L’exposition Spirou à la galerie Daniel Maghen

par Caroluseligius

Des roux comme s’il en pleuvait

Du 25 août au 11 septembre 2010, à l’occasion de la sortie du nouvel opus des aventures de Spirou et Fantasio1 (le 51e au compteur) la galerie Daniel Maghen (47 Quai des Grands Augustins à Paris) organise une rétrospective autour des dessinateurs qui ont marqué la série2. Les amateurs apprécieront de voir regroupés des travaux de différents artistes et de différentes natures. Les fanatiques seront ravis de l’opportunité qui leur sera offerte de faire l’acquisition des originaux exposés, à des prix allant de 1000 à 6000 euros. Si l’espace relativement réduit de la galerie ne permet pas le déploiement d’une scénographie savante, et que le but d’une galerie n’est pas d’offrir un support didactique fourni (on peut regretter l’absence de cartels), le visiteur connaissant la série pourra sans difficultés s’y retrouver parmi les différents auteurs exposés. Parmi les œuvres les plus remarquables, qui justifieraient à elles seules le déplacement, on peut citer plusieurs planches et projets de couverture de Fournier, pour certains de ses albums les plus connus comme Le Gri-gri du Niokolo Koba ou Du Cidre pour les étoiles. On peut signaler également quelques planches de Nic pour La Ceinture du grand froid, et surtout de nombreux travaux de Munuera pour L’Homme qui ne voulait pas mourir, Spirou à Tokyo et Aux sources du Z, ce qui permet de redécouvrir et d’apprécier le trait de ce dessinateur dans de belles planches originales
Les grand absents de l’exposition sont Franquin et Janry, ce qui est dommage, mais s’explique peut-être par les prix déjà atteints par leurs planches originales. En revanche, le visiteur pourra voir différents travaux préparatoires du nouvel album de Spirou. Pour se faire la main, il semble que Yoann se soit frotté aux travaux de ses prédécesseurs, en s’inspirant de leur style dans une série de toiles à l’acrylique. L’une représente notamment l’Ankou avec Spirou, Fantasio et Ororoea, une autre le sous-marin du Repaire de la Murène, et la dernière, la plus inventive, Spirou et Fantasio armés de mitraillettes et environnés de tanks, scène reprise du Dictateur et le champignon de Franquin, toute en teintes rouges et noires. Il faut aussi signaler quelques aquarelles de Yoann et Munuera représentant Spirou, Zorglub et le comte de Champignac, qui permettent de comparer le style des deux auteurs. Yoann semble plus proche de la tradition de Franquin, « son » Spirou en ayant la plupart des caractéristiques physiques, notamment les cheveux en bataille (qui avaient tendance à s’aplatir dans les albums de Munuera). Au contraire, Fantasio semble de plus en plus chauve, ce qui est une nouveauté. Un grand nombre de planches et de beaux dessins sont tirés de Spirou à Tokyo, qui avait fait l’objet à sa sortie d’une promotion plus importante que les autres albums de la série.
Au final, que ce soit pour se familiariser avec le nouveau dessinateur de Spirou, ou pour apprécier les travaux de ses prédécesseurs, cette exposition, véritable mise en série comparative de  dessins en grande partie inédits, est en tout point passionnante et devrait plaire à tous les fans de la série.

Le 51e album de Spirou

Après Munuera et Morvan, ce sont Yoann et Fabien Vehlmann qui sont en  charge de la série, avec un album intitulé Alerte aux Zorkons. Ce tandem avait déjà produit un album hors-série, Les Géants pétrifiés, en 2006, avant d’être choisi pour mener la série-mère. Pour leur premier album « officiel », ils sont revenus à une recette classique et à un style proche de Franquin mais tempéré par la poésie de Fournier (et son engagement écolo qui transparait fortement dans l’histoire). On y retrouve les personnages les plus connus de la série, le comte de Champignac, Zorglub, et toute la population champignacienne, dinosaure compris. Si le scénario n’est pas particulièrement novateur et suit une trame assez simple (projet mystérieux de Zorglub et inventions délirantes à base de champignons qui sauvent la situation), sa grande force est d’être extrêmement imaginatif. La faune et la flore inventées pour les besoins de l’album pourraient presque faire l’objet d’une mini-encyclopédie à elles seules. Surtout, cet album laisse la porte ouverte à un second volet qui s’annonce prometteur (Spirou dans l’espace ?). C’est donc un album à ne pas manquer, avec tous les ingrédients qui ont fait la force des one-shots publiés ces dernières années, mêlant retour au sources, liberté du trait et inventivité du scénario.

Des roux comme s’il en pleuvait

Du 25 août au 11 septembre 2010, à l’occasion de la sortie du nouvel opus des aventures de Spirou et Fantasio (le 51e au compteur) la galerie Daniel Maghen (47 Quai des Grands Augustins, 75006 Paris) organise une rétrospective autour des dessinateurs qui ont marqué la série. Les amateurs apprécieront de voir regroupés des travaux de différents artistes et de différentes natures. Les fanatiques seront ravis de l’opportunité qui leur sera offerte de faire l’acquisition des originaux exposés, à des prix allant de 1000 à 6000 euros. Si l’espace relativement réduit de la galerie ne permet pas le déploiement d’une scénographie savante, et que le but d’une galerie n’est pas d’offrir un support didactique fourni (on peut regretter l’absence de cartels), le visiteur connaissant la série pourra sans difficultés s’y retrouver parmi les différents auteurs exposés. Parmi les œuvres les plus remarquables, qui justifieraient à elles seules le déplacement, on peut citer plusieurs planches et projets de couverture de Fournier, pour certains de ses albums les plus connus comme Le Gri-gri du Niokolo Koba ou Du Cidre pour les étoiles. On peut signaler également quelques planches de Nic pour La Ceinture du grand froid, et surtout de nombreux travaux de Munuera pour L’Homme qui ne voulait pas mourir, Spirou à Tokyo et Aux sources du Z, ce qui permet de redécouvrir et d’apprécier le trait de ce dessinateur dans de belles planches originales

