Parcours de blogueurs : Martin Vidberg

Septembre, c’est le mois du festiblog, qui a lieu cette année les 25 et 26 septembre 2010 rue Eugène Spuller à Paris. Pour marquer le coup, je vais consacrer deux parcours de blogueurs à la marraine et au parrain de cette édition, Martin Vidberg et Capucine (ce qui m’arrange, vu que ce sont des auteurs que je connais et que j’apprécie.). On commence avec Martin Vidberg, qui va nous amener presque dix ans en arrière…
(Pour d’autres informations sur le festiblog, voyez sur le site http://www.festival-blogs-bd.com/.)

Bloguer en amateur

Avec Martin Vidberg, la série des « parcours de blogueurs » revient aux origines mêmes du blog bd. Cela fait plus de dix ans que Martin Vidberg, actuellement connu pour son blog du Monde.fr « L’actu en patates », sévit la toile. Il incarne le parcours idéal du blogueur bd en tant qu’auteur amateur qui ne cherche pas à en faire son métier, mais plutôt à conserver intacte sa passion et la faire partager. Un sujet idéal pour la rentrée du blog qui va nous permettre de retracer quelques étapes de l’histoire des blogs bd.

Martin Vidberg est professeur des écoles, métier qu’il exerce depuis 2001 et qui nourrit certains de ses albums. C’est donc sur ses loisirs et en autodidacte qu’il dessine, principalement sur deux blogs : « L’actu en patates », blog partenaire du monde.fr depuis janvier 2008 (http://vidberg.blog.lemonde.fr/) et « Everland », bien plus ancien puisqu’il le crée en octobre 2000 (http://www.martinvidberg.com/). A cette date, la présence de blogs français sur la toile est un phénomène récent et les éditeurs de blogs n’en sont qu’à leur début (Blogger apparaît en 1999 et Skyblog en 2002). Ce moyen d’expression par une page personnelle gratuite est nouveau et n’est pas encore devenu l’outil de communication qu’il est destiné à devenir à partir du milieu des années 2000. L’essor des blogs en tant que communauté s’inscrit alors en partie dans l’apparition progressive des réseaux sociaux et de ce qu’on appelle le Web 2.0. C’est aussi le cas dans le domaine de la bande dessinée : en 2000 on ne parle pas encore de blogs bd comme un phénomène de création et de réseautage de forte ampleur, capable d’attirer un très grand nombre de visiteurs.
Everland, le blog historique de Martin Vidberg, a souvent déménagé et son auteur a donc pu nouer des liens avec plusieurs sites « historiques » de dessinateurs amateurs et d’amateurs de bande dessinée. Il participe notamment à deux communautés qui ont leur importance dans le web de la bande dessinée : le site bulledair.com (2001) et le site bdamateur.com (1998). Bulledair est d’abord un site d’amateurs de bande dessinée partageant leurs avis et leurs critiques sur tel ou tel album ; le site a évolué ensuite en une véritable communauté et, entre autres activités, a hebergé quelques blogs bd (Thorn, Obion, Thierry Robin…). Vidberg devient un des animateurs de cette communauté (sous son premier pseudonyme d’Everland) et dessine notamment une série de chroniques. On le retrouve aussi sur le site bdamateur.com. Il ne s’agit plus seulement d’amateurs de bande dessinée mais d’auteurs de bande dessinée amateurs, idée née sur le forum BDParadisio, là aussi un des espaces les plus anciens du Web consacré à la bande dessinée (1996). Le principe est simple : offrir une plate-forme de diffusion pour des non-professionnels qui leur permette d’avoir des retours sur leur travail. Un forum et de nombreuses activités animent la communauté de dessinateurs qui existe encore, douze ans après sa création (http://www.bdamateur.com/). Par la suite, d’autres sites seront créés pour mettre en valeur des dessinateurs amateurs comme le portail Abdel-INN (2002). Ces deux sites (bdamateur et Abdel-INN) correspondent à une phase pré-blogsbd de la diffusion de bande dessinée en ligne, phase ouvertement « amatrice » et non tournée vers l’édition. A partir de 2005, deux évolutions apparaissent suite à l’ampleur nouvelle du phénomène des blogs bd : le blog tend à devenir le principal support de diffusion pour des dessinateurs amateurs (du moins le plus visible et le plus directement vendeur) et des liens se créent avec le monde de l’édition, soit par la publication de version papier de blogs bd, soit par la transformation de certains sites amateurs en maison d’édition, soit par l’apparition de maisons d’édition en ligne (le site Manolosanctis en 2009 est à mes yeux représentatif de la seconde phase : il ne revendique pas l’amateurisme, mais vise au contraire à accompagner les dessinateurs débutants vers le professionnalisme et l’édition commerciale).
Bref… Après cette longue disgression, revenons à Martin Vidberg. Il n’est pas le seul membre de bdamateur.fr à poursuivre ensuite une carrière professionnelle ou semi-professionnelle : parmi les membres « connus » se trouvent d’autres blogueurs bd célèbres comme Laurel et Zviane. Par l’intermédiaire du site, il fait la connaissance d’autres auteurs dont Mickaël Roux et Thorn, cette dernière étant également présente sur bulledair.com. Tous trois se lancent dans une série en deux tomes intitulées Les passeurs, publiées en 2007-2008 chez Carabas (quelques pages en preview sur BDGest).
Autre rencontre provoquée au sein de la communauté de dessinateurs amateurs : avec Nemo7. Ensemble, ils réalisent en 2005 l’expérience de « Le Blog ». Il s’agit, comme son nom l’indique, d’un blog ouvert pour la mise en ligne d’un webcomic, sur la plateforme de diffusion 20six (http://leblog.20six.fr/). Les deux auteurs s’inspirent directement des expériences graphiques de l’Oubapo : Martin Vidberg dessine une demi-douzaine de cases avec lesquelles Nemo7 réalise des strips qui racontent les mésaventures d’un blogueur bd (ce qui rappelle furieusement l’album de Jean-Christophe Menu et Lewis Trondheim Moins d’un quart de seconde pour vivre, en 1992). Beaucoup de private jokes et d’autodérision dans cette oeuvre qui vaut surtout comme exercice de style. Elle est adaptée en album en 2007 par la jeune maison d’édition Onapratut (que j’évoquais récemment pour leur album les Nouveaux Pieds Nickelés). Vidberg garde de cette expérience un goût pour les projets interactifs : il propose de nombreux jeux sur son blog, ou invite ses lecteurs à suggérer des sujets de dessins.

