Parcours de blogueur : Lommsek

La sortie récente de La ligne zéro de Lommsek chez Warum est l’occasion idéale pour revenir à mes évocations des dessinateurs découverts grâce à leur blog bd, à la manière d’Aseyn ou de Gad. Ajoutons à cela, encore plus récemment, sa participation au collectif Les Nouveaux Pieds Nickelés, hommage de nombreux dessinateurs à une des séries mythiques du neuvième art… Un parcours de blogueur dans l’actualité.

Un blog dans le métro qui pue

Le blog de Lommsek, aussi appelé Shaïzeuh, récompensé par le prix Révélation blog lors du FIBD 2009, commence en avril 2007, soit assez tardivement dans le mouvement des blogs bd, amorcé dès 2004-2005. Mais Lommsek trouve finalement son rythme de croisière et singularise son blog. En bon blogueur, il se crée un avatar « masqué », presque monstrueux : Lommsek, homme à la tête rouge, employé anonyme d’une grande entreprise anonyme qui prend tous les jours le métro et y dessine de courtes mais incisives notes de blog. Le leitmotiv de la « vie qui pue dans le métro qui pue avec des gens qui puent » devient finalement le théâtre des exploits de Lommsek, personnage cynique qui s’attaque ici à l’un des espaces les plus detestables de la vie de tout parisien ou banlieusard. Il se situe dans le domaine de l’humour absurde et impertinent et utilise, comme d’autres prestigieux blogueurs comme Monsieur le chien, son avatar dessiné pour expulser les colères rer-esque qui s’agitent en lui. La fonction du blog comme espace d’expression personnel est parfaitement remplie, et ce d’autant plus que Lommsek n’est pas un dessinateur « professionnel », mais exploite à merveille les avantages et les libertés du format blog, tout en s’appuyant sur les codes de l’autobiographie feinte que d’autres blogueurs ont développé avant lui. Autre caractéristique commune à d’autres blogs bd, et qui les sauvent souvent d’une platitude quotidienne : les anecdotes de vie relatées ne sont, dans le fond, que l’occasion de développer des délires d’imagination auxquels participent le langage étrange de l’homme à la tête rouge. Chez Lommsek, la cohérence est trouvée par le métro, qui pue, évidemment.
Car le métro est l’essence fondamentale du blog de Lommsek : sujet de la plupart des notes de blog, c’est aussi l’espace où il les réalise, au bic noir, nous révèle-t-il sur son blog, pour les coloriser et les scanner avant de les mettre en ligne. Et puis le métro est aussi, nous révèle-t-il encore, mais dans une autre interview sur le site 30joursdebd, un moyen pour lui d’apprendre à dessiner vite, sans brouillon, et d’introduire dans ses dessins une spontanéité qui ne se trouvait pas encore dans ses premières planches. On assiste à une vraie évolution stylistique du blog, d’un langage synthétique, presque schématique, à une expressivité énergique. L’énergie et le rythme du trait deviennent assez vite l’une des caractéristiques graphiques de l’auteur, et le rythme, c’est celui du métro. Vous l’aurez compris : le métro fonde l’unité même du blog, pour une formidable et stimulante mise en abyme qui ne se prend pas au sérieux.
Bon… Lommsek n’est pas non plus complètement obsédé par le métro et d’autres thématiques viennent enrichir son blog, telles les aventures de « blogbédéman », sorte d’hommage à la blogosphère.
(Il semblerait aussi que Lommsek soit à l’origine de deux autres blogs, révélation ourdie par le blogueur Wandrille… Je pense tenir une bonne piste en citant le « blog d’une niaise », tenu durant l’année 2007, et le blog du faux Frantico en 2008, reprise d’un des plus célèbres blog bd, le blog de Frantico qui, dans l’année 2005, participa à l’émergence médiatique du phénomène. Mais enfin, avec Frantico, personnage mythique de la blogosphère, rien ne peut être sûr. Hypothèses et supputations que je vous livre après une brève investigation.)

