Archives pour la catégorie Parcours de blogueurs

Parcours de blogueur : Vincent Sorel

Ayant découvert Vincent Sorel par sa participation au feuilleton-bd Les autres gens, j’ai voulu en savoir un peu plus sur ce jeune dessinateur. Il tient un blog depuis 2007 et a publié l’année dernière son premier album, L’ours, aux éditions de l’an 2. Courte présentation pour faire d’un auteur élégant et débutant, découvert grâce aux méandres de l’édition numérique.

Parcours d’illustrateur

Vincent Sorel se forme au graphisme et à l’illustration dans l’atelier d’illustration des Arts Déco de Strasbourg d’où sont sortis tant de dessinateurs de bande dessinée (Joseph Béhé, Marjane Satrapi, Mathieu Sapin, Lisa Mandel, Pierre Duba, Blutch, Boulet…). Il en sort en 2008 et commence alors une carrière d’illustrateur, entre premiers boulots et permières expositions. Ce qui ne l’empêche pas de s’intéresser au volet narratif du dessin et de se consacrer à la bande dessinée. Ses premières réalisations se font dans l’univers du fanzinat : il participe à plusieurs reprises au fanzine Ecarquillettes à partir de 2008 (http://www.troglodyte.eu/ecarquillettes/).
Dans le même temps, il parvient à faire éditer l’un de ses projets, L’ours, aux éditions Actes Sud-l’an 2, qui sort en 2009. Un bon premier album qui commence comme une fable absurde. Un ours tue un bucheron et prend pendant cinq jours sa place dans le petit village dans la vallée. Par un étrange tour de passe-passe, l’ours devient alors le révélateur du reste des habitants, de leurs problèmes, de leurs secrets et de leurs désirs.

Webzine et bédénovela

Mais comme on pourrait s’y attendre, Vincent Sorel utilise également Internet et l’édition numérique naissante pour se faire connaître. Assez peu, finalement, à travers son blog (le blog actuel, « Oisiveté mon amie », a été ouvert en 2007) qui remplit ses fonctions premières : carnet de croquis et d’essais, présentation des projets en cours, coups de coeur… On ne trouvera donc pas de webcomic, de publications en ligne ou « d’anecdotes du quotidien ».
En revanche, Vincent Sorel se lie avec deux projets numériques. Il participe d’abord, et ce dès 2007, au webzine numo.fr : un webzine réalisé par le collectif d’illustrateurs Troglodyte, les mêmes qui sont à l’origine d’Ecarquillettes. Numo.fr est un webzine en général trimestriel où l’on peut retrouver, autour d’un thème et par une interface en flash plutôt originale, les travaux de plusieurs jeunes auteurs (http://www.numo.fr/lamort/). Surtout, il fait activement partie de l’aventure des Autres gens, la BD-feuilleton lancée en mars dernier et qui a fait beaucoup parlé d’elle sur Internet et ailleurs (et ici aussi, dans cet article). Là aussi, il s’agit d’une oeuvre collective. Sorel en a déjà dessiné 6 épisodes en deux mois, dont le second. Il y expérimente une technique aux crayons de couleurs assez saisissante qui rappelle quelques uns de ses travaux d’illustration réalisés en Espagne (http://parenthese.espagnole.over-blog.com/).

Trait et couleurs


Quoique débutant dans l’illustration, Vincent Sorel possède un style. On voit grâce à son blog qu’il aime encore expérimenter et livrer de petits essais graphiques en noir et blanc et en couleurs. Mais Sorel s’est déjà trouvé un goût pour la sobriété du trait qui dirige le dessin et que je ne peux pas m’empêcher de rapprocher de certains dessinateurs de presse américains des années 1950. La référence à l’école du New Yorker faite sur le site des éditions de l’an 2 me paraît assez juste, pas forcément sur L’ours, mais sur certaines de ses illustrations. Un trait précis et élégant avec très peu de modelés qui stylise les silhouettes et se base sur la clarté formelle. Il se concentre beaucoup sur le traitement et la singularisation des visages, et fait parfois preuve d’un certain humour absurde qui, là aussi trouve des échos dans le dessin de presse. Dans L’ours, la beauté visuelle de ce style n’est pas encore pleinement exploitée, mais je trouve que l’alliance du trait et de la couleur dans ses épisodes pour Les autres gens est une vraie réussite. Voir par exemple sur son blog ces variations sur le film Adèle Blanc-sec, comme des impressions sortant directement de l’écran ou encore quelques études pour des silhouettes colorées à la lumière d’une fête.

Revenons à L’ours quelques instants, puisque c’est son premier album et sa première grande oeuvre « solo » que vous êtes susceptible de trouver en librairie. On est davantage dans l’exercice de style que dans l’oeuvre complexe et intense mais tout cela reste intéressant. L’intrigue, vous la connaissez : Sorel prend le pretexte de l’irruption d’un ours grimée en humaine dans un petit village pour développer une comédie humaine où différents portraits se croisent, se heurtent, s’insultent, s’aiment. Tout converge vers la sobriété et le refus des effets spectaculaires : la narration, essentiellement composée de dialogues et de courtes saynètes avec un net découpage chronologique en cinq chapitres/jours, et le traitement graphique, comme décrit plus haut avec quelques ombres aquarellées en noir et blanc. L’ambiance se veut vaguement médiévale mais au fond, ce n’est qu’un décor, les réactions des personnages étant au contraire assez actuelles. On devine une tentative de pointer du doigt les petites et grandes hypocrises de la société humaine. Mais bien plus croustillant, à mes yeux, est l’humour absurde jusque dans l’idée même de ce ours mutique qui se fait passer pour un homme et honore une à une les femmes du village avec une innocence toute animale.

Pour en savoir plus :

Le blog de Vincent Sorel : http://oisivete-mon-amie.over-blog.com/
Le book de Vincent Sorel : http://vincentsorel.ultra-book.com/
L’ours, Editions de l’an 2, 2009 et un article d’actuabd : http://www.actuabd.com/L-Ours-Par-Vincent-Sorel-Actes-Sud
Le fanzine Ecarquillettes : http://www.troglodyte.eu/ecarquillettes/
Le site du collectif Troglodyte : http://troglodyte.eu/

Parcours de blogueur : Bastien Vivès

Une petite malhonnêteté intellectuelle de ma part dans ce titre, sans doute : Bastien Vivès est d’abord un auteur de bande dessinée et occasionnellement un blogueur. Il était déjà célèbre et talentueux avant d’ouvrir son blog et n’y a pas gagné toute sa notoriété. Alors je l’avoue : je profite honteusement de ma rubrique « Parcours de blogueurs » pour évoquer un jeune auteur que j’apprécie énormément et qui fait en ce moment l’actualité avec la sortie récente de Pour l’Empire, avec Merwan Chabanne, et sa participation aux Autres gens. Allons-y.

