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La Bibliothèque nationale de France et la bande dessinée

Il y a un peu moins d’un an, la salle E de la Bibliothèque nationale de France a fait l’objet d’un remaniement, qui a conduit à la suppression du fonds consacré à la bande dessinée qui s’y trouvait. Il ne s’agissait pas d’un fond très important numériquement : six ou sept rangées de livres contenant des livres de référence sur la bande dessinée, des dictionnaires sur le sujet, quelques magazines spécialisés et un échantillon de bandes dessinées, souvent le premier tome des séries les plus importantes. Ce changement pouvait soulever une profonde inquiétude ainsi qu’un certain découragement, l’impression que la Bibliothèque nationale, après avoir fait un grand effort pour donner à la bande dessinée le même statut qu’aux autres livres, opérait là un retour en arrière très dommageable du point de vue intellectuel.

Bien sûr, il restait le fonds consacré à la bande dessinée dans la salle T1, et surtout il demeurait possible aux chercheurs de se voir communiquer les documents arrivés à la Bibliothèque par le biais du dépôt légal ; mais la place de la bande dessinée dans la partie de la BNF ouverte au grand public se trouvait réduite à la portion congrue. En effet, lorsque l’on s’enquerrait, auprès du personnel de la salle E, de l’endroit où avaient été déplacées les bandes dessinées, on s’entendait répondre que ce qui concernait la bande dessinée se trouvait désormais en salle I, la salle depuis peu réservée à la littérature pour la jeunesse2. Une fois arrivé en salle I, nouvelle déception : il y avait effectivement quelques bandes dessinées et quelques livres consacrés à l’étude de la bande dessinée, mais uniquement à la bande dessinée pour la jeunesse. De là à se dire que la Bibliothèque Nationale tout entière considérait la bande dessinée comme une sous-catégorie de la littérature enfantine, il n’y avait qu’un pas.

© David B. - Les incidents de la nuit

Cela faisait en effet un certain temps que la BNF négligeait sans complexe la bande dessinée, sans doute un peu à la manière du monde universitaire en général. De fait, il semblerait que ceux qui, à l’intérieur du temple de la lecture qu’est la Bibliothèque Nationale, désirent faire une place à la bande dessinée, se retrouvent le plus souvent passablement isolés. Jean-Pierre Angremy, président de la Bibliothèque Nationale entre 1997 et 2002, était romancier, académicien et grand amateur de bandes dessinées. Selon Thierry Groensteen, quand Angremy exprima la volonté d’organiser au sein de la Bibliothèque Nationale une grande exposition sur la bande dessinée, il se heurta immédiatement aux réticences de ses collaborateurs. Ce fut aussi l’occasion de s’apercevoir qu’il n’y avait à la BNF personne de compétent pour organiser une telle l’exposition.

Sur ce point, il est probable que Thierry Groensteen ait un peu exagéré. Le coeur du problème est effectivement qu’il n’y ait jamais eu de véritable préposé à la bande dessinée au sein de la Bibliothèque Nationale – du moins à notre connaissance. En matière de conservation, cette absence de centralisation n’est pas sans causer de sérieuses difficultés, mais ces difficultés sont en grande partie liées à la bande dessinée elle-même et à son côté inclassable : pendant longtemps, les bandes dessinées qui arrivaient à la Bibliothèque nationale par le système du dépôt légal étaient envoyées soit au département des Estampes et de la Photographie soit au département Littérature et art. Il s’agit ici d’un dilemme qui n’est pas nouveau : la bande dessinée relève-t-elle plutôt des arts graphiques (et, à ce titre, doit-elle être exposée dans les musées ?) ou plutôt de la littérature ? Bien malin qui saurait trancher. Mais ce n’est pas tout : à la Bibliothèque Nationale, toute la bande dessinée publiée dans la presse (le Journal de Mickey, mais aussi Pilote, Tintin ou Fluide Glacial) parvenait au département des périodiques. Et une partie des bandes dessinées historiques finissait parfois au département des imprimés, cote L (Histoire). A la diversité des lieux de conservation s’ajoute la diversité des modes de classement : au département des Estampes, les documents ne sont pas toujours catalogués à la pièce. Ainsi a-t-on pu, au moment de l’exposition sur le livre pour enfant en 20083, découvrir des bandes dessinées de Benjamin Rabier au département des Estampes, dans des cartons simplement identifiés comme « Benjamin Rabier » ou même « Représentation animalière ».

A cette dispersion s’ajoute le caractère incomplet des collections. On entend souvent dire que la bande dessinée partage avec la pornographie le privilège désagréable d’être parfois soustraite par certains membres malhonnêtes du personnel avant d’arriver jusqu’à destination4. Le phénomène est sans doute réel, mais les trous dans les collections ont également d’autres origines : jusqu’à une période récente, les principaux éditeurs de bande dessinée étaient des éditeurs belges (Dupuis, Casterman, Le Lombard, etc.) et les œuvres en question n’étaient donc pas toujours soumises au dépôt légal des éditeurs, et presque jamais à celui des imprimeurs5 ; les deux exemplaires qui parvenaient à la BNF relevaient donc uniquement du dépôt légal des distributeurs, qui a toujours été moins bien appliqué que les deux précédents.

On pourra répondre que ce n’est pas à la BNF de se préoccuper de bande dessinée : de la même manière que le principal festival de bande dessinée n’est pas à Paris mais à Angoulême, le principal centre de ressources documentaires sur la bande dessinée est la Cité Internationale de la Bande Dessinée et de l’Image (CIBDI) à Angoulême. Cela n’est pas faux, mais l’intérêt d’un endroit comme la salle E était justement de donner un premier aperçu de la recherche sur la bande dessinée à des étudiants et à des chercheurs débutants non encore spécialisés, ainsi qu’à toute personne (bibliothécaire, enseignant ou autre) désireuse d’en savoir un peu plus sur le sujet. Heureusement, notre impression de départ – selon laquelle la BNF, en 2010, considérait encore la bande dessinée comme un domaine mineur restreint à la lecture enfantine – s’est révélée partiellement erronée.

Franquin - Gaston Lagaffe

En effet, non seulement la bande dessinée est loin d’être totalement absente de la BNF, mais certaines évolutions récentes laissent penser que sa place ne fera que se renforcer dans les années à venir. Tout d’abord, les expositions de la BNF ne délaissent pas autant la bande dessinée qu’on pourrait le penser au premier abord, et l’exposition Maîtres de la bande dessinée européenne6 ne fut pas la seule à s’intéresser au neuvième art. La bande dessinée tenait en effet une place importante dans l’exposition Babar, Harry Potter et Compagnie ainsi que dans d’autres grandes expositions7. Par ailleurs, l’habitude a été prise de placer, à la fin d’autres expositions de la BNF, notamment La légende du roi Arthur en 20098 ou Qumran9, des bandes dessinées et des ouvrages de fictions en rapport avec le thème de l’exposition. Il convient aussi de signaler la très belle exposition virtuelle La BD avant la BD : narration figurée et procédés d’animation dans les images du Moyen Âge, en partie conçue par la médiéviste Danièle Alexandre-Bidon.

Même si, dans le domaine des acquisitions, les bandes dessinées demeurent très marginales, on ne peut pas non plus dire qu’elles y soient totalement négligées. Si, à notre connaissance, la section contemporaine du département des Manuscrits ne conserve ni planches originales ni synopsis de bandes dessinées et ne manifeste pas (pas encore ?) le désir d’en acquérir, on trouve à la Réserve des livres rares10 quelques documents intéressants, comme les aquarelles originales du Voyage de Babar, les premiers albums en français de Buster Brown (à partir de 1903), certains des premiers albums des aventures de Zig & Puce (à partir de 1928) ou, un peu plus loin, une édition allemande du Candide de Voltaire illustré par Paul Klee dans les années 1900. Plusieurs conservateurs de la Réserve sont sensibles à l’importance de la bande dessinée, notamment Antoine Coron et Carine Picaud, et entreprennent des démarches afin que les archives de grands auteurs de bandes dessinées soient léguées à la BNF.

Par ailleurs, les bandes dessinées arrivées au titre du dépôt légal sont consultables au Rez-de-Jardin (bibliothèque de recherche, sur accréditation) et représentent une masse documentaire essentielle pour le chercheur. La convention de pôle associé avec la CIBDI prévoit que cette dernière reçoive un exemplaire issu du dépôt légal, mais seulement après que la BNF se sera servie ; c’est-à-dire que s’il y a deux exemplaires le premier va à la BNF et le second à la CIBDI, mais que s’il n’y en a qu’un la CIBDI se trouve désavantagée. Or comme pour une grande quantité d’ouvrages le dépôt légal se limite au dépôt légal de l’importateur, il arrive très souvent qu’il n’y ait qu’un seul exemplaire. Le fonds qui se trouvait jadis en salle E a d’ailleurs été utilisé pour combler les trous dans les collections patrimoniales de la BNF ; ces trous restent problématiques et l’on peut craindre que la continuité des collections, même si des actions ont été menées pour réduire les vols dans le circuit d’arrivée des livres, notamment en rendant la mobilité des personnels obligatoire, ne soit guère favorisée par la réduction en 2006 du nombre d’exemplaires déposés au titre du dépôt légal.