Et donc en 2009, Lommsek remporte le concours Révélation blog… Peut-être dois-je rappeler aux lecteurs qui prennent ce blog en chemin ce qu’est le concours Révélation blog (même si j’en parle abondamment dans un précédent article). Ce concours est lancé lors du FIBD 2008 et marque la reconnaissance du phénomène des blogs bd et de sa capacité à trouver de nouveaux talents pour la bande dessinée. Le gagnant du concours, sélectionné successivement par les internautes et par un jury, obtient le possibilité de se voir publié chez Vraoum, label de la maison d’édition Warum dirigée par Benoît Preteseille et le blogueur Wandrille. Les trois éditions qui ont eu lieu jusque là ont donc permis de mettre sur le devant de la scène trois jeunes dessinateurs : en 2008 Aseyn, qui a sorti au début de cette année son album Abigail, en 2010 Lilla, dont l’album n’est pas encore sorti, et donc en 2009 Lommsek qui s’est ainsi vu publié par Warum. Mais j’y reviendrai ; avec la parution de La ligne zéro en ce mois de mai 2010, second album Vraoum issu de Révélation blog, le concours continue de dérouler son projet.

Quelques repères d’un parcours dans l’édition en ligne


Mais comme plusieurs auteurs débutants, Lommsek, avant de publier son premier album, a su profiter d’autres canaux de diffusion, et notamment la diffusion en ligne et l’autoédition numérique. Quelques exemples qui vont me permettre de faire le tour des différents modes de publication qui ont pu se développer en quelques années :
vant d’ouvrir son blog, Lommsek est déjà un fidèle du fanzine L’homme des banlieues, et ce depuis ses débuts en 2004 (http://www.lanebuleusebd.com/hdb/index.html). HDB est une revue annuelle qui continue d’ailleurs de paraître et dans laquelle on retrouve régulièrement Lommsek, parfois sous le pseudonyme d’Exal. Il n’y a parfois pas beaucoup de différences entre le monde du fanzinat et celui de l’édition en ligne : importance de l’édition collective, facilité d’accès pour des auteurs débutants, sobriété et humilité nécessaires des formules éditoriales, prix bas voire inexistant pour le lecteur qui, malgré tout, doit accepter de se donner la peine de chercher. Petite transition pour vous expliquer que Lommsek passe logiquement du fanzinat à l’édition en ligne, dont il explore quelques unes des solutions. Et à commencer par celles de HDB, puisque l’association La Nébuleuse BD dispose d’un blog, le Nébublog, dans lequel Lommsek poste son actualité et quelques dessins.
Lommsek publie souvent des planches sur le site 30joursdebd. Ce site, crée en janvier 2007, se donne justement pour but de publier en ligne une planche par jour d’un auteur débutant pour le faire connaître aux lecteurs, à des éditeurs, voire l’éditer, puisque 30joursdebd a donné naissance quelques mois plus tard aux éditions Makaka, maison d’édition papier. Un bon exemple de maison d’édition entièrement née de l’édition en ligne, et qui se donne pour but d’y découvrir de jeunes auteurs.
Ce commentaire vaut aussi pour TheBookEdition, maison d’édition (pas seulement de bande dessinée d’ailleurs), fondée sur le principe de l’édition libre. TheBookEdition imprime et diffuse des ouvrages d’auteurs qui s’auto-éditent sur Internet, sur un principe d’impression à la demande : le tirage se fait au fil des demandes des acheteurs sur une plateforme internet. La diffusion se fait donc à un nombre d’exemplaires réduits ; mais TheBookEdition cumule un statut minimal d’éditeur et de libraire et encourage l’autopublication des auteurs, processus permis par Internet. Par ce système, Lommsek a pu publier un véritable album, Bringuebalés, qu’il avait déjà autopublié sur un site perso.
Et un dernier exemple de la richesse et de la diversité de l’édition en ligne : Lommsek a également fait partie de l’album collectif Phantasmes édité par Manolosanctis. Manolosanctis, c’est encore un autre système d’édition en ligne : il s’agit d’une maison d’édition communautaire née en 2009 qui permet la diffusion et la lecture gratuite d’albums de bande dessinée qu’elle héberge. Les lecteurs-membres comme les auteurs-membres sont invités à participer aux choix éditoriaux en laissant leur avis sur les albums et les auteurs mis en ligne. L’édition se fait sous Licence Creative Commons qui garantit, sur Internet, le droit d’auteur sans entraver la libre diffusion des oeuvres. Depuis 2009, Manolosanctis a publié plusieurs jeunes auteurs et, en décembre 2009, a sorti un recueil papier, Phantasmes, qui regroupe autour d’un même thème les contributions de plusieurs auteurs, dont notre Lommsek, qui y livre Mon père est américain, un étrange récit d’enfance en quelques pages aux accents surréalistes.
Une observation au passage : 30joursdebd comme TheBookEdition comme Manolosanctis sont trois maisons qui recherchent un équilibre entre l’édition papier traditionnelle et l’édition en ligne. J’entends par là que pour elle, les deux supports se complètent et ne s’annulent pas : une fois sortie en papier, un album mis en ligne n’est pas supprimé d’internet, au contraire. Le lecteur est invité à acheter le format papier d’une histoire qui lui a plu. Ce sont également des maisons qui promeuvent l’autoédition, principe qui s’est développé avec Internet et qui a comme enjeu de laisser à l’auteur la plus grande marge d’action possible.