Précocité

Bastien Vivès est un jeune auteur. Jugez-en : il est né en 1984 et, à 26 ans, il a déjà à son actif un petite dizaine d’albums. Il s’appuie d’abord sur un solide parcours artistique (source : un article de Didier Pasamonik dans mundobd) son père est illustrateur et sa mère travaille pour une société de décors de cinéma. Il se tourne vers des études de graphisme à Paris, d’abord à l’école supérieur d’arts graphiques Penninghen, puis aux Gobelins où il apprend l’animation. Dès 2006, il publie son premier album d’après son blog du moment, Poungi la racaille, qui sera suivi d’un deuxième opus. Ces deux premiers albums paraissent chez Danger Public, maison d’édition non spécialisée dans la bande dessinée mais en partie tournée vers Internet. Il travaille alors à l’atelier de Manjari and Partners qui rassemble de nombreux grpahistes. Il y rencontre Marion Montaigne, Merwan Chabane, Alexis de Raphaelis et bien d’autres dessinateurs que nous recroiserons par la suite.
Mais c’est chez Casterman, et plus particulièrement au sein du label KSTR qu’il trouve une porte d’entrée dans le monde de l’édition de bande dessinée et qu’il fait nettement évoluer son graphisme et sa narration, accouchant ainsi d’un style propre. KSTR est un label lancé en 2007 par Casterman pour promouvoir de jeunes auteurs dans des formats plus libres que les autres albums du grand éditeur belge. On y retrouve d’ailleurs d’autres noms de la blogosphère : Obion, Guillaume Long, Tanxxx, Cha… (j’emettrais juste quelques doutes sur « l’esprit rock » de la collection qui me semble assez creux, mais enfin, elle a au moins le mérite de servir de tremplin à de jeunes talents). Vivès fait donc paraître en 2007 puis 2008 chez KSTR deux albums, Elle(s) et Hollywood Jan, le second étant en collaboration avec Michaël Sanlaville. Un style qui se cherche encore un peu, mais des thématiques qui reviendront par la suite, et particulièrement celles des amours adolescentes.
L’année 2008 est l’année durant laquelle il acquière définitivement le statut de « jeune auteur prometteur » ; statut gratifiant mais aussi difficile à tenir. D’abord parce qu’il remporte au festival Quai des Bulles de Saint-Malo le prix Ballon Rouge, remis, vous l’aurez compris, à un jeune auteur. Il publie, toujours chez KSTR, Le goût du chlore, album grâce auquel il remporte le prix « Révélation » du FIBD d’Angoulême. Mais Le goût du chlore n’est pas seulement une victoire honorifique : c’est aussi l’album qui lui permet, par un dépouillement et une finesse tant graphique que narrative, de trouver un style original, marqué par la répétition des cases et des décors, par une bonne maîtrise de la couleur et de son impact sur le lecteur et par des expérimentations graphiques qu’il poursuivra après (personnages silhouettés, masses de couleurs…). Dans les albums qui suivent, il continue donc d’explorer son style : La boucherie est un album publié chez Vraoum en 2008, encore plus personnel et étrange, avec une narration en courtes séquences esquissées (un album en effet difficilement publiable chez un « grand » éditeur). Avec Dans mes yeux, son retour chez KSTR en 2009, il s’essaie au crayon de couleur (un album que j’avais déjà commenté dans un de mes premiers articles). Puis, le rythme s’accélère encore : en 2009, Amitié étroite (hé oui, encore chez KSTR !) et Juju, Mimi, Féfé, Chacha chez Ankama avec Alexis de Raphaelis au scénario.
En ce début d’année 2010 arrive Pour l’Empire, une série en trois parties chez Dargaud, dans la célèbre collection Poisson Pilote (qui fête ses dix ans d’existence), pour laquelle il s’associe avec Merwan. Un changement radical de ton puisqu’il quitte le monde de l’adolescence et de l’amour dont il avait fait son champ d’étude préféré pour livrer un péplum viril et puissant que je ne saurais que trop vous conseiller. On y suit les aventures d’un bataillon d’élite de l’armée romaine parti à la découverte de contrées inexplorées. Il est très intéressant de voir comment Vivès se débrouille hors des sentiers qu’il s’est tracé, et comment il parvient malgré tout à retomber sur ses pattes. On y retrouvera donc d’excellents portraits psychologiques et un second degré acide.
Visiblement, un album sort ce mois-ci chez Dargaud, Tranches napolitaines, avec Mathieu Sapin, Alfred et Anne Simon que je n’ai malheureusement pas lu.

Lire Bastien Vivès sur le net

Il y a d’abord en 2005 son premier blog plus informel, un skyblog intitulé Poungi la racaille dans lequel il met en scène, sous le pseudonyme de Bastien Chanmax, une racaille-pingouin. C’est de ce blog qu’il tire son premier album. Puis, Bastien Vivès marque sa présence sur Internet par un blog ouvert en août 2007, sobrement intitulé « Comme quoi ». Il commence d’abord par y présenter ses travaux en cours et quelques esquisses sur les personnages des albums qu’il dessine alors, Hollywood Jan et Elles. Une masse de documents très intéressants pour comprendre les étapes du travail de Vivès : ses expériences au crayon de couleur et ses croquis d’après nature. On y trouve parfois aussi des personnages ou des silhouettes que l’on s’amuse à retrouver plus tard, au détour d’un nouvel album. Puis, Bastien Vivès commence à poster de courts strips, d’abord de façon aléatoire, et de plus en plus régulièrement. Très vite, des thématiques recurrentes commencent à apparaître dans ces strips en noir et blanc comme Brad, un américain qui nous apprend dans de délicieuses séquences à faire un blog. Sans oublier les projections dans un futur où Bastien Vivès fantasme sur une paisible vie de famille et sur ses enfants. Les strips du blog sont un bon moyen d’appréhender l’art de Bastien Vives, et notamment son humour décalé qui passe le plus souvent par des dialogues absurdes et provocateurs.
Bastien Vivès explore d’autres usages d’Internet. Il y publie par exemple quelques séries inédites en album, comme les dialogues de Pédé et Mimidard. C’est aussi l’occasion d’y voir ses carnets à dessins, encore une autre manière, plus spontanée, d’apprécier son travail graphique sur les portraits et les décors.
Mais son dernier grand projet Internet en date est bien sûr Les autres gens (que vous avez difficilement pu rater si vous suivez ce blog, mais à tout hasard, un lien vers mon précédent article sur le sujet peut être le bienvenu). Un premier grand projet collectif d’autoédition numérique par plusieurs auteurs, mené par Thomas Cadène, un autre auteur du label KSTR. Vivès est le premier dessinateur à introduire en mars 2010 le scénario de Cadène et fait un peu office de chef de file d’une génération de jeunes dessinateurs qui, pour la plupart, se sont fait connaître par leur blog bd, ou chez KSTR.

Où l’on apprend que dans bande dessinée, il y a « dessin »

La principale qualité de Bastien Vivès est d’avoir trouvé son style dès ses premiers albums, un style qui permet de le reconnaître immanquablement, avec déjà des obsessions et des codes d’écriture récurrents. Ses albums paraissent souvent très réfléchis, comme si chaque case, voire chaque trait était lourdement pesé. A l’inverse, les strips du blogs présentent davantage de spontanéité mais des codes graphiques moins variés : noir et blanc, silhouettes esquissées, jeux sur la répétition des cases. Il y met surtout en valeur les dialogues, là aussi typiques d’une ironie à froid qui oscille entre humour absurde, outrance verbale et satire de moeurs presque dérangeante par ses vérités.
Le trait de Vivès se veut fin, presque tremblant et assez neuf dans le monde de la bande dessinée. Ce style désarçonne peut-être un peu au début, justement parce qu’on ne sait pas comment l’interpréter : annonce-t-il un récit ancré dans le réel, ou une comédie ? En réalité, le style en lui-même dit très peu de choses : il est neutre, sans outrance, extrêmement sobre et peut-être est-ce aussi pour ça qu’il surprend : on n’y trouvera pas l’étalage d’une virtuosité graphique, de grandes scènes, de représentation anatomique au muscle près… C’est qu’il ne se situe pas dans un débat réalisme vs gros nez. Il faut presque deviner les formes derrière les traits, lorsqu’il se contente de silhouettes faites de quelques traits ou de masses sombres. Même si, soyons honnêtes, Pour l’Empire a récemment montré comment Vivès pouvait tout à fait s’accomoder d’un récit épique et de scènes grandioses.