Les grand absents de l’exposition sont Franquin et Janry, ce qui est dommage, mais s’explique peut-être par les prix déjà atteints par leurs planches originales. En revanche, le visiteur pourra voir différents travaux préparatoires du nouvel album de Spirou. Pour se faire la main, il semble que Yoann se soit frotté aux travaux de ses prédécesseurs, en s’inspirant de leur style dans une série de toiles à l’acrylique. L’une représente notamment l’Ankou avec Spirou, Fantasio et Ororoea, une autre le sous-marin du Repaire de la Murène, et la dernière, la plus inventive, Spirou et Fantasio armés de mitraillettes et environnés de tanks, scène reprise du Dictateur et du champignon de Franquin, toute en teintes rouges et noires. Il faut aussi signaler quelques aquarelles de Yoann et Munuera représentant Spirou, Zorglub et le comte de Champignac, qui permettent de comparer le style des deux auteurs. Yoann semble plus proche de la tradition de Franquin, « son » Spirou en ayant la plupart des caractéristiques physiques, notamment les cheveux en bataille (qui avaient tendance à s’aplatir dans les albums de Munuera). Au contraire, Fantasio semble de plus en plus chauve, ce qui est une nouveauté. Un grand nombre de planches et de beaux dessins sont tirés de Spirou à Tokyo, qui avait fait l’objet à sa sortie d’une promotion plus importante que les autres albums de la série.

Au final, que ce soit pour se familiariser avec le nouveau dessinateur de Spirou, ou pour apprécier les travaux de ses prédécesseurs, cette exposition, véritable mise en série comparative de dessins en grande partie inédits, est en tout point passionnante et devrait plaire à tous les fans de la série.

Le 51e album de Spirou : Après Munuera et Morvan, ce sont Yoann et Vehlmann qui sont en charge de la série, avec un album intitulé Alerte aux Zorkhons. Ce tandem avait déjà produit un album hors-série, Les Géants pétrifiés, en 2006, avant d’être choisi pour mener la série-mère. Pour leur premier album « officiel », ils sont revenus à une recette classique et un style proche de Franquin, mais tempéré par la poésie de Fournier (et son engagement écolo qui transparait fortement dans l’histoire). On y retrouve les personnages les plus connus de la série, le comte de Champignac, Zorglub, et toute la population champignacienne, dinosaure compris. Si le scénario n’est pas particulièrement novateur et suit une trame assez simple (projet mystérieux de Zorglub et inventions délirantes à base de champignons qui sauvent la situation), sa grande force est d’être extrêmement imaginatif. La faune et la flore inventées pour les besoins de l’album pourraient presque faire l’objet d’une mini-encyclopédie à elles seules. Surtout, cet album laisse la porte ouverte à un second volet qui s’annonce prometteur (Spirou dans l’espace ?). C’est donc un album à ne pas manquer, avec tous les ingrédients qui ont fait la force des one-shots publiés ces dernières années, mêlant retour au sources, liberté du trait et inventivité du scénario.

1. Fabien Vehlmann et Yoann, Spirou et Fantasio : alerte aux Zorkons, Dupuis, 2010.
2. Exposition Spirou – Fournier, Nic, Munuera, Yoann, du 25 août au 11 septembre 2010.

Parcours de blogueurs : Martin Vidberg

Septembre, c’est le mois du festiblog, qui a lieu cette année les 25 et 26 septembre 2010 rue Eugène Spuller à Paris. Pour marquer le coup, je vais consacrer deux parcours de blogueurs à la marraine et au parrain de cette édition, Martin Vidberg et Capucine (ce qui m’arrange, vu que ce sont des auteurs que je connais et que j’apprécie.). On commence avec Martin Vidberg, qui va nous amener presque dix ans en arrière…
(Pour d’autres informations sur le festiblog, voyez sur le site http://www.festival-blogs-bd.com/.)

Bloguer en amateur

Avec Martin Vidberg, la série des « parcours de blogueurs » revient aux origines mêmes du blog bd. Cela fait plus de dix ans que Martin Vidberg, actuellement connu pour son blog du Monde.fr « L’actu en patates », sévit la toile. Il incarne le parcours idéal du blogueur bd en tant qu’auteur amateur qui ne cherche pas à en faire son métier, mais plutôt à conserver intacte sa passion et la faire partager. Un sujet idéal pour la rentrée du blog qui va nous permettre de retracer quelques étapes de l’histoire des blogs bd.