Franquin - Gaston Lagaffe

Enfin et surtout, la situation des bandes dessinées dans la salle I, salle consacrée à la littérature pour la jeunesse, est loin d’être aussi mauvaise que ce que l’on avait pu penser dans un premier temps. Il a en effet été décidé en 1995 que toute la bande dessinée, même la bande dessinée pour adultes, dépendrait du département Littérature et art et, en 2009, que la politique d’acquisition d’ouvrages documentaires sur la bande dessinée serait à la charge de l’équipe du Centre national de littérature pour la jeunesse, notamment par le conservateur Olivier Piffault. Dès le printemps dernier, on trouvait en salle I un embryon de fonds de bandes dessinées pour adultes et de livres sur le sujet, notamment une bonne partie de la sélection officielle du Festival d’Angoulême, et ce fonds s’est encore accru depuis. Il est cependant à déplorer qu’il dépende largement de ce que les éditeurs ont bien voulu envoyer. Par ailleurs, Les Signets de la BNF consacrés à la bande dessinée ont été mis à jour récemment et des événements en rapport avec la bande dessinée sont régulièrement organisés : au printemps dernier ont eu lieu des rencontres avec des auteurs de bande dessinée, notamment Fabien Vehlmann, et le 5 octobre prochain aura lieu une journée d’étude sur le thème « La bande dessinée, entre héritage et révolution numérique ».

Il pourra paraître regrettable à certains qu’une fois encore la bande dessinée soit classée dans la littérature pour la jeunesse, laissant penser qu’elle se limite à Tintin et à Mickey. Olivier Piffault rappelle cependant qu’il convient également d’éviter l’écueil inverse, à savoir l’oubli de la bande dessinée pour la jeunesse. Il suffit de penser certains journaux de bande dessinée ou certains ouvrages qui négligent complètement cette part de la bande dessinée ; dans les premières années du festival d’Angoulême, Alain Saint-Ogan était à l’honneur et les prix du festival s’appelaient les Alfred11, tandis qu’aujourd’hui elle n’y occupe plus qu’une place relativement marginale. C’est oublier que nombre d’auteurs de bande dessinée des années 1990 et 2000 ont fait de la bande dessinée pour enfants (Petit Vampire, Titeuf, Raghnarok, etc.) et qu’elle continue d’être très importante à bien des titres.

Cette situation n’est toutefois pas sans poser problème. On peut craindre que la recherche sur la bande dessinée ne pâtisse de se voir encore une fois associée à la recherche sur le livre pour enfants. On peut penser que, malgré toute la bonne volonté du monde, ce sera la bande dessinée pour enfants qui sera privilégiée : l’immense fonds patrimonial du CNLJ ne contenait de bandes dessinées que lorsqu’elles faisaient partie de la littérature pour la jeunesse et les critiques de bandes dessinées qui paraissent dans la revue du CNLJ, la Revue des livres pour enfants, se cantonnent bien logiquement aux bandes dessinées enfantines. Et si l’on peut se réjouir que la bande dessinée soit désormais un domaine d’acquisition a part entière – ce qui constitue une première depuis la fondation de l’établissement il y a cinq siècles – on peut se demander s’il n’est pas dangereux que tout cela repose sur des personnes plus que sur des structures et si l’on ne court pas le risque de voir tout le travail accompli s’effondrer le jour où, pour une raison ou pour une autre, les personnes changent de fonction.

Même si les décisions récentes vont dans le bon sens, il faudra donc rester vigilant et regarder de près les futures évolutions de la BNF en la matière. Dans son introduction au catalogue de l’exposition sur les Maîtres de la bande dessinée européenne, Jean-Pierre Angremy parlait de la bande dessinée comme de « cette forme d’expression qui est, après tout, une continuation moderne des manuscrits enluminés dont elle est aussi dépositaire »12. Il y aurait beaucoup à dire sur cette comparaison, mais nous n’en retiendrons qu’une chose : la bande dessinée fait partie des missions de la BNF au même titre que toutes les autres et il est à souhaiter que les lacunes du passé, qui ont commencé d’être comblées, ne seront bientôt plus qu’un mauvais souvenir.

Antoine Torrens

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Science-fiction et bande dessinée : années 2000

Notre série sur la science-fiction et la bande dessinée francophone, longue épopée partie des années 1930 arrive doucement vers son dénouement : les années 2000. J’ai voulu présenter deux oeuvres qui réinterprètent le genre, en font autre chose que les codes traditionnels laissent sous-entendre et explorent d’autres voies que l’aventure exotique, le space opera ou la parabole politico-sociale. Deux séries qui se répondent, l’une étant la dernière production d’un auteur venu du fin fond des années 1970, et l’autre étant l’oeuvre ayant fait connaître un jeune auteur désormais plus que prometteur. Un détour du côté de l’univers punk du Sombres ténèbres de Max, et de la SF contemplative du Lupus de Frederik Peeters.

L’édition alternative et la science-fiction


Dans le précédent article consacré aux années 1990, j’avais délibérement mis de côté la question de l’émergence des éditeurs alternatifs : c’était pour mieux les retrouver ici. De fait, on ne peut pas vraiment dire que les nouvelles exigences des jeunes éditeurs à la recherche d’une « autre » bande dessinée (L’Association, Ego comme X, Les Requins marteaux, Cornelius, Six pieds sous terre, Drozophile…) soient parfaitement compatibles avec la science-fiction. Leur objectif est de rompre avec les pratiques et les thèmes traditionnels de la bande dessinée et, en particulier, de briser toute existence de « codes », de « catégories », de « limites », à l’intérieur ou à l’extérieur du média. Or, je l’ai expliqué dans l’article précédent, la science-fiction s’identifie dans les années 1990 comme un genre codifié, confectionné au terme de plus de cinquante ans de production de bande dessinée. Est-il, avec d’autres genres comme le western, le policier, la fantasy, un signe extérieur de l’édition commerciale ? Ou bien est-ce la notion même de genre qui est assez peu adaptable aux exigences de l’édition alternative, parce qu’elle est attachée à l’ancienne bande dessinée avec laquelle on veut rompte ? Le fait est que les éditeurs alternatifs, trop pressés d’explorer d’autres domaines comme la bande dessinée de reportage ou l’autobiographie, portent assez peu d’attention à la science-fiction.
Un bref passage en revue (que je ne prétend pas exhaustif) des catalogues de ces éditeurs montrent pourtant que ce désintérêt n’est que relatif et que la science-fiction y a ses entrées, mais selon des modalités spécifiques. Deux ressortent tout particulièrement : l’humour et l’underground (voire parfois les deux en même temps). Science-fiction et humour se marient pour produire des oeuvres qui cherchent justement à détourner les codes du genre pour les tourner en ridicule, ou les situer dans un décalage salutaire. Pour cette raison, sans doute, la science-fiction revient souvent dans l’oeuvre d’Etienne Lecroart, auteur spécialisé dans les exercices de style graphique (oubapiens!) à partir des conventions de la bande dessinée, comme dans la bande dessinée palindromique Cercle vicieux (L’Association). On peut aussi penser au Cycloman de Charles Berberian et Grégory Mardon qui raconte les tracas quotidiens et intimes d’un super-héros (Cornelius, 2002). Enfin, Guillaume Bouzard et Pierre Druilhe se régalent des rencontres du troisième type dans Les pauvres types de l’espace (Six pieds sous terre, 2005).
Les éditeurs alternatifs ont aussi contribué à refaire connaître une science-fiction typique des années 1970-1980, faite d’underground, de transgression graphique et textuelle et d’influence de la culture rock. On en verra un bon exemple avec Sombres ténèbres de Max. La réédition de Nécron des italiens Magnus et Ilaria Volpe par Cornélius à partir de 2006 présente au public une oeuvre oubliée depuis vingt ans, se revendiquant des genres les plus « bas » et les plus sales, l’érotisme et l’horreur. Un autre italien amateur de science-fiction underground, Massimo Mattioli, est édité par l’Association. Là encore, c’est bien le refus des conventions qui pousse à ces entreprises éditoriales où la la science-fiction n’est pas vue comme genre tout public, mais comme partie intégrante d’une culture de série B subversive. Lorsqu’il y a pastiche de l’univers retro des comic books et de leur superhéros, humour et underground trouvent un territoire commun, comme dans le Bighead de l’américain Jeffrey brown édité en France par Six pieds sous terre.

Difficile de parler de science-fiction chez les éditeurs alternatifs : le genre y est volontairement indéfini et traduit selon des canons peu, sinon moins communs que ceux employés par de plus grands éditeurs. Sombres ténèbres et Lupus, respectivement édités par L’Association et par Atrabile, portent en eux cette ambiguité sur le genre qui devient le miroir de l’univers très personnel de leur auteur. Une sorte d’auto-science-fiction, en quelque sorte.

