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Parcours de blogueurs : Libon

Après l’art décoratif retro et savant de Nancy Peña, retour vers un registre plus léger mais non moins complexe : l’humour. Parmi la fine équipe de blogueurs regroupés autour de Boulet au début du mouvement, on trouve l’un de ses collègues dessinateurs de Tchô !, Libon. Graphiste avant de devenir auteur de bande dessinée, Libon, qui a encore assez peu d’albums à son actif, pratique un humour idiot et joyeusement régressif. C’est avec sa compagne Capucine, elle aussi dessinatrice, qu’il tient depuis le début de l’année 2005 le blog turbolapin, amas hétéroclite d’anecdotes, de roman-feuilleton, d’annonces de dédicaces et de projets…

Du graphisme à la BD

Avant d’arriver à la bande dessinée, Libon, né en 1972, est infographiste, travail qu’il exerce après des études aux Beaux-Arts de Beauvais puis dans une école de graphiste. Il se démène donc dans l’industrie du jeu vidéo pendant cinq ans puis décide de se tourner vers la bande dessinée.
Il commence d’abord dans le Psikopat, un célèbre fanzine dirigé par Carali, le père de Mélaka, une autre blogueuse, fanzine qui publie surtout des dessinateurs débutants voire des amateurs. Puis, doucement, il trouve sa place dans des revues de bande dessinée. C’est dans Spirou qu’il publie sa première série en 2004, Jacques le petit lézard géant. Depuis cette date, il est un collaborateur régulier de ce journal et ajoute à son palmarès une participation dans Tchô !pour Le Miya de Boulet et surtout une première série adulte en 2006 dans Fluide Glacial, Hector Kanon. Là encore, il participe depuis, régulièrement, à cette revue. En quelques années, Libon s’est fait une petite place dans le domaine de la BD humoristique. Il se joint au mouvement des blogs dès 2005, à ce moment où la blogosphère était encore composé de collègues dessinateurs désireux de donner des nouvelles dessinées à leurs amis et à d’éventuels lecteurs anonymes.

Turbolapin, le blog de Capu et Libon
Ce blog, appelé aussi Mouton-Benzène Luxe, fait partie des quelques blogs bd à quatre mains qui peuplent la toile (citons aussi le Loveblog de Gally et Obion et Bruts de Raphaël B. et L’Esbroufe. Il est peuplé par Libon, Capu, deux dessinateurs aux styles très différents, par leur fille Lenka et par leur chat Lapin. Ce blog n’a jamais eu une régularité exceptionnelle et les notes soignées y sont rares ; il faut le situer comme le bric à brac personnelle du couple Capu et Libon, leur espace d’expression et de dialogue sur la toile.
On y trouve tout de même, en cherchant bien, l’humour de Libon et les pin-up de Capu, ainsi que des expérimentations étranges dans l’esprit décalé du couple. Le roman-feuilleton Sophia, parodie d’une sorte de film d’espionnage de série B à tendance érotique est un objet totalement non identifié dans la blogosphère et mérite certainement le coup d’oeil (Sophia, les poumons de la capitale). Il y a aussi les 2160 gags automatiques générés aléatoirement, expérience loufoque au possible, réminiscence de l’Oubapo (2160 gags de Popo et Lolo Poche ). En somme, le genre de blog bd dont on attend pas forcément des notes impeccables, mais qu’on se plait à parcourir.

