail et le professionnalise en cotoyant ses aînés. Elle lui permet aussi de publier ses premiers albums chez Glénat, qui édite le magazine de Titeuf. C’est ainsi que La rubrique scientifique, Raghnarok et Les Womoks deviennent des séries régulières dès 2001-2002, les deux derniers passant du statut de suite de gags courts à de véritables histoires suivies. Boulet y montre sa capacité à renouveler la BD jeunesse en parodiant des univers de fantasy et de science-fiction et en réalisant des albums qui, il faut bien l’avouer, ne sont pas destinés qu’aux enfants !
C’est donc surtout par Tchô que Boulet est connu lorsqu’il lance son blog en juillet 2004 (Une pub éhontée ). Mais d’autres projets vont vite venir s’ajouter à sa production déjà conséquente, et en particulier en 2006 la reprise du dessin de la série Donjon zénith crée par Joann Sfar et Lewis Trondheim qui restent au scénario. L’enjeu est de taille : Donjon est une saga à grand succès à laquelle de nombreux dessinateurs ont participé et Zénith en est la série centrale, dessinée à l’origine par Lewis Trondheim, un auteur reconnu dont le palmarès n’est plus à évoquer. Dans cette parodie d’heroic-fantasy à l’origine réalisée dans le style minimaliste de Trondheim, Boulet fait preuve d’une grande capacité d’adaptation en imposant, dès son premier album, Un mariage à part (le tome 5 de la série), l’efficacité de son propre style qui tranche nettement par un plus grand réalisme et des scènes d’action plus nombreuses et plus dynamiques. Hasard du scénario ou force du dessin de Boulet, la série quitte progressivement sa dimension entièrement parodique pour se plonger plus avant dans l’aventure héroïque. Il transforme l’essai en dessinant en 2007 le tome 6, Retour en fanfare, où les évolutions précédentes sont encore accentuées. Sa participation à la série Donjon lui permet de mettre un pied dans la BD adulte tout en restant fidèle à Tchô puisqu’il poursuit Raghnarok, sa série principale.

Les débuts du blog et ses prolongements papier
C’est principalement à travers son blog qu’il étend son public et déploie sa capacité de dessin et d’humour sur un support plus libre. Boulet fait partie de la communauté des tous premiers blogueurs, celle qui se forme avant 2005 et se compose d’auteurs, souvent professionnels, et se connaissant déjà hors du monde des blogs. Ainsi, Boulet avoue dans sa première note (Le comment du pourquoi http://www.bouletcorp.com/blog/index.php?date=20040728 ) que l’idée d’un blog lui a été suggéré par Mélaka, la compagne de Reno, le dessinateur des Womoks qui, lui-même tient un blog à ce moment-là. Parmi les autres dessinateurs, on trouve Poipoipanda, qui dessinera à partir de 2007 Ange le terrible dans Tchô !, le couple Capu et Libon (Auteur de Jacques le petit lézard géant dans Spirou à partir de 2004), Laurel et Cha qui animent avec Mélaka la rubrique 33 rue Carambole dans le même Spirou, Lisa Mandel qui dessine Nini Patalo dans Tchô !… Un petit monde qui, dans l’ensemble, se cotoie et se connaît.
Le succès rapide du blog de Boulet, intitulé Bouletcorp, vient de l’appropriation particulière que le dessinateur a de ce format. Il poste très régulièrement, et la plupart du temps au moins un strip voire une planche, ce qui n’est pas le cas de tous les blogueurs. De plus, le blog est très agréable visuellement, réalisé dans un format flash qui facilite la navigation et changeant d’habillage deux fois par an ; il est connu pour ses petits bruitages et ses monstres qui parsèment l’écran. Cette esthétique qui, là aussi, tranche avec celle des autres blogs, plus minimalistes et artisanaux, a certainement une grande part dans le succès du blog. Un public est rapidement fidélisé et Boulet devient, consciemment ou non, une importante référence de la blogosphère bd. Un tel succès n’était certainement pas prévu au départ, au moment où le noyau des blogueurs était encore restreint, mais force est de constater que son blog est devenu, pour les amateurs du genre, incontournable. C’est lui que les organisateurs du festiblog choisissent comme parrain de la première édition avec, à ses côtés comme marraine, Mélaka.
Boulet utilise le potentiel de liberté que lui offre le blog en diversifiant énormément ses dessins : parfois de simples croquis ou des anecdotes, parfois des planches très soignées, parfois des brêves en quelques cases ; il se sert également du blog pour présenter aux lecteurs ses différents travaux et séances de dédicaces. Comme sur les autres blogs, il introduit une interaction avec les lecteurs ; l’espace commentaires, par exemple, n’a jamais été fermé.
Surtout, Bouletcorp devient l’espace où bouillonne l’imagination extrêmement fertile de Boulet, le format souple permettant à cette imagination de partir dans tous les sens. Il y a en cinq ans une réelle progression, des quelques cases crayonnées aux planches et essais graphiques qui les suivent. Boulet peut y présenter un projet inachevé, réaliser la page d’un album qui n’existera jamais mais dont il rêve (Marcinelle mon amour ). Boulet joue sur le rôle habituellement attribué aux blogs, raconter en images des anecdotes de vie, en dépassant la banalité du quotidien par le dessin, l’humour et l’imagination (Bêtises ). Un univers se crée autour de Bouletcorp, avec ses récurrences connues de tous les fans : la raclette mutante, les dinosaures, les superpouvoirs, les tournées de bières avec des amis, les compte-rendu de festivals, les zombies, les geeks…