La principale qualité de Bastien Vivès est d’avoir trouvé son style dès ses premiers albums, un style qui permet de le reconnaître immanquablement, avec déjà des obsessions et des codes d’écriture récurrents. Ses albums paraissent souvent très réfléchis, comme si chaque case, voire chaque trait était lourdement pesé. A l’inverse, les strips du blogs présentent davantage de spontanéité mais des codes graphiques moins variés : noir et blanc, silhouettes esquissées, jeux sur la répétition des cases. Il y met surtout en valeur les dialogues, là aussi typiques d’une ironie à froid qui oscille entre humour absurde, outrance verbale et satire de moeurs presque dérangeante par ses vérités.
Le trait de Vivès se veut fin, presque tremblant et assez neuf dans le monde de la bande dessinée. Ce style désarçonne peut-être un peu au début, justement parce qu’on ne sait pas comment l’interpréter : annonce-t-il un récit ancré dans le réel, ou une comédie ? En réalité, le style en lui-même dit très peu de choses : il est neutre, sans outrance, extrêmement sobre et peut-être est-ce aussi pour ça qu’il surprend : on n’y trouvera pas l’étalage d’une virtuosité graphique, de grandes scènes, de représentation anatomique au muscle près… Il faut presque deviner les formes derrière les traits, lorsqu’il se contente de silhouettes faites de quelques traits ou de masses sombres. Même si, soyons honnêtes, Pour l’Empire a récemment montré comment Vivès pouvait tout à fait s’accomoder d’un récit épique et de scènes grandioses.

Mais ce qui, personnellement, m’attire le plus chez Bastien Vivès, c’est ce qui me semble être une attitude assez intellectuelle face à la narration graphique : la réflexion porte chez lui sur la manière dont le critère visuel rentre en jeu dans la lecture, à la fois comme plaisir esthétique et comme moyen de rendre une idée, mieux que des mots ou que l’intrigue. Un héritage, peut-être de ses études de graphistes. Le degré de réalisme, les couleurs, la relation des cases entre elles dans la même page, sont sollicitées pour faire passer des émotions ou des idées. Il parvient ainsi à une bande dessinée où le dessin a vraiment un sens, et n’est pas simple véhicule de l’intrigue et des dialogues, comme trop souvent dans cette discipline. Il n’hésite à employer un style inconstant, c’est-à-dire qui varie tout au long de l’album (je ne peux m’empêcher de rapprocher ce traitement du dessin de celui de Baru, dont j’explore l’oeuvre depuis février, ici, ici et ). D’où la variété de ses champs d’expérimentation qui portent souvent sur l’impact des émotions sur la vision. Il peut s’agir de simples effets de style : dans Le goût du chlore, les silhouettes se déforment avec la distance ou sous l’eau, au même moment où l’amour naissant chez le héros déforme sa vision de « l’autre ». Dans Amitié étroite, des souvenirs enfouis remontent à la surface de Bruno sous la forme d’images floutées, de tâches indistinctes de couleur, de la même manière que nos souvenirs d’enfance sont en général de simples impressions vagues. Mais parfois, c’est tout le récit qui est bâti là-dessus, comme dans Dans mes yeux, album magistral (sans doute mon préféré), entièrement réalisé au crayon de couleur. La focalisation ne change jamais : le lecteur est placé dans le regard d’un étudiant dont on ne sait rien. On suit son histoire d’amour avec une jeune rousse croisée dans les hasards de la bibliothèque. Une bande dessinée sans contour pour délimiter les formes, basée uniquement sur la couleur et sur ses variations (les formes se confondent avec la distance, ou quand les émotions deviennent trop fortes) fait partie du jeu d’expérimentateur qui est celui de Vivès.
L’autre indice est le constant détournement auquel il se livre dans ses scénarios qui ne sont, dans le fond, que des histoires d’amourettes adolescentes que les adultes que nous sommes tentent de reprimer dans notre inconscient. Vivès semble fasciné par le cliché (et avec Pour l’Empire, ce sont d’autres clichés, venus du peplum : l’amitié virile, l’honneur, le combat). Prenez Amitié étroite ; l’histoire est archi-classique : l’amitié ambiguë entre un garçon et une fille extrêmement proches mais incapables de franchir le pas vers « l’amour ». Le garçon est timide et solitaire, la fille est extravertie et charmeuse. J’ai encore bien du mal à comprendre comment Vivès est parvenu à me toucher avec une telle intrigue télévisuelle. Car finalement, on y croit à son histoire, on est pris dans l’exactitude des sentiments évoqués. La seule explication que j’y vois est que ce qui est porteur d’émotions, ce n’est pas le scénario en lui-même, c’est la manière de le raconter. La narration est faite de longs moments de silence ; les dialogues sont bien ciselés et remplis de non-dits qui donnent sa profondeur à l’histoire. Et puis il y a cette impression que Vivès s’amuse de ses adolescents mals dans leur peau, qu’il les fait volontairement souffrir pour nous et qu’il y a dans sa manière un second degré acide que ses strips de blogs ne viennent que confirmer. L’intrigue, les personnages, ne semblent être que des pretextes à autant d’exercices de style graphiques.

Il faut que je termine avec un dernier mot sur Pour l’Empire. Je me trompe peut-être mais, après un cycle sur les amours adolescentes, j’ai l’impression que Bastien Vivès commence un nouveau cycle complètement nouveau. Les étudiants amoureux sont devenus des hommes d’honneur. Les silences remplis de sous-entendus sont remplacés par des discours pontifiants et magistraux. Les bars, les bibliothèques, les salles de cours, se sont métamorphosés en champs de bataille et en plaine désertique. J’ai toujours beaucoup d’admiration pour les auteurs inconstants, qui n’hésitent pas à se mettre en danger en sortant des sentiers battus qu’ils se sont tracés. En attendant la suite, donc, et avec impatience…

Bibliographie

Poungi la racaille, Danger Public, 2006
Elle(s), Casterman, 2007
Hollywood Jan, avec Michaël Sanlaville, Casterman, 2008
Le goût du chlore, Casterman, 2008
La boucherie, Vraoum, 2008
Dans mes yeux, Casterman, 2009
Juju, Mimi, Féfé, Chacha, Ankama, 2009
Amitié étroite, Casterman, 2009
Pour l’Empire, Dargaud, 2010
Les autres gens, autoédition numérique, 2010
Pour en savoir plus :
L’ancien blog de Bastien Vivès, Poungi la racaille
Le blog de Bastien Vivès, Comme quoi
Un intéressant article de Didier Pasamonik sur Bastien Vivès
L’interview de Bastien Vivès au festiblog 2009
Le site de l’atelier Manjari and Partners</a

Parcours de blogueur : James

Blogueur bd des premières heures, James ouvre en 2005 Ottoprod avec son complice La tête X. En mars 2010, le blog est toujours intact et actif et, en cinq ans, James a déjà publié sept albums chez des éditeurs aussi différents que Six pieds sous terre, La pastèque, Futuropolis et Dargaud. Après ça, peut-on encore dire que l’autoédition sur internet n’est pas un moyen comme un autre de se faire sa place dans le milieu de la bande dessinée ?

