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Des difficultés d’exposer la bande dessinée : Archi et BD au palais de Chaillot

L’exposition qui se tient actuellement à Paris, à la Cité de l’architecture et du patrimoine, est l’occasion rêvée de tester pour mes chers lecteurs les difficultés d’exposer la bande dessinée, exercice de style auxquels de nombreux musées de France, dont des établissements nationaux, aiment à s’adonner depuis un peu plus d’une dizaine d’années. Je passe sur l’historique de ce type de manifestations, j’aurais peut-être l’occasion de le faire dans un autre article. Je remarque juste que cette exposition est éventuellement à mettre en rapport avec La BD s’attaque au musée qui s’était tenue au musée Granet d’Aix-en-Provence en 2008 : la bande dessinée vient soutenir une institution jeune (dans le cas de la Cité de l’architecture, ouverte au public en 2007) ou ayant connu une importante rénovation (le musée Granet a réouvert en 2007). Dans le cas du musée Granet, il s’agissait même de la première exposition temporaire depuis la rénovation. Dans celui d’Archi et BD, le délai est plus grand, mais relève, à mon sens d’une volonté de faire venir dans ce musée qui se cherche une identité un public plus large de celui auquel il est normalement destiné.
Mon impression globale est que Archi et BD ne fait que confirmer les difficultés qu’il y a à faire une exposition sérieuse sur la bande dessinée et que, si l’on excepte les institutions dédiées (CIBDI d’Angoulême, CBBD de Bruxelles) qui disposent d’important fonds à mettre en valeur, il va encore falloir répéter et répéter l’exercice avant d’aboutir à des expositions qui tiennent la route. Vous l’aurez compris, mon article sera surtout fort critique à l’encontre d’Archi et BD, voire même parfois carrément rageur.

Dessin de Nicolas de Crécy pour l'affiche d'Archi et BD


Je passe vite sur les détails de l’organisation. Il y a deux commissaires à l’exposition : Jean-Marc Thévenet, acteur dynamique dans la presse BD des années 1980 et ancien directeur du FIBD d’Angoulême de 1998 à 2006 et Francis Rambert, journaliste longtemps spécialisé dans l’architecture et faisant à présent partie de la direction de la Cité de l’architecture. Logiquement, un commissaire pour la bande dessinée et un pour l’architecture. Le fait qu’aucun d’eux ne soit ni chercheur ni praticien (auteur ou architecte) dans l’une ou l’autre spécialité conditionne l’orientation de l’exposition qui ne se veut ni une synthèse vulgarisée et mise en scène des connaissances sur un sujet (oui, oui, parfois les expositions servent aussi à ça !), ni une installation scénographique (comme le firent Schuiten et Peeters) mais un parcours donné à voir à un large public plus qu’à celui, plus réduit, des spécialistes et amateurs de l’une ou l’autre discipline. Ce n’est pas une critique, juste une observation pour signaler que d’emblée, l’exposition ne s’adressait pas à moi, ce qui peut assez largement expliquer ma déception. Mais ce n’est pas parce qu’on s’adresse à un large public qu’il faut dire en profiter pour raconter n’importe quoi.
Une dernière remarque : en marge de l’exposition, Jean-Marc Thévenet sort chez Dupuis une biographie en bande dessinée de Le Corbusier, un des architectes les plus importants du XXe siècle. Il coscénarise avec Rémi Baudouï, un spécialiste de la question, pour le dessinateur Frédéric Rébéna ; et l’album est soutenu à la fois par la Cité de l’architecture et la Fondation Le Corbusier à Paris.

Lubies

J’ai plusieurs lubies personnelles en ce qui concerne les défauts des expositions et Archi et BD a la mauvaise idée d’en concentrer plusieurs.
Je suis souvent plus sensibles aux expositions dont le but est d’apprendre quelque chose au public en s’appuyant sur des travaux existant ou en cours. C’est généralement ce type d’exposition que l’on voit dans les grands musées ou dans les bibliothèques. Un autre type d’exposition, dont fait partie, à mon sens, Archi et BD est ce que j’appelle les « expositions-parcours » qui ne se proposent non d’apprendre mais de faire ressentir. Le visiteur est conduit dans une sorte de parcours, ici chronologico-topographique, à travers quatre villes pour trois époques (New York pour le début du siècle, Bruxelles et Paris pour la seconde moitié du siècle, Tokyo pour ces vingt dernières années). Il voit donc des planches de BD jolies ou moins jolies, selon les goûts. Dans ce genre d’exposition, un effort particulier est donné pour que la scénographie mette en valeur le propos et dans Archi et BD, même si je n’ai pas réellement compris pourquoi, les commissaires semblent fiers de l’effort mis en oeuvre dans la conception de l’exposition. Cette lubie-là est plus personnelle : à ce type d’expositions, je m’ennuie, je perds mon temps, je n’apprends rien. Et je ne comprends pas pourquoi, sous pretexte de s’adresser au grand public, on essaye pas d’être didactique et de lui apprendre quelque chose. Mais passons.
Ma seconde lubie est le problème du nombre de pièces ; près de 350 oeuvres, ici, d’après les organisateurs. Plus d’oeuvres que le public ne peut en ingurgiter, du moins pour en retirer quelque chose. Comme je connaîs un peu l’histoire des musées d’art, j’associe ce vieux tic à la vision archaïque d’une exposition ostentatoire vue comme un cabinet de collectionneur. Le but est de montrer et d’éblouir par le nombre. Les musées et bibliothèques ont maintenant tendance à réduire le nombre d’oeuvres présentées pour améliorer les cartels et permettre à chaque oeuvre d’être reliée de façon efficace et claire à la thématique principale. Ainsi, la BnF, Beaubourg et le Louvre, qui ont certes les moyens de le faire, mettent généralement une notice complète d’une dizaine de lignes pour chaque oeuvre présentées dans leurs expositions ; à défaut, d’autres musées utilisent des audioguides. Un tel système permet de ménager deux niveaux de lecture : le visiteur non spécialiste se contente de lire les panneaux principaux et ne regarde de près que les oeuvres qui l’intéressent tandis que le visiteur spécialiste s’arrête sur chaque notice pour apprendre plus que ce qu’il sait déjà (jusqu’à épuisement du cerveau, du moins). Mieux vaut mettre peu de pièces mais souligner au mieux leur intérêt réel et apprendre au visiteur à les déchiffrer et à les apprécier. J’ai du mal à croire qu’un visiteur puisse apprécier également 350 pièces.
Dernière lubie, qui concerne cette fois uniquement les expositions de bande dessinée : le problème des planches originales. Thierry Groensteen avait déjà soulevé la question dans Un objet culturel non identifié en 2006 et tenté de réfléchir à son statut (voir p.153-155). Il l’interprétait comme un objet qui ne rend pas compte de la bande dessinée, mais lui admettait un pouvoir de fascination que n’a pas l’album industriel. Le fait que la planche originale soit l’objet couramment admis dans les expositions ayant trait à la bande dessinée ne signifie pas qu’il soit l’objet idéal pour présenter la bande dessinée. J’évacue là de mon raisonnement les établissements ayant, par leurs fonds, les moyens de présenter autre chose du travail de l’artiste (des albums, des archives, des croquis…). Mais lorsqu’un musée d’art s’intéresse à la bande dessinée, il n’a pas de fonds la concernant et va alors puiser principalement à la source des collectionneurs privés et des galeries spécialisées. Or, l’objet « idéal » de ces donateurs est la planche originale, qui a à la fois le plus grand prestige et la plus grande valeur marchande. La planche originale sacralise l’oeuvre des auteurs de bande dessinée en prétendant la placer au même niveau qu’un tableau ou qu’une sculpture. Or, si un tableau est conçu pour être exposé, ou du moins admiré par un connaisseur, ce n’est pas le cas de la planche originale qui acquiert ce statut par le regard du collectionneur. Je m’inquiète toujours un peu de ce que l’exposition de planches originales, outre l’inconfort de lecture ne rend pas suffisamment compte de ce qu’est la bande dessinée : un récit paraissant dans une revue ou sous la forme d’un livre. Certes, c’est pourtant une manière assez pratique de présenter le travail d’un dessinateur. Mais, en tant qu’amateur-lecteur de bande dessinée, je préfererais toujours la vision de la page d’album qui me semble mieux rendre compte du medium. Dans Archi et BD, les organisateurs ont parfois tenté de sortir de la sacralisation de la planche originale, notamment en proposant des écrans tactiles permettant de lire des albums entiers. Ou encore, beaucoup plus simplement, par la mise à disposition, à la fin du parcours, des albums dont il a été question (procédé que je trouve très bien, faisant de l’expo une expo-bibliothèque, mais qui est peut-être assez onéreux). Ce sont de bonnes idées, mais cela reste timide et la tyrannie de la planche originale demeure. Beaucoup plus intéressants que les planches originales, travail fini, net et sans bavure, m’auraient paru les documents préparatoires (synopsis, crayonnés, etc.) qui permettent d’avoir une connaissance génétique de l’oeuvre. Ce type de documents précieux commence à être exposé, notamment à l’exposition du Louvre en 2008 ou encore à l’exposition sur Astérix au musée de Cluny l’année dernière.