Enfance et humour regressif

Mais revenons plus précisément à Libon et à ses albums car heureusement pour les fans de Mouton Benzène, si le blog n’est que trop peu mis à jour, plusieurs des séries que Libon dessine dans divers magazines sont sorties en album. A première vue, on pourrait dire qu’il oscille entre la BD d’humour jeunesse et la BD d’humour adulte, entre Spirou et Fluide Glacial… A première vue seulement car, fondamentalement, Libon emploie un humour détaché des âges et des générations, cet étrange humour dont la BD a le secret, l’humour regressif. L’avantage de l’humour regressif, c’est qu’il marche aussi bien sur les enfants que sur les adultes… Si les thématiques changent d’un public à l’autre, l’humour, lui, est toujours le même, souligné par le trait caricatural et outrancier de Libon qui rappelle parfois Pétillon.
Qu’est-ce que l’humour regressif, me direz-vous ? Pour reprendre une analyse de Thierry Groensteen dans La bande dessinée mode d’emploi (Impressions nouvelles, 2007), c’est une forme d’humour qui a élu domicile dans la bande dessinée et qui consiste à raconter les aventures d’un ou deux plusieurs personnages risibles, bêtes mais généralement innoffensifs. Libon poursuit ainsi une tradition dont Daniel Goossens est un des principaux représentants dans la génération précédente. Il est un des piliers de Fluide glacial et Libon voit en lui une de ses influences. On pense aussi à un auteur moins connu mais tout à fait drôle qui s’est fait une spécialité de l’humour crétin : Charlie Schlingo. Il est lui aussi passé par Fluide Glacial, mais aussi par les grandes revues renovatrices de l’humour adulte : Charlie Hebdo, Hara Kiri, L’Echo des savanes, Le Psikopat. C’est un peu de cet héritage d’un humour gratuitement provocateur que l’on trouve chez Libon. Le comique est alors basé sur l’impression que les personnages, adultes, se comportent comme des enfants. Hector Kanon, le héros de la série éponyme, est un beauf moderne complétement irresponsable dont les combines provoquent toujours des catastrophes. Quant à Jacques, le petit lézard géant de la série toujours éponyme, ce n’est pas forcément lui qui est bête (il n’est, après tout, qu’un lézard qui a grandi après avoir reçu une mini-bombe atomique), mais les gens qu’ils rencontrent, policiers, scientifiques, militaires. (on peut lire le début de ses aventures sur cette page ). Avec ses albums, Libon reprend bien le flambeau du loufoque et de l’incohérent. Humour enfantin et humour adulte sont réunis dans une seule et même forme où la bêtise humaine est poussée à des extrêmes délirants. Si vous aimez cette forme d’humour graphique, Libon devrait être votre prochaine lecture.

Un article plus court cette semaine, mais je vous mets des références de lecture en plus en bas pour me faire pardonner !

Bibliographie :
Hector Kanon, Fluide Glacial, 2008-2009
Jacques, le petit lézard géant, Dupuis, 2008-2009
Tralaland, Bayard, 2009
Le blog Mouton-Benzène Luxe : http://www.turbolapin.com/blog/
interview de Libon : http://www.planetebd.com/BD/interview-123.html
Et si vous voulez devenir un connaisseur de l’humour idiot de ces dernières décennies :
Daniel Goossens, Georges et Louis romanciers, 1993-2006 (6 tomes), Audie-Fluide Glacial
Charlie Schlingo, Josette de rechange, Le Square, 1981, réédité cette année par L’Association.

Parcours de blogueur : Nancy Peña

Pour poursuivre le même chemin déjà emprunté avec l’article sur Boulet, je vais vous présenter aujourd’hui une autre blogueuse déjà connue comme auteur de bandes dessinées avant d’ouvrir son blog, Nancy Peña. La comparaison avec Boulet s’arrête là ; elle possède un style extrêmement différent, très personnel et reconnaissable, et ses albums ne sont pas humoristiques mais se rapprochent de l’univers du conte. Elle diffère aussi par l’utilisation de son blog, davantage espace personnel hétéroclite que carnet d’anecdotes dessinées. En réalité, elle n’appartient que périphériquement à l’univers de la blogosphère BD. Néanmoins, Nancy Peña a su utiliser l’outil internet à la fois pour mieux faire connaître son travail et pour étendre ses expériementations. Sans aucun doute une auteur à découvrir.