Sombres ténèbres de Max

Max est un auteur discret, à ne pas confondre avec son homonyme espagnol qui, par un étrange coup du sort, est lui aussi édité à l’Association. La série Sombres ténèbres est parue dans la célèbre maison d’édition entre 2001 et 2005 en cinq volumes dans la collection « Mimolette », vouée à des albums courts publiés à prix bas par livraison à la façon des comics. Elle s’inscrit dans la continuité de l’univers construit par Max, un ancien de Métal Hurlant, mais aussi d’autres fanzines et revues des années 70-80 comme Le Krapô Baveux, Viper ou Zoulou, moins marquantes mais témoignant de l’émergence d’une forme de bande dessinée underground à la française allant puiser ses références dans la culture punk.
Max entre justement à Métal Hurlant en 1983, au moment où la revue se tourne délibérement vers la « BD rock », c’est-à-dire vers des auteurs qui nourrisent leur bande dessinée de leur passion pour la contre-culture rock et punk. Mouvement stylistiquement hétéroclite, finalement assez mal défini mais symptomatique d’un moment de communion entre la musique et la bande dessinée au sein d’un même ensemble de références, la « BD rock » se traduit surtout par la présence de certains thèmes (la violence, le rock, le sexe, la banlieue, la débrouille), par des dialogues argotiques, par des personnages archétypaux (l’escroc, le looser, le motard) et, parfois, par un humour noir et délirant. Généralement, elle reste assez traditionnelle dans les procédés narratifs. Pour une raison qui reste encore à déterminer, une autre de ses caractéristiques est, chez certains auteurs, l’emploi d’animaux anthropomorphisés. La BD rock existe sans exister vraiment, mais participe, dans les années 1980, à l’intégration de la bande dessinée au sein d’une culture adulte plus large et dynamique. Il s’agit surtout d’un mouvement passager composé au sein de Métal Hurlant, ainsi que d’émissions (Les Enfants du rock) et de revues/fanzines, qui donne naissance à des auteurs à l’univers très personnel comme Margerin, Jano, Tramber, Dodo et Ben Radis, Pierre Ouin, et, donc, Max.
A l’exception de Panzer Panik avec José-Louis Bocquet, une chronique pleine d’humour noir de la seconde guerre mondiale et de deux albums dans la collection X de Futuropolis avec Pierre Ouin, la science-fiction est le domaine préféré de Max. Mais il ne s’agit pas d’un univers de science-fiction ordinaire, plutôt d’une science-fiction relue par la culture punk qui a déjà su intégrer la SF telle qu’elle se présente dans les pulps et les films de série B. Lire Max, c’est retrouver l’esprit de groupes de punk et de psychobilly comme les Misfits, les Cramps ou les Meteors. Une science-fiction qui possède donc, dans nos années 2000, un certain charme retro. Après tout, c’est une des caractéristiques du travail de Max de ne pas avoir adapté son style et d’avoir su garder le même esprit tout au long de sa carrière. C’est dans l’album Spoty et la lune alphane, paru en 1987 aux Humanoïdes Associés après prépublication dans Métal Hurlant qu’il donne une consistance à son monde fait de robots, de monstres extraterrestres, de planètes désertiques et de galaxies prises dans des guerres incessantes et dans une violence dépourvue de la moindre morale. L’avenir de la race humaine est dans les robots alors que de multiples races extraterrestres parcourent l’univers. Il poursuit dans Douceur Infernale (prépublié dans Métal Hurlant en 1984, puis aux Editions du Poteau, 1995), Démocratie mécanique (Alain Beaulet, 2000) et Sombres ténèbres. Ayant quitté Les Humanoïdes Associés à la fin des années 1980 après le rachat de la maison, il trouve un refuge idéal au sein de l’Association. En 1987, alors que l’Association ne s’appelait pas encore l’Association, Max avait fait partie des premiers auteurs de la collection « Patte de Mouche » lancée par les futurs fondateurs de la maison d’édition associative. (Petite précision : il y eut deux séries de collection « Patte de mouche » avant celle, définitive et actuelle, de l’Association. La collection reprenait le principe de la collection X de Futuropolis : petit format, récit court, prix réduit et, par la même occasion, en repris plusieurs auteurs).

Jano avait peint un univers assez semblable dans Gazoline et la planète rouge en 1989, album qui obtient le prix du meilleur album à Angoulême en 1990. Mais la différence entre Jano et Max, s’il est besoin de les comparer, est que Max ne fait aucune concession à la propreté du style. Il conserve un graphisme volontairement « crade », presque naïf et maladroit, et les aventures de ses robots sont généralement des suites de rebondissements absurdes et désordonnés. Cet absence de repères participe peut-être à l’atmosphère sombre, très marquée dans Sombres ténèbres : l’univers de Max est incohérent et en devient effrayant. L’histoire est celle du robot Geoffroy, un peu niais et crédule et toujours accompagné de son shark-terrier Gwladys. Après s’être engagé dans l’armée par manque d’argent, il se retrouve embarqué dans une suite de péripéties qui vont le faire traverser la galaxie, jusqu’à devenir la proie des Ténèbres, entité chaotique qui se nourrit des molécules des vivants. La quête de Geoffroy commence alors, quête qui ressemble surtout à une fuite pour ce héros bien peu téméraire qui n’avait rien demandé à personne.
Max regarde autant du côté de la science-fiction classique, passionné de Phillip K. Dick (le dieu des robots dans son univers) ou Asimov, que du cinéma de science-fiction des années 50-60. Il faut ajouter à cela l’influence du genre de l’horreur, tant sous ses formes littéraires que cinématographique ( et l’esprit retro de la grande époque de Tales from the crypt et autres comic books d’horreur !). Lovecraft est une référence évidente dans Sombres ténèbres où Geoffroy est confronté à une multitude de démons difformes que Max prend un plaisir certain à dessiner. On ne sait trop s’il faut rire ou se désespérer de la malchance du pauvre robot prisonnier d’une aventure qui le dépasse.

Lupus de Frederik Peeters

Les plus anciens lecteurs de ce blog se souviennent peut-être du cri d’amour que j’avais poussé, il y a fort longtemps, pour l’oeuvre de Peeters qui est pour moi un des auteurs les plus prometteurs de la décennie précédente, mariant l’efficacité narrative à une certaine liberté et beauté du trait (Dieu sait que je saurais me montrer objectif avec l’âge!). Editorialement, Peeters oscille entre ses fidélités toujours entretenues vers l’édition alternative (Atrabile, principalement) et des incursions chez de gros éditeurs (les Humanoïdes Associés, Gallimard).
Ces premières oeuvres ne laissent guère présager d’une incursion dans la science-fiction, et c’est bien d’incursion dont il faut parler, tant il s’approprie le genre à sa façon. Une des caractériques de son oeuvre est la diversité des thèmes abordés, avec toujours, en toile de fond plus ou moins présente, l’onirisme flirtant avec le surréalisme qui lui est propre. Après quelques oeuvres chez l’éditeur suisse Atrabile, auquel il se joint dès les débuts de l’entreprise en 1997 (Fromage Confiture, Brendon Ballard), l’oeuvre qui le fait connaître à un plus large public est Pilules bleues, toujours chez Atrabile : une oeuvre autobiographique qui raconte, sur un ton étonnamment léger, son histoire d’amour avec une séropositive. Nous sommes en 2001, la vogue de l’autobiographie en bande dessinée bat son plein et le succès que rencontre l’ouvrage est mérité. Puis, en 2003, il commence simultanément deux séries, Lupus chez Atrabile et Koma aux Humanoïdes Associés. L’écart est grand avec Pilules bleues, du moins en apparence, puisqu’il s’agit cette fois de fictions au scénario complexe, oscillant entre la science-fiction pour Lupus et le fantastique pour Koma, même si les frontières sont très poreuses. De ce second projet, scénarisé par Pierre Wazem, retenons simplement qu’il apprend à Peeters à utiliser la couleur et qu’il lui offre la possibilités d’exprimer un imaginaire graphique encore inédit sur une longue histoire, mais avec quelques contraintes, puisqu’il doit suivre un scénario et travaille pour une parution cadrée chez un grand éditeur. Pour Lupus, les données sont les mêmes, si ce n’est que la liberté y est encore plus grande et l’oeuvre en est plus personnelle. Par la suite, Peeters s’attaque au polar réaliste (R.G. avec Pierre Dagon, Gallimard, 2007-2008) puis poursuit dans la voie de l’onirisme surréalisant (Pachyderme chez Gallimard, 2009).

D’emblée, on se situe dans une science-fiction un peu particulière, loin du space opera et de l’aventure galactique : deux amis d’enfance, Lupus et Tony, voyagent dans leur vaisseau à la recherche des meilleurs coins de pêche de la galaxie, ainsi que des meilleures drogues du système. La SF est d’abord un décor exotique pour une histoire d’amitié banale : la rencontre avec une jeune fugueuse, héritière d’une des plus riches familles de l’univers, sépare peu à peu les deux amis qui tombent naturellement amoureux d’elle et révèlent leurs failles et les non-dits qui les opposent. Pas d’extraterrestres ni de guerres : dans ce futur, seules ont changé les dimensions du monde à investir, mais les hommes et leurs problèmes sont restés les mêmes.
Puis, progressivement, l’histoire s’emballe et l’aventure rattrape Lupus qui doit s’enfuir avec Sanaa, la fugueuse, que ses parents veulent à tout prix récupérer. Lupus est une longue fuite du héros vers sa propre tranquillité et, par la même occasion, une quête initiatique qui se termine par son passage, symbolique puis réel, à l’âge adulte. Je laisse ici la parole à Peeters lui-même qui parle de son travail dans Histoire naturelles, catalogue de l’exposition qui lui a été consacré à Lausanne en 2009 : « Il est vrai que je n’exploite pas le background de la SF comme il est d’usage de le faire. Mon utilisation n’est pas technique ou politique mais symbolique. Chaque décor, chaque planète, chaque vaisseau, chaque personnage bizarre est utilisé en écho aux turpitudes des protagonistes. Je cite souvent Moebius qui dit que la SF est le terrain idéal pour dessiner à l’extérieur les paysages intérieurs des personnages. ». Il enchaîne en inteprétant ce récit comme une « autofiction » où sa vie personnelle a pu influer directement sur le déroulement de l’histoire. Le rapport avec Pilules bleues n’est donc peut-être pas si difficile à concevoir : après tout, il s’agit dans les deux cas d’une histoire d’amour et de la description du moment où le protagoniste quitte l’adolescence.
La réalisation de Lupus est avant tout un travail d’improvisation : pas de plan préconçu, et au final une écriture très libre, ce qui me permet un autre rapprochement avec le Moebius improvisateur du Garage hermétique. Peeters décrit toutefois un important travail de redécoupage qui est venu prolonger la version « brute » de l’oeuvre.