Non-sens et hors sujet
Le thème exact de l’exposition m’est apparu avec quelques difficultés mais la lecture du livret de BeauxArts éditions m’a permis de comprendre, au fil d’une inetrview du duo de commissaires, que l’exposition traitait de « l’imaginaire de la ville », en ce concentrant sur la bande dessinée comme reflet de cet imaginaire. Donc pas du tout des rapports entre l’architecture et la bande dessinée comme le laissait présager le titre (ah oui, c’était le sous-titre qu’il fallait lire : « la ville dessinée »). Le mot-clé est « dialogue », il s’agit de « faire dialoguer » (?) l’architecture (ou plutôt l’architecture en tant qu’urbanisme, donc) et la bande dessinée du XXe siècle.
Pour ce faire, les panneaux nous proposent des remarques-chocs, comme des vérités enfouies lancées à la face du monde (je cite de mémoire, en espérant ne pas me fourvoyer) : le dessinateur de BD utilise comme l’architecte une planche à dessin ; la bande dessinée et l’architecture sont des reflets de la société (Ha ha ! Elle est bonne celle-là !) ; les cases de bande dessinée ressemblent parfois à une façade d’immeuble (ah oui, tiens… et alors ?). Et pour le dernier cas, d’utiliser ces fameuses planches où le dessinateur offre au lecteur une vue en coupe d’un immeuble, chaque case étant une fenêtre (il y en a plusieurs exemples dans la BD, c’est un procédé courant dans le dessin depuis le XIXe siècle). L’une des règles de base de la logique est pourtant qu’un cas particulier ne peut pas servir à bâtir un raisonnement.
En réalité, les concepteurs de l’exposition semblent avoir quelques problèmes avec la logique et avec les liens de cause à effet. Un exemple m’a interloqué. On nous montre une élévation de l’architecte Jean Balladur pour un immeuble à La Grande Motte où le dessinateur a dessiné en quelques traits des individus pour montrer l’échelle et animer son dessin. Le texte nous explique avec le plus grand séieux que Balladur s’inspire ici de la bande dessinée… Ah ? Il le dit lui-même ? Dans ce cas, soit… Mais il me semble que dessiner des individus pour montrer l’échelle d’une élévation est un procédé courant depuis que l’on fait des plans et dessins d’architecture, et cela bien avant que la bande dessinée existe. Mettre des individus sur un plan ne relève pas d’une référence à la bande dessinée mais plutôt d’un réflexe classique d’architecte… Dommage de sortir une bêtise sur le travail des architectes dans une exposition qui se passe à l’intérieur de la Cité de l’architecture…
Enfin se pose le problème du « hors-sujet » de certaines pièces exposées qui n’ont que peu de liens avec le thème principal. Par exemple, quelle utilité de présenter le documentaire sur Baru, « Génération Baru », certes très intéressant mais complètement hors sujet ? Il y a bien une planche de Baru de La piscine de Micheville pour montrer que Baru est, en effet, un grand observateur de la banlieue et des villes industrielles. La planche choisie est loin d’être la plus représentative, malheureusement : on y voit l’intérieur d’une piscine municipale. Je préfère celle-ci, de L’autoroute du soleil (un article à venir !) où l’on voit une friche industrielle exploser. Plus grandiose, son effet dans une exposition aurait pu être fort.

Baru, p.9 de L'autoroute du soleil, 1995

Mais le plus curieux des hors-sujets est cette planche de Gaston où pas un seul élément d’architecture n’est représenté (ah si, une petite maison dans le coin droit de la dernière case). Prunelle et Gaston sont coincés dans un embouteillage donc, forcément… La légende nous dit que (je cite de tête) « Franquin a été marqué par l’expo 58. S’il fait beaucoup voyager Spirou et Fantasio, Gaston, lui, reste surtout entre Charleroi et Bruxelles. » Pourquoi ne pas nous mettre la planche, tellement plus parlante pour le thème, où Gaston orne chacune des boules de l’atomium de son effigie ? Un exemple parfait pour montrer l’influence de l’expo sur Franquin. Ce n’est pas le hasard des collections privées qui devrait guider le choix des planches, mais la cohérence du propos.