Un blogbd sur la BD


Lorsqu’il commence son blog Ottoprod (http://ottoprod.over-blog.com/) en 2005, James n’est pas dessinateur professionnel et, après des études de commerce, travaille dans une entreprise. Accompagné du mystérieux La tête X, il affirme tout de suite l’ambiance et le thème de son blog : les tentatives infructueuses de deux jeunes dessinateurs pour pénétrer le monde de la bande dessinée. Et bien sûr, les frustrations aigries qui en découlent et qui font tout le piment du blog Ottoprod qui se veut une critique acerbe des acteurs de la bande dessinée. Tous les clichés de la bande dessinée y passe : les terribles chasseurs de dédicaces, le copinage, la guerre entre édition indépendante et édition grand public, l’indigence de la critique de bande dessinée… C’est à une sorte de jeu de massacre que se livre James dans des strips réguliers en noir et blanc. Bien sûr, Ottoprod, à la façon d’un roman à clef, s’adresse à un lectorat capable d’identifier qui est visé par les humeurs de James ; on ne peut nier l’aspect « private joke » du blog qui récèle pourtant quelques perles sympathiques. Il en profite aussi pour rendre hommage à Lewis Trondheim qui est justement un des auteurs à utiliser, comme James, des personnages animaliers, dans Les aventures de la super idée. Ce sont aussi parfois les fans qui en prennent pour leur grade dans Le chaînon manquant, ou encore les critiques avec Les formidables aventures de Gilou et Didou, inspiré, je le soupçonne, de personnes réelles…
Beaucoup de blogueurs bd s’incarnent sur leur blog et James rejoint le camp de ceux qui se sont trouvés un avatar animalier, à l’instar de Wandrille ou encore de Manu-xyz. Comme ce dernier, James est un ours, mais plutôt blanc que brun, arborant généralement le même tee-shirt. Le « personnage » que nous propose James est-il le reflet de sa pensée ? James-auteur peut-il être aussi cynique ou mesquin ou le blog sert-il juste de défouloir grandeur nature ? Nul ne saura jamais, et cela a bien peu d’importance.

Il est toujours plus facile de critiquer…


Un blog dont le succès est bâti sur une critique du monde de la bande dessinée risquait assez difficilement, peut-on penser, d’apporter gloire et publication à son auteur. Mais paradoxalement, de nombreuses portes se sont ouverts à James qui peut se vanter d’être publié chez un grand nombre d’éditeurs différents et de faire preuve, depuis cinq ans, d’une grande productivité. Les leçons du blog lui ont sans doute servi car il sait s’adapter à chaque éditeur…
Il faut signaler avant tout une première expérience de publication : James est présent dans le premier numéro de l’Eprouvette de l’Association dirigé par J-C Menu. Il se joint à d’autres dessinateurs pour quelques dessins sur le thème du chasseur de dédicaces. Rappelons que L’Eprouvette se veut justement une revue théorique sur la bande dessinée, mais aussi une revue fortement critique sur le monde de la bande dessinée. C’est tout naturellement que James y trouve sa place.
Mais comme la plupart des blogueurs bd, James commence en faisant publier une partie de son blog dans un album intitulé Comme un lundi. Soyons exact : Comme un lundi, édité en novembre 2006 par Six pieds sous terre, reprend quelques notes de blog et James en dessine de nombreuses autres pour créer une compilation de récits courts, muets, et en noir et blanc. C’est donc d’abord sous le signe de l’épure et de l’édition indépendante que James commence sa carrière. Six pieds sous terre fait justement partie des quelques maisons d’éditions indépendantes fondées dans les années 1990 et encore debout au XXIe siècle. Elle a notamment contribué à faire connaître des auteurs comme Guillaume Bouzard et Pierre Duba et édite la série Le Poulpe, inspirée de la série de romans noirs du même nom et dessiné par un auteur diférent à chaque album. Un pilier de l’édition indépendante. Depuis 2007, Six pieds sous terre a relancé sa revue Jade à laquelle James va être amené à collaborer et pour laquelle il va dessiner quelques planches toujours sur le thème du monde de la bande dessinée. Et c’est toujours Six pieds sous terre qui, en mars 2007, édite un second recueil de notes du blog intitulé cette fois plus directement Les mauvaises humeurs de James et la tête X. Quant à Comme un lundi, il a été réédité dans un nouveau format à l’hiver 2009.
On pourrait imaginer, avec de premières marques prises au sein de l’édition indépendante, que James allait y rester. Ce n’est pas le cas, car il sait se diversifier. En 2008, il commence Dans mon open space, une série humoristique sur le monde de l’entreprise dans lequel il reprend son personnage de James, mais dont le héros est Hubert, un jeune stagiaire. On peut véritablement parler d’évolution après la sobriété de Comme un lundi : James s’astreint cette fois au rythme du gag par planche et à un humour nécessairement rapide et efficace. Un album chez Dargaud pour toucher un plus large public ; il y est accueilli au sein de la célèbre collection Poisson Pilote créée en 2000 par Guy Vidal et où ont été édité des albums emblématiques du passage de quelques auteurs de la petite à la grande édition : Les aventures de Lapinot de Lewis Trondheim, Le chat du rabbin de Joann Sfar et Le retour à la terre de Manu Larcenet, entre autres grands auteurs. Une collection qui se donne aussi pour but de faire débuter de jeunes auteurs dans le registre de l’humour, non sans une certaine exigence de qualité. Dans mon open space en est à son deuxième tome, signe, je l’espère, de son succès. Il a permis à James de livrer pour le très sérieux magazine économique Challenges des strips d’actualité.

La suite du parcours de James conserve ce partage entre grand édition et édition indépendante. Il publie en octobre 2008 Un week-end entre parenthèses au Potager Moderne, album-commande d’une association de libraires nancéens réalisée lors d’un salon du livre. Cette même année 2008, il coscénarise Zzzwük, celui qui ressemble à un lapin chez Carabas, avec Boris Mirroir (qui se cache derrière la tête X!), et revient ainsi à un humour plus fin et délicieusement décalé racontant les désopilantes aventures d’une étrange créature à grandes oreilles. Enfin, 2009-2010 est marqué pour James par deux projets. D’une part la parution, chez Futuropolis, de …à la folie, album qu’il dessine sur un scénario de Sylvain Ricard. D’autre part, toujours avec Boris Mirroir, il prévoit en avril prochain la sortie de Pathétik, album dans lequel on retrouve l’humour décalé et les dessins extraterrestres de Zzzwük.

