Parcours de blogueur : James

Blogueur bd des premières heures, James ouvre en 2005 Ottoprod avec son complice La tête X. En mars 2010, le blog est toujours intact et actif et, en cinq ans, James a déjà publié sept albums chez des éditeurs aussi différents que Six pieds sous terre, La pastèque, Futuropolis et Dargaud. Après ça, peut-on encore dire que l’autoédition sur internet n’est pas un moyen comme un autre de se faire sa place dans le milieu de la bande dessinée ?

Un blogbd sur la BD


Lorsqu’il commence son blog Ottoprod (http://ottoprod.over-blog.com/) en 2005, James n’est pas dessinateur professionnel et, après des études de commerce, travaille dans une entreprise. Accompagné du mystérieux La tête X, il affirme tout de suite l’ambiance et le thème de son blog : les tentatives infructueuses de deux jeunes dessinateurs pour pénétrer le monde de la bande dessinée. Et bien sûr, les frustrations aigries qui en découlent et qui font tout le piment du blog Ottoprod qui se veut une critique acerbe des acteurs de la bande dessinée. Tous les clichés de la bande dessinée y passe : les terribles chasseurs de dédicaces, le copinage, la guerre entre édition indépendante et édition grand public, l’indigence de la critique de bande dessinée… C’est à une sorte de jeu de massacre que se livre James dans des strips réguliers en noir et blanc. Bien sûr, Ottoprod, à la façon d’un roman à clef, s’adresse à un lectorat capable d’identifier qui est visé par les humeurs de James ; on ne peut nier l’aspect « private joke » du blog qui récèle pourtant quelques perles sympathiques. Il en profite aussi pour rendre hommage à Lewis Trondheim qui est justement un des auteurs à utiliser, comme James, des personnages animaliers, dans Les aventures de la super idée. Ce sont aussi parfois les fans qui en prennent pour leur grade dans Le chaînon manquant, ou encore les critiques avec Les formidables aventures de Gilou et Didou, inspiré, je le soupçonne, de personnes réelles…
Beaucoup de blogueurs bd s’incarnent sur leur blog et James rejoint le camp de ceux qui se sont trouvés un avatar animalier, à l’instar de Wandrille ou encore de Manu-xyz. Comme ce dernier, James est un ours, mais plutôt blanc que brun, arborant généralement le même tee-shirt. Le « personnage » que nous propose James est-il le reflet de sa pensée ? James-auteur peut-il être aussi cynique ou mesquin ou le blog sert-il juste de défouloir grandeur nature ? Nul ne saura jamais, et cela a bien peu d’importance.

Il est toujours plus facile de critiquer…


Un blog dont le succès est bâti sur une critique du monde de la bande dessinée risquait assez difficilement, peut-on penser, d’apporter gloire et publication à son auteur. Mais paradoxalement, de nombreuses portes se sont ouverts à James qui peut se vanter d’être publié chez un grand nombre d’éditeurs différents et de faire preuve, depuis cinq ans, d’une grande productivité. Les leçons du blog lui ont sans doute servi car il sait s’adapter à chaque éditeur…
Il faut signaler avant tout une première expérience de publication : James est présent dans le premier numéro de l’Eprouvette de l’Association dirigé par J-C Menu. Il se joint à d’autres dessinateurs pour quelques dessins sur le thème du chasseur de dédicaces. Rappelons que L’Eprouvette se veut justement une revue théorique sur la bande dessinée, mais aussi une revue fortement critique sur le monde de la bande dessinée. C’est tout naturellement que James y trouve sa place.
Mais comme la plupart des blogueurs bd, James commence en faisant publier une partie de son blog dans un album intitulé Comme un lundi. Soyons exact : Comme un lundi, édité en novembre 2006 par Six pieds sous terre, reprend quelques notes de blog et James en dessine de nombreuses autres pour créer une compilation de récits courts, muets, et en noir et blanc. C’est donc d’abord sous le signe de l’épure et de l’édition indépendante que James commence sa carrière. Six pieds sous terre fait justement partie des quelques maisons d’éditions indépendantes fondées dans les années 1990 et encore debout au XXIe siècle. Elle a notamment contribué à faire connaître des auteurs comme Guillaume Bouzard et Pierre Duba et édite la série Le Poulpe, inspirée de la série de romans noirs du même nom et dessiné par un auteur diférent à chaque album. Un pilier de l’édition indépendante. Depuis 2007, Six pieds sous terre a relancé sa revue Jade à laquelle James va être amené à collaborer et pour laquelle il va dessiner quelques planches toujours sur le thème du monde de la bande dessinée. Et c’est toujours Six pieds sous terre qui, en mars 2007, édite un second recueil de notes du blog intitulé cette fois plus directement Les mauvaises humeurs de James et la tête X. Quant à Comme un lundi, il a été réédité dans un nouveau format à l’hiver 2009.
On pourrait imaginer, avec de premières marques prises au sein de l’édition indépendante, que James allait y rester. Ce n’est pas le cas, car il sait se diversifier. En 2008, il commence Dans mon open space, une série humoristique sur le monde de l’entreprise dans lequel il reprend son personnage de James, mais dont le héros est Hubert, un jeune stagiaire. On peut véritablement parler d’évolution après la sobriété de Comme un lundi : James s’astreint cette fois au rythme du gag par planche et à un humour nécessairement rapide et efficace. Un album chez Dargaud pour toucher un plus large public ; il y est accueilli au sein de la célèbre collection Poisson Pilote créée en 2000 par Guy Vidal et où ont été édité des albums emblématiques du passage de quelques auteurs de la petite à la grande édition : Les aventures de Lapinot de Lewis Trondheim, Le chat du rabbin de Joann Sfar et Le retour à la terre de Manu Larcenet, entre autres grands auteurs. Une collection qui se donne aussi pour but de faire débuter de jeunes auteurs dans le registre de l’humour, non sans une certaine exigence de qualité. Dans mon open space en est à son deuxième tome, signe, je l’espère, de son succès. Il a permis à James de livrer pour le très sérieux magazine économique Challenges des strips d’actualité.