André Franquin - Gaston Lagaffe et l'atomium

Je suis médisant : au détour d’un panneau, certaines réflexions esquissées s’avèrent tout à fait pertinentes, et j’ai regretté parfois qu’elles ne soient pas davantage développées. Ainsi du rapport à la ville considérée comme une femme à protéger dans les comics de superhéros, ou encore de l’influence, connue mais à qui mériterait d’être approfondie un jour, de l’exposition internationale 1958 qui eut lieu à Bruxelles sur les dessinateurs belges de l’époque, tout particulièrement ceux du journal Spirou, Franquin le premier. Ou enfin le rôle du genre graphique du « carnets de voyage », lancé par Loustal, dans la représentation de la ville sur le vif. Il est aussi intéressant d’apprendre que certains auteurs se sont intéressés à l’architecture, voire ont fréquentés des architectes : ainsi de Jean-Marc Reiser et l’architecte libertaire et écologiste Guy Rottier, ou encore de Frédéric Bezian qui a sollicité son frère Olivier, architecte, pour son album Garde-fous (Delcourt, 2007). Et puis le catalogue a l’air de compléter l’exposition de façon davantage intelligente ; il prend le temps de développer certains aspects. Belle découverte, aussi, de la réalisation de Golo, dessinateur français vivant en Egypte, d’une fresque comme espace narratif pour représenter l’agitation d’une rue du Caire, selon un procédé, nous dit-on, traditionnel en Egypte.
Ces quelques bonnes surprises ne sont toutefois pas parvenues à rattraper les faiblesses de contenu et de muséographie.

Suggestions

Pour ne pas être seulement destructif mais aussi constructif, je me dis tiens, essayons de proposer des pistes pour améliorer cette exposition et les expos sur la BD en général.
D’abord commencer à faire des expositions sur la BD et non utilisant la BD comme illustration d’un autre sujet (architecture et bd, choucroute et bd, lamas et bd). Je m’explique : l’exposition Lamas et BD qui se tiendra bientôt au musée national du Lama à Lima ne doit pas tomber dans l’écueil d’Archi et BD et proposer un simple catalogue d’exemples des lamas dans la bande dessinée (le lama et la bande dessinée sont des reflets de leur époque, d’ailleurs). Elle doit plutôt essayer de réfléchir aux liens réels entre le lama et la BD et élaborer, autour de ça, une vraie problématique avec un fil conducteur.
Tiens, par exemple, il y avait des choses passionnantes à dire sur la ville dans la série des Cités obscures de Schuiten et Peeters. François Schuiten est un passionné d’architecture et son oeuvre est une manuel sur l’histoire de la discipline. Il aurait été intéressant de comparer des planches des Cités obscures avec des exemples d’architecture réelle, et montrer concrétement l’influence de l’architecture Art Nouveau si présente en Belgique, sur la série. Pourquoi ne pas réfléchir sur le rôle de la documentation dans le métier de dessinateur et sur les différents moyens de s’informer sur une ville, passée ou présente ? Avec à l’appui des documents de travail de dessinateurs, par exemple (la partie sur les carnets amorçait cette réflexion reprise dans le catalogue, il me semble). Sur l’architecture comme ferment de l’imaginaire, il y avait des gravures à présenter : le nom d’Etienne-Louis Boullée est cité, mais malheureusement pas illustré. Du coup, je vous mets une de ses gravures : il s’agit d’un architecte du XVIIIe siècle qui a conçu les plans de monuments grandioses jamais réalisés (ici un cénotaphe pour Newton).

Etienne-Louis Boullée, projet d'un cénotaphe pour Newton, 1784

Même chose pour l’an 2000 imaginée par des auteurs comme McCay et Saint-Ogan dont quelques exemples sont présentés ici : le lien n’est pas fait avec une tradition de la représentation du XXIe siècle qui naît au XIXe, avec Robida dans les années 1880 qui met à la mode le thème de la voiture volante repris de si nombreuses fois par les auteurs de BD (et pour le coup directement repris en connaissance de cause). Il y a là une généalogie qui aurait pu être relevée sur la représentation imaginaire de la ville.

Albert Robida, La ville au XXe siècle, 1890

Ce qui m’inquiète, c’est que la bande dessinée me semble trop souvent utilisée comme pretexte pour faire des expositions non-intelligentes : on leur met des images, ils trouveront ça jolis. Alors qu’il serait tellement plus intelligent d’apprendre au visiteur à déchiffrer ces images, par leur contexte de production, par la mise en valeur de motifs et de formes, par de longs arrêts sur quelques auteurs emblématiques pour le sujet… Un peu comme peut le faire le récent musée de la CIBDI à Angoulême qui, sans être parfait, est une solide introduction au monde de la bande dessinée, à son histoire, à sa fabrication et à sa beauté plastique et narrative. Lorsqu’un musée qui n’est pas spécialisé dans le domaine s’intéresse à la bande dessinée, il n’essaie pas de bâtir un discours logique et construit sur son sujet. Est-ce que la Cité de l’architecture et du patrimoine aurait fait une exposition sur, mettons, l’architecture néoclassique française, avec la même désinvolture ?
Après, il y a l’avers de la médaille : que la Cité de l’architecture et du patrimoine (ou le Louvre, ou Beaubourg, etc.) s’intéresse à la BD montre la « reconnaissance » que le médium a auprès des milieux culturels. Mettre sur le même plan l’architecture et la BD est une façon de reconnaître la « légitimité culturelle » de la BD. Certes, mais doit-on laisser une institution non-spécialisée se servir de la BD pour attirer du monde (parce que c’est « à la mode ») tout en réalisant une exposition qui, en tant qu’exposition, est plutôt ratée ? Il y a là une forte ambiguité, un dilemme à résoudre. Dans certains cas, le partenariat est un succès : c’est ce qu’était celui entre Futuropolis et le Louvre qui a donné lieu à cinq beaux albums et à une exposition qui nous montrait le travail des auteurs en train de se faire. Dans d’autres c’est un échec qui n’est pas à l’honneur de la BD, réduite au statut de « reflet de son époque »… C’est, à mes yeux, le cas d’Archi et BD.