La science-fiction de Peeters est profondément contemplative, avant tout en raison du caractère du personnage principal, Lupus, héros discret qui passe tout son temps à éviter l’aventure. Peut-être est-ce là le charme de cette oeuvre : un évitement permanent des moments de tension les plus intenses, occultés par quelques artifices graphiques ou minimisés par le héros. Peeters est alors un formidable dialoguiste, non pas seulement parce que ses dialogues sont bien ciselés, mais parce que ses silences le sont tout autant, porteurs, par l’image seule, d’autant de sens et d’émotions. Ainsi, quand Sanaa va enfin révéler à Lupus la raison de sa fugue, ses paroles se transforment dans sa bulle en de simples bâtons illisibles, comme si, finalement, cet élément de l’intrigue n’était pas si important ; comme si l’essentiel n’était pas dans le drame, mais dans la recherche d’une forme de plénitude. Il suffit de considérer la manière dont, dans le dernier volume, l’intrigue principale se dissout lentement en une succession de scènes à la temporalité incertaine, jusqu’à la fin qui frise l’abstraction puisqu’il ne s’agit plus que d’une suite de cases auxquelles le lecteur a pour charge de donner du sens.
J’avais déjà relevé cette tendance de Peeters à se détacher de l’action et de la narration pour dessiner des cases dont la valeur est purement contemplative. Dans Lupus, il multiplie ainsi les très gros plans sur des oreilles, des pieds, des objets du quotidien, et s’arrête sur d’étranges formes organiques, comme ces mollusques spatiaux gigantesques qui reviennent sans cesse dans notre champ de vision sans qu’aucune explication n’en soit donné. Ce n’est pas pour lire une histoire que l’on finit par aimer Lupus, mais pour le simple plaisir de regarder des images, des formes, qui nous parlent. L’alliance de la science-fiction et des hallucinations suite à des prises de drogue, fréquente chez les personnages de la série, renforce l’onirisme de cette oeuvre dont le dimension symbolique est très forte. Ces symboles passent par le seul pouvoir évocateur des images, et c’est en cela que Peeters est un dessinateur hors pair, capable de créer un univers mental par une succession d’images, ce qui est, en somme, l’essence même de la bande dessinée.

Pour en savoir plus :
Max, Sombres ténèbres, L’Association, 2001-2005 (5 tomes)
Frederik Peeters, Lupus, Atrabile, 2003-2006 (4 tomes)
Histoires Naturelles, le catalogue consacré à Frederik Peeters (2009)
Une interview de Max

L’exposition Spirou à la galerie Daniel Maghen

par Caroluseligius

Des roux comme s’il en pleuvait

Du 25 août au 11 septembre 2010, à l’occasion de la sortie du nouvel opus des aventures de Spirou et Fantasio1 (le 51e au compteur) la galerie Daniel Maghen (47 Quai des Grands Augustins à Paris) organise une rétrospective autour des dessinateurs qui ont marqué la série2. Les amateurs apprécieront de voir regroupés des travaux de différents artistes et de différentes natures. Les fanatiques seront ravis de l’opportunité qui leur sera offerte de faire l’acquisition des originaux exposés, à des prix allant de 1000 à 6000 euros. Si l’espace relativement réduit de la galerie ne permet pas le déploiement d’une scénographie savante, et que le but d’une galerie n’est pas d’offrir un support didactique fourni (on peut regretter l’absence de cartels), le visiteur connaissant la série pourra sans difficultés s’y retrouver parmi les différents auteurs exposés. Parmi les œuvres les plus remarquables, qui justifieraient à elles seules le déplacement, on peut citer plusieurs planches et projets de couverture de Fournier, pour certains de ses albums les plus connus comme Le Gri-gri du Niokolo Koba ou Du Cidre pour les étoiles. On peut signaler également quelques planches de Nic pour La Ceinture du grand froid, et surtout de nombreux travaux de Munuera pour L’Homme qui ne voulait pas mourir, Spirou à Tokyo et Aux sources du Z, ce qui permet de redécouvrir et d’apprécier le trait de ce dessinateur dans de belles planches originales
Les grand absents de l’exposition sont Franquin et Janry, ce qui est dommage, mais s’explique peut-être par les prix déjà atteints par leurs planches originales. En revanche, le visiteur pourra voir différents travaux préparatoires du nouvel album de Spirou. Pour se faire la main, il semble que Yoann se soit frotté aux travaux de ses prédécesseurs, en s’inspirant de leur style dans une série de toiles à l’acrylique. L’une représente notamment l’Ankou avec Spirou, Fantasio et Ororoea, une autre le sous-marin du Repaire de la Murène, et la dernière, la plus inventive, Spirou et Fantasio armés de mitraillettes et environnés de tanks, scène reprise du Dictateur et le champignon de Franquin, toute en teintes rouges et noires. Il faut aussi signaler quelques aquarelles de Yoann et Munuera représentant Spirou, Zorglub et le comte de Champignac, qui permettent de comparer le style des deux auteurs. Yoann semble plus proche de la tradition de Franquin, « son » Spirou en ayant la plupart des caractéristiques physiques, notamment les cheveux en bataille (qui avaient tendance à s’aplatir dans les albums de Munuera). Au contraire, Fantasio semble de plus en plus chauve, ce qui est une nouveauté. Un grand nombre de planches et de beaux dessins sont tirés de Spirou à Tokyo, qui avait fait l’objet à sa sortie d’une promotion plus importante que les autres albums de la série.
Au final, que ce soit pour se familiariser avec le nouveau dessinateur de Spirou, ou pour apprécier les travaux de ses prédécesseurs, cette exposition, véritable mise en série comparative de  dessins en grande partie inédits, est en tout point passionnante et devrait plaire à tous les fans de la série.

Le 51e album de Spirou

Après Munuera et Morvan, ce sont Yoann et Fabien Vehlmann qui sont en  charge de la série, avec un album intitulé Alerte aux Zorkons. Ce tandem avait déjà produit un album hors-série, Les Géants pétrifiés, en 2006, avant d’être choisi pour mener la série-mère. Pour leur premier album « officiel », ils sont revenus à une recette classique et à un style proche de Franquin mais tempéré par la poésie de Fournier (et son engagement écolo qui transparait fortement dans l’histoire). On y retrouve les personnages les plus connus de la série, le comte de Champignac, Zorglub, et toute la population champignacienne, dinosaure compris. Si le scénario n’est pas particulièrement novateur et suit une trame assez simple (projet mystérieux de Zorglub et inventions délirantes à base de champignons qui sauvent la situation), sa grande force est d’être extrêmement imaginatif. La faune et la flore inventées pour les besoins de l’album pourraient presque faire l’objet d’une mini-encyclopédie à elles seules. Surtout, cet album laisse la porte ouverte à un second volet qui s’annonce prometteur (Spirou dans l’espace ?). C’est donc un album à ne pas manquer, avec tous les ingrédients qui ont fait la force des one-shots publiés ces dernières années, mêlant retour au sources, liberté du trait et inventivité du scénario.

Des roux comme s’il en pleuvait

Du 25 août au 11 septembre 2010, à l’occasion de la sortie du nouvel opus des aventures de Spirou et Fantasio (le 51e au compteur) la galerie Daniel Maghen (47 Quai des Grands Augustins, 75006 Paris) organise une rétrospective autour des dessinateurs qui ont marqué la série. Les amateurs apprécieront de voir regroupés des travaux de différents artistes et de différentes natures. Les fanatiques seront ravis de l’opportunité qui leur sera offerte de faire l’acquisition des originaux exposés, à des prix allant de 1000 à 6000 euros. Si l’espace relativement réduit de la galerie ne permet pas le déploiement d’une scénographie savante, et que le but d’une galerie n’est pas d’offrir un support didactique fourni (on peut regretter l’absence de cartels), le visiteur connaissant la série pourra sans difficultés s’y retrouver parmi les différents auteurs exposés. Parmi les œuvres les plus remarquables, qui justifieraient à elles seules le déplacement, on peut citer plusieurs planches et projets de couverture de Fournier, pour certains de ses albums les plus connus comme Le Gri-gri du Niokolo Koba ou Du Cidre pour les étoiles. On peut signaler également quelques planches de Nic pour La Ceinture du grand froid, et surtout de nombreux travaux de Munuera pour L’Homme qui ne voulait pas mourir, Spirou à Tokyo et Aux sources du Z, ce qui permet de redécouvrir et d’apprécier le trait de ce dessinateur dans de belles planches originales

Les grand absents de l’exposition sont Franquin et Janry, ce qui est dommage, mais s’explique peut-être par les prix déjà atteints par leurs planches originales. En revanche, le visiteur pourra voir différents travaux préparatoires du nouvel album de Spirou. Pour se faire la main, il semble que Yoann se soit frotté aux travaux de ses prédécesseurs, en s’inspirant de leur style dans une série de toiles à l’acrylique. L’une représente notamment l’Ankou avec Spirou, Fantasio et Ororoea, une autre le sous-marin du Repaire de la Murène, et la dernière, la plus inventive, Spirou et Fantasio armés de mitraillettes et environnés de tanks, scène reprise du Dictateur et du champignon de Franquin, toute en teintes rouges et noires. Il faut aussi signaler quelques aquarelles de Yoann et Munuera représentant Spirou, Zorglub et le comte de Champignac, qui permettent de comparer le style des deux auteurs. Yoann semble plus proche de la tradition de Franquin, « son » Spirou en ayant la plupart des caractéristiques physiques, notamment les cheveux en bataille (qui avaient tendance à s’aplatir dans les albums de Munuera). Au contraire, Fantasio semble de plus en plus chauve, ce qui est une nouveauté. Un grand nombre de planches et de beaux dessins sont tirés de Spirou à Tokyo, qui avait fait l’objet à sa sortie d’une promotion plus importante que les autres albums de la série.