L’élégance d’un style

James sait donc adapter à la fois son trait et son humour au gré de ses divers collaborations, aussi bien en tant que scénariste que comme dessinateur. Le ton ironique et grinçant, assez frontal dans la critique, des débuts du blog est loin à présent et, avec Dans mon open space, James démontre qu’il est capable d’un humour plus policé mais aussi moins réferentiel est donc plus efficace.
Je dois bien avouer, toutefois, que ce n’est pas dans cette série que je préfère James. D’abord parce que sa grande force, à mon sens, est son trait. Au fil des notes de son blog, James est parvenu à se forger un style propre. Il se caractérise aussi bien par l’emploi de personnages animaliers humanisés que par la finesse et la précision du trait dans la représentation humaine. Lorsqu’il est réussi, ce fameux style animalier qui parcourt la tradition de la bande dessinée avec de grands dessinateurs comme Carl Barks, Calvo, Raymond Macherot, Régis Franc, et jusqu’à, de nos jours, le style innovant de Lewis Trondheim et de Juanjo Guarnido dans un tout autre style. James se veut à la limite entre un trait stylisé élégant et un certain réalisme. Cette force se voit particulièrement dans …à la folie où, grâce au scénario impeccable de Sylvain Ricard, James a toute lattitude pour exercer son style. Cet album dresse le portrait juste d’un couple qui s’aime mais qui glisse doucement sur la pente de la violence. Le trait de James possède le tact nécessaire pour traiter de ce sujet difficile sans pathos et outrance. On retrouve la même justesse et la même finesse dans le recueil Comme un lundi où James s’essaie cette fois au strip muet en variant les thèmes et l’humour. Un humour qui y cotoie souvent une certaine poésie voire une tendresse envers le genre humain.
Car j’aime aussi le James scénariste, et notamment celui de Zzzwük et du futur Pathetik, puis-je espérer. C’est cette fois le style de Boris Mirroir qui met en valeur l’humour de James dans ce qu’il peut avoir d’absurde et de délirant. Il s’attache là encore avec le strip muet et on le surprend même à renouer avec la référence graphique et la parodie.

En résumé, James est parvenu à se diversifier suffisamment pour convaincre et se faire sa place dans ce monde de la bande dessinée si aisément criticable… Un auteur à suivre, tout particulièrement dans ses collaborations jusque là fructueuses avec Boris Mirroir.

Pour en savoir plus :

Le blog de James et la tête X
Le site de Six pieds sous terre
Le site de Poisson Pilote
Le site de Boris Mirroir

Bibliographie :
Comme un lundi, Six pieds sous terre, 2006
Les mauvaises humeurs de James et la Tête X, Six pieds sous terre, 2007 (réédité en décembre 2009)
Un week-end entre parenthèses, Le potager moderne, 2008
Zzzwük (avec Boris Mirroir), Carabas, 2008
Dans mon open space, Dargaud, 2008-2009 (2 tomes)
… à la folie (avec Sylvain Ricard), Futuropolis, 2009
Pathetik, (avec Boris Mirroir), Six pieds sous terre, à paraître en avril 2010

Parcours de blogueur : Wandrille

Il serait injuste de consacrer une série d’articles au monde des blogueurs sans évoquer la figure de Wandrille. Cette injustice est désormais réparée grâce à cet article.

Des Arts décoratifs à l’édition

L’évocation de la carrière de Wandrille, encore toute récente et concentrée dans les années 2000, laisse déjà apparaître son positionnement autant comme auteur et comme éditeur. Sa formation artistique se fait, comme pour beaucoup d’autres dessinateurs, au sein d’une école d’art, l’Ecole Normale Supérieure des Arts Décoratifs (ENSAD), dans la section vidéo. Il ne poursuit toutefois pas sur les chemins de l’audiovisuel puisqu’il devient graphiste et illustrateur freelance. Mais pendant et après ses années aux Arts déco, au début des années 2000, d’autres projets l’occupent déjà…
Wandrille se lance très tôt vers l’édition puisque, étant encore aux Arts déco, il fonde en 2002 les éditions Pierre-Papier-Ciseaux qui lui permettent d’autoéditer ses premiers albums. Y participe également Aude Picault, collègue de Wandrille aux Arts Décoratifs, qui publie l’édition originale de Moi je que l’on retrouvera plus tard aux éditions Warum. Les éditions Warum, justement, qu’est-ce donc ? Après cette première expérience encore artisanale dans l’autoédition, Wandrille persiste avec un projet plus durable, les éditions Warum. Il s’associe avec Benoît Preteseille (également rencontré aux Arts déco, il publie des albums mêlant recherches narrative et graphique et références littéraires) pour fonder en 2004 cette maison d’édition qui se fait doucement sa place dans le milieu de l’édition indépendante en s’intéressant de près aux auteurs débutants, en particulier ceux venant de l’autoédition sur Internet. Les éditions Warum ont actuellement à leur catalogue une quarantaine de titres. Wandrille et Benoît Préteseille cherchent à « s’éloigner des codes du genre pour promouvoir avec humour une bande dessinée expérimentale et novatrice » et ajoutent dans leur manifeste : « surtout, ce qui nous branche, c’est la bd qui regarde ailleurs : vers le théâtre ou le spectacle, vers la littérature, vers la science (eh oui, aussi), vers le reste de l’art dans son acception la plus large ». Ils se réclament ainsi de l’esprit exigeant et ouvert des éditeurs indépendants des années 1990 (L’Association, Cornélius, Ego comme X…). L’ambition principale de Wandrille et Benoît Preteseille étant d’affirmer une ligne éditoriale reconnaissable dans un paysage de la bande dessinée parcouru par de petites maisons indépendantes. La création en 2008 du label Vraoum veut ouvrir la maison a un plus large public.
Mais l’important travail d’éditeur (de « découvreur de talents », en quelque sorte) de Wandrille ne l’empêche pas d’être aussi auteur. Outre quelques projets difficilement accessibles actuellement qu’il évoque dans une interview donnée à l’occasion du Festiblog 2006 et qu’il auto-édite aux éditions Pierre-Papier-Ciseaux (Londres 1870 ou L’arbre aux pendus, tous deux tirés à 200 exemplaires, ainsi qu’un premier tome de Seul comme les pierres), je retiens surtout Les Pages Noires qui témoigne dès le départ d’une démarche expérimentale. Il s’agit d’un récit en images réalisé en gravure sur bois, procédé fort peu courant dans la bande dessinée, que Wandrille réalise entre 2003-2004 en marge de son cursus aux Arts déco. L’album met du temps avant d’être édité. Il est d’abord prévu aux éditions Drozophile, maison d’édition genevoise spécialisée dans la réalisation de beaux albums en sérigraphie. Mais il faut attendre 2008 pour que, finalement, Les Pages Noires paraissent en album aux éditions Warum.
Pendant les quatre années qui sépare la réalisation des gravures et l’édition finale des Pages Noires, Internet est intervenu dans la carrière de Wandrille et lui a donné un tournant décisif, aussi bien comme éditeur que comme auteur, puisque ses projets qui vont suivre sont issus du monde des blogs.