Quelques adresses à visiter :
Le site-blog de l’exposition : http://www.archietbd.citechaillot.fr/
Le tout nouveau site de Jean-Marc Thévenet : http://jeanmarcthevenet.com/

Les expositions du FIBD 2010 : la bande dessinée est de l’art, l’art est de la bande dessinée

Vous ne l’ignorez pas si vous venez sur ce blog, le Festival d’Angoulême s’est tenu la semaine dernière dans ce qui est devenue la capitale française de la BD. Mes pérégrinations au milieu de la programmation touffue de cette édition 2010 m’ont conduit à une réflexion que je tenais à vous faire partager sur la façon de présenter de la bande dessinée, sujet qui, peut-être le savez-vous, nous tiennent particulièrement à coeur sur ce blog (voir cet article sur le Louvre et la bande dessinée ou cet autre d’Antoine Torrens sur l’exposition Astérix au musée de Cluny). Je base mes réflexions angoumoisines sur trois, voire quatre des expositions proposées à l’occasion du FIBD, et pas sur le nouveau musée de la BD qui, je l’espère, sera l’occasion d’un autre article dès que j’aurais l’occasion de le visiter davantage. Ceux d’entre vous qui ont visité ces expositions (expo Blutch, expo Fabio Viscogliosi, expo Jochen Gerner et expo Etienne Lecroart) seront sans doute plus à même de voir de quoi je parle, mais j’espère que je ne perdrais pas trop en route ceux qui n’étaient pas à Angoulême ce week-end…

Art et BD : inutilité d’un débat
Avant de commencer, il me faut vous expliquer que je ne crois pas en l’utilité du débat qui voudrait prouver que la BD est un art classé parmi les Beaux Arts (le neuvième, donc). Un tel débat avait (peut-être ?) un sens il y a trente ou quarante ans, à une époque où la BD se cherchait à tout prix une reconnaissance. De nos jours, vouloir rattacher la BD à d’autres disciplines des Beaux Arts, c’est à la fois lui appliquer des critères qui n’ont pas été conçu pour elle et en plus contribuer, paradoxalement, à mépriser la bande dessinée en tant que bande dessinée, ayant son propre système de valeur et son propre système esthétique (voire même parfois, au vu des évolutions des vingt dernières années, dépassant toute tentative d’en définir les contours). La BD n’est pas un art ou, du moins, avant d’en être un, elle est de la BD, c’est-à-dire une forme d’expression littéraire par l’image qui a ses spécificités. Elle a donc peu à gagner de se faire appeler art si ce n’est pour deux choses ; l’une que je comprend très bien : dire « 9e art » au lieu de « bande dessinée » est une périphrase pratique qui évite de répéter cent fois une longue expression au moyen d’un mot idéalement court ; l’autre qui m’embarrasse : une récupération élitiste qui classerait les auteurs en « auteurs-artistes » et « auteurs non-artistes » selon des critères esthétiques qui sont ceux des beaux arts, la BD devenant alors fréquentable dès lors que des auteurs comme Bilal, Blutch, Pratt ou Mattoti se sont, dans leur parcours personnel, rapprochés de l’art.
Je retiens cette phrase située en exergue du numéro de la revue l’Eprouvette de l’Association (revue d’esthétique provocatrice sortie en 2006) : « La bande dessinée est un art en retard. Elle est un peu con la bande dessinée. Mais elle n’est pas morte, elle. ». Phrase accompagnée d’une frise chronologique portant trois lignes : « Peinture » « Littérature » et « Bande dessinée ». Les deux premières s’arrêtent au milieu du XXe siècle tandis que la troisième continue fièrement sa route jusqu’au XXIe. Une autre façon de dire que la BD a plus à perdre qu’à gagner d’une fusion dans les arts majeurs, notion qui n’a plus guère de valeurs.

Vous l’aurez compris, je ne crois pas que la BD ait un intérêt quelconque à se faire passer pour de l’art. Ce qui, à mes yeux, n’enlève rien aux dessinateurs qui se tournent vers les arts plastiques ou visuels. Bien au contraire, ce sont autant d’expérience qui permettent au 9e art (oui, l’expression est pratique, je l’admets…) de dialoguer avec une autre forme de la création, dans une vision non cloisonné de la culture, et d’aboutir à des parcours de dessinateurs intéressants à suivre ou à des oeuvres atypiques.
Cette longue introduction pour vous expliquer que mon propos porte sur la confusion que la série d’expositions que je citais plus haut amène entre BD et arts plastiques. Confusion à plusieurs niveaux : dans ces différentes expositions, art contemporain et bande dessinée ont (volontairement ?) été mêlées, non pas, je le pense, pour opposer d’un côté une BD-neuvième-art élitiste et de l’autre une BD-non-art populaire, mais au contraire pour montrer le dialogue fécond que la BD et l’art contemporain peuvent entretenir lorsque des créateurs se donnent la peine d’aller au-delà des clichés. Démonstration à travers trois exemples.

Expo Blutch, où l’on découvre comment un dessinateur de BD devient artiste contemporain par le miracle de l’accrochage…

L’exposition Blutch du FIBD, contrairement à l’exposition Dupuy et Berbérian (les présidents de l’année précédente), montrait des oeuvres du dessinateur qui ne sont pas des planches de BD (ou du moins pas uniquement) mais de simples dessins. Une idée qui m’a particulièrement plu dans la mesure où l’exposition des présidents de 2009 m’avait montré à quel point les planches de BD ne sont pas faites pour être accrochées à un mur dans une exposition pour recréer sur les parois de la salle l’album. Albums qui auraient gagné à être simplement mis à la libre disposition des visiteurs de l’exposition avec des coussins pour s’asseoir. La présentation de planches, mais si elles sont originales, entraînent trop souvent des bouchons incompatibles avec les exigences de circulation des visiteurs qui doivent régir une exposition. Donc, pour Blutch, pas ou peu de planches, mais de simples dessins affichés dans leur nudité, c’est-à-dire sans cartels indiquant leur date ou leur provenance, exposés là les uns à côté des autres. Un visiteur, certes un peu distrait, qui ignorerait qu’il se trouve dans une exposition de bande dessinée, pourrait se croire dans une galerie d’art contemporain et, s’il avait quelques connaissances en la matière, pourrait se pâmer devant les motifs surréalistes sous-jacents ou encore sur l’obsession de l’artiste pour le corps féminin.
On en arrive là à un point qui m’intéresse : dans cette exposition, Blutch passe du statut de « dessinateur de BD » à celui « d’artiste contemporain » par l’accrochage qui est donné de ses oeuvres, accrochage sobre sur un mur blanc qui, dans notre esprit fait écho à l’univers de l’art contemporain et des musées. Mais attention : Blutch ne cesse pas d’être dessinateur de bande dessinée parce qu’il devient artiste contemporain ! Ce passage de l’un à l’autre n’est ni à un sens unique, ni une promotion pour sa carrière. Carrière qui, au contraire, montre qu’il n’y a pas de dédoublement de personnalité chez Blutch avec des albums de BD « pour rigoler » et des dessins « sérieux » exposés dans de nobles cadres. Car il utilise ses obsessions esthétiques au sein de ses albums : ainsi dans Péplum (Cornélius, 1998), son trait est mis au service d’une véritable aventure. A l’inverse, Mitchum (Cornélius, réédition en un volume en 2005) part de la bande dessinée pour aboutir à un ensemble de dessins que l’on contemple plus qu’on ne lit.
Pour cette raison, l’exposition Blutch m’a plu dans la mesure où elle m’imposait sur le dessinateur que je connaissais jusque là par ses albums, un regard tout à fait nouveau qui éclairait autrement son travail.

