L’exposition Astérix au Musée de Cluny aurait-elle pu ne pas être nulle ?

Pour répondre à l’article de notre amie Syracuse Cat sur l’exposition Astérix au Musée de Cluny, j’avais pensé laisser un bête commentaire. Mais finalement c’est assez long pour faire une note de blog.
Inutile de reprendre les critiques que Syracuse Cat adresse à l’exposition, elles sont toutes très pertinentes. Même si je n’ai pas vraiment été dérangé par la mauvaise adaptation de l’exposition à l’espace gallo-romain qui lui était proposé, l’essentiel reste vrai : cette expo est nulle. Voir des planches originales d’Astérix n’est pas franchement passionnant, pour tout dire c’est juste bon à donner envie de relire les albums et on n’avait pas besoin de ça. Les seules pièces vraiment intéressantes, ce sont les notes préparatoires de Goscinny et les tapuscrits des scénarios.
Mais pourquoi diable cette expo est-elle si ratée ? Au fond, c’est exactement la question que l’on se posait à propos du dernier album d’Astérix, Le ciel lui tombe sur la tête [1] : mais pourquoi était-il aussi mauvais ? Comment une telle nullité a-t-elle pu passer l’étape de la relecture par l’éditeur ? Un ami qui s’y connaît un peu a répondu à cette question de manière fort intelligente : « Il n’y a pas de relecture. Albert Uderzo est son propre éditeur ». C’est tout le problème de l’édition à compte d’auteur, problème qui généralement reste cantonné aux mauvais recueils de poèmes, et qui est sans doute à l’origine de cette désastreuse exposition. D’après des renseignements collectés auprès d’un camarade infiltré à l’ARMMA [2], le Musée de Cluny et ses conservateurs n’ont pas eu leur mot à dire pour tout ce qui concerne la conception de l’exposition et sa réalisation scientifique, le Musée de Cluny se contente d’accueillir l’exposition dans ses murs. Notons que l’allusion à l’exposition sur le site du musée est plus que discrète et que la description qui y est attachée évite admirablement de tomber dans la publicité mensongère. Nul doute que si l’exposition avait été réalisée par les mêmes personnes qui avaient conçu l’exposition de l’an dernier sur Celtes et Scandinaves, Syracuse Cat et moi aurions été comblés.
Parce que faire une exposition culturelle et historique sur Astérix, c’est quand même une excellente idée qu’il est dommage d’avoir laissé gâcher par un auteur-éditeur incompétent. Qu’aurait-on pu faire à la place ? Pour commencer, il aurait été  envisageable d’étendre à l’ensemble de l’exposition ce qui a été fait sur les panneaux que les passants peuvent voir sur les grilles du musée côté boulevard Saint-Michel : mettre en évidence les références érudites discrètes qui parsèment l’oeuvre d’Astérix et les expliquer au profane. Ont en effet été installés, comme accroche à l’exposition, plusieurs grands panneaux mettant en regard une case d’Astérix et la peinture dont elle est le calque (Le Radeau de la Méduse de Théodore Géricault, le Portrait de Louis XIV par Hyacinthe Rigaud ainsi que deux ou trois autres). Les lecteurs adultes reconnaîtront sans doute que c’est la grande richesse d’Astérix de pouvoir être lu à plusieurs niveaux : quand on est tout petit, on apprécie les aventures exotiques, les batailles de poissons des villageois et les échecs à répétition des légionnaires romains. Un peu plus grand, on s’amuse de comprendre les significations des noms (Bonemine et Panoramix ça va, Déboitemenduménix c’est plus subtil).  Et pour le reste de sa vie, chaque fois qu’on relit un album, on comprend de nouvelles allusions (« sans commentaires » dans la bouche de Jules César, le Corse parlant de « sa grande armée », etc.). Une exposition permettant au visiteur de comprendre un peu mieux l’esprit et l’intérêt des aventures d’Astérix le Gaulois, ce serait quand même plus appréciable que quelques planches encrées alignées dans un bungalow.
Ce serait aussi rappeler utilement que la bande dessinée franco-belge de la seconde moitié du XXe siècle a souvent été faite par des gens cultivés et érudits à destination d’un public adulte autant qu’enfantin (l’exposition dit que Goscinny n’a jamais appris le latin, j’ai beaucoup de doutes là-dessus). Il peut paraître d’un autre âge de vouloir défendre aujourd’hui ce genre de reconnaissance mais ceux pour qui la bande dessinée est cantonnée au domaine du livre pour enfants sont encore puissants dans nos contrées. Un exemple : la Bibliothèque nationale de France a supprimé en septembre dernier l’excellent rayon de sa Bibliothèque d’étude consacré à la bande dessinée et à la recherche sur le sujet et ne l’a remplacé que par un rayon de la nouvelle section sur le livre pour enfant (exit Marjane Satrapi, exit Bilal, exit Ruppert et Mulot…).
Bref, si quelqu’un a l’idée de faire une vraie bonne exposition sur Astérix, il me semble qu’il reste plein de choses à  dire et à écrire (d’ailleurs Phylacterium attend un article d’Emmanuel T. sur la question).