Le blog Everland reste le principal espace d’expression de Martin Vidberg, et il est naturellement présent à partir de la seconde édition du festiblog en 2006, première manifestation qui regroupe les auteurs de blogs bd et leurs lecteurs. Il utilise aussi bien son blog pour poster des notes spontanées que des projets plus complexes, comme le Journal d’un remplaçant (dont on peut lire la moitié du contenu sur ce site).

Du blog bd à l’édition : un contexte idéal


Avec le Journal d’un remplaçant, la carrière de dessinateur amateur de Martin Vidberg prend une autre ampleur. Non qu’il se lance dans une carrière professionnelle : au contraire, et c’est là une des caractéristiques de Vidberg, il poursuit parallèlement son vrai métier d’instituteur et sa passion du dessin, avec une prolixité assez impressionnant d’ailleurs. Le Journal d’un remplaçant est directement lié à sa profession puisqu’il raconte dans cette bande dessinée une année de son travail d’instituteur remplaçant, d’abord dans un petit village de sa région, puis dans un institut de redressement pour élèves violents. Le ton est très pédagogique : l’auteur explique le quotidien du métier d’instituteur comme dans un reportage en direct, s’attachant autant aussi bien aux difficultés qu’aux plaisirs. On peut facilement le lire comme un état des lieux de la profession, certes subjectifs mais très intéressant.
Le Journal d’un remplaçant est d’abord diffusé en ligne avant d’être adapté en album papier en 2007 aux éditions Delcourt, dans la collection Shampooing. Il faut dire qu’à cette date, la situation a changé et que la médiatisation et l’importance, en terme d’audience, des blogs bd, en a fait de possibles tremplins vers l’édition. Je cite pour mémoire quelques uns des blogs édités dans les années 2005-2008, parmi les plus connus : Le blog de Frantico, Le journal d’un lutin d’Allan Barte, Libre comme un poney sauvage de Lisa Mandel, Maliki de Souillon, Ma vie est tout à fait fascinante de Pénélope Bagieu. D’autres suivront dans les années suivantes, avec des qualités fort variables. Il faut pourtant distinguer entre les recueils de notes de blogs, qui prennent plutôt l’aspect d’un journal intime, et les récits complets qui s’apparentent alors à des webcomics diffusés via un blog. Certains auteurs jouent d’ailleurs sur les codes du blog pour livrer de « faux blogs bd » qui s’avèrent être des fictions travesties en journaux intimes (c’est le cas de Frantico ou du Journal d’un lutin, par exemple). Le journal d’un remplaçant n’en fait pas partie, mais il hérite nettement du phénomène des blogs bd sa construction en forme de journal de bord, laissant s’écouler les jours en mimant une publication échelonnée et régulière. Album bien construit et original, il s’agit, de l’aveu de son auteur, de son projet éditorial le plus important.
Un dernier élément de compréhension : l’album est édité dans la collection Shampooing, dirigée par le dessinateur Lewis Trondheim qui non seulement soutient de nombreux blogueurs en publiant leur blog (Allan Barte, Boulet, Lisa Mandel…), mais participe lui-même à la blogosphère bd et à des projets de bande dessinée en ligne.