Expo Viscogliosi, où une exposition d’art contemporain trouve sa place dans un festival de bande dessinée…

Juste à côté de l’exposition Blutch se trouvait l’exposition Fabio Viscogliosi, artiste dessinateur qui, était-il indiqué, avait été invité par Blutch. Quelques mots sur Viscogliosi : c’est un artiste polyvalent, pratiquant à la fois la musique, le dessin, mais aussi d’autres formes de création artistique. Il est publié par trois maisons d’éditions dont deux de bandes dessinée : le Seuil, l’Association et Cornélius (est récemment sorti le recueil Da Capo à l’Association). L’exposition donnée au FIBD, intitulée Bye bye mêlait justement allégrement les moyens d’expressions : on y trouvait aussi bien des sculptures en situation, des objets (une magnifique collection de faux « Que sais-je » !), des vidéos, de la musique et, évidemment, des dessins, certains uniques, d’autres formant des strips narratifs à la manière… d’une bande dessinée !
Résumons : nous avons donc un artiste en quelque sorte « reconnu » en tant qu’artiste contemporain mais qui est publié en France chez des éditeurs de bande dessinée, qui expose, dans un festival de bande dessinée, des oeuvres qui ne ressortent pas de la bande dessinée voire qui ont même assez peu de lien avec elle… Pire même, certaines des oeuvres exposées, comme la sculpture Chaise-cerf, l’avaient déjà été dans des galeries d’art… Un tel mélange des genres est suffisamment troublant pour me plaire : Fabio Viscogliosi a tout à fait sa place dans ce festival, il ouvre une fenêtre vers l’univers de l’art contemporain. Mieux encore, voir l’expo Viscogliosi avant l’expo Blutch m’a permis de mieux comprendre cette dernière et notamment les choix d’accrochages, comme si un dialogue se créait entre les deux artistes, pratiquant tous deux le dessin, mais dans des approches toutes différentes.

Expo Gerner, où la BD devient un matériau de travail pour un artiste…
J’aurais pû bifurquer dans ce périple angoumoisin par l’exposition Fabrice Neaud mais je dois avouer que je ne l’ai pas vu, par manque de temps. Mais il m’a semblé comprendre que cette exposition présentait là encore, comme dans le cas de Blutch, des oeuvres autres que des planches, et notamment des photographies prises par l’auteur. Je ne vais pas terminer avec Fabrice Neaud mais avec une autre exposition proposée dans le bâtiment Castro de la CIBDI : l’exposition Jochen Gerner (mais si, souvenez-vous, les curieux : l’exposition indiquée nulle part, au dernier étage du bâtiment, en haut des escaliers que l’on pouvait atteindre si l’on bataillait contre la foule d’enfants venus voir l’exposition Léonard au rez-de-chaussée !). Là encore, un petit point sur Jochen Gerner : tout comme Viscogliosi, sa carrière dépasse la limite entre art et bande dessinée. Il fait ses premières armes au sein de l’OuBaPo et développe son goût pour l’expérimentation graphique. Il porusuit ensuite une importante carrière d’illustrateur, jeunesse ou adulte. Puis, à partir des années 2000, il prend une nouvelle voie en tant qu’artiste contemporain travaillant essentiellement à partir de la bande dessinée. Artiste contemporain car il vend des oeuvres dans les Foires d’Art Contemporain et expose dans des galleries voire des musées. Dans le même temps, il publie de nombreux albums à l’Association (hé oui, encore…).
Ses oeuvres, dont un grand nombre étaient exposées dans cette exposition, ont comme matériau de base la bande dessinée : ainsi une de ses plus connues est TNT en Amérique, qui utilise des albums anciens de Tintin en Amérique d’Hergé pour en noircir les dessins et ne laisser que certaines bulles, laissant ainsi apparaître une vision violente de l’Amérique, invisible dans l’album initial. D’autres oeuvres de Gerner ont comme base la bande dessinée, non pas seulement comme sujet (comme Roy Lichtenstein dans les années 1960) mais comme matériau. Là aussi, dans l’autre sens, certains de ses albums sont des réflexions dessinées sur l’image et la bande dessinée : je pense particulièrement à Contre la bande dessinée (L’Association, 2008) qui met en images, sous forme de symboles minimalistes, des lieux communs entendus sur la bande dessinée. On a souvent dit et écrit que l’oeuvre de Gerner participait à la reconnaissance artistique de la bande dessinée ; en réalité elle mêle étroitement les deux, si bien qu’il devient inutile de distinguer l’une de l’autre.
L’exposition Gerner, dois-je ajouter, était mise en parallèle avec l’exposition Etienne Lecroart, consacrée à un autre grand expérimentateur de l’OuBaPo, connu pour des albums qui sont des jeux sur la bande dessinée et sur ses codes. Comme dans le cas de Blutch et Viscogliosi, le parallèle Gerner/Lecroart brouillait les pistes en rapprochant deux dessinateurs au travail très proche mais présent l’un dans le monde de l’art contemporain, l’autre dans le monde de la bande dessinée. Je ne peux m’empêcher de croire que les expositions présentées lors de cette édition du festival étaient précisément préparée, avec pour but de s’ouvrir à d’autres formes d’arts plastiques et de présenter toute la diversité de la bande dessinée, puisque, dans le même temps, deux classiques de la bande dessinée d’humour belge pour la jeunesse (ou pas seulement, d’ailleurs…), au succès ininterrompu depuis les années 1970, Les Tuniques bleues et Léonard étaient tout autant mis à l’honneur. Peut-être est-cela qui m’a plu par rapport aux expositions de l’année précédente : une plus grande cohérence dans les thèmes et les choix qui permettait, au final, d’établir des rapports entre les auteurs exposés.