La passion de l’art

Nancy Peña naît en 1979 à Toulouse et développe très tôt un goût pour les disciplines artistiques. Dès 1995, elle suit des cours de dessin à l’atelier Catherine Escudié à Toulouse ( une artiste qui dispense des cours de dessin : http://www.atelier-catherine-escudie.com/index.html). Elle poursuit ensuite un cursus universitaire classique en arts appliqués (licence, maîtrise) jusqu’à obtenir, en 2002, l’agrégation qui lui permet d’être enseignante dans cette discipline, métier qu’elle exerce actuellement.
Mais à côté de cette carrière académique, Nancy Peña met en oeuvre ses talents de dessinatrice et d’illustratrice dans divers projets, dont des albums de bande dessinée. Par l’intermédiaire de Vincent Rioult, illustrateur, graveur et maquettiste à la Boîte à Bulles, elle publie en 2003 son premier album, Le cabinet chinois, chez cet éditeur indépendant encore jeune, fondé cette même année 2003 par Vincent Henry, un journaliste BD. Ce premier album reçoit auprès des critiques un bon accueil. Elle devient alors un des auteurs réguliers de La Boîte à bulles où elle continue de publier ses nouveaux albums, dont Le chat du kimono en 2007, étrange conte onirique illustré, entre le Japon et l’Angleterre et La guilde de la mer en 2006-2007, série d’aventures maritimes plus traditionnelle à base de personnages animaliers. Toujours au sein de la Boîte à bulles, elle participe aux albums collectifs Dieux et idôles et Amour et désir.
D’autres projets occupent encore Nancy Peña, qu’il s’agisse d’albums chez d’autres éditeurs (elle travaille actuellement à la suite de la série Les nouvelles aventures du chat botté commencée en 2006 chez 6 pieds sous terre), de projets d’illustration jeunesse chez Bayard et Milan ou d’autres collectifs de bande dessinée (Drozophile n°7, revue de la maison d’édition du même nom).

Présence sur la toile


Nancy Peña n’est pas une blogueuse bd au sens où on l’entend d’habitude : son blog n’est pas un journal, une suite d’anecdotes de vie, mais plutôt un carnet de croquis sur lequel elle tient ses lecteurs au courant de l’avancement de ses projets. On n’y trouvera donc pas de courtes planches de bd mais plutôt des illustrations inédites et des motifs qui traduisent bien l’univers et l’humeur de l’illustratrice. Elle entretient pourtant des liens avec le monde des blogs bd : elle fait partie de la vague des premiers blogs de dessinateurs et sa coloriste pour La guilde de la mer n’est autre que Miss Gally, une célèbre blogueuse « historique ». (http://missgally.com/blog/)
Nancy Peña utilise très tôt le net pour se faire connaître et étendre son champ d’action. Faire la « webographie » de sa présence sur la toile en dit long. Outre son blog principal (le blog actuel est le deuxième), elle possède un site internet plus ancien encore, puisqu’il date de 2003 (et n’est plus guère mis à jour depuis, d’ailleurs). Il faut encore à ajouter le site de sa série La guilde de la mer, où l’on peut se balader dans l’univers de la série ; son book en ligne ; un blog commun avec son compagnon Guillaume Long, autobiogriffue (fermé depuis). Nancy Peña a pleinement investi internet dans sa vie professionnelle et son exemple montre bien les potentialités qu’un illustrateur peut y trouver. Chacun de ses sites a une identité graphique propre et se propose comme une invitation au voyage plutôt que comme une page internet.
Et puis Nancy Peña participe activement à la sociabilité des blogueurs bd. Elle est invitée au premier festiblog en 2005 et en 2006, elle fait partie des auteurs participant, dans le cadre du festiblog, aux « miniblogs », une petite collection d’albums édités par Danger Public où l’histoire dessinée trouve un prolongement sur le net. N’oublions pas non plus que Nancy Peña est l’une des « pirates » du site Donjon Pirate, mené par Wandrille, qui a présenté sur internet, en 2006-2007 des planches de dessinateurs encore peu connus autour de la célèbre série Donjon de Sfar et Trondheim. Elle est enfin, en 2008, avec d’autres blogueurs, au sommaire de Soupir, la revue des éditions Nékomix.