Au final, que ce soit pour se familiariser avec le nouveau dessinateur de Spirou, ou pour apprécier les travaux de ses prédécesseurs, cette exposition, véritable mise en série comparative de dessins en grande partie inédits, est en tout point passionnante et devrait plaire à tous les fans de la série.

Le 51e album de Spirou : Après Munuera et Morvan, ce sont Yoann et Vehlmann qui sont en charge de la série, avec un album intitulé Alerte aux Zorkhons. Ce tandem avait déjà produit un album hors-série, Les Géants pétrifiés, en 2006, avant d’être choisi pour mener la série-mère. Pour leur premier album « officiel », ils sont revenus à une recette classique et un style proche de Franquin, mais tempéré par la poésie de Fournier (et son engagement écolo qui transparait fortement dans l’histoire). On y retrouve les personnages les plus connus de la série, le comte de Champignac, Zorglub, et toute la population champignacienne, dinosaure compris. Si le scénario n’est pas particulièrement novateur et suit une trame assez simple (projet mystérieux de Zorglub et inventions délirantes à base de champignons qui sauvent la situation), sa grande force est d’être extrêmement imaginatif. La faune et la flore inventées pour les besoins de l’album pourraient presque faire l’objet d’une mini-encyclopédie à elles seules. Surtout, cet album laisse la porte ouverte à un second volet qui s’annonce prometteur (Spirou dans l’espace ?). C’est donc un album à ne pas manquer, avec tous les ingrédients qui ont fait la force des one-shots publiés ces dernières années, mêlant retour au sources, liberté du trait et inventivité du scénario.

1. Fabien Vehlmann et Yoann, Spirou et Fantasio : alerte aux Zorkons, Dupuis, 2010.
2. Exposition Spirou – Fournier, Nic, Munuera, Yoann, du 25 août au 11 septembre 2010.

Science-fiction et bande dessinée : années 1990

Cette évocation, forcément subjective, de la science-fiction en bande dessinée dans les années 1990 pourrait avoir pour titre « science-fiction sur le chemin ». En effet, les deux oeuvres dont je vais vous parler sont le travail de dessinateurs qui, sans avoir d’affinités particulières avec la science-fiction, s’y consacre le temps d’un ou plusieurs albums, hors de toute logique de cycles, de séries ou d’univers. Il sera donc question du Transperceneige de Jean-Marc Rochette et Jacques Lob et du Cycle de Cyann de François Bourgeon et Claude Lacroix. Ce qui constitue de ma part un vrai choix dans une décennie où les albums de science-fiction ne manquent pas avec la renaissance d’une forme de science-fiction grand public et de principes éditoriaux adaptés. Je vais commencer par là, d’ailleurs…

Le retour d’une production de masse

Les années 1990 sont celles d’une restructuration éditoriale importante de la bande dessinée : la fin des grandes revues nées dans les années 1970 est annonciatrice de changements. Dans le cas de la science-fiction, Métal Hurlant disparaît en 1987. Le catalogue des Humanoïdes Associés se ressert alors sur la production abondante du scénariste Alejandro Jodorowsky. L’album tend à devenir le support moteur et c’est en prenant acte de ce phénomène que de nouvelles maisons se créent. La décennie est très contrastée : d’un côté, les éditeurs dits « alternatifs » ou « indépendants », avec une politique qui met en avant l’auteur et leur refus de considérer la bande dessinée comme une marchandise (Amok, L’Association, Ego comme X, Cornelius…) ; de l’autre trois éditeurs commerciaux venant renouveler la veine populaire et grand public de la bande dessinée, qui viennent faire concurrence au trio Dupuis/Dargaud/Casterman (Glénat, Delcourt, Soleil). Dans les deux cas, les jeunes éditeurs trouvent leur public et les craintes d’une crise du secteur économique de la bande dessinée s’éloignent.
Les trois derniers éditeurs cités auraient été d’excellents candidats pour les critiques d’albums du jour, sans doute plus représentatifs de l’état de la SF des années 1990. Ils vont appuyer leur succès en partie sur la science-fiction, pour revenir aux formules éditoriales qui avaient fait le succès de séries comme Valérian, agent spatio-temporel quelques décennies plus tôt : sérialisation ad libitum, formatage des albums, séparation scénariste/dessinateur et ciblage d’un public large, à la fois adolescent et adulte ; cela en y ajoutant trois nouveaux principes : le développement des univers au moyen de nombreux spin-offs, la création de multiples collections pour ranger les séries et une forte extension multimédia vers le marché des produits dérivés. Ils participent à ce qu’on pourrait appeler un « retour de la bande dessinée de genre », au moment même où les éditeurs alternatifs cherchent justement à s’affranchir de toute catégorisation.
Peut-être faut-il que je précise ce que j’entends par « bande dessinée de genre », pour éviter toute confusion. Rien de méprisant ou de méprisable : la bande dessinée de genre est pour moi une bande dessinée qui revendique son rattachement à un genre précis par le respect de certains codes, ou par des allusions et des emprunts à des oeuvres antérieures. Quand un auteur doué réalise un tel album, cela peut être une réussite puisqu’il profite alors de la richesse de toute une tradition littéraire et, souvent, d’un public conquis d’avance. Si l’auteur est moins doué, le risque d’une oeuvre stéréotypée et impersonnelle est grand : après tout, le public est conquis d’avance ! La bande dessinée de genre a cet avantage qu’elle permet une exploitation commerciale plus efficace auprès d’un public attaché à ce qu’il connait et ne recherchant pas l’originalité. Dans les années 1980 et 1990, le retour en force de la bande dessinée de genre se voit tout particulièrement dans la bande dessinée historique, dans la science-fiction et, bien évidemment, dans la fantasy, grande gagnante de la période.

Dans le cas de Jacques Glénat, le succès est déjà confortablement assuré : à partir de 1987, sa présence en librairie dépasse Dargaud et Dupuis. Cet éditeur grenoblois apparu en 1969 et passé du fanzinat à l’édition professionnelle en 1972 a fait sa place dans les années 1980 par des réussites solides dans le domaine de la bande dessinée historique (Les Passagers du vent de Bourgeon en 1980-1984 et Les sept vies de l’Epervier de Juillard en 1983-1991). Toujours soucieux de diversifier son catalogue, il se lance aussi dans la science-fiction en publiant par exemple Le Vagabond des limbes de Christian Godard et Julio Ribera, les oeuvres de l’espagnol Juan Gimenez, et, dans les années 1990 le manga Akira de Katsuhiro Otomo.
Guy Delcourt fonde sa maison d’édition en 1986. Il se révèle être un habile « découvreur de talents », y compris dans le domaine de la science-fiction, puisque l’un de ses tous premiers succès est la série Aquablue de Thierry Cailleteau au scénario et Olivier Vatine au dessin (1988). A la fin de la décennie s’affirme la série Sillage de Jean-David Morvan et Philippe Buchet (1998). Entretemps, d’autres séries de science-fiction garnissent le catalogue et toutes sont encore en cours actuellement : Vortex (1993), Carmen McCallum (1995), Nash (1997). Ces séries sont rassemblées au sein de la collection « Neopolis ».
Soleil Productions, la maison d’édition créée par Mourad Boudjellal en 1988, s’est d’abord concentrée sur la fantasy, puisque c’est avec la série Lanfeust de Troy de Christophe Arleston et Didier Tarquin (1994-2000) qu’elle rencontre son premier et plus gros succès. Ce qui n’empêche pas l’éditeur de s’intéresser aussi à la science-fiction, avec Kookaburra de Crisse (1997) Universal War One de Denis Bujram (1998) et Le Fléau des dieux de Valérie Mangin et Aleksa Gajic (2000). Plus récemment, avec le lancement de la suite de Lanfeust, Lanfeust des étoiles (2001), un pont à de nouveaux été dressé entre science-fiction et fantasy.
Bref, ces nouveaux éditeurs investissent en masse la science-fiction, multipliant les nouvelles séries et faisant débuter maintes carrières.

Un autre bon candidat à notre article du jour, mais cette fois plus pour sa qualité que pour sa représentativité, aurait été Péché mortel, série dessinée par Joseph Béhé sur un scénario de Toff et paru en 1989 chez Dargaud (les tomes suivants paraissent de 1997 à 1999 chez Vents d’Ouest). Mais un article de Raniver du Culture’s pub que je vous invite à lire m’a depuis longtemps devancé… Les deux albums du jour, choix tout à fait anachroniques, s’inscrivent encore dans des structures anciennes puisqu’ils sont tous les deux publiés à l’origine dans le magazine (A suivre) aux ambitions littéraires affirmées, puis sortent en album chez Casterman. Leurs auteurs ne sont pas de jeunes talents des années 1990 mais des auteurs confirmés des décennies précédentes. Ce sont deux excursions dans la science-fiction pour la carrière de leurs dessinateurs respectifs.