L’essor des blogs bd donne lieu à d’autres phénomènes d’éditions plus ou moins éphémères auxquels Martin Vidberg participe. Avant les publications successives de Le Blog chez Onapratut et du Journal d’un remplaçant chez Delcourt, toutes deux en 2007, il participe au projet des « miniblogs » lancé par les éditions Danger public. En partenariat avec le festiblog, cette maison d’édition conçoit en 2006-2007 une collection d’albums courts réalisés par des blogueurs bd où chaque histoire trouve un prolongement sur un site internet, via un code d’accès offert au lecteur. Même si elle ne dure que deux saisons, cette collection permet à plusieurs blogueurs bd d’être publiés pour la première fois sur papier. C’est le cas de Martin Vidberg qui dessine l’album J.O.2012 où il se prend organiser les prochains jeux olympiques dans son salon (l’album est accessible à cette adresse).
Les éditions Diantre ! (http://www.diantre.fr/) font partie des quelques éditeurs, le plus souvent de jeunes maisons, qui vont chercher du côté des blogueurs bd pour éditer des auteurs débutants. Elles sont notamment à l’origine de la publication de Mon gras et moi de Gally qui remporte à Angoulême un prix décerné par le public en 2009, événement qui confirme la place occupée par les blogs bd. Martin Vidberg reste fidèle à cette maison d’édition pour ses deux autres albums : Les instits n’aiment pas l’école en 2008 et Perdus sur une île déserte en 2009. Le premier est plutôt destiné aux enfants et fait suite aux réflexions entreprises dans Le journal d’un remplaçant : il y parle du métier d’enseignant, d’une manière plus poétique et détournée, en de courtes séquences. Le second est une fois de plus la version papier d’une histoire paru sur son blog Everland. Le crash d’un avion sur une île déserte est l’occasion de moquer certains aspects de notre monde contemporain.

En dehors de ses quelques albums, relativement modestes depuis Le journal d’un remplaçant, Martin Vidberg travaille surtout comme blogueur invité de lemonde.fr sur le blog « L’actu en patates ». Le site internet du célèbre quotidien Le Monde est, rappelons-le, une rédaction à part entière qui possède son fonctionnement propre, une partie du site étant payant et le reste gratuit (les articles récents, en général). Un certain nombre de blogs gravitent sur le site, mis en avant sur la page d’accueil ; certains sont des « blogs de journalistes », d’autres des « blogs abonnés » (dans ce dernier cas, lemonde.fr est une simple plate-forme de publication, reservées à ses abonnés), et enfin, des « blogs invités », généralement sur des thèmes de société et d’actualité. C’est à cette dernière catégorie qu’appartient le blog de Vidberg. Les sites d’information en ligne se dotent souvent de ce type de blogs « graphiques » qui s’apparentent, d’une certaine manière, à du dessin de presse (ainsi trouve-t-on des blogs graphiques sur rue89, lexpress.fr, nouvelobs.com, bakchich.info ; j’ignore toutefois si les blogueurs invités sont rémunérés de quelques façons comme des rédacteurs). Martin Vidberg assume nettement le lien avec le dessin de presse, puisqu’il traite uniquement de l’actualité et s’inscrit donc dans la vieille tradition du dessin d’actualité. L’autre blog graphique invité du monde.fr est celui de Guillaume Long (hop, un ancien article à relire !), consacré à la gastronomie (et n’oublions pas le blog spécialement consacré à l’actualité de la bande dessinée, http://lecomptoirdelabd.blog.lemonde.fr/).
Tous les jours ou presque, sur « L’actu en patates », Martin Vidberg propose donc un dessin d’humour. Sans doute en raison du travail actif et régulier qu’il demande, ce second blog tend progressivement à remplacer « Everland », laissé en veille depuis novembre 2009. De mon côté, j’ai d’ailleurs découvert Vidberg grâce au blog du monde.fr. Lui-même affirme que son second blog attire beaucoup de plus de lecteurs et que les deux publics sont différents : plus de visiteurs occasionnels sur « L’actu en patates », plus d’habitués sur « Everland ». Quant au nom du blog, il correspond au style graphique si particulier de l’auteur…