Exotisme de l’espace et du temps

Le style de Nancy Peña nous fait radicalement changer d’univers, avec un petit côté retro et exotique. On sent chez elle une bonne connaissance de techniques et de périodes artistiques assez inhabituelles dans le milieu de la bande dessinée, et cette originalité est déjà une grande source de plaisir. Du point de vue narratif, ses albums ressemblent généralement à des contes, où les évènements s’enchaînent implacablement. Ses histoires se situent dans des univers bien identifiés, soit qu’ils se rapprochent d’une Europe en pleine Renaissance (La guilde de la mer, Le cabinet chinois), soit qu’ils s’ancrent dans un Orient fantasmé (Le chat du kimono). Souvent sont présents les thèmes du voyage exotique, du rêve et de l’aventure.
Du point de vue graphique, et c’est là sa grande originalité, Nancy Peña a recours à plusieurs influences très variées qui se mêlent les unes dans les autres, sans doute le fruit de sa formation d’enseignante en art. L’Orient émerge, et en particulier le style graphique des estampes japonaises… (Combat de chats) Mais pointe aussi le spectre l’illustration anglaise du XIXe siècle, gothique et victorienne à souhait (on pourra rapprocher certains de ses dessins des illustrations d’Arthur Rackham pour Alice in Wonderland)… (Deux girafes sous Louis XVIII ) Ou encore les expérimentations optiques du graveur virtuose Maurits Cornelis Escher… Ou enfin les exubérances géométriques et colorées de l’Art déco du début du siècle… (Conduite Art déco ). Toutes ces influences ont un parfum exotique, appartenant soit à des époques éloignées, soit à des pays éloignés. Elles se mélangent, offrant ainsi des images totalement inédites, et c’est là tout l’art de Nancy Peña.
Je pourrais vous parler encore d’autres caractéristiques du style de Nancy Peña pour vous donner envie de lire ses albums et suivre son blog : son goût prononcé pour l’ornement décoratif, souvent floral et envahissant ; sa connaissance des diverses techniques de gravure (sur bois, sur gravure) dont elle chercher à se rapprocher dans ses albums noir et blanc, leur donnant ainsi un aspect vieillot ; les innombrables chats qui parcourent les pages de ses travaux… Mais j’espère déjà vous avoir convaincu !

Bibliographie :
Le cabinet chinois, 2003, La boîte à bulles
La guilde de la mer, 2006-2007 (2 tomes), La boîte à bulles
Les nouvelles aventures du chat botté, 2006-2007 (2 tomes), 6 pieds sous terre
Dieux et idoles, 2006, La boîte à bulles (collectif)
Kitsune Udon, 2006, Danger public (miniblog)
Le chat du kimono, 2007, La boîte à bulles
Drozophile n°7, 2008 (collectif)
Amour et désir, 2008, La boîte à bulles (collectif)
Soupir, 2008, Nékomix (collectif)
Tea party, 2008, La boîte à bulles
Mamohtobo, 2009 (dessin de Gabriel Schemoul), Gallimard

Webographie :

Blog : http://nancypena.canalblog.com/
Premier site, Nancity : http://nancipena.free.fr/ (2003)
Site de la guilde de la mer : http://www.la-boite-a-bulles.com/guildedelamer/
www.autobiogriffue.com (fermé)

Parcours de blogueurs bd : Boulet

Je reprends le cours de ma réflexion sur les blogs bd (qui commence avec cet article) avec une nouvelle série d’articles. Je vais tenter de vous présenter un certain nombre de blogueurs, et particulièrement ceux qui poursuivent en parallèle une carrière d’auteur de bd et publient régulièrement, en format papier ou numérique. L’occasion aussi pour moi de vous faire découvrir des auteurs parfois trop peu connus en dehors de la blogosphère.

Contredisant ainsi magnifiquement ma dernière phrase, je commence avec un des blogueurs bd les plus connus, Boulet, sans doute le meilleur exemple de la possibilité qu’offre le format blog pour déployer et développer des talents. Mais Boulet est aussi et avant tout un auteur ayant déjà derrière lui une carrière, par laquelle je vais commencer. (Bouletcorp )