Le Transperceneige de Jean-Marc Rochette et Jacques Lob


L’histoire complexe de la publication du Transperceneige relie les années 1970 aux années 1990. En 1977, Jacques Lob et Alexis en proposent une première version à Casterman. Il s’agit alors d’un récit post-apocalyptique où les seuls survivants sont massés dans un train parcourant une terre envahie par des neiges éternelles. Parce qu’il ne s’arrête jamais, le Transperceneige évite à ses occupants la « mort blanche » qui touche ceux qui s’aventurent au-dehors. Le genre post-apo bénéficie d’une certaine mode dans la bande dessinée sous l’impulsion de Claude Auclair, auteur de Simon du fleuve (1973). Il pose la question de la reconstruction d’une société après une catastrophe, question à laquelle Le Transperceneige apporte sa propre réponse. Alexis et Lob sont des piliers de la nouvelle presse des années 1970 : ils ont participé aux premiers numéros de Fluide Glacialet notamment à la série humoristique Superdupont. J’avais déjà eu l’occasion d’évoquer dans un article sur cette série le trait hypperréaliste et impressionnant d’Alexis. Lob, de quinze ans l’aîné d’Alexis, est avant tout un scénariste au long cours qui a touché à de nombreux genres, dont la science-fiction (ainsi son Dossier soucoupes volantes dessiné par Robert Gigi, paru dans Pilote de 1969 à 1975, sur le phénomène des O.V.N.I., mais aussi un scénario pour la série Lone Sloane de Druillet). La mort d’Alexis en 1977, à l’âge de 31 ans, interrompt le projet du Transperceneige, en plus de forger autour d’Alexis un « mythe » de l’auteur prodige.

Le projet refait surface en 1982 : Lob cherche un nouveau dessinateur dont le trait dur s’accorderait avec son scénario sombre. Ce sera Jean-Marc Rochette. Casterman possède alors sa revue (A Suivre), structure idéale pour accueillir un nouveau Transperceneige. La version, qui paraît en album en 1984, a donc tous les aspects des fameux « romans (A suivre) » : pagination épaisse et non-limitée, noir et blanc de rigueur, densité du scénario. L’histoire décrit le parcours d’un bout à l’autre du « Transperceneige » de Proloff, un occupant des wagons de queue où s’entasse une plèbe abandonnée à elle-même, et d’Adeline Belleau, une jeune militante. Ils vont découvrir, en même temps que le lecteur, l’histoire du Transperceneige et les secrets de ceux qui en ont pris la tête.
Fidèle à la tradition socio-politique vivace de la science-fiction, le Transperceneige n’est rien d’autre qu’une métaphore de la société, amplifiée par le contexte post-apocalyptique. Le train qui avance est notre destin commun, impossible à arrêter. Il est hermétiquement divisé en plusieurs compartiments selon le rang social : les défavorisés sont livrés à eux-mêmes dans les wagons de queue, sans autre contact avec le reste du train que les soldats qui gardent les wagons ; à l’autre bout se trouvent les puissants qui mènent une vie débauchée et décadente et font tout pour conserver leurs privilèges. Un clergé qui vénère « sainte loco » regroupe autour de lui ceux que l’enfermement rend fous. La symbolique est puissante, au risque d’être parfois un peu simpliste. L’album, pessimiste et claustrophobique, se lit comme une parabole moderne (lecture tout autant salutaire à notre époque qu’il y a trente ans, malheureusement).

Revenons un peu sur Jean-Marc Rochette. Il s’est fait connaître à partir de 1979 avec Edmond le cochon, série animalière à l’humour grinçant, inspirée par l’underground américain et scénarisée par Martin Veyron. Il est venu à la bande dessinée avec L’Echo des savanes et (A Suivre). Le Transperceneige est son premier essai dans la science-fiction. Son réalisme mordant, qui n’est pas sans rappeler celui d’Alexis ou d’Auclair justement, pousse Lob à noircir encore son scénario, qu’il avait prévu plus léger à l’origine. Par la suite, Rochette persévère dans la science-fiction en compagnie de Benjamin Legrand, avec Requiem blanc, oeuvre d’anticipation sociale (1987), puis L’or et l’esprit (1995). Le travail de Rochette se caractérise par un important éclectisme : il passe sans cesse de l’humour à la science-fiction. Son style, également, évolue énormément : du réalisme noir et blanc du Transperceneige à l’expressionnisme coloré de L’or de l’esprit, en passant, plus récemment, par un graphisme plus caricatural pour sa collaboration avec Pétillon (Dico et Louis, 3 tomes, 2003-2006) (il faut encore ajouter à sa carrière deux autres branches : illustrateur pour enfants et dessinateur technique pour des journaux sportifs). Rochette poursuit également une carrière de peintre dont on peut admirer quelques oeuvres sur son site. Cette seconde carrière, commencée en 1987 suite à l’échec commercial de Requiem blanc, a, à ses dires, contribuée au renouvellement de son style lorsqu’il reprend la bande dessinée après une interruption de sept ans. Il travaille toujours entre peinture et dessin.
C’est toujours avec Benjamin Legrand qu’il entreprend de donner une suite au Transperceneige en 1999 (l’occasion pour Casterman de rééditer le premier tome). Plutôt que de suite, il faut parler d’un écho en hommage à Jacques Lob, mort en 1990. L’histoire se passe dans un second train roulant sur les mêmes rails dont les passagers sont terrifiés à l’idée d’une collision avec le premier Transperceneige. Dans ce second train règne une autre organisation sociale guère plus rassurante, basée sur le mensonge, où les passagers s’évadent de la réalité au moyen d’outils virtuels. Les deux héros, là encore un homme et une femme, s’avancent dans une quête pour connaître la vérité de leur situation. Un troisième tome paraît en 2000. Abandonnant un peu le côté « symbolique » pour entrer plus franchement dans l’aventure, il fait aussi le lien avec le premier tome et répond à quelques questions. Legrand parvient à renouer avec le scénario initial. Entre les deux albums, on peut constater l’évolution du style de Rochette qui se fait ici beaucoup plus stylisé et délicat.

Le cycle de Cyann de Bourgeon et Claude Lacroix, Casterman, 1993


Le Cycle de Cyann, à l’inverse, se rapproche d’une science-fiction de l’exotisme et du dépaysement qui va voir du côté de la fantasy. Cyann Olsimar, fille dévergondée et immature du dirigeant de la ville d’Ohl, est choisie par son père pour accomplir une mission sur une planète voisine nommée Ilo : elle doit en ramener un antidote aux fièvres pourpres, une maladie mortelle qui se répand dans la population d’Ohl. Elle est accompagnée par sa meilleure amie Nacara, de rang social inférieur mais beaucoup plus responsable. Si, par la suite, le Cycle de Cyann deviendra une série, il est d’abord conçu en deux parties découpées de façon logique. La première partie, publiée en 1993 dans (A suivre), décrit les difficiles préparatifs du voyage : sur Ohl, le pouvoir est partagé par deux institutions, la Source (le clergé) et la Sonde (l’Etat) (qui donnent son nom à l’album La Source et la Sonde) et les Olsimar, membre de la Sonde, doivent se débattre avec la mauvaise volonté de la Source à voir partir la mission. Les lecteurs doivent attendre 1996 pour lire, toujours dans (A Suivre), la seconde partie intitulée Six saisons sur Ilo qui raconte, comme son nom l’indique, la quête de la jeune fille et de son équipe sur la planète d’Ilo, à la recherche de l’antidote. Les deux albums sortent logiquement chez Casterman, éditeur de (A Suivre) en 1993 et en 1997.
Le Cycle de Cyann est publié dans une revue (A Suivre) qui vit ses derniers feux : elle s’arrête en 1997. Il s’agit d’une des dernières revues historiques nées de la grande vague de création des années 1970 et elle n’est plus parvenue à conserver son rôle prépondérant d’avant-garde de la bande dessinée. Pourtant, elle a su donner la part belle à une science-fiction renouvelée : souvenez-vous de mon article de juillet sur La fièvre d’Urbicande de Schuiten et Peeters. Les deux auteurs lui restent d’ailleurs fidèles jusqu’à la fin.

François Bourgeon est lui aussi un fidèle de (A Suivre) et, comme la revue, il a connu ses premiers grands succès dans les années 1980. A ses débuts, Bourgeon participe au renouveau de la bande dessinée historique par sa branche documentariste, accompagné dans cette démarche par d’autres auteurs comme Didier Convard, Frank Giroud et André Juillard. Tous les quatre font partie du catalogue Glénat et publient dans le journal Circus plusieurs séries historiques : Brunelle et Colin pour Convard, Louis la guigne pour Giroud (avec Jean-Paul Dethorey), Les sept vies de l’Epervier pour Juillard et, pour François Bourgeon, Les Passagers du vent (Bourgeon est d’ailleurs le premier dessinateur de Brunelle et Colin, avec Robert Génin comme scénariste). Ce qui rapproche tous ces auteurs, outre le fait d’être publiés dans les mêmes structures, est leur sens aigu de la reconstitution historique. Il ne s’agit pas seulement, suivant la tradition de la bande dessinée historique, d’opter pour un trait naturaliste, mais aussi d’amasser les connaissances et la documentation nécessaire pour être au plus près de la réalité historique et des problématiques politiques et sociales de l’époque décrite. Chez François Bourgeon, cela se traduit par autant d’effets de réel qui nous donnent l’impression d’être transportés plusieurs siècles en arrière. Ainsi, Les Passagers du vent (1980-1984 pour le premier cycle de parution) se déroule au XVIIIe siècle et évoque, au-delà des aventures de la jeune Isa, le commerce triangulaire entre les Antilles, l’Afrique et L’Europe. Bourgeon s’appuie sur sa documentation pour reconstituer les costumes, les lieux visités, mais aussi la langue.
Le plus remarquable avec Le cycle de Cyann est que cet acquis de la nouvelle bande dessinée historique est réinvesti dans un récit de science-fiction : au lieu de reconstituer notre passé, Bourgeon reconstitue notre futur (on comprend à demi-mots que les habitants d’Ohl sont nos lointains descendants). Il s’associe pour cela à Claude Lacroix, dessinateur polyvalent ayant été illustrateur de romans de science-fiction. Tous les « trucs » de l’effet de réel par Bourgeon se retrouvent dans Le cycle de Cyann, en particulier dans le premier tome, La Source et la Sonde, dont l’objectif est de nous familiariser avec l’univers dans lequel évolue l’héroïne. Bourgeon met l’accent sur l’exotisme de l’architecture et des vêtements des personnages, auquel il donne un sens : chaque classe sociale (Majo, Medio et Mino) a sa propre façon de nouer ses vêtements et ses cheveux. Il leur invente un langage composé d’expressions fleuries qui fait que le monde de Ohl a parfois des accents médiévaux.
Un supplément aux deux albums paraît en 1997 sous le nom de La clé des confins, et se propose comme une encyclopédie du monde de Cyann. L’illusion de réalité se poursuit, puisque l’ouvrage fait référence à des recherches que les deux auteurs auraient réalisées pour raconter l’histoire de Cyann, comme s’il s’agissait d’une réalité historique. Comme l’indique l’avertissement : « Il donne un aperçu thématique de la vaste documentation dans laquelle ont puisé les auteurs ». Une démarche d’enrichissement des univers de science-fiction qui rappelle celle de Benoît Peeters et François Schuiten pour leurs Cités obscures (en 1996, ils publient un Guide des cités obscures qui imite le format, le contenu et l’organisation d’un guide touristique). C’est d’ailleurs là une direction que prend la science-fiction graphique française quand elle multiplie les spin-offs des séries principales, les encyclopédies et autres guides. L’alliance du texte et de l’image est vécu par ces auteurs comme un moyen incomparable de faire vivre un univers de fiction.