Martin Vidberg est professeur des écoles, métier qu’il exerce depuis 2001 et qui nourrit certains de ses albums. C’est donc sur ses loisirs et en autodidacte qu’il dessine, principalement sur deux blogs : « L’actu en patates », blog partenaire du monde.fr depuis janvier 2008 (http://vidberg.blog.lemonde.fr/) et « Everland », bien plus ancien puisqu’il le crée en octobre 2000 (http://www.martinvidberg.com/). A cette date, la présence de blogs français sur la toile est un phénomène récent et les éditeurs de blogs n’en sont qu’à leur début (Blogger apparaît en 1999 et Skyblog en 2002). Ce moyen d’expression par une page personnelle gratuite est nouveau et n’est pas encore devenu l’outil de communication qu’il est destiné à devenir à partir du milieu des années 2000. L’essor des blogs en tant que communauté s’inscrit alors en partie dans l’apparition progressive des réseaux sociaux et de ce qu’on appelle le Web 2.0. C’est aussi le cas dans le domaine de la bande dessinée : en 2000 on ne parle pas encore de blogs bd comme un phénomène de création et de réseautage de forte ampleur, capable d’attirer un très grand nombre de visiteurs.
Everland, le blog historique de Martin Vidberg, a souvent déménagé et son auteur a donc pu nouer des liens avec plusieurs sites « historiques » de dessinateurs amateurs et d’amateurs de bande dessinée. Il participe notamment à deux communautés qui ont leur importance dans le web de la bande dessinée : le site bulledair.com (2001) et le site bdamateur.com (1998). Bulledair est d’abord un site d’amateurs de bande dessinée partageant leurs avis et leurs critiques sur tel ou tel album ; le site a évolué ensuite en une véritable communauté et, entre autres activités, a hebergé quelques blogs bd (Thorn, Obion, Thierry Robin…). Vidberg devient un des animateurs de cette communauté (sous son premier pseudonyme d’Everland) et dessine notamment une série de chroniques. On le retrouve aussi sur le site bdamateur.com. Il ne s’agit plus seulement d’amateurs de bande dessinée mais d’auteurs de bande dessinée amateurs, idée née sur le forum BDParadisio, là aussi un des espaces les plus anciens du Web consacré à la bande dessinée (1996). Le principe est simple : offrir une plate-forme de diffusion pour des non-professionnels qui leur permette d’avoir des retours sur leur travail. Un forum et de nombreuses activités animent la communauté de dessinateurs qui existe encore, douze ans après sa création (http://www.bdamateur.com/). Par la suite, d’autres sites seront créés pour mettre en valeur des dessinateurs amateurs comme le portail Abdel-INN (2002). Ces deux sites (bdamateur et Abdel-INN) correspondent à une phase pré-blogsbd de la diffusion de bande dessinée en ligne, phase ouvertement « amatrice » et non tournée vers l’édition. A partir de 2005, deux évolutions apparaissent suite à l’ampleur nouvelle du phénomène des blogs bd : le blog tend à devenir le principal support de diffusion pour des dessinateurs amateurs (du moins le plus visible et le plus directement vendeur) et des liens se créent avec le monde de l’édition, soit par la publication de version papier de blogs bd, soit par la transformation de certains sites amateurs en maison d’édition, soit par l’apparition de maisons d’édition en ligne (le site Manolosanctis en 2009 est à mes yeux représentatif de la seconde phase : il ne revendique pas l’amateurisme, mais vise au contraire à accompagner les dessinateurs débutants vers le professionnalisme et l’édition commerciale).
Bref… Après cette longue disgression, revenons à Martin Vidberg. Il n’est pas le seul membre de bdamateur.fr à poursuivre ensuite une carrière professionnelle ou semi-professionnelle : parmi les membres « connus » se trouvent d’autres blogueurs bd célèbres comme Laurel et Zviane. Par l’intermédiaire du site, il fait la connaissance d’autres auteurs dont Mickaël Roux et Thorn, cette dernière étant également présente sur bulledair.com. Tous trois se lancent dans une série en deux tomes intitulées Les passeurs, publiées en 2007-2008 chez Carabas (quelques pages en preview sur BDGest).
Autre rencontre provoquée au sein de la communauté de dessinateurs amateurs : avec Nemo7. Ensemble, ils réalisent en 2005 l’expérience de « Le Blog ». Il s’agit, comme son nom l’indique, d’un blog ouvert pour la mise en ligne d’un webcomic, sur la plateforme de diffusion 20six (http://leblog.20six.fr/). Les deux auteurs s’inspirent directement des expériences graphiques de l’Oubapo : Martin Vidberg dessine une demi-douzaine de cases avec lesquelles Nemo7 réalise des strips qui racontent les mésaventures d’un blogueur bd (ce qui rappelle furieusement l’album de Jean-Christophe Menu et Lewis Trondheim Moins d’un quart de seconde pour vivre, en 1992). Beaucoup de private jokes et d’autodérision dans cette oeuvre qui vaut surtout comme exercice de style. Elle est adaptée en album en 2007 par la jeune maison d’édition Onapratut (que j’évoquais récemment pour leur album les Nouveaux Pieds Nickelés). Vidberg garde de cette expérience un goût pour les projets interactifs : il propose de nombreux jeux sur son blog, ou invite ses lecteurs à suggérer des sujets de dessins.

Le blog Everland reste le principal espace d’expression de Martin Vidberg, et il est naturellement présent à partir de la seconde édition du festiblog en 2006, première manifestation qui regroupe les auteurs de blogs bd et leurs lecteurs. Il utilise aussi bien son blog pour poster des notes spontanées que des projets plus complexes, comme le Journal d’un remplaçant (dont on peut lire la moitié du contenu sur ce site).