Un parcours solide dans la bd papier

C’est dans le secteur de la BD jeunesse que Boulet fait ses premières armes, dans le magazine Tchô !. Ce petit magazine mensuel, conçu autour du personnage à succès Titeuf de Zep, apparaît en kiosque à l’automne 1998 et fait progressivement son nid dans le paysage de la presse jeunesse française en augmentant sa pagination et son format. Mené par Jean-Claude Camano, il propose, outre la prépublication de Titeuf, des séries principalement humoristiques. Le jeune Gilles Roussel est repéré au festival de Sierre par Jean-Claude Camano et devient un des auteurs réguliers du journal avec plusieurs séries récurrentes : La rubrique scientifique et Le Miya en 2000, Raghnarok et Les Womoks en 2001 qu’il scénarise, avec Reno au dessin, une de ses anciennes connaissances des Arts Déco (Pourquoi je hais Reno ). Il signe alors Boulet, pseudonyme qu’il gardera par la suite. Sa participation à Tchô ! lui donne une discipline de travail et le professionnalise en cotoyant ses aînés. Elle lui permet aussi de publier ses premiers albums chez Glénat, qui édite le magazine de Titeuf. C’est ainsi que La rubrique scientifique, Raghnarok et Les Womoks deviennent des séries régulières dès 2001-2002, les deux derniers passant du statut de suite de gags courts à de véritables histoires suivies. Boulet y montre sa capacité à renouveler la BD jeunesse en parodiant des univers de fantasy et de science-fiction et en réalisant des albums qui, il faut bien l’avouer, ne sont pas destinés qu’aux enfants !
C’est donc surtout par Tchô que Boulet est connu lorsqu’il lance son blog en juillet 2004 (Une pub éhontée ). Mais d’autres projets vont vite venir s’ajouter à sa production déjà conséquente, et en particulier en 2006 la reprise du dessin de la série Donjon zénith crée par Joann Sfar et Lewis Trondheim qui restent au scénario. L’enjeu est de taille : Donjon est une saga à grand succès à laquelle de nombreux dessinateurs ont participé et Zénith en est la série centrale, dessinée à l’origine par Lewis Trondheim, un auteur reconnu dont le palmarès n’est plus à évoquer. Dans cette parodie d’heroic-fantasy à l’origine réalisée dans le style minimaliste de Trondheim, Boulet fait preuve d’une grande capacité d’adaptation en imposant, dès son premier album, Un mariage à part (le tome 5 de la série), l’efficacité de son propre style qui tranche nettement par un plus grand réalisme et des scènes d’action plus nombreuses et plus dynamiques. Hasard du scénario ou force du dessin de Boulet, la série quitte progressivement sa dimension entièrement parodique pour se plonger plus avant dans l’aventure héroïque. Il transforme l’essai en dessinant en 2007 le tome 6, Retour en fanfare, où les évolutions précédentes sont encore accentuées. Sa participation à la série Donjon lui permet de mettre un pied dans la BD adulte tout en restant fidèle à Tchô puisqu’il poursuit Raghnarok, sa série principale.

Les débuts du blog et ses prolongements papier
C’est principalement à travers son blog qu’il étend son public et déploie sa capacité de dessin et d’humour sur un support plus libre. Boulet fait partie de la communauté des tous premiers blogueurs, celle qui se forme avant 2005 et se compose d’auteurs, souvent professionnels, et se connaissant déjà hors du monde des blogs. Ainsi, Boulet avoue dans sa première note (Le comment du pourquoi http://www.bouletcorp.com/blog/index.php?date=20040728 ) que l’idée d’un blog lui a été suggéré par Mélaka, la compagne de Reno, le dessinateur des Womoks qui, lui-même tient un blog à ce moment-là. Parmi les autres dessinateurs, on trouve Poipoipanda, qui dessinera à partir de 2007 Ange le terrible dans Tchô !, le couple Capu et Libon (Auteur de Jacques le petit lézard géant dans Spirou à partir de 2004), Laurel et Cha qui animent avec Mélaka la rubrique 33 rue Carambole dans le même Spirou, Lisa Mandel qui dessine Nini Patalo dans Tchô !… Un petit monde qui, dans l’ensemble, se cotoie et se connaît.
Le succès rapide du blog de Boulet, intitulé Bouletcorp, vient de l’appropriation particulière que le dessinateur a de ce format. Il poste très régulièrement, et la plupart du temps au moins un strip voire une planche, ce qui n’est pas le cas de tous les blogueurs. De plus, le blog est très agréable visuellement, réalisé dans un format flash qui facilite la navigation et changeant d’habillage deux fois par an ; il est connu pour ses petits bruitages et ses monstres qui parsèment l’écran. Cette esthétique qui, là aussi, tranche avec celle des autres blogs, plus minimalistes et artisanaux, a certainement une grande part dans le succès du blog. Un public est rapidement fidélisé et Boulet devient, consciemment ou non, une importante référence de la blogosphère bd. Un tel succès n’était certainement pas prévu au départ, au moment où le noyau des blogueurs était encore restreint, mais force est de constater que son blog est devenu, pour les amateurs du genre, incontournable. C’est lui que les organisateurs du festiblog choisissent comme parrain de la première édition avec, à ses côtés comme marraine, Mélaka.
Boulet utilise le potentiel de liberté que lui offre le blog en diversifiant énormément ses dessins : parfois de simples croquis ou des anecdotes, parfois des planches très soignées, parfois des brêves en quelques cases ; il se sert également du blog pour présenter aux lecteurs ses différents travaux et séances de dédicaces. Comme sur les autres blogs, il introduit une interaction avec les lecteurs ; l’espace commentaires, par exemple, n’a jamais été fermé.
Surtout, Bouletcorp devient l’espace où bouillonne l’imagination extrêmement fertile de Boulet, le format souple permettant à cette imagination de partir dans tous les sens. Il y a en cinq ans une réelle progression, des quelques cases crayonnées aux planches et essais graphiques qui les suivent. Boulet peut y présenter un projet inachevé, réaliser la page d’un album qui n’existera jamais mais dont il rêve (Marcinelle mon amour ). Boulet joue sur le rôle habituellement attribué aux blogs, raconter en images des anecdotes de vie, en dépassant la banalité du quotidien par le dessin, l’humour et l’imagination (Bêtises ). Un univers se crée autour de Bouletcorp, avec ses récurrences connues de tous les fans : la raclette mutante, les dinosaures, les superpouvoirs, les tournées de bières avec des amis, les compte-rendu de festivals, les zombies, les geeks…