Pour en savoir plus :
François Bourgeon et Claude Lacroix, Le cycle de Cyann, Casterman, 1993-1997 (2 tomes). 2 nouveaux tomes sont parus depuis, en 2005-2007)
idem, La clé des confins, Casterman, 1997
Jean-Marc Rochette et Jacques Lob, Le Transperceneige, Casterman, 1984
Jean-Marc Rochette et Benjamin Legrand, L’arpenteur, Casterman, 1999 (un troisième tome est paru en 2000 sous le titre La traversée)
Site consacré à l’oeuvre peint de Rochette
Revue P.L.G., n°38 (interview de Jean-Marc Rochette)

Science-fiction et bande dessinée : années 1980

Dans la foulée de l’explosion des années 1970, la décennie suivante s’annonce tout aussi variée en matière de bande dessinée de science-fiction. Fait significatif : parmi les dix Grands Prix qui se succèdent au FIBD d’Angoulême de 1980 à 1990, sept sont des auteurs de science-fiction (Moebius, Gillon, Forest, Mezières, Lob, Bilal, Druillet). Au moins au début, Métal Hurlant en est encore le pôle dominant. En 1981, Moebius, dont je vous parlais dans l’article précédent, lance avec Alejandro Jodorowski une nouvelle série, L’incal, promise à un glorieux avenir puisqu’elle connaît jusqu’à nos jours de multiples embranchements, séries parallèles et dérivées, préquelles et séquelles… Une génération d’auteurs s’est formée à l’école de Métal Hurlant et connaît alors le lancement définitif de sa carrière : citons Enki Bilal, présent dans le journal de 1976 à 1981. Il commence dans Pilote sa Trilogie Nikopol en 1980 et est sans doute l’un des auteurs de science-fiction les plus marquants de la décennie.
Je ne vais donc pas vous parler d’Enki Bilal, ce serait trop facile… Trois autres auteurs vont cette fois m’occuper les méninges : François Schuiten et Chantal Montellier commencent dans Métal Hurlant qui, décidément, reste un espace incontournable ; le scénariste Benoît Peeters, quant à lui, vient plus directement de la bande dessinée belge, au sein de laquelle il joue à la fois un rôle de scénariste, d’éditeur et d’érudit.

La science-fiction dans ses enjeux sociaux et littéraires
Si j’ai choisi ces deux auteurs, c’est qu’ils relèvent d’une tendance de la science-fiction graphique bien différente des univers de fantaisie de la plupart des auteurs vus jusque là. Les univers de Montellier d’un côté et de Schuiten et Peeters de l’autre ne cherchent pas l’exotisme de mondes fantastiques (du moins pas uniquement) mais sont conçus comme des miroirs de nos sociétés contemporaines. Après la débauche graphique des années 1970, la science-fiction graphique française se diversifie très largement en allant chercher de nouveaux thèmes et de nouvelles ambiances ; preuve, sans doute, de sa bonne santé. Enki Bilal, dans sa Trilogie Nikopol (1980-1992), propose lui aussi un univers d’anticipation se déroulant dans un Paris fasciste en 2023. Il avait déjà expérimenté une forme de fantastique social dans la série des Légendes d’aujourd’hui scénarisée par Pierre Christin (1975-1977). A cette date, le politique s’est emparé de la bande dessinée qui ne se destine plus seulement à faire rire ou rêver, mais aussi à faire réfléchir et à dénoncer. En 1979, Hermann commence sa série post-apocalyptique Jeremiah qui aborde lui aussi des thématiques sociales. A l’autre bout de la décennie, on pourrait placer la série de Joseph Béhé et Toff, Péché mortel, qui commence en 1989 dans Pilote. Les deux auteurs imaginent un futur proche (1996) où, suite à une épidémie de VIH, les pratiques sexuelles sont violemment contrôlés par la milice armée du parti prêt à arriver au pouvoir.

Les oeuvres citées ci-dessus relèvent d’une branche de la science-fiction généralement appelée « anticipation ». L’anticipation met en scène un futur souvent proche où l’auteur imagine quelles seront les évolutions de la société en s’appuyant sur le contemporain. Bien souvent, ce fort rapport à l’actualité fait des univers d’anticipation des projections en miroirs visant à pointer du doigt certaines caractéristiques des sociétés contemporaines. En représentant ce qui « pourrait » être, l’auteur cherche à apporter à son public un enseignement, en plus du divertissement que suppose toute fiction.
En France, jusque vers 1950, le terme « roman d’anticipation » est parfois utilisé à la place de l’anglicisme science-fiction. Ce refus n’est pas sans fondement : historiquement, les romans d’anticipation annoncent ce qui deviendra au XXe siècle la science-fiction ; ils ont sur le genre une antériorité certaine. Il suffit de considérer, par exemple, ce roman écrit en 1771 par Louis-Sébastien Mercier, L’an 2240 s’il en fut jamais : il dérive en réalité d’un modèle littéraire encore plus ancien, l’utopie, qui cherche à représenter un monde idéal ou idéalisé qui puissent être comparé avec le nôtre, dans un but souvent satirique et dans une tonalité souvent philosophique. Le terme vient de Utopia de Thomas More, écrit en 1516, et on emploie parfois celui de « dystopie » pour désigner une utopie représentant un mode négatif par rapport au nôtre, recèlant nos pires défauts plutôt que les plus beaux idéaux humains.
Cette idée de projection dans un futur proche a été exploitée par les auteurs considérés comme les pionniers de la science-fiction, Jules Verne en tête. Mais il faut attendre le XXe siècle pour que plusieurs auteurs lui donnent un contenu plus directement philosophique ou politique. Les quatre oeuvres qui symbolisent le mieux cette tendance de l’âge « classique » de la science-fiction sont Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley (1932), Ravage de René Barjavel (1943), 1984 de George Orwell (1948) et Fahrenheit 451 de Ray Bradbury (1954). A des degrés divers, ces oeuvres masquent derrière la fiction des questions morales, sociales et politiques importantes, dénonçant l’eugénisme et la sélection sociale, le culte du progrès, le totalitarisme et la pensée unique, la poursuite des intellectuels. Tout au long du XXe siècle, et en fonction de l’évolution des idéologies, le genre de l’anticipation a produit beaucoup d’autres oeuvres, romans, films et bandes dessinées.

Chantal Montellier et le totalitarisme : Social fiction

Un recueil récemment paru chez Vertige Graphic regroupe trois récits de science-fiction de Chantal Montellier : 1996, Shelter et Wonder city. Ils ont en commun d’avoir été publiés dans la revue Métal Hurlant entre 1977 et 1982, puis en albums aux Humanoïdes associés, respectivement en 1978, 1980 et 1983. J’avais déjà évoqué Chantal Montellier dans un article sur Odile et les crocodiles, l’un de ses albums les plus célèbres. Sa carrière est très liée à Métal Hurlant : elle y fait ses premiers pas dans la bande dessinée avant d’entrer dans la revue A suivre. Elle est également à l’origine d’une éphémère revue de bande dessinée intitulée Ah nana !, éditée par les Humanoïdes associés, et qui cherche à défendre la bande dessinée féminine et féministe, entre 1976 et 1978.
Le militantisme politique et social est le thème principal de la plupart des oeuvres de Montellier : elle est une des premières à imaginer, dès le milieu des années 1970, des bandes dessinées proprement politiques.