Internet comme champ d’expérience, panorama 2005-2010

L’autre grande préoccupation de Wandrille est Internet, et c’est peu dire que, depuis 2005, il se montre très présent sur la toile, en explorant les différentes possibilités qu’elle offre pour un auteur et éditeur.
Commençons par la partie « auteur » : le blogbd est, à défaut d’autre chose, un support d’autopublication idéal. Wandrille s’introduit dans l’univers des blogs en 2005 en publiant des strips destinés à l’origine à sa mailing list d’amis sur son blog intitulé « Au travail ». Ces strips seront publiés par la suite en recueil en trois albums, pour trois saisons d’une même série, Seul comme les pierres. Une quatrième saison existe, qui n’a pas été publiée mais c’est surtout avec une nouvelle série en collaboration avec Marshall Joe que Wandrille retrouve en mars 2009 l’autoédition bloguesque : Fernand l’ours blanc (http://fernandlours.free.fr/index.php). (Marshall Joe est blogueur lui aussi et dessinateur des albums Dérapage comix 1 et 2, Warum, 2007-2008). D’autres supports internets et blogs accueillent les productions de Wandrille : les webzines Grandpapier (http://grandpapier.org/) et Desseins (http://desseins.fanzine.free.fr/).
Mais comme beaucoup, Wandrille utilise aussi le blog en tant qu’espace de communication. Rien d’étonnant à cela, à vrai dire, et son blog principal, Tout est bon dans le cochon (http://wandrille.leroy.free.fr/blog/) lui permet à la fois de publier des planches, croquis, strips, esquisses, et d’informer ses lecteurs de l’évolution de ses différents projets. Rôle premier du blog, créer un lien avec une communauté plus ou moins anonyme de lecteurs, ce que Wandrille se plait à faire en proposant sur son blog de longues réflexions sur la BD, le métier d’éditeur, etc ; des débats qui se prolongent souvent dans les commentaires. Il propage ses réflexions sur le forum La brouette, forum des blogs bd mais aussi dans le fanzine Comix club des éditions Groinge (crée par les auteurs Big Ben et Fafé).
Il ne faudrait pas négliger le rôle de Wandrille auprès des blogueurs bd : il semble que, pour lui, la « blogosphère » soit également une pépinière de talents possibles qu’il entend bien faire connaître au public, et à un public pouvant dépasser le cercle restreint des internautes fan de blogsbd. Le premier de ses projets, sans doute le plus spectaculaire, est Donjon Pirate, dont il me faut brièvement retracer l’histoire. Le site Donjon Pirate est lancé en 2006 et s’adresse surtout aux fans de la série Donjon créée par Lewis Trondheim et Joann Sfar en 1998 et publiée chez Delcourt. Cette série, pour ceux qui ne la connaîtrait pas, se présente comme un univers évolutif d’heroïc-fantasy gigantesque qui peut potentiellement accueillir une infinité d’albums. Un autre principe important est que, si le scénario est toujours assuré par les deux créateurs, le dessin est généralement laissé à d’autres dessinateurs, jeunes ou moins jeunes talents. Elle connaît un grand succès dans les années 2000 et le site Donjon Pirate est une des manifestations de ce succès. J’y viens. Sur Donjon Pirate (http://donjonpirate.canalblog.com/) sont présentées des planches uniques d’albums potentiels qui pourraient rejoindre la série-mère. Comme pour la série Donjon, chaque planche est dessinée par un auteur différent, mais tous les auteurs, des dessinateurs amateurs, restent complètement anonymes, procédé ingénieux faisant planer une sorte de mystère sur Donjon Pirate dont on ne connait pas les véritables fondateurs et auteurs… En janvier 2007, lors du FIBD (alors présidé par Lewis Trondheim, justement), une grande soirée est organisée au cours de laquelle le nom des auteurs sont révélés. Parmi eux, de nombreux blogueurs bd (je cite en vrac, en en oubliant beaucoup, L’Esbroufe, Raphael B, Lune Rousse, M Lechien, Princesse Capiton, Singeon…). Mais la soirée est aussi l’occasion d’apprendre (ce qui m’intéresse plus particulièrement !) que d’une part l’orchestrateur de tout cela est le blogueur Wandrille, et d’autre part que l’un des « pirates », Obion, va reprendre en partie la série Donjon. En 2007-2008 se poursuit une nouvelle saison de Donjon Pirate, avec néanmoins moins de suspens…
L’idée d’utiliser les forces vives de la blogosphère dans un projet commun ambitieux et susceptible de déboucher sur une publication est aussi à l’origine du concours Révélation blog lancé par le même Wandrille en 2008 dont je parle plus en détail dans un précédent article. Ce concours, non seulement permet le renouvellement des générations au sein de la bande dessinée, mais assure aussi aux phénomènes des blogs bd une finalité inédite et assez inattendue qui le sort du simple phénomène de mode passager. Sa position d’éditeur permet évidemment à Wandrille d’assurer lui-même la publication de quelques blogueurs ; citons par exemple Marshall Joe, M Lechien, Gad, Aseyn, Navo qui, directement issus de l’autoédition sur internet, ont pu être édité en format papier aux éditions Warum.

Depuis février 2010, Wandrille tente de rassembler ses multiples espaces sur Internet en un portail commun. Qui s’intéresse au Wandrille-web actuel pourra donc passer par l’agrégateur qui réunit ces trois principaux blogs actuels (http://wandrilleleroy.fr/agregator/). Chacun d’eux développe une des fonctions possibles du blog. On retrouve donc Berliner Mäuler, une galerie de croquis berlinois à la façon d’un carnet de voyage (http://wandrilleleroy.fr/berlin/) (le genre « carnet de croquis » est une pratique extrêmement courante chez les blogueurs bd) ; Toujours un truc a dire est un blog de texte où il entend livrer ses impressions sur des sujets variés, un peu comme sur un blog texte traditionnel, finalement (http://wandrilleleroy.fr/toujoursuntrucadire/) ; enfin, Tout est bon dans le cochon est la version 2.0 de son précédent blog, destiné à accueillir ce qui ne rentre pas dans les deux blogs sus-cités (http://wandrilleleroy.fr/cochon/).

Le dessinateur de l’élite et des gens de bien


La ligne éditoriale des éditions Warum de Benoît Preteseille et Wandrille est la recherche d’une inventivité graphique et narrative qui déborde des frontières de ce qui est traditionnellement considéré comme de la bande dessinée. Cet esprit d’expérimentation et d’innovation constante est une des valeurs du travail de dessinateur et scénariste de Wandrille, un fil récurrent de sa production que je me risquerais à attribuer à une admiration avouée pour les expérimentations de l’OuBaPo et leurs suites éditoriales qui, dans les années 1990 et 2000, ont fait bouger les lignes de la bande dessinée.
En tant que dessinateur, il s’essaye à des styles graphiques très différents, que ce soit sur ses blogs ou dans ses albums. L’originalité des Pages noires, son oeuvre de jeunesse réalisée en 2003-2004 tient à la technique utilisée, la gravure sur bois qui permet des effets de clair-obscurs et dégage les lignes claires des images. Il y raconte le parcours initiatique d’un jeune marin et l’album, en bichromie, possède une certaine force graphique. Sur son blog, il emploie le plus souvent un style animalier, se représentant en cochon, soit à l’encre en noir et blanc, soit en couleurs à l’aquarelle, ou au crayon de couleurs. Mais son style le plus récurrent, peut-être, est un minimalisme qui fait irrésistablement penser aux bonhommes-patates de certains ouvrages de Lewis Trondheim (en particulier Mister 0 (2002) et Mister I (2005) chez Delcourt). Dans sa série Seul comme les pierres, il invente deux personnages, un en forme de pilule et un autre carré et met en scène leurs dialogues dans des décors limités. Ces deux mêmes personnages anonymes reviennent par la suite souvent sur son blog dans d’autres séries de strips comme Space in vadrouille.
Seul comme les pierres ne se limite pas à un réemploi d’un minimalisme qui, depuis plusieurs années, a été exploré par plusieurs auteurs (et notamment avec brio par José Parrondo et Ibn al Rabin qui explorent le pouvoir de synthèse du dessin) ; Wandrille utilise le minimalisme graphique comme support à des séries de dialogues humoristiques et à caractère autobiographique. Dans les trois volumes parus chez Warum et issus de son premier blog, il brode sur trois thèmes, l’illusion amoureuse, le monde du travail et l’amour sur Internet. Au-delà de l’anecdotique, Seul comme les pierres engage une réflexion plus profonde sur l’autobiographie puisque, d’après l’auteur, chacun des deux personnages représente une partie de sa personnalité (l’un est romantique et discret, l’autre égoïste et extraverti) et les postfaces de chacun des albums soulèvent la question de la « vérité » autobiographique. Ainsi explique-t-il non sans second degré, à la fin de Ta gueule de l’emploi : « Il est entendu que les deux personnages principaux représentent deux périodes de ma vie. L’un des deux héros est une réminiscence, pas si lointaine, de l’époque où je cherchais du boulot sans vraiment chercher, tout en cherchant. Mon entrée dans la vie professionnelle est donc personnifiée par le deuxième protagoniste. Jusque-là, c’est facile. Maintenant, l’exercice va être plus délicat. En effet, quoi que cette oeuvre soit entièrement autobiographique et publiée au jour le jour sur mon blog quotidien, toute ressemblance avec des personnes existantes, et plus particulièrement travaillant au jour le jour avec moi, est bien évidemment fortuite. ».
Ce travail sur la difficulté à parler de soi et à rendre publique sa propre personne trouve un écho sur son blog où, au gré de ses textes et de ses dessins, Wandrille se crée un personnage sans nuance : mégalomane, obsédé, élitiste… Et de se poser à nouveau la question du blog bd comme espace de mise en scène d’une personnalité potentielle de l’auteur, comme scène où l’auteur joue un rôle pour son plaisir et celui de ses lecteurs. Rappelons à cet effet que Wandrille s’est aussi intéressée au one-man-show.