Le blog lui permet de poursuivre d’autres projets via internet, puis sur papier. Il est l’un des cinq Chicou-chicou (http://www.chicou-chicou.com/), masqué sous le personnage d’Ella, et anime cet autre blog fameux jusqu’à sa parution en album en 2008 chez Delcourt. Il participe régulièrement aux 24 heures de la BD (événement organisé lors du festival d’Angoulême, lancé par Trondheim, et consistant à dessiner 24 planches en 24h autour d’un thème) et est même l’un des auteurs de l’album collectif sorti à cette occasion, Boule de neige (2007). Enfin, il a dessiné occasionnellement, avec d’autres blogueurs, quelques planches pour l’association-éditeur Nékomix dans deux de ses revues, Soupirs et Nékomix.
Malgré son succès, le blog en lui-même sort assez tardivement en une version papier. Si les publications papier de blogs commencent dès 2005, Notes sort chez Delcourt en 2008, et il en existe pour le moment trois tomes. Chacun d’eux reprend une partie des notes de blog dans l’ordre chronologique, avec quelques planches supplémentaires qui créent un fil directeur dans la lecture. Une manière pour lui de montrer à ses lecteurs de blog qu’il est également présent en librairie et peut-être aussi d’amener de nouveaux lecteurs qui ne connaîtraient pas le blog.
En 2005, il analyse ainsi, dans une interview donnée sur sceneario.com, la place que tient le blog dans sa carrière : « Le boulot de dessinateur consiste souvent à passer six mois à bosser et n’avoir de réaction que pendant les festivals: avec le blog j’ai trouvé le plaisir du spectacle, c’est comme avoir sa petite tribune et pouvoir sentir à chaud les réactions. Outre que ça soit très utile pour mieux capter ce qui fait réagir dans une BD, c’est aussi un formidable moteur pour bosser vu que la motivation est sans cesse renouvelée. De plus, la structure fait que c’est un très bon exercice vu qu’il faut se renouveler en permanence et produire le plus possible . »