Du blog bd à l’édition : un contexte idéal


Avec le Journal d’un remplaçant, la carrière de dessinateur amateur de Martin Vidberg prend une autre ampleur. Non qu’il se lance dans une carrière professionnelle : au contraire, et c’est là une des caractéristiques de Vidberg, il poursuit parallèlement son vrai métier d’instituteur et sa passion du dessin, avec une prolixité assez impressionnant d’ailleurs. Le Journal d’un remplaçant est directement lié à sa profession puisqu’il raconte dans cette bande dessinée une année de son travail d’instituteur remplaçant, d’abord dans un petit village de sa région, puis dans un institut de redressement pour élèves violents. Le ton est très pédagogique : l’auteur explique le quotidien du métier d’instituteur comme dans un reportage en direct, s’attachant autant aussi bien aux difficultés qu’aux plaisirs. On peut facilement le lire comme un état des lieux de la profession, certes subjectifs mais très intéressant.
Le Journal d’un remplaçant est d’abord diffusé en ligne avant d’être adapté en album papier en 2007 aux éditions Delcourt, dans la collection Shampooing. Il faut dire qu’à cette date, la situation a changé et que la médiatisation et l’importance, en terme d’audience, des blogs bd, en a fait de possibles tremplins vers l’édition. Je cite pour mémoire quelques uns des blogs édités dans les années 2005-2008, parmi les plus connus : Le blog de Frantico, Le journal d’un lutin d’Allan Barte, Libre comme un poney sauvage de Lisa Mandel, Maliki de Souillon, Ma vie est tout à fait fascinante de Pénélope Bagieu. D’autres suivront dans les années suivantes, avec des qualités fort variables. Il faut pourtant distinguer entre les recueils de notes de blogs, qui prennent plutôt l’aspect d’un journal intime, et les récits complets qui s’apparentent alors à des webcomics diffusés via un blog. Certains auteurs jouent d’ailleurs sur les codes du blog pour livrer de « faux blogs bd » qui s’avèrent être des fictions travesties en journaux intimes (c’est le cas de Frantico ou du Journal d’un lutin, par exemple). Le journal d’un remplaçant n’en fait pas partie, mais il hérite nettement du phénomène des blogs bd sa construction en forme de journal de bord, laissant s’écouler les jours en mimant une publication échelonnée et régulière. Album bien construit et original, il s’agit, de l’aveu de son auteur, de son projet éditorial le plus important.
Un dernier élément de compréhension : l’album est édité dans la collection Shampooing, dirigée par le dessinateur Lewis Trondheim qui non seulement soutient de nombreux blogueurs en publiant leur blog (Allan Barte, Boulet, Lisa Mandel…), mais participe lui-même à la blogosphère bd et à des projets de bande dessinée en ligne.

L’essor des blogs bd donne lieu à d’autres phénomènes d’éditions plus ou moins éphémères auxquels Martin Vidberg participe. Avant les publications successives de Le Blog chez Onapratut et du Journal d’un remplaçant chez Delcourt, toutes deux en 2007, il participe au projet des « miniblogs » lancé par les éditions Danger public. En partenariat avec le festiblog, cette maison d’édition conçoit en 2006-2007 une collection d’albums courts réalisés par des blogueurs bd où chaque histoire trouve un prolongement sur un site internet, via un code d’accès offert au lecteur. Même si elle ne dure que deux saisons, cette collection permet à plusieurs blogueurs bd d’être publiés pour la première fois sur papier. C’est le cas de Martin Vidberg qui dessine l’album J.O.2012 où il se prend organiser les prochains jeux olympiques dans son salon (l’album est accessible à cette adresse).
Les éditions Diantre ! (http://www.diantre.fr/) font partie des quelques éditeurs, le plus souvent de jeunes maisons, qui vont chercher du côté des blogueurs bd pour éditer des auteurs débutants. Elles sont notamment à l’origine de la publication de Mon gras et moi de Gally qui remporte à Angoulême un prix décerné par le public en 2009, événement qui confirme la place occupée par les blogs bd. Martin Vidberg reste fidèle à cette maison d’édition pour ses deux autres albums : Les instits n’aiment pas l’école en 2008 et Perdus sur une île déserte en 2009. Le premier est plutôt destiné aux enfants et fait suite aux réflexions entreprises dans Le journal d’un remplaçant : il y parle du métier d’enseignant, d’une manière plus poétique et détournée, en de courtes séquences. Le second est une fois de plus la version papier d’une histoire paru sur son blog Everland. Le crash d’un avion sur une île déserte est l’occasion de moquer certains aspects de notre monde contemporain.

En dehors de ses quelques albums, relativement modestes depuis Le journal d’un remplaçant, Martin Vidberg travaille surtout comme blogueur invité de lemonde.fr sur le blog « L’actu en patates ». Le site internet du célèbre quotidien Le Monde est, rappelons-le, une rédaction à part entière qui possède son fonctionnement propre, une partie du site étant payant et le reste gratuit (les articles récents, en général). Un certain nombre de blogs gravitent sur le site, mis en avant sur la page d’accueil ; certains sont des « blogs de journalistes », d’autres des « blogs abonnés » (dans ce dernier cas, lemonde.fr est une simple plate-forme de publication, reservées à ses abonnés), et enfin, des « blogs invités », généralement sur des thèmes de société et d’actualité. C’est à cette dernière catégorie qu’appartient le blog de Vidberg. Les sites d’information en ligne se dotent souvent de ce type de blogs « graphiques » qui s’apparentent, d’une certaine manière, à du dessin de presse (ainsi trouve-t-on des blogs graphiques sur rue89, lexpress.fr, nouvelobs.com, bakchich.info ; j’ignore toutefois si les blogueurs invités sont rémunérés de quelques façons comme des rédacteurs). Martin Vidberg assume nettement le lien avec le dessin de presse, puisqu’il traite uniquement de l’actualité et s’inscrit donc dans la vieille tradition du dessin d’actualité. L’autre blog graphique invité du monde.fr est celui de Guillaume Long (hop, un ancien article à relire !), consacré à la gastronomie (et n’oublions pas le blog spécialement consacré à l’actualité de la bande dessinée, http://lecomptoirdelabd.blog.lemonde.fr/).
Tous les jours ou presque, sur « L’actu en patates », Martin Vidberg propose donc un dessin d’humour. Sans doute en raison du travail actif et régulier qu’il demande, ce second blog tend progressivement à remplacer « Everland », laissé en veille depuis novembre 2009. De mon côté, j’ai d’ailleurs découvert Vidberg grâce au blog du monde.fr. Lui-même affirme que son second blog attire beaucoup de plus de lecteurs et que les deux publics sont différents : plus de visiteurs occasionnels sur « L’actu en patates », plus d’habitués sur « Everland ». Quant au nom du blog, il correspond au style graphique si particulier de l’auteur…