L’autre élément essentiel de l’oeuvre de Wandrille est l’esprit de provocation, qui, en réalité, semble simplement découler de cette obsession de l’originalité et de la différence. La provocation, forcément gratuite (une tradition bien ancrée dans la bande dessinée, au moins depuis Hara-Kiri), se voit tout particulièrement dans son travail de scénariste. Dans Seul comme les pierres, l’humour est déjà grinçant. Dans la série Psychanalyse des super-héros (initialement paru chez Pierre-Papier-Ciseaux, elle est redessinée par Reuno pour Warum en 2007) et sa suite Psychanalyse des héros de mangas, il s’agit seulement de se montrer irrespectueux avec des icônes des comics et du manga. Mais un degré supplémentaire est atteint dans la provocation avec Fernand l’ours blanc. Série humoristique racontant les mésaventures d’un ours blanc sur la banquise, elle est dessinée par Marshall Joe. C’est en réalité une farce où l’obsession potache pour le sexe et l’alcool cohabite avec la défense acharnée de la puissance absurde de l’humour de mauvais goût comme arme contre le politiquement correct. L’humour qui y règne est d’ailleurs soit désespérement stupide, soit juste désespéré, je ne parviens pas encore à me décider, à vrai dire…

Bibliographie :
Seul comme les pierres, Warum, 2005-2006 (3 tomes)
Psychanalyse du super héros, Warum, 2007
Les pages noires, Warum, 2008
Psychanalyse du héros de manga des années 80, Warum, 2009
Fernand l’ours blanc, Warum, 2010 (à paraître en avril)

Webographie :

Les sites Wandrille 2010 :
Agrégateur Wandrille 2010
Tout est bon dans le cochon
Toujours un truc à dire
Berliner Mäuler
Fernand l’ours blanc
Anciens sites et références :
Tout est bon dans le cochon
Site officiel
Site des éditions Pierre-Papier-Ciseaux
Site Donjon Pirate 1 et Donjon pirate 2
Site des éditions Warum
Interview festiblog 2006

Parcours de blogueurs : Monsieur le chien

L’humour est sans doute le genre le plus utilisé sur les blogs. Sans doute parce qu’on le croit le plus facile pour accrocher un lectorat. Sans doute parce que les blogueurs bd « historiques », de la première génération (Boulet, Frantico, Mélaka, Cha, Laurel…) ont donné un élan qui s’est poursuivi. Mais l’humour graphique n’est pas un exercice facile, pourtant, et si j’ai choisi de parler de Monsieur le chien et de son blog aujourd’hui, c’est que j’ai toujours été surpris par l’originalité de son humour, violemment voire vulgairement provocateur, et toujours inattendu.

Essor d’un blog à succès


En août 2005, un nouveau blog, un de plus, oui, apparaît sur la toile. Son auteur n’est pas un dessinateur célèbre, mais un simple internaute qui se présente comme un fonctionnaire et un contribuable moyen. Les premiers strips s’enchaînent à un rythme presque quotidien et lentement, un univers se met en place : Monsieur le chien, car c’est son nom, présente au lecteur ses réflexions personnelles sur des sujets variés, (dont le fonctionnariat) réflexions que lui-même qualifie de « vaines et sans sans fondement ». Et puis, au fil des strips, un véritable univers se met en place, avec ses personnages : MLC, l’avatar de l’auteur, antihéros notoire, obsédé par le sexe, ses amis du CHIBRES, sa femme Hélène, leurs enfants, l’éditeur Wandrille, mais aussi Shroubb, une raclette mutante dont le succès fou auprès des femmes ne fait qu’accentuer le désarroi du héros. D’autres rubriques se font jour, MLC révélant peu à peu sa personnalité, et notamment son goût prononcé pour les publicités ringardes et les clichés narratifs. Et puis l’humour et les idées de MLC, une autodérision politiquement incorrecte (poujadiste et réactionnaire, se définit-il lui-même) fait mouche dans une blogosphère où les surprises restent assez rares en matière d’humour.
En l’espace de quelques mois, le blog de MLC trouve son rythme de croisière et son public, public fidèle que le dessinateur n’hésite pas à interpeler, créant ainsi une relation particulière avec les internautes qui le suivent. Les commentaires font partie du jeu du blog, évidemment, mais certaines planches sont directement dédiés à l’un ou à l’autre, ou encore un lecteur est inclu dans la planche… MLC reçoit de nombreux fanarts qu’il publie régulièrement comme autant de trophées. Il invite aussi ses lecteurs à des rencontres IRL avec les membres du CHIBRES, qu’il a fondé, (un club très particulier que je vous laisse découvrir dans cette planche). Lien d’autant mieux entretenus que MLC est un habitué des séances de dédicaces du festiblog, présent dès la première édition en 2005.
Tous les ingrédients d’un bon blog bd sont réunis dans le blog de MLC : des personnages et un univers récurrents, un humour efficace et original, une régularité de publication, un lien fort avec le public… Le blog de MLC est à mi-chemin entre le webcomic, aux strips réguliers, et la page personnelle où l’auteur se dévoile. En pleine gloire, MLC décide de ralentir le rythme de son blog à partir de 2008 et surtout de 2009.