La tentation de l’actualité


Car quand on parle de Martin Vidberg, les habitués savent tout de suite que l’on parle de patates… Ou plutôt de bonhomme-patates : c’est ainsi qu’il représente l’ensemble de ses personnages, y compris lorsqu’il s’agit de caricatures de personnalités, et l’effet n’en est alors que plus saisissant, car tout se concentre sur le visage, à la manière des « grosses têtes » du XIXe siècle. On compare souvent cette technique avec certains personnages de Lewis Trondheim, et Vidberg avoue son admiration pour ce dessinateur. La démarche n’est pas exactement la même : les bonhommes-patates de Trondheim (tels qu’ils apparaissent dans Les formidables aventures de l’univers ou Mister I et Mister O) correspondent plus à une démarche minimaliste poussée qui contamine les décors et le scénario, qui frôle l’humour absurde. Il me semble que Vidberg utilise plus ses bonhommes-patates à la manière des dessinateurs de presse : pour une schématisation qui permet une lecture efficace et rapide (et le style de Vidberg est justement basée sur la rapidité de lecture) et en forme de « signature » graphique, qui le rend immédiatement reconnaissable.

Si je parle autant de dessins de presse, c’est que le lien à la société et à l’actualité est un trait récurrent du travail de Vidberg. Dans « L’actu en patates », c’est une évidence : chaque dessin quotidien illustre un article du monde.fr, et de nombreux ressorts humoristiques sont convoqués : calembour, allégorie, le décalage absurde, l’inventivité graphique, le gag muet, la caricature… Le ton est assez bon enfant : il s’agit de dessins d’humour, pas de dessins satiriques. Vidberg fait d’ailleurs partie des dessinateurs associés au projet « Ça ira mieux demain », une application payante pour smartphone, développée par Ave!Comics permettant de recevoir des dessins d’actualité au fil des mises à jour. Il y côtoie des dessinateurs de presse aguerris comme Plantu, Chappatte, Jul, Maëster et Tignous (http://www.cairamieuxdemain.com/).
Mais il n’y a pas que dans ce blog qu’il fait preuve d’un sensibilité à l’actualité : dès « Everland », Vidberg réalisait des dessins d’actualité (à lire ici une série sur 2008, par exemple). Et lorsqu’il parle de son métier de professeur, que ce soit sur son blog ou dans Le journal d’un remplaçant, il se fait momentanément reporter et témoin éclairé de la société. Les petits bonhommes de Martin Vidberg, par leur simplicité, ne sont pas simplement drôles mais portent aussi autant de messages venant d’un auteur qui, malgré une certaine discrétion, sait parfaitement se faire comprendre.

Depuis la notoriété acquise par son blog, Vidberg diffuse ses bonhommes-patates un peu partout dans des travaux d’illustration et de publicités. Certains sont en rapport avec l’éducation (pour des revues ou des reportages spécialisés), mais d’autres non (publicité pour Direct assurance, notamment).

Pour en savoir plus :

Bibliographie :
J0 2012, Diantre, 2006
Le journal d’un remplaçant, Delcourt, 2007
Les passeurs, Carabas, 2007-2008 (2 tomes, sur un scénario de Mickaël Roux)
Le Blog, sur des textes de Nemo7, Onapratut, 2008
Les instits n’aiment pas l’école, Diantre, 2008
Perdus sur une île déserte, Diantre, 2009
Webographie :

Everland
L’actu en patates
Le blog, avec Nemo7
Le site de bdamateur : http://www.bdamateur.com/
Interview de Martin Vidberg sur psychologies.com
Autre interview sur petitformat.fr

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