Palmarès du festival d’Angoulême 2010

En direct du théâtre d’Angoulême, le falvarès de la 37e édition :

– Fauve d’or (meilleur album) : Pascal Brutal 3 – Plus fort que les plus forts (Riad Sattouf)
– Grand prix : Baru
– Prix du public : Paul à Québec (M. Rabagliati)

Autres prix : L’Esprit perdu (G. de Bonneval et M. Bonhomme), Rosalie Blum (Camille Jourdy), Dungeon Quest 1 (Joe Daly), Rébétiko (David Prudhomme), Jerome K. Jerome Bloche 21 – Déni de fuite (Dodier), Alpha…directions (Jens Harder)

L’exposition Astérix au Musée de Cluny aurait-elle pu ne pas être nulle ?

Pour répondre à l’article de notre amie Syracuse Cat sur l’exposition Astérix au Musée de Cluny, j’avais pensé laisser un bête commentaire. Mais finalement c’est assez long pour faire une note de blog.
Inutile de reprendre les critiques que Syracuse Cat adresse à l’exposition, elles sont toutes très pertinentes. Même si je n’ai pas vraiment été dérangé par la mauvaise adaptation de l’exposition à l’espace gallo-romain qui lui était proposé, l’essentiel reste vrai : cette expo est nulle. Voir des planches originales d’Astérix n’est pas franchement passionnant, pour tout dire c’est juste bon à donner envie de relire les albums et on n’avait pas besoin de ça. Les seules pièces vraiment intéressantes, ce sont les notes préparatoires de Goscinny et les tapuscrits des scénarios.
Mais pourquoi diable cette expo est-elle si ratée ? Au fond, c’est exactement la question que l’on se posait à propos du dernier album d’Astérix, Le ciel lui tombe sur la tête [1] : mais pourquoi était-il aussi mauvais ? Comment une telle nullité a-t-elle pu passer l’étape de la relecture par l’éditeur ? Un ami qui s’y connaît un peu a répondu à cette question de manière fort intelligente : « Il n’y a pas de relecture. Albert Uderzo est son propre éditeur ». C’est tout le problème de l’édition à compte d’auteur, problème qui généralement reste cantonné aux mauvais recueils de poèmes, et qui est sans doute à l’origine de cette désastreuse exposition. D’après des renseignements collectés auprès d’un camarade infiltré à l’ARMMA [2], le Musée de Cluny et ses conservateurs n’ont pas eu leur mot à dire pour tout ce qui concerne la conception de l’exposition et sa réalisation scientifique, le Musée de Cluny se contente d’accueillir l’exposition dans ses murs. Notons que l’allusion à l’exposition sur le site du musée est plus que discrète et que la description qui y est attachée évite admirablement de tomber dans la publicité mensongère. Nul doute que si l’exposition avait été réalisée par les mêmes personnes qui avaient conçu l’exposition de l’an dernier sur Celtes et Scandinaves, Syracuse Cat et moi aurions été comblés.
Parce que faire une exposition culturelle et historique sur Astérix, c’est quand même une excellente idée qu’il est dommage d’avoir laissé gâcher par un auteur-éditeur incompétent. Qu’aurait-on pu faire à la place ? Pour commencer, il aurait été  envisageable d’étendre à l’ensemble de l’exposition ce qui a été fait sur les panneaux que les passants peuvent voir sur les grilles du musée côté boulevard Saint-Michel : mettre en évidence les références érudites discrètes qui parsèment l’oeuvre d’Astérix et les expliquer au profane. Ont en effet été installés, comme accroche à l’exposition, plusieurs grands panneaux mettant en regard une case d’Astérix et la peinture dont elle est le calque (Le Radeau de la Méduse de Théodore Géricault, le Portrait de Louis XIV par Hyacinthe Rigaud ainsi que deux ou trois autres). Les lecteurs adultes reconnaîtront sans doute que c’est la grande richesse d’Astérix de pouvoir être lu à plusieurs niveaux : quand on est tout petit, on apprécie les aventures exotiques, les batailles de poissons des villageois et les échecs à répétition des légionnaires romains. Un peu plus grand, on s’amuse de comprendre les significations des noms (Bonemine et Panoramix ça va, Déboitemenduménix c’est plus subtil).  Et pour le reste de sa vie, chaque fois qu’on relit un album, on comprend de nouvelles allusions (« sans commentaires » dans la bouche de Jules César, le Corse parlant de « sa grande armée », etc.). Une exposition permettant au visiteur de comprendre un peu mieux l’esprit et l’intérêt des aventures d’Astérix le Gaulois, ce serait quand même plus appréciable que quelques planches encrées alignées dans un bungalow.
Ce serait aussi rappeler utilement que la bande dessinée franco-belge de la seconde moitié du XXe siècle a souvent été faite par des gens cultivés et érudits à destination d’un public adulte autant qu’enfantin (l’exposition dit que Goscinny n’a jamais appris le latin, j’ai beaucoup de doutes là-dessus). Il peut paraître d’un autre âge de vouloir défendre aujourd’hui ce genre de reconnaissance mais ceux pour qui la bande dessinée est cantonnée au domaine du livre pour enfants sont encore puissants dans nos contrées. Un exemple : la Bibliothèque nationale de France a supprimé en septembre dernier l’excellent rayon de sa Bibliothèque d’étude consacré à la bande dessinée et à la recherche sur le sujet et ne l’a remplacé que par un rayon de la nouvelle section sur le livre pour enfant (exit Marjane Satrapi, exit Bilal, exit Ruppert et Mulot…).
Bref, si quelqu’un a l’idée de faire une vraie bonne exposition sur Astérix, il me semble qu’il reste plein de choses à  dire et à écrire (d’ailleurs Phylacterium attend un article d’Emmanuel T. sur la question).

1. Le ciel lui tombe sur la tête, Albert René, Paris, 2005

2. Association pour le Rayonnement du Musée national du Moyen Âge.

Bulles à Saint-Malo

J’étais ce samedi au festival Quai des Bulles de Saint-Malo, l’un des principaux festivals de bande dessinée en France, rendez-vous que je manque rarement à cause de mes attaches avec la terre bretonne. Et l’idée m’est venue de faire un petit compte-rendu de cette journée (le festival était sur trois jours, mais mon emploi du temps ne m’a permis d’en profiter le seul samedi) tout en portant un point de vue critique sur la notion de festival de bande dessinée.
Car le « festival » est devenu, depuis maintenant vingt ans, le format traditionnel d’exposition au public, à grande échelle, du medium bande dessinée. Un festival de bande dessinée se veut une vitrine célébrant le neuvième art dans ses dimensions les plus diverses, qu’elles soient commerciales (car la BD est une industrie) et esthétique (car c’est aussi un art). Personnellement, j’éprouve toujours quelques réticences face à l’unanimisme de ce type d’évènement. Les organisateurs font des choix, et ces choix reflètent une vision de la bande dessinée. Je vais donc traquer les « visions de la bande dessinée » que j’ai pu trouver dans ma courte visite à Saint-Malo.