La suite du parcours de James conserve ce partage entre grand édition et édition indépendante. Il publie en octobre 2008 Un week-end entre parenthèses au Potager Moderne, album-commande d’une association de libraires nancéens réalisée lors d’un salon du livre. Cette même année 2008, il coscénarise Zzzwük, celui qui ressemble à un lapin chez Carabas, avec Boris Mirroir (qui se cache derrière la tête X!), et revient ainsi à un humour plus fin et délicieusement décalé racontant les désopilantes aventures d’une étrange créature à grandes oreilles. Enfin, 2009-2010 est marqué pour James par deux projets. D’une part la parution, chez Futuropolis, de …à la folie, album qu’il dessine sur un scénario de Sylvain Ricard. D’autre part, toujours avec Boris Mirroir, il prévoit en avril prochain la sortie de Pathétik, album dans lequel on retrouve l’humour décalé et les dessins extraterrestres de Zzzwük.

L’élégance d’un style

James sait donc adapter à la fois son trait et son humour au gré de ses divers collaborations, aussi bien en tant que scénariste que comme dessinateur. Le ton ironique et grinçant, assez frontal dans la critique, des débuts du blog est loin à présent et, avec Dans mon open space, James démontre qu’il est capable d’un humour plus policé mais aussi moins réferentiel est donc plus efficace.
Je dois bien avouer, toutefois, que ce n’est pas dans cette série que je préfère James. D’abord parce que sa grande force, à mon sens, est son trait. Au fil des notes de son blog, James est parvenu à se forger un style propre. Il se caractérise aussi bien par l’emploi de personnages animaliers humanisés que par la finesse et la précision du trait dans la représentation humaine. Lorsqu’il est réussi, ce fameux style animalier qui parcourt la tradition de la bande dessinée avec de grands dessinateurs comme Carl Barks, Calvo, Raymond Macherot, Régis Franc, et jusqu’à, de nos jours, le style innovant de Lewis Trondheim et de Juanjo Guarnido dans un tout autre style. James se veut à la limite entre un trait stylisé élégant et un certain réalisme. Cette force se voit particulièrement dans …à la folie où, grâce au scénario impeccable de Sylvain Ricard, James a toute lattitude pour exercer son style. Cet album dresse le portrait juste d’un couple qui s’aime mais qui glisse doucement sur la pente de la violence. Le trait de James possède le tact nécessaire pour traiter de ce sujet difficile sans pathos et outrance. On retrouve la même justesse et la même finesse dans le recueil Comme un lundi où James s’essaie cette fois au strip muet en variant les thèmes et l’humour. Un humour qui y cotoie souvent une certaine poésie voire une tendresse envers le genre humain.
Car j’aime aussi le James scénariste, et notamment celui de Zzzwük et du futur Pathetik, puis-je espérer. C’est cette fois le style de Boris Mirroir qui met en valeur l’humour de James dans ce qu’il peut avoir d’absurde et de délirant. Il s’attache là encore avec le strip muet et on le surprend même à renouer avec la référence graphique et la parodie.

En résumé, James est parvenu à se diversifier suffisamment pour convaincre et se faire sa place dans ce monde de la bande dessinée si aisément criticable… Un auteur à suivre, tout particulièrement dans ses collaborations jusque là fructueuses avec Boris Mirroir.

Pour en savoir plus :

Le blog de James et la tête X
Le site de Six pieds sous terre
Le site de Poisson Pilote
Le site de Boris Mirroir

Bibliographie :
Comme un lundi, Six pieds sous terre, 2006
Les mauvaises humeurs de James et la Tête X, Six pieds sous terre, 2007 (réédité en décembre 2009)
Un week-end entre parenthèses, Le potager moderne, 2008
Zzzwük (avec Boris Mirroir), Carabas, 2008
Dans mon open space, Dargaud, 2008-2009 (2 tomes)
… à la folie (avec Sylvain Ricard), Futuropolis, 2009
Pathetik, (avec Boris Mirroir), Six pieds sous terre, à paraître en avril 2010

Une réflexion au sujet de « Parcours de blogueur : James »

    1. phylacterium

      Hum… Je sens à ce commentaire que je suis passé à côté de quelque chose d’important à propos de James… A moins que Wandrille ne cherche à me mystifier… Ou pas…

      Mr Petch

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  1. Un lecteur

    Pas difficile de remarquer que le trait de James est le même que celui de Laurent Percelay (qui a sorti « Mundial » avec Marc Lizano et BenGrrr), et puis de voir que Laurent Percelay était d’abord dessinateur de la série « La Tribu » chez Dargaud sous le pseudonyme LOL (bien avant son blog : en 2002 ). D’ailleurs sa fiche Wikipedia (voir James (auteur) ) fait mention de ces premiers « péchés de jeunesse ».

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  2. phylacterium

    Voilà le mystère éclairci.
    A mon grand désarroi, je n’avais pas poussé plus loin l’investigation sur « l’identité » de James et la fiche Wikipédia n’était pas aussi complète quand j’avais rédigé cet article.

    En tout cas, merci pour ces précisions que j’intégrerai à l’article.

    Mr Petch

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