Les récits réunis dans Social fiction se situent chronologiquement au début de la carrière de Montellier qui, par la suite, ne poursuivra pas sur la voie de la science-fiction. C’est que la science-fiction, chez Montellier, remplit la même fonction que chez George Orwell qui, rappelons-le, n’a jamais écrit qu’un seul récit de science-fiction, 1984. Elle est utilisée pour dénoncer les dérives de la société contemporaine de manière biaisée, au moyen d’un univers « exagerée ». Le parallèle entre Orwell et Montellier ne s’arrête d’ailleurs pas là : tous deux sont des auteurs éminemment politiques qui firent aussi oeuvre de témoins des injustices de leurs époques, soit par le biais de la fiction (La ferme des animaux pour Orwell, la série Julie Bristol pour Montellier), soit par le biais du documentaire-reportage (Hommage à la Catalogne pour Orwell ; Tchernobyl mon amour pour Montellier).
Les thèmes des trois récits de Social fiction sont issus de l’esthétique de l’anticipation politique. Ainsi de Wonder city, qui raconte une histoire d’amour au sein d’une cité totalitaire et paternaliste pratiquant la sélection génétique. Un « meilleur des mondes » où l’on croise des problématiques féministes récurrentes chez Montellier. Shelter va plutôt voir du côté de la plus grande des peurs de guerre froide : la menace atomique. Un groupe de personnes se retrouve prisonniers d’un centre commercial à la suite d’une explosion atomique qui a certainement fait d’eux les derniers survivants de l’apocalypste nucléaire. La micro-société autarcique qui se crée, sous l’égide de l’administration du centre, prend doucement tous les aspects d’un régime fasciste… Enfin, 1996, dont le titre est une référence évidente à 1984, est une suite de séquences plus ou moins longues où Montellier imagine l’évolution cauchemardesque de la société : racisme institutionnalisé, ségrégation sociale, violence et rééducation idéologique. Autant de motifs classiques mais réinvestis ici par l’auteur dans son style propre.
Il faudrait aussi évoquer le graphisme de Montellier, inspiré de tendances artistiques qui lui sont contemporaines et qui cherchent, justement à mettre en scène le monde moderne. Suivant l’esthétique du pop art qui domine les années 1960, elle exploite l’imagerie de la société de consommation : ses visages stéréotypées, ses slogans vides de sens, ses architectures froides et grises. A la manière de Robert Rauschenberg, de Richard Hamilton, de Martial Raysse et Hervé Télémaque en France, elle développe un style proche du photo-montage faite d’une froideur glacée. Ce lien visuel avec la société moderne ne fait que rendre plus oppressantes encore les intrigues. La mise en images de l’anticipation totalitaire est parfaitement réussie, dans ce que l’image peut avoir d’angoissant, par son uniformité et sa grisaille.

Schuiten et Peeters et l’utopie : La fièvre d’Urbicande

Après les dystopies effrayantes de Montellier, l’univers des Cités obscures de François Schuiten et Benoît Peeters peut sembler plus paisible et aussi plus familier, au vu du succès que la série a pu rencontrer dans le public. Le principe qui régit cette série, que les deux auteurs ont imaginé en 1983 avec Les murailles de Samaris est celui d’un monde parallèle au nôtre, extrêmement proche par de nombreux aspects, mais qui en diffère sur beaucoup d’autres. Il est possible de circuler d’un monde en l’autre, et Schuiten et Peeters se sont amusés à imaginer, dans des villes françaises ou belges, les décors de « points de passage » comme la station Arts et Métiers à Paris. C’est tout leur talent que d’avoir créé un monde dans son ensemble et sa complexité, en utilisant d’autres ressources que la bande dessinée (livre illustré, exposition, etc.).
La fièvre d’Urbicande s’appuie sur la tradition de l’utopie urbanistique. Et puis aussi, il faut bien vous l’avouer, parce que c’est sans doute mon album préféré de la série. Il est centré autour d’Eugen Robick, urbatecte (comprendre : architecte travaillant à l’échelle d’une ville) de la cité d’Urbicande qui souhaite en faire une cité idéale, parfaitement symétrique et harmonieuse. Ses projets pour la ville se trouvent interrompus suite aux décisions de l’oligarchie dirigeante qui préfère que les deux rives de la ville, séparant riches et pauvres, ne communiquent pas trop entre elles, et encore moins « architecturalement ». C’est là qu’une mystérieuse structure cubique fait son apparition ; elle grandit de jour de jour, créant de plus en plus d’embranchements jusqu’à envahir la ville et perturber son fonctionnement. Le réseau, cette chose étrange, à la fois vivante et minérale, devient bientôt le principal sujet de préoccupation de notre urbatecte. Comme beaucoup d’autres albums, La fièvre d’Urbicande trouve un prolongement dans un ouvrage sorti en 1985, Le mystère d’Urbicande, qui est une sorte de faux livre écrit par Eugen Robick pour l’étude du « réseau » (on peut lire cet étrange objet en ligne, sur ce site).
Il est toujours délicat de parler de « science-fiction » à propos de l’univers des Cités obscures. Certes, la science y est très présente, avec son cortège de machines extraordinaires, de voyages spatiaux, de cités gigantesques ; mais les intrigues vont plus souvent voir du côté du fantastique. Pourtant, ce monde semble s’être arrêté au temps des romans de Jules Verne, des machines à vapeur et des voyages extraordinaires. Le célèbre écrivain, souvent considéré comme un précurseur de la science-fiction pour ses romans d’anticipation scientifique, devient même un personnage de l’univers de Peeters et Schuiten, l’un de ces terriens qui visitent régulièrement le monde des Cités obscures. C’est bel et bien dans une science-fiction coincée au XIXe siècle que nous conduisent les deux auteurs, et c’est ce qui fait tout le charme de leur univers. Il est vrai que dans les années 1980 se forge peu à peu le concept de « steampunk », un sous-genre de la science-fiction qui se situe dans des esthétiques de la fin du XIXe siècle (l’époque victorienne des anglais) où la machine à vapeur aurait triomphé de l’électricité. Il se réfère souvent, dans l’esthétique et dans les thèmes, à Verne et Wells. Sans que Les cités obscures en ressortissent véritablement, elle partage avec le steampunk l’idée de revenir aux origines du genre.
Et puis François Schuiten, après tout, a commencé sa carrière à Métal Hurlant dans la science-fiction avec la série Métamorphoses, scénarisée par Claude Renard (1980-1982). Il s’y est forgé un style réaliste (qui est celui de la SF « originelle » type space opera) et un goût pour les architectures vertigineuses. Lui-même fils d’architecte, il réemploie pour Les Cités obscures une importante masse de connaissances architecturales. Chacune des « cités » de chacun des albums s’inspire de styles architecturaux réels. Urbicande évoque d’abord une cité Art déco monumentale composée de larges formes géométriques parfaitement symétriques imbriquées les unes dans les autres. Le génie de Schuiten est d’avoir étendu cette esthétique à tout son décor : les vêtements, le mobilier, et jusqu’à l’écriture, obéissent aux mêmes principes. L’autre source d’inspiration de Schuiten est celle des cités utopiques imaginées soit à la fin du XVIIIe siècle par les architectes Claude-Nicolas Ledoux et Etienne-Louis Boullée, soit dans l’entre-deux-guerres par Hugh Ferris, Le Corbusier et Tony Garnier (Ferris et Boullée sont explicitement citée dans l’album). Tous ces architectes s’inspirent de des formes simples et épurées pour imaginer des villes idéales capables d’améliorer la vie en société. Le personnage fictif d’Eugen Robick concentre, ou même exacerbe ces tendances ayant existé mais ne s’étant jamais parfaitement réalisées, faute de projets.

Etienne-Louis Boullée - Cénotaphe pour Newton - 1784 ; Schuiten se sert de ce projet de Boullée pour concevoir la maison d'Eugen Robick

Le Corbusier - maquette pour une ville de trois millions d'habitants - 1922

La fièvre d’Urbicande paraît d’abord en prépublication dans la revue (A suivre) des éditions Casterman. Revue importante pour la bande dessinée des années 1980, elle se donne comme objectif, dès sa création en 1978, de promouvoir une bande dessinée adulte d’auteur qui prenne modèle sur le roman. Au sein de la revue est donnée une grande liberté aux auteurs concernant le nombre de pages et le chapitrage de leur histoire « à suivre », comme l’indique le titre. La rhétorique de la revue est celle de la littérature, comme le signale le premier éditorial qui proclame « l’irruption sauvage de la bande dessinée dans la littérature. ». La fièvre d’Urbicande, deuxième épisode de la série des Cités obscures, ne déroge pas à la règle : il frôle les cent pages et se découpe en chapitres qui offrent une nouvelle forme de progression romanesque. Pour l’édition en album est même ajouté au début une lettre d’Eugen Robick à la Commission qui fait office de prologue à l’histoire, amplifiant encore la densité de l’intrigue et introduisant de larges pages de textes. L’histoire est d’ailleurs racontée par Eugen Robick lui-même qui note dans son journal de bord l’évolution de la situation au jour le jour. Les années 1980 voit surgir la voix narrative dans l’album de bande dessinée.

Les rapport entre bande dessinée et littérature en sortiront changés. La première peut dorénavant emprunter plus frontalement aux outils narratifs de la seconde. Durant la décennie 80, la bande dessinée est progressivement admise dans le cercle des « littératures ». Même si l’on ne parle pas encore de « roman graphique », la collection engendrée par la nouvelle revue de Casterman est celle des « romans «(à suivre) ». En 1978, Chantal Montellier rejoint elle aussi l’équipe de (A suivre). Chez nos trois auteurs du jour, la bande dessinée se nourrit désormais de l’influence d’une variété d’autres arts et médias : le pop art, l’architecture, l’anticipation politique, l’utopie fantastique.

A suivre dans : années 90 : Jacques Lob et Jean-Marc Rochette, Le Transperceneige et François Bourgeon et Claude Lacroix, Le Cycle de Cyann


Pour en savoir plus :

Chantal Montellier, Social fiction, Vertige Graphic, 2006
François Schuiten et Benoît Peeters, La fièvre d’Urbicande, Casterman, 1985 (nombreuses rééditions depuis)
Le site internet de Chantal Montellier : http://www.montellier.org/
Le site internet des Cités obscures : http://www.urbicande.be/