D’Angoulême à Saint-Malo
Ce sont là les deux festivals dont je suis coutumier. Ils font partie d’un vaste de réseau de festivals de BD que l’on trouve en France. Ce réseau s’est formé dans les années 1980 et 1990 à partir de l’exemple de l’aîné, le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, crée en 1974. Le FIBDI s’est rapidement imposé comme la manifestation principale ; d’abord à cause de son ancienneté, mais surtout parce qu’il a su attirer dès le départ des personnalités internationales de la BD : Hugo Pratt, qui dessine la première affiche, Burne Hogarth, Alain Saint-Ogan, Maurice Tillieux, Harvey Kurtzmann, Hergé et André Franquin notamment. Sa longévité s’explique pour deux raisons : une capacité à sortir de la simple évocation nostalgique en s’intéressant aux tendances actuelles et internationales ; un renforcement par la transformation d’Angoulême en une véritable ville de la BD : mise en place, à l’Ecole des Beaux-Arts, d’une section spéciale BD en 1982 et création du Centre National de la BD entre 1985 et 1990, avec une bibliothèque destinée à recevoir le dépôt légal des BD en association avec la BnF. Puis, les autres festivals sont venus progressivement : à Saint-Malo en 1981, à Blois en 1984, à Solliès en 1989, à Amiens en 1996, à Moulins en 2001… Et je n’en cite là que quelques uns. Les caractéristiques principales du réseau sont sa décentralisation et l’importance des structures associatives de passionnées qui en sont le plus souvent à l’origine. Il est intéressant de voir que dans un pays comme la France, marqué par une forte centralisation des activités culturelles autour de Paris, la BD fasse exception : nul festival international de BD à Paris, alors qu’Angoulême et Saint-Malo attirent des visiteurs ne venant pas uniquement de Charentes et de Bretagne. On trouvera plutôt dans la capitale des festivals plus spécifiques comme la Japan Expo, le festival BD Rock et le Festiblog. Le secteur culturel de la bande dessinée est de cette manière utilisée pour donner un élan à des villes de moindre taille. La passion de la BD s’étend ainsi sur toute la France, et il est possible que la multiplication et l’audience de ces festivals ont, dans les années 1980 et 1990, contribué à accélérer l’engouement pour le médium.

Angoulême et Saint-Malo sont deux lieux de la BD qui se répondent sur de nombreux plans. Si le FIBD, de par son rayonnement international et son audience (il affirme environ 200 000 visiteurs par an), se situe bien au dessus de Quai des Bulles, ce dernier demeure l’un des principaux festivals de BD parmi les « autres ». Il est bien souvent cité comme le « deuxième » festival de BD avec près de 30 000 visiteurs (pour comparaison, Bd Boum de Blois annonce 20 000, Festi’BD de Moulins 8 000, On a marché sur la bulle d’Amiens 6 000…). Indéniablement, aux hautes murailles surplombant la vallée de la Charente répondent les fortifications massives donnant sur la mer. Saint-Malo bénéficie en outre d’un autre festival important dédié à la littérature d’aventure et de voyage, Etonnants voyageurs, crée par l’écrivain Michel Le Bris en 1992 (lui à près de 60 000 visiteurs).

Un modèle unique ?
Paradoxalement, le grand nombre de festivals en France n’est pas forcément synonyme de diversité. Bien au contraire, avec Angoulême s’est crée un modèle canonique du festival de Bd qui a été ensuite reproduit selon les moyens de chaque organisation. La comparaison entre Angoulême et Saint-Malo m’a semblé frappante : les deux structures sont identiques, sans que je ne puisse affirmer qui a copié l’autre. Deux axes principaux les parcourent : d’une part une dimension commerciale et d’autre part une dimension pédagogique. Autour de ces deux axes se greffent quelques autres activités annexes. A Saint-Malo cette distinction entre commerce et pédagogie est clair : les exposants se trouvent dans une vaste tente, l’espace Duguay-Trouin, tandis que le vaste espace culturel appelé Palais du Grand Large accueille les diverses activités. Une même séparation existe à Angoulême.
La dimension commerciale est de loin celle qui m’intéresse le moins. Pourtant, elle est souvent la base d’un festival de BD, pour des raisons, on le comprendra, purement financières. La ville se transforme l’espace d’un week-end en un vaste marché de la BD avec ses exposants, ses auteurs en dédicaces et ses sorties en avant-première. Les stands soulignent bien souvent la hiérarchie entre les différentes structures éditoriales. Ainsi, si les « grands », Glénat, Soleil, Dargaud, Dupuis, Le Lombard, Delcourt, disposent de vastes espaces et mènent à la baguette les dédicaces au moyen de tirage au sort, de tickets limités, et d’obligation d’achats, les petits et moyens éditeurs ont des stands bien plus modestes et s’associent parfois sur un même espace. La dimension commerciale est le moteur du festival, puisque la plupart des visiteurs viennent pour des dédicaces et des achats, comme à un salon de l’auto. Les stands de libraires et d’éditeurs constituent dans le moindre festival de BD l’unité centrale.
A côté de cela, pour équilibrer la balance et rappeler que la BD n’est pas qu’une industrie, les festivals de Bd se sont dôtés d’espaces pédagogiques dont le but premier est de faire découvrir au public des auteurs, des éditeurs, des albums, un pays ou un thème… Plusieurs modalités sont choisies : les expositions et les rencontres/conférences étant les plus courantes ; plus rarement trouve-t-on de véritables débats. Angoulême disposent de moyens pour organiser ce type d’évènement permettant d’aller au-delà de la dimension commerciale : le CNBDI, actuellement Cité de la Bande Dessinée, est une structure ancienne et solide. L’édition 1999 du festival avait été l’occasion d’organiser un débat sur les cinquante ans de la loi de 1949, débats réunissant des historiens de la Bd et ayant donné lieu à un ouvrage de référence sur le sujet, On tue à chaque page. Mais si le FIBD peut se permettre de tels évènements, les autres festivals, en des lieux plus modestes qui ne sont pas capitales de la BD, se limitent à des expos et à quelques conférences.