La tentation de l’actualité


Car quand on parle de Martin Vidberg, les habitués savent tout de suite que l’on parle de patates… Ou plutôt de bonhomme-patates : c’est ainsi qu’il représente l’ensemble de ses personnages, y compris lorsqu’il s’agit de caricatures de personnalités, et l’effet n’en est alors que plus saisissant, car tout se concentre sur le visage, à la manière des « grosses têtes » du XIXe siècle. On compare souvent cette technique avec certains personnages de Lewis Trondheim, et Vidberg avoue son admiration pour ce dessinateur. La démarche n’est pas exactement la même : les bonhommes-patates de Trondheim (tels qu’ils apparaissent dans Les formidables aventures de l’univers ou Mister I et Mister O) correspondent plus à une démarche minimaliste poussée qui contamine les décors et le scénario, qui frôle l’humour absurde. Il me semble que Vidberg utilise plus ses bonhommes-patates à la manière des dessinateurs de presse : pour une schématisation qui permet une lecture efficace et rapide (et le style de Vidberg est justement basée sur la rapidité de lecture) et en forme de « signature » graphique, qui le rend immédiatement reconnaissable.

Si je parle autant de dessins de presse, c’est que le lien à la société et à l’actualité est un trait récurrent du travail de Vidberg. Dans « L’actu en patates », c’est une évidence : chaque dessin quotidien illustre un article du monde.fr, et de nombreux ressorts humoristiques sont convoqués : calembour, allégorie, le décalage absurde, l’inventivité graphique, le gag muet, la caricature… Le ton est assez bon enfant : il s’agit de dessins d’humour, pas de dessins satiriques. Vidberg fait d’ailleurs partie des dessinateurs associés au projet « Ça ira mieux demain », une application payante pour smartphone, développée par Ave!Comics permettant de recevoir des dessins d’actualité au fil des mises à jour. Il y côtoie des dessinateurs de presse aguerris comme Plantu, Chappatte, Jul, Maëster et Tignous (http://www.cairamieuxdemain.com/).
Mais il n’y a pas que dans ce blog qu’il fait preuve d’un sensibilité à l’actualité : dès « Everland », Vidberg réalisait des dessins d’actualité (à lire ici une série sur 2008, par exemple). Et lorsqu’il parle de son métier de professeur, que ce soit sur son blog ou dans Le journal d’un remplaçant, il se fait momentanément reporter et témoin éclairé de la société. Les petits bonhommes de Martin Vidberg, par leur simplicité, ne sont pas simplement drôles mais portent aussi autant de messages venant d’un auteur qui, malgré une certaine discrétion, sait parfaitement se faire comprendre.

Depuis la notoriété acquise par son blog, Vidberg diffuse ses bonhommes-patates un peu partout dans des travaux d’illustration et de publicités. Certains sont en rapport avec l’éducation (pour des revues ou des reportages spécialisés), mais d’autres non (publicité pour Direct assurance, notamment).

Pour en savoir plus :

Bibliographie :
J0 2012, Diantre, 2006
Le journal d’un remplaçant, Delcourt, 2007
Les passeurs, Carabas, 2007-2008 (2 tomes, sur un scénario de Mickaël Roux)
Le Blog, sur des textes de Nemo7, Onapratut, 2008
Les instits n’aiment pas l’école, Diantre, 2008
Perdus sur une île déserte, Diantre, 2009
Webographie :

Everland
L’actu en patates
Le blog, avec Nemo7
Le site de bdamateur : http://www.bdamateur.com/
Interview de Martin Vidberg sur psychologies.com
Autre interview sur petitformat.fr

Science-fiction et bande dessinée : années 1990

Cette évocation, forcément subjective, de la science-fiction en bande dessinée dans les années 1990 pourrait avoir pour titre « science-fiction sur le chemin ». En effet, les deux oeuvres dont je vais vous parler sont le travail de dessinateurs qui, sans avoir d’affinités particulières avec la science-fiction, s’y consacre le temps d’un ou plusieurs albums, hors de toute logique de cycles, de séries ou d’univers. Il sera donc question du Transperceneige de Jean-Marc Rochette et Jacques Lob et du Cycle de Cyann de François Bourgeon et Claude Lacroix. Ce qui constitue de ma part un vrai choix dans une décennie où les albums de science-fiction ne manquent pas avec la renaissance d’une forme de science-fiction grand public et de principes éditoriaux adaptés. Je vais commencer par là, d’ailleurs…