Le blog lui permet de poursuivre d’autres projets via internet, puis sur papier. Il est l’un des cinq Chicou-chicou (http://www.chicou-chicou.com/), masqué sous le personnage d’Ella, et anime cet autre blog fameux jusqu’à sa parution en album en 2008 chez Delcourt. Il participe régulièrement aux 24 heures de la BD (événement organisé lors du festival d’Angoulême, lancé par Trondheim, et consistant à dessiner 24 planches en 24h autour d’un thème) et est même l’un des auteurs de l’album collectif sorti à cette occasion, Boule de neige (2007). Enfin, il a dessiné occasionnellement, avec d’autres blogueurs, quelques planches pour l’association-éditeur Nékomix dans deux de ses revues, Soupirs et Nékomix.
Malgré son succès, le blog en lui-même sort assez tardivement en une version papier. Si les publications papier de blogs commencent dès 2005, Notes sort chez Delcourt en 2008, et il en existe pour le moment trois tomes. Chacun d’eux reprend une partie des notes de blog dans l’ordre chronologique, avec quelques planches supplémentaires qui créent un fil directeur dans la lecture. Une manière pour lui de montrer à ses lecteurs de blog qu’il est également présent en librairie et peut-être aussi d’amener de nouveaux lecteurs qui ne connaîtraient pas le blog.
En 2005, il analyse ainsi, dans une interview donnée sur sceneario.com, la place que tient le blog dans sa carrière : « Le boulot de dessinateur consiste souvent à passer six mois à bosser et n’avoir de réaction que pendant les festivals: avec le blog j’ai trouvé le plaisir du spectacle, c’est comme avoir sa petite tribune et pouvoir sentir à chaud les réactions. Outre que ça soit très utile pour mieux capter ce qui fait réagir dans une BD, c’est aussi un formidable moteur pour bosser vu que la motivation est sans cesse renouvelée. De plus, la structure fait que c’est un très bon exercice vu qu’il faut se renouveler en permanence et produire le plus possible . »