1. Le ciel lui tombe sur la tête, Albert René, Paris, 2005

2. Association pour le Rayonnement du Musée national du Moyen Âge.

Une réflexion au sujet de « L’exposition Astérix au Musée de Cluny aurait-elle pu ne pas être nulle ? »

  1. L'infiltré

    Je ne peux que suivre l’avisé jugement de Phylacterium sur cette exposition. J’ajoute que le but premier de cette manifestation est de faire venir un public qui ne serait pas venu, pense-t-on, de lui-même jusqu’à Cluny, ce dont je doute (le musée a connu une affluence record pour la nuit blanche delanoësque au début du mois). La qualité médiocre de celle-ci est fâcheuse, mais assez prévisible finalement. L’affaire semble être un succès, si l’on en croit la queue des badauds aux caisses du musée, au moment où nous avons quitté l’établissement.
    Une dernière précision, il s’agit de l’ARMMA, et non de l’AARMA…

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  2. Lien Rag

    Mmm, bien joué l’explication du « pourquoi les nouveaux Asterix sont-ils si mauvais.

    J’ai fait l’exposition Celtes et Scandinaves de Cluny, et en effet elle était très didactique est assez intéressante – bien que très portée sur la religion, pas un sujet hyper fendard à la base. En tous cas les pièces exposées étaient superbes. C’est triste de se retrouver avec une expo aussi pauvre ensuite…

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  3. Mr Petch

    (ô joie, tu as publié un article ! Et un bon article, de sucroit ! Le ciel en soit loué !)

    Du coup, à te lire, mon envie d’aller voir cette expo a beaucoup baissé. De même que mon estime, déjà peu élevé, de la gestion des droits d’Astérix par Uderzo. J’irais peut-être par acquis de conscience…

    Là où je ne te rejoins pas, c’est sur l’érudition d’Astérix. Cette érudition de Goscinny, c’est une érudition de potache, apprise dans les livres d’école, ultra-shématique. Et je crois Goscinny quand il dit qu’il ne connaît du latin que les pages roses du petit Larousse.

    Mr Petch

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  4. La petite tulipe rouge

    En parlant d’exposition de qualité sur Astérix, rappelons celle qu’avait faite feu le Musée national des arts et traditions populaires : « Ils sont fous d’Astérix » qui avait donné lieu à de vraies journées d’études, et des publications fouillées et scientifiques…

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  5. Syracuse Cat

    Merci pour cette longue réponse, je n’ai pas grand chose à ajouter, à vrai dire – je me suis déjà pas mal exprimée sur le sujet. Je tenais cependant à préciser que je savais que le musée de Cluny n’était pas responsable de cet événement, mais relégué au simple rôle de lieu d’accueil ; ma source m’avait recommandé la discrétion à ce sujet : visiblement, c’est de notoriété publique, et, quelque part, c’est tant mieux.

    Sinon, je suis plutôt d’accord avec Mr Petch, je pense que l’érudition présente dans l’œuvre de Goscinny ne résulte pas d’une formation aux lettres classiques, mais d’un fond de souvenir d’école primaire, de culture générale et de renseignements pris aux bons endroits pour les besoins de chaque aventure de nos braves guerriers gaulois..

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  6. Antoine Torrens

    Bon, je suppose que vous avez raison et que parler d’érudition est peut-être un peu fort. Je persiste cependant à penser que pour de la culture générale c’est assez exceptionnel et qu’aujourd’hui on aurait tendance à appeler ça de l’érudition. Je dois être trop impressionnable.

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