Le retour d’une production de masse

Les années 1990 sont celles d’une restructuration éditoriale importante de la bande dessinée : la fin des grandes revues nées dans les années 1970 est annonciatrice de changements. Dans le cas de la science-fiction, Métal Hurlant disparaît en 1987. Le catalogue des Humanoïdes Associés se ressert alors sur la production abondante du scénariste Alejandro Jodorowsky. L’album tend à devenir le support moteur et c’est en prenant acte de ce phénomène que de nouvelles maisons se créent. La décennie est très contrastée : d’un côté, les éditeurs dits « alternatifs » ou « indépendants », avec une politique qui met en avant l’auteur et leur refus de considérer la bande dessinée comme une marchandise (Amok, L’Association, Ego comme X, Cornelius…) ; de l’autre trois éditeurs commerciaux venant renouveler la veine populaire et grand public de la bande dessinée, qui viennent faire concurrence au trio Dupuis/Dargaud/Casterman (Glénat, Delcourt, Soleil). Dans les deux cas, les jeunes éditeurs trouvent leur public et les craintes d’une crise du secteur économique de la bande dessinée s’éloignent.
Les trois derniers éditeurs cités auraient été d’excellents candidats pour les critiques d’albums du jour, sans doute plus représentatifs de l’état de la SF des années 1990. Ils vont appuyer leur succès en partie sur la science-fiction, pour revenir aux formules éditoriales qui avaient fait le succès de séries comme Valérian, agent spatio-temporel quelques décennies plus tôt : sérialisation ad libitum, formatage des albums, séparation scénariste/dessinateur et ciblage d’un public large, à la fois adolescent et adulte ; cela en y ajoutant trois nouveaux principes : le développement des univers au moyen de nombreux spin-offs, la création de multiples collections pour ranger les séries et une forte extension multimédia vers le marché des produits dérivés. Ils participent à ce qu’on pourrait appeler un « retour de la bande dessinée de genre », au moment même où les éditeurs alternatifs cherchent justement à s’affranchir de toute catégorisation.
Peut-être faut-il que je précise ce que j’entends par « bande dessinée de genre », pour éviter toute confusion. Rien de méprisant ou de méprisable : la bande dessinée de genre est pour moi une bande dessinée qui revendique son rattachement à un genre précis par le respect de certains codes, ou par des allusions et des emprunts à des oeuvres antérieures. Quand un auteur doué réalise un tel album, cela peut être une réussite puisqu’il profite alors de la richesse de toute une tradition littéraire et, souvent, d’un public conquis d’avance. Si l’auteur est moins doué, le risque d’une oeuvre stéréotypée et impersonnelle est grand : après tout, le public est conquis d’avance ! La bande dessinée de genre a cet avantage qu’elle permet une exploitation commerciale plus efficace auprès d’un public attaché à ce qu’il connait et ne recherchant pas l’originalité. Dans les années 1980 et 1990, le retour en force de la bande dessinée de genre se voit tout particulièrement dans la bande dessinée historique, dans la science-fiction et, bien évidemment, dans la fantasy, grande gagnante de la période.

Dans le cas de Jacques Glénat, le succès est déjà confortablement assuré : à partir de 1987, sa présence en librairie dépasse Dargaud et Dupuis. Cet éditeur grenoblois apparu en 1969 et passé du fanzinat à l’édition professionnelle en 1972 a fait sa place dans les années 1980 par des réussites solides dans le domaine de la bande dessinée historique (Les Passagers du vent de Bourgeon en 1980-1984 et Les sept vies de l’Epervier de Juillard en 1983-1991). Toujours soucieux de diversifier son catalogue, il se lance aussi dans la science-fiction en publiant par exemple Le Vagabond des limbes de Christian Godard et Julio Ribera, les oeuvres de l’espagnol Juan Gimenez, et, dans les années 1990 le manga Akira de Katsuhiro Otomo.
Guy Delcourt fonde sa maison d’édition en 1986. Il se révèle être un habile « découvreur de talents », y compris dans le domaine de la science-fiction, puisque l’un de ses tous premiers succès est la série Aquablue de Thierry Cailleteau au scénario et Olivier Vatine au dessin (1988). A la fin de la décennie s’affirme la série Sillage de Jean-David Morvan et Philippe Buchet (1998). Entretemps, d’autres séries de science-fiction garnissent le catalogue et toutes sont encore en cours actuellement : Vortex (1993), Carmen McCallum (1995), Nash (1997). Ces séries sont rassemblées au sein de la collection « Neopolis ».
Soleil Productions, la maison d’édition créée par Mourad Boudjellal en 1988, s’est d’abord concentrée sur la fantasy, puisque c’est avec la série Lanfeust de Troy de Christophe Arleston et Didier Tarquin (1994-2000) qu’elle rencontre son premier et plus gros succès. Ce qui n’empêche pas l’éditeur de s’intéresser aussi à la science-fiction, avec Kookaburra de Crisse (1997) Universal War One de Denis Bujram (1998) et Le Fléau des dieux de Valérie Mangin et Aleksa Gajic (2000). Plus récemment, avec le lancement de la suite de Lanfeust, Lanfeust des étoiles (2001), un pont à de nouveaux été dressé entre science-fiction et fantasy.
Bref, ces nouveaux éditeurs investissent en masse la science-fiction, multipliant les nouvelles séries et faisant débuter maintes carrières.

Un autre bon candidat à notre article du jour, mais cette fois plus pour sa qualité que pour sa représentativité, aurait été Péché mortel, série dessinée par Joseph Béhé sur un scénario de Toff et paru en 1989 chez Dargaud (les tomes suivants paraissent de 1997 à 1999 chez Vents d’Ouest). Mais un article de Raniver du Culture’s pub que je vous invite à lire m’a depuis longtemps devancé… Les deux albums du jour, choix tout à fait anachroniques, s’inscrivent encore dans des structures anciennes puisqu’ils sont tous les deux publiés à l’origine dans le magazine (A suivre) aux ambitions littéraires affirmées, puis sortent en album chez Casterman. Leurs auteurs ne sont pas de jeunes talents des années 1990 mais des auteurs confirmés des décennies précédentes. Ce sont deux excursions dans la science-fiction pour la carrière de leurs dessinateurs respectifs.