L’art comique de Boulet :
S’il ne tenait qu’à moi, je dirais que Boulet fait partie des meilleurs talents de sa génération, et ce pour l’unique raison qu’il y a longtemps que je n’avais pas pris autant de plaisir à lire des planches de BD que depuis que je visite son blog. Mais je vais essayer de pondérer mon propos, d’être davantage objectif, et surtout d’argumenter !
On notera d’abord que Boulet est un auteur prolifique : en moins de dix ans, il a publié ou participé à près d’une vingtaine d’albums, sans compter l’édition de son blog. Blog qu’il met régulièrement à jour, tout en poursuivant sa participation à Tchô !. On pourrait encore ajouter les projets d’illustration sur lesquels il travaille comme, par exemple, la réalisation d’un livret illustré pour l’album Repenti du chanteur Renan Luce. C’est un auteur complet, tantôt scénariste, tantôt dessinateur, tantôt les deux à la fois. « Je travaille beaucoup. Mais c’est aussi que j’ai un graphisme qui permet une réalisation assez rapide. » dit-il, sur sceneario.com. Vous l’aurez compris, ce qui le caractérise le mieux est sans doute son imagination puissante dont le blog offre un aperçu intéressant. Elle permet une fantaisie graphique renouvellée par des images inattendues, comme dans cette planche décrivant un univers parallèle ( Février ).
C’est principalement dans le domaine de l’humour qu’il a jusque là fait ses preuves. Domaine délicat s’il en est, présentant toujours le risque de la répétition. Un des domaines où il excelle est la parodiea transposition et l, qu’il met d’ailleurs en oeuvre dans Tchô !, avec Raghnarok, parodie d’heroïc-fantasy dont le héros est un jeune dragon maladroit, mais aussi La rubrique scientifique. Il utilise le décalage comique entre la réalité, transpose une situation réelle dans un monde hypothétique. On retrouve là des formules qui avaient fait le succès de revues comme Pilote : pensons à l’humour basé sur le décalage dans Astérix ou aux parodies loufoques des Dingodossiers et de la Rubrique-à-brac de Gotlib. ( Tout le monde aux dodos ). L’âge d’or franco-belge est d’ailleurs souvent l’occasion de parodies jubilatoires, à la fois hommage et transgression des règles.(Schtroumpfs)

Boulet fait preuve, aussi bien dans ses albums papier que sur son blog, d’une bonne capacité de synthèse entre des influences extrêmement variées, tant au niveau du dessin que du scénario. On connaît ses goûts en matière de bande dessinée : les héros de Spirou, Calvin et Hobbes de Watterson (Fan art de la semaine ), Dr Slump de Akira Toriyama, Lewis Trondheim… (Copieur ) Une même diversité se retrouve sur le blog où il n’hésite pas à changer de style selon le type de note qu’il souhaite réaliser, voire à se livrer à des expériences graphiques (8bits le retour ; VIP ). Mais on la retrouvera aussi dans ses albums : les scènes de combat de Donjon reprennent en partie des codes graphiques du manga, intégrés à des formules plus européennes.
Enfin, il y a chez Boulet, je trouve, un certain classicisme dans l’humour, faisant appel aux ressources du comique de situation, de la parodie, du comique de répétition, ce qui rend ses gags souvent efficaces ; la narration est bien maîtrisée et mesurée, dans le sens où il sait faire passer un message avec un minimum de signes graphiques, comme on le voit dans certains gags muets (http://www.bouletcorp.com/blog/index.php?date=20090117 ). Mais ce classicisme efficace dialogue avec des images inattendues (dinosaures, monstres, zombies, extraterrestre) qui l’empêche de trop se répéter. Le comique vient assez souvent de la surprise du lecteur qui attend le gag et assiste à l’irruption de l’imprévu dans la routine.

En espérant que les quelques notes ainsi présentées vous aurons donné envie d’approfondir la lecture du blog ou des albums, pour ceux qui ne connaissaient pas encore Boulet !

Bibliographie de Boulet :
2001-2004 : Les Womoks, dessin de Reno, édité par Glénat (4 volumes)
2001-2009 : Raghnarok, Glénat (6 volumes)
2002-2005 : La rubrique scientifique, Glénat (3 volumes)
2005 : le Miya, Glénat
2006 : Soupir, Nékomix (collectif)
2006-2007 : Donjon Zénith, tomes 5 et 6, scénario de Joan Sfar et Lewis Trondheim, Delcourt
2007 : Boule de neige, Delcourt
2007 : Le voeu de Simon, dessin de Lucie Albon, La boîte à bulles
2008 : Nékomix 7, Nékomix (collectif)
2008-2009 : Notes, Delcourt
2008 : Chicou-chicou, Delcourt

Les citations viennent de cet interview donné en 2005 :
http://www.sceneario.com/sceneario_interview_BOULE.html