Les deux créations de Lommsek ainsi publiées en ligne, Bringuebalés comme Mon père est américain sortent résolument de la logique du gag présente sur le blog Shaïzeuh. Ce sont des récits où Lommsek explore d’autres voies, plus poétiques, et peut-être plus personnelles. Signe qu’il voit une différence entre l’édition en ligne type blog, spontanée et plus brouillonne, et une édition en ligne qui tend vers une pratique plus professionnelle de la bande dessinée.

Un blogueur dans l’actualité : La ligne zéro et Les Nouveaux Pieds Nickelés

L’actualité de Lommsek est double puisqu’en ce mois de mai 2010, il est publié chez deux éditeurs : chez Warum, il propose l’album attendu depuis le prix Révélation blog, album à la parution sans cesse repoussée depuis début 2010 mais qui arrive enfin en librairie ; puis, dans une semaine sort Les Nouveaux Pieds Nickelés, un recueil collectif paru chez Onapratut et dont le thème est transparent.
Je passe assez vite sur Les Nouveaux Pieds Nickelés édité par Onapratut dans la mesure où je ne l’ai bien évidemment pas lu… Je remarque juste, pour replacer un peu le contexte, que ce petit ouvrage s’inscrit dans la lignée d’un précédent, Popeye, aux éditions Charrette, c’est-à-dire un album-hommage à une vieille série qui a marquée la bande dessinée. Charrette comme Onapratut sont de petits éditeurs récents. Onapratut est, plus précisément, née d’un fanzine du même nom. Cette petite maison d’édition va souvent voir du côté des dessinateurs apparus sur Internet, et publie notamment des planches sur 30joursdebd. Encore une autre expérience qui mêle à la fois fanzinat, édition en ligne et édition papier.

La ligne zéro est pour Lommsek, après les expériences de Bringuebalés et Mon père est américain, est une nouvelle aventure entièrement inédite qui rend en quelque sorte un auto-hommage au blog qui l’a fait connaître. La scène est donc le métro qui pue et le personnage principal est Lommsek, avatar à la tête rouge de l’auteur, dans une extension de ses habituelles aventures souterraines et ferroviaires. Les lecteurs du blog retrouvent donc leurs repères, logique pour un album né de la Révélation blog. Lommsek, obscur employé d’une obscure entreprise, est amené à découvrir (par hasard ?) l’existence du « groupe M », société secrète qui régit, dans l’ombre, le métropolitain parisien. S’ensuit une avalanche de péripéties débridées et un enchaînement de gags qui permettent à l’auteur de renouer avec son humour tout à la fois cynique et absurde, et de poser sur la faune du métro un regard acide.
Niveau graphisme, Lommsek s’est là encore distingué. Tout l’album est un monochrome rouge vif, rouge comme la tête du héros ; technique simple, oui, mais qui immerge le lecteur dans l’aventure. Il y dispose des moyens de développer son style expressif, profitant du grand espace de la page. Il y a chez Lommsek une forme d’exagération voire d’agressivité graphique souvent bien exploitée, faisant appel soit à l’art de la caricature dans ce qu’elle a de plus outrée, voire de laid, soit à la déformation vertigineuse des décors dans une dominante de noir (à laquelle le format ne rend d’ailleurs pas toujours hommage…). On y retrouve donc le rythme emballé de ses notes de blogs, ainsi que son trait énergique qui s’active en une trame rappelant parfois les sombres intrigues de Christophe Blain (de même que le long nez du héros évoque celui de certains héros de Blain, dont le cow-boy Gus). Lommsek aime à représenter le mouvement grouillant et la vitesse incessante. Vitesse qui est celle du métro, qui pue, vous l’aurez compris.

Pour en savoir plus :
Shaïzeuh, le blog de Lommsek,
Mon père est américain dans Phantasmes (collectif), Manolosanctis, 2009
Bringuebalés, autoédition par TheBookEdition, 2009
La ligne zéro, Vraoum, 2010
Divers articles m’ayant servi :
La présentation de Lommsek sur son site avec quelques liens vers des interviews
La présentation de l’auteur sur le site de Warum

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