Le Transperceneige de Jean-Marc Rochette et Jacques Lob


L’histoire complexe de la publication du Transperceneige relie les années 1970 aux années 1990. En 1977, Jacques Lob et Alexis en proposent une première version à Casterman. Il s’agit alors d’un récit post-apocalyptique où les seuls survivants sont massés dans un train parcourant une terre envahie par des neiges éternelles. Parce qu’il ne s’arrête jamais, le Transperceneige évite à ses occupants la « mort blanche » qui touche ceux qui s’aventurent au-dehors. Le genre post-apo bénéficie d’une certaine mode dans la bande dessinée sous l’impulsion de Claude Auclair, auteur de Simon du fleuve (1973). Il pose la question de la reconstruction d’une société après une catastrophe, question à laquelle Le Transperceneige apporte sa propre réponse. Alexis et Lob sont des piliers de la nouvelle presse des années 1970 : ils ont participé aux premiers numéros de Fluide Glacialet notamment à la série humoristique Superdupont. J’avais déjà eu l’occasion d’évoquer dans un article sur cette série le trait hypperréaliste et impressionnant d’Alexis. Lob, de quinze ans l’aîné d’Alexis, est avant tout un scénariste au long cours qui a touché à de nombreux genres, dont la science-fiction (ainsi son Dossier soucoupes volantes dessiné par Robert Gigi, paru dans Pilote de 1969 à 1975, sur le phénomène des O.V.N.I., mais aussi un scénario pour la série Lone Sloane de Druillet). La mort d’Alexis en 1977, à l’âge de 31 ans, interrompt le projet du Transperceneige, en plus de forger autour d’Alexis un « mythe » de l’auteur prodige.

Le projet refait surface en 1982 : Lob cherche un nouveau dessinateur dont le trait dur s’accorderait avec son scénario sombre. Ce sera Jean-Marc Rochette. Casterman possède alors sa revue (A Suivre), structure idéale pour accueillir un nouveau Transperceneige. La version, qui paraît en album en 1984, a donc tous les aspects des fameux « romans (A suivre) » : pagination épaisse et non-limitée, noir et blanc de rigueur, densité du scénario. L’histoire décrit le parcours d’un bout à l’autre du « Transperceneige » de Proloff, un occupant des wagons de queue où s’entasse une plèbe abandonnée à elle-même, et d’Adeline Belleau, une jeune militante. Ils vont découvrir, en même temps que le lecteur, l’histoire du Transperceneige et les secrets de ceux qui en ont pris la tête.
Fidèle à la tradition socio-politique vivace de la science-fiction, le Transperceneige n’est rien d’autre qu’une métaphore de la société, amplifiée par le contexte post-apocalyptique. Le train qui avance est notre destin commun, impossible à arrêter. Il est hermétiquement divisé en plusieurs compartiments selon le rang social : les défavorisés sont livrés à eux-mêmes dans les wagons de queue, sans autre contact avec le reste du train que les soldats qui gardent les wagons ; à l’autre bout se trouvent les puissants qui mènent une vie débauchée et décadente et font tout pour conserver leurs privilèges. Un clergé qui vénère « sainte loco » regroupe autour de lui ceux que l’enfermement rend fous. La symbolique est puissante, au risque d’être parfois un peu simpliste. L’album, pessimiste et claustrophobique, se lit comme une parabole moderne (lecture tout autant salutaire à notre époque qu’il y a trente ans, malheureusement).

Revenons un peu sur Jean-Marc Rochette. Il s’est fait connaître à partir de 1979 avec Edmond le cochon, série animalière à l’humour grinçant, inspirée par l’underground américain et scénarisée par Martin Veyron. Il est venu à la bande dessinée avec L’Echo des savanes et (A Suivre). Le Transperceneige est son premier essai dans la science-fiction. Son réalisme mordant, qui n’est pas sans rappeler celui d’Alexis ou d’Auclair justement, pousse Lob à noircir encore son scénario, qu’il avait prévu plus léger à l’origine. Par la suite, Rochette persévère dans la science-fiction en compagnie de Benjamin Legrand, avec Requiem blanc, oeuvre d’anticipation sociale (1987), puis L’or et l’esprit (1995). Le travail de Rochette se caractérise par un important éclectisme : il passe sans cesse de l’humour à la science-fiction. Son style, également, évolue énormément : du réalisme noir et blanc du Transperceneige à l’expressionnisme coloré de L’or de l’esprit, en passant, plus récemment, par un graphisme plus caricatural pour sa collaboration avec Pétillon (Dico et Louis, 3 tomes, 2003-2006) (il faut encore ajouter à sa carrière deux autres branches : illustrateur pour enfants et dessinateur technique pour des journaux sportifs). Rochette poursuit également une carrière de peintre dont on peut admirer quelques oeuvres sur son site. Cette seconde carrière, commencée en 1987 suite à l’échec commercial de Requiem blanc, a, à ses dires, contribuée au renouvellement de son style lorsqu’il reprend la bande dessinée après une interruption de sept ans. Il travaille toujours entre peinture et dessin.
C’est toujours avec Benjamin Legrand qu’il entreprend de donner une suite au Transperceneige en 1999 (l’occasion pour Casterman de rééditer le premier tome). Plutôt que de suite, il faut parler d’un écho en hommage à Jacques Lob, mort en 1990. L’histoire se passe dans un second train roulant sur les mêmes rails dont les passagers sont terrifiés à l’idée d’une collision avec le premier Transperceneige. Dans ce second train règne une autre organisation sociale guère plus rassurante, basée sur le mensonge, où les passagers s’évadent de la réalité au moyen d’outils virtuels. Les deux héros, là encore un homme et une femme, s’avancent dans une quête pour connaître la vérité de leur situation. Un troisième tome paraît en 2000. Abandonnant un peu le côté « symbolique » pour entrer plus franchement dans l’aventure, il fait aussi le lien avec le premier tome et répond à quelques questions. Legrand parvient à renouer avec le scénario initial. Entre les deux albums, on peut constater l’évolution du style de Rochette qui se fait ici beaucoup plus stylisé et délicat.