L’art comique de Boulet :
S’il ne tenait qu’à moi, je dirais que Boulet fait partie des meilleurs talents de sa génération, et ce pour l’unique raison qu’il y a longtemps que je n’avais pas pris autant de plaisir à lire des planches de BD que depuis que je visite son blog. Mais je vais essayer de pondérer mon propos, d’être davantage objectif, et surtout d’argumenter !
On notera d’abord que Boulet est un auteur prolifique : en moins de dix ans, il a publié ou participé à près d’une vingtaine d’albums, sans compter l’édition de son blog. Blog qu’il met régulièrement à jour, tout en poursuivant sa participation à Tchô !. On pourrait encore ajouter les projets d’illustration sur lesquels il travaille comme, par exemple, la réalisation d’un livret illustré pour l’album Repenti du chanteur Renan Luce. C’est un auteur complet, tantôt scénariste, tantôt dessinateur, tantôt les deux à la fois. « Je travaille beaucoup. Mais c’est aussi que j’ai un graphisme qui permet une réalisation assez rapide. » dit-il, sur sceneario.com. Vous l’aurez compris, ce qui le caractérise le mieux est sans doute son imagination puissante dont le blog offre un aperçu intéressant. Elle permet une fantaisie graphique renouvellée par des images inattendues, comme dans cette planche décrivant un univers parallèle ( Février ).
C’est principalement dans le domaine de l’humour qu’il a jusque là fait ses preuves. Domaine délicat s’il en est, présentant toujours le risque de la répétition. Un des domaines où il excelle est la parodiea transposition et l, qu’il met d’ailleurs en oeuvre dans Tchô !, avec Raghnarok, parodie d’heroïc-fantasy dont le héros est un jeune dragon maladroit, mais aussi La rubrique scientifique. Il utilise le décalage comique entre la réalité, transpose une situation réelle dans un monde hypothétique. On retrouve là des formules qui avaient fait le succès de revues comme Pilote : pensons à l’humour basé sur le décalage dans Astérix ou aux parodies loufoques des Dingodossiers et de la Rubrique-à-brac de Gotlib. ( Tout le monde aux dodos ). L’âge d’or franco-belge est d’ailleurs souvent l’occasion de parodies jubilatoires, à la fois hommage et transgression des règles.(Schtroumpfs)

Boulet fait preuve, aussi bien dans ses albums papier que sur son blog, d’une bonne capacité de synthèse entre des influences extrêmement variées, tant au niveau du dessin que du scénario. On connaît ses goûts en matière de bande dessinée : les héros de Spirou, Calvin et Hobbes de Watterson (Fan art de la semaine ), Dr Slump de Akira Toriyama, Lewis Trondheim… (Copieur ) Une même diversité se retrouve sur le blog où il n’hésite pas à changer de style selon le type de note qu’il souhaite réaliser, voire à se livrer à des expériences graphiques (8bits le retour ; VIP ). Mais on la retrouvera aussi dans ses albums : les scènes de combat de Donjon reprennent en partie des codes graphiques du manga, intégrés à des formules plus européennes.
Enfin, il y a chez Boulet, je trouve, un certain classicisme dans l’humour, faisant appel aux ressources du comique de situation, de la parodie, du comique de répétition, ce qui rend ses gags souvent efficaces ; la narration est bien maîtrisée et mesurée, dans le sens où il sait faire passer un message avec un minimum de signes graphiques, comme on le voit dans certains gags muets (http://www.bouletcorp.com/blog/index.php?date=20090117 ). Mais ce classicisme efficace dialogue avec des images inattendues (dinosaures, monstres, zombies, extraterrestre) qui l’empêche de trop se répéter. Le comique vient assez souvent de la surprise du lecteur qui attend le gag et assiste à l’irruption de l’imprévu dans la routine.

En espérant que les quelques notes ainsi présentées vous aurons donné envie d’approfondir la lecture du blog ou des albums, pour ceux qui ne connaissaient pas encore Boulet !

Bibliographie de Boulet :
2001-2004 : Les Womoks, dessin de Reno, édité par Glénat (4 volumes)
2001-2009 : Raghnarok, Glénat (6 volumes)
2002-2005 : La rubrique scientifique, Glénat (3 volumes)
2005 : le Miya, Glénat
2006 : Soupir, Nékomix (collectif)
2006-2007 : Donjon Zénith, tomes 5 et 6, scénario de Joan Sfar et Lewis Trondheim, Delcourt
2007 : Boule de neige, Delcourt
2007 : Le voeu de Simon, dessin de Lucie Albon, La boîte à bulles
2008 : Nékomix 7, Nékomix (collectif)
2008-2009 : Notes, Delcourt
2008 : Chicou-chicou, Delcourt

Les citations viennent de cet interview donné en 2005 :
http://www.sceneario.com/sceneario_interview_BOULE.html