On pourrait enfin citer d’autres activités étoffant encore le contenu. Elles sont toutes présentes à Angoulême et éventuellement dans les autres festivals. Je passe rapidement sur les rencontres po-amateurs qui permettent à de jeunes auteurs de présenter des projets au représentant d’un éditeur, sur les concours « jeunes talents » qui se sont multipliés ces dernières années (à Angoulême, Saint-Malo, Moulins…) et sur les ateliers professionnels ; tous ces exemples d’adressent au public plus restreint des dessinateurs amateurs. Je passe aussi sur l’incontournable remise de prix permettant d’intégrer, au-delà de la relation éditoriale, des auteurs au fonctionnement du festival, puisque dans le cas du FIBD, le Grand Prix devient l’organisateur du prochain festival, tandis que le Grand Prix de Quai des Bulles doit réaliser l’affiche de l’année suivante. La remise de prix se veut ainsi un point culminant de l’évènement auprès du public, une manière de créer un rythme et un suspens.
Ce qui m’intéresse surtout, c’est la manière dont ces festivals tentent d’intégrer la bande dessinée à d’autres domaines culturels, pour mimer durant un week-end une sorte de monde de la culture qui tournerait autour de la BD. Deux exemples, tirés du FIBD et de Quai des Bulles.
D’abord l’intégration de la BD au sein d’un univers de l’image, en intégrant des projections cinématographiques au festival. Le dernier FIBD présentait plusieurs longs-métrages d’animation en avant première : Brendan et le secret de Kells, le sens de la vie pour 9,99 euros, Ponyo sur la falaise, Bleach… Quai des Bulles passe tous les ans une demi-douzaine de films sur un thème (cette année : les monstres), en ne se limitant pas aux films d’animation.
En 2005, la programmation du FIBD présente pour la première fois un « concert de dessins ». Une performance scénique durant laquelle un dessinateur dessine en direct, accompagné par un musicien. L’idée d’allier spectacle musical ou théatral et BD est devenu un incontournable des festivals de BD, là aussi selon les moyens de l’organisation. A Angoulême, les spectacles de ce type se sont multipliés : l’idée du concert de dessins est resté (l’année dernière avec comme vedettes Brigitte Fontaine, Arno, Arthur H et Rodolphe Burger) et s’y est ajouté l’impro BD (match d’improvisation théâtrale et de dessin). A Saint-Malo a eu lieu cette année un un ciné-Bd-Concert dans le même espri : un album de Bézian, Garde-fous était projeté sur un écran au son du groupe Sayag Jazz Machine. En proposant des activités qui ne sont pas liées au seul univers de la BD, les festivals espèrent sans doute attirer un autre public, le faire venir à la fois au festival, et peut-être à la BD.

La BD, c’est bien

Voilà pour une présentation de l’état actuel des festivals de BD, marqué par le tropisme du festival d’Angoulême. Beaucoup de festivals, au revenu plus modestes, restent fidèles à la formule dédicaces/expositions/remise de prix. Au contraire, Saint-Malo et Angoulême, à travers la diversification du champ culturel de la BD qu’ils proposent tous les deux, se rapprochent.

La meilleure définition d’un festival de BD tel qu’il se présente actuellement est la notion de « célébration ». Le mot d’ordre est que, sans hésitation, la BD c’est bien. C’est là ce que je regrette parfois, à Saint-Malo comme à Angoulême : l’absence d’un esprit critique, d’un recul vis à vis de ce qu’on célèbre. Le FIBD a bâti son succès sur cet unanimisme qui gomme les frictions pouvant exister au sein du monde de la BD, du moins est-ce là ce que je ressens chaque fois que je me rends, fin janvier, dans la capitale de la BD. Et l’impression m’est revenue à Saint-Malo en me baladant entre les expositions.
Ainsi citerai-je l’exposition organisée pour les cinquante ans d’Astérix, consacrée au dessinateur Albert Uderzo. Uderzo y est dépeint comme un « immense artiste », au talent précoce, « totalement autodidacte », « artiste complet », capable d’absolument tout graphiquement parlant. Et l’exposition de faire une bonne publicité aux marques de figurines d’Astérix (Plastoy, Leblon et Delienne…). Même chose pour l’exposition consacré au quarante ans de l’éditeur Glénat, exposition réalisée par Henri Filipinni (qui se trouve être directeur de collection chez Glénat, justement). Là encore, les bienfaits que Jacques Glénat a répandu dans le monde de la BD sont soulignés : réédition de vieux classiques dans les années 1970, revalorisation de la bd d’aventure dans les années 1980, introduction avant tout le monde du manga dans les années 1990, ainsi que renouvellement de la presse jeunesse avec Tchô !. Ce qui m’a rappelé l’exposition consacrée aux deux organisateurs du FIBD 2009, Dupuy et Berberian, composée principalement de planches de leurs albums, davantage présentation du travail des deux auteurs qu’analyse critique et raisonnée de leur production.
Je m’opposerais à moi-même deux objections. D’abord rien n’oblige une exposition à être forcément être intelligente ; elle peut très bien se contenter d’être laudative et promotionnelle. A cet égard, l’expo Glénat de Saint-Malo tentait de trouver l’équilibre entre une dimension hagiographique et une volonté pédagogique ; et, de fait, j’ai beaucoup appris sur Glénat en sachant lire entre les lignes. Et puis surtout, je ne doute pas de la place qu’occupe Jacques Glénat, Albert Uderzo, Dupuy et Berberian, dans l’histoire de la BD. Mais leur parcours n’est pas tout blanc, et je suis très sceptique, par exemple, face aux derniers albums d’Astérix réalisés par Uderzo seul, ou face à la multiplication des séries trop souvent identiques de « bd ésotériques » chez Glénat. Je reprocherai d’une façon générale la vision par trop subjective proposée par les expositions des festivals de BD, comme si le contexte de célébration du médium faisait taire les voix critiques et les réserves pouvant s’élever. Je me souviens bien de l’exposition sur la BD en Argentine lors du FIBD 2008 : là, j’avais vraiment eu la sensation d’apprendre quelque chose et pas seulement d’assister à une parade promotionnelle. A trop vouloir promouvoir un média qui a longtemps été déconsidéré, on en gomme les aspérités et on oublie d’en proposer une vision alternative, moins consensuelle.

Heureusement, pour me consoler, il y a eu lors de Quai des Bulles une excellente conférence du dessinateur Joe G. Pinelli présentant sa future adaptation (très future, puisqu’il n’a pas encore d’éditeur) du film de Carlo Rim L’armoire volante et analysant en détail le dialogue qui s’établissait entre deux langages de l’images, le langage du cinéma et le langage de la BD, et les limites et possibilités du second par rapport au premier. J’ai eu là la sensation qu’on me parlait de BD de façon intelligente, et qu’on ne me traitait pas forcément comme un consommateur venu faire ses emplettes.