De « l’album du blog » à l’album sans le blog


Monsieur le chien n’est pas, quand il commence son blog, un dessinateur professionnel et son passage progressif du statut de blogueur bd à celui de dessinateur de bande dessinée serait une sorte de cas d’école de l’impact du phénomène des blogs bd sur le marché de la BD, par l’arrivée d’une nouvelle génération qui n’aurait jamais vu le jour sans internet.
En effet, la publication de ses trois albums présente une évolution du mode traditionnel d’édition des blogueurs : « l’album du blog » (ce mode étant généralement le moins réussi), à un véritable album complètement autonome du blog. Un effort qui doit être souligné lorsque certains blogueurs n’ont pas encore dépassé le stade de l’album du blog. Petite démonstration en trois temps.
Le premier album publié par MLC est Paris est une mélopée. Nous sommes en 2007, le phénomène des blogs bd bat son plein. Rien d’étonnant donc, que le blog de MLC, encore dessinateur amateur, voit son blog publié chez un petit éditeur, Théloma, crée en 2004 (et dont l’activité stagne depuis 2008, d’ailleurs). L’album reprend une sélection de planches du blog, redessinées, et plusieurs planches inédites. Jusque là, inscription dans la démarche traditionnel du blogueur, puisque, depuis que Frantico/Lewis Trondheim et Wandrille ait largement lancé le mouvement en 2004-2005, l’édition papier de blogs bd a largement commencé. Les exemples se pressent, ne serait-ce que pour cette année 2007, qui voit Souillon vient publier le premier tome de son webcomic Maliki chez Ankama, Martin Vidberg Le journal d’un remplaçant chez Delcourt et Kek Virginie chez le même Delcourt.
Nouvelle année, nouveau projet, mais toujours en partie liée à l’univers des blogs bd. Les éditions Warum co-fondée par le dessinateur-blogueur-éditeur Wandrille, rappelons-le, poursuivent une politique de recherche de jeunes talents parmi les blogueurs bd, politique qui se traduit notamment par le concours Révélation blog () ou par l’édition d’album de Gad, Aseyn, Lommsek, ou encore par l’édition du célèbre blog de Laurel en 2009. Rien d’étonnant, donc, de retrouver au catalogue MLC pour son second album, Homme qui pleure et Walkyries, en septembre 2008 ; il prend place au sein du label grand public de l’éditeur. Un album intermédiaire entre l’album du blog précédent et des créations autonomes. Pourquoi intermédiaire ? Car MLC n’y reprend pas de planches de blog, mais invente de toutes pièces un album inédit pour ses fidèles lecteurs. Mais dans le même temps, il reprend dans cet album le principe des séquences faussement pédagogiques sur un thème donné. Dans Homme qui pleure se déclinent ainsi différents chapitres avec comme fil directeur un pretexte dans la veine absurde du dessinateur : d’aguichantes walkyries demandent à MLC de rédiger un manuel de séduction moderne en BD. Suivent donc des chapitres « se marier hors de la tribu », « lire les signes », « tuer le père » qui reprennent, dans leur forme, en les étendant, les planches publiées sur le blog ; des personnages familiers reviennent également (MLC, sa femme Hélène, ses amis du Chibres, etc. ).
Mais avec Fereüs, fils de la colère publié en 2009 chez Makaka éditions, MLC franchit un nouveau cap, puisqu’il s’agit non seulement d’un album complètement inédit, mais détaché des thématiques du blog. Fereüs raconte l’aventure épique d’un héros choisi pour lutter contre une invasion de morts-vivants menés par l’ignoble Sqol Grafesh. Une parodie d’heroïc-fantasy qui n’empêche pas MLC de conserver le même humour efficace du blog. Cette nouvelle publication est encore liée à l’univers des blogs bd puisque Makaka éditions est la maison fondée en 2007 par les responsables du site 30joursdebd qui s’attache à faire connaître des dessinateurs en proposant à la lecture une nouvelle planche par jour. MLC s’est déjà lié à ce groupe : il participe à un de leur collectif en 2007 et fait partie des auteurs réguliers du site. Le projet Fereüs est d’autant plus lié à Internet qu’il bénéficie d’une pré-publication en ligne, en accès gratuit, des 30 premières planches sur le site http://www.filsdelacolere.com/. MLC a également fréquenté un autre espace important de la BD en ligne, le portail Lapin, pour une planche en « guest star ».
Qu’en est-il des projets de MLC en 2010 ? Sur une interview donnée à l’occasion du festiblog 2010, il avoue ne se sentir pour le moment que dans une phase de semi-professionnalisation : il n’a publié que chez de petits éditeurs et n’est pas parvenu à entrer à Fluide Glacial malgré le soutien de Marcel Gotlib. Quelques projets sont toutefois en préparation, dont un à venir aux éditions Carabas. En espèrant que ces projets se concretiseront et que la carrière de MLC ne fait que commencer…

Clichés et ringardises

Le blog est aussi, pour son auteur lorsqu’il est amateur, un espace d’entraînement et d’amélioration du dessin. C’est un des caractères du blog de MLC : les premiers dessins sont encore assez rudimentaires au niveau du trait et de la narration et le style de MLC s’affirme progressivement, vers une plus grande complexité. La virtuosité du trait n’est pas ce que recherche MLC : il suffit qu’il soit facilement lisible ; de simples représentations de personnages, il passe à des décors de plus complexes, jusqu’à l’ambiance pseudo-médiévale de Fereüs.
Mais c’est surtout son humour et son sens de la narration qui se précisent. MLC part du principe de la planche-séquence où, sur un sujet donné, se succèdent des cases illustrant le récitatif de l’auteur, dans un style faussement pédagogique. Le récitatif en question sert de fil conducteur aux courtes séquences en images : c’est le principe du manuel que nous présente MLC dans Homme qui pleure et Walkyries, manuel d’amour à l’usage du dieu Wotan. Le principe est mis à l’honneur, dès les années 1960, dans les Dingodossiers ou plus tard la Rubrique-à-brac de Gotlib dont l’auteur est friand, puis souvent repris par d’autres dessinateurs humoristes puisqu’il permet généralement un second degré en opposant le commentaire prétendument sérieux et l’image qui, elle, l’est beaucoup moins. Voilà pour la construction du gag chez MLC. Elle varie par la suite dans des récits plus narratifs, sans récitatif : c’est le cas de Fereüs où le narrateur n’intervient qu’au début pour présenter l’intrigue puis s’écarte au profit des personnages.
Et quel est donc cet humour dont MLC a le secret ? C’est sans doute là la principale force de ses travaux. On retrouve bien sûr le principe fondateur, là aussi très gotlibien, mais pas seulement, de la parodie, comme dans ce croisement improbable entre le surfer d’argent et les Schroumpfs. Prendre une référence et la tordre en la forçant à cohabiter avec une autre référence, principe vieux comme le monde de l’humour. MLC recherche dans ses gags l’absurde le plus puissant et l’outrance où, naturellement, la violence et le sexe trouvent leur place comme signes de transgression. L’humour est acide dans cet épisode méconnu de Dora l’exploratrice.
Mais ce qui le démarque de beaucoup d’autres blogs bd d’humour est la recherche constante du non-conformisme des idées, des références employées, de l’humour choisi. Je laisse de côté les idées et me concentre sur l’humour. Le ringard est un des principes centraux de l’humour MLCien, se retrouve aussi dans les noms employés, noms de personnages ou de lieu dont la sonorité suffit à déclencher le rire (enfin… dans mon cas, en tout cas) ; ainsi faut-il saluer la riante introduction de Homme qui pleure qui se situe dans la ville de Vesoul et voit la pendaison de supporters du F.C. Sedan. Autre principe qui se marie à merveille avec la parodie : le cliché. Il fait pour cela appel à sa connaissance des comics et romans-photos kitchs des années 1960 et 1970. Les phrases convenues y sont légion et offrent de délicieux dialogues pour les récits de MLC. Le cliché ne vaut, bien évidemment, que s’il est détourné. Fereüs est plein de ces clichés que nous servent les auteurs d’heroïc-fantasy, ce qui le situe juste à la limite entre la parodie et la série B… Je vous laisse en découvrir quelques uns en lisant les premières planches de cet album, encore en ligne.

Bibliographie et webographie :
Paris est une mélopée, Théloma, 2007
Homme qui pleure et Walkyries, Warum, 2008
Fereüs le fléau, Makaka, 2009
Le site de MLC : http://www.monsieur-le-chien.fr/
Le site de Fereüs : http://www.filsdelacolere.com/
Lire des planches de MLC sur 30joursdebd
Interview sur le site du festiblog
Présentation sur le site de Warum
Site de Makaka éditions