Le cycle de Cyann de Bourgeon et Claude Lacroix, Casterman, 1993


Le Cycle de Cyann, à l’inverse, se rapproche d’une science-fiction de l’exotisme et du dépaysement qui va voir du côté de la fantasy. Cyann Olsimar, fille dévergondée et immature du dirigeant de la ville d’Ohl, est choisie par son père pour accomplir une mission sur une planète voisine nommée Ilo : elle doit en ramener un antidote aux fièvres pourpres, une maladie mortelle qui se répand dans la population d’Ohl. Elle est accompagnée par sa meilleure amie Nacara, de rang social inférieur mais beaucoup plus responsable. Si, par la suite, le Cycle de Cyann deviendra une série, il est d’abord conçu en deux parties découpées de façon logique. La première partie, publiée en 1993 dans (A suivre), décrit les difficiles préparatifs du voyage : sur Ohl, le pouvoir est partagé par deux institutions, la Source (le clergé) et la Sonde (l’Etat) (qui donnent son nom à l’album La Source et la Sonde) et les Olsimar, membre de la Sonde, doivent se débattre avec la mauvaise volonté de la Source à voir partir la mission. Les lecteurs doivent attendre 1996 pour lire, toujours dans (A Suivre), la seconde partie intitulée Six saisons sur Ilo qui raconte, comme son nom l’indique, la quête de la jeune fille et de son équipe sur la planète d’Ilo, à la recherche de l’antidote. Les deux albums sortent logiquement chez Casterman, éditeur de (A Suivre) en 1993 et en 1997.
Le Cycle de Cyann est publié dans une revue (A Suivre) qui vit ses derniers feux : elle s’arrête en 1997. Il s’agit d’une des dernières revues historiques nées de la grande vague de création des années 1970 et elle n’est plus parvenue à conserver son rôle prépondérant d’avant-garde de la bande dessinée. Pourtant, elle a su donner la part belle à une science-fiction renouvelée : souvenez-vous de mon article de juillet sur La fièvre d’Urbicande de Schuiten et Peeters. Les deux auteurs lui restent d’ailleurs fidèles jusqu’à la fin.

François Bourgeon est lui aussi un fidèle de (A Suivre) et, comme la revue, il a connu ses premiers grands succès dans les années 1980. A ses débuts, Bourgeon participe au renouveau de la bande dessinée historique par sa branche documentariste, accompagné dans cette démarche par d’autres auteurs comme Didier Convard, Frank Giroud et André Juillard. Tous les quatre font partie du catalogue Glénat et publient dans le journal Circus plusieurs séries historiques : Brunelle et Colin pour Convard, Louis la guigne pour Giroud (avec Jean-Paul Dethorey), Les sept vies de l’Epervier pour Juillard et, pour François Bourgeon, Les Passagers du vent (Bourgeon est d’ailleurs le premier dessinateur de Brunelle et Colin, avec Robert Génin comme scénariste). Ce qui rapproche tous ces auteurs, outre le fait d’être publiés dans les mêmes structures, est leur sens aigu de la reconstitution historique. Il ne s’agit pas seulement, suivant la tradition de la bande dessinée historique, d’opter pour un trait naturaliste, mais aussi d’amasser les connaissances et la documentation nécessaire pour être au plus près de la réalité historique et des problématiques politiques et sociales de l’époque décrite. Chez François Bourgeon, cela se traduit par autant d’effets de réel qui nous donnent l’impression d’être transportés plusieurs siècles en arrière. Ainsi, Les Passagers du vent (1980-1984 pour le premier cycle de parution) se déroule au XVIIIe siècle et évoque, au-delà des aventures de la jeune Isa, le commerce triangulaire entre les Antilles, l’Afrique et L’Europe. Bourgeon s’appuie sur sa documentation pour reconstituer les costumes, les lieux visités, mais aussi la langue.
Le plus remarquable avec Le cycle de Cyann est que cet acquis de la nouvelle bande dessinée historique est réinvesti dans un récit de science-fiction : au lieu de reconstituer notre passé, Bourgeon reconstitue notre futur (on comprend à demi-mots que les habitants d’Ohl sont nos lointains descendants). Il s’associe pour cela à Claude Lacroix, dessinateur polyvalent ayant été illustrateur de romans de science-fiction. Tous les « trucs » de l’effet de réel par Bourgeon se retrouvent dans Le cycle de Cyann, en particulier dans le premier tome, La Source et la Sonde, dont l’objectif est de nous familiariser avec l’univers dans lequel évolue l’héroïne. Bourgeon met l’accent sur l’exotisme de l’architecture et des vêtements des personnages, auquel il donne un sens : chaque classe sociale (Majo, Medio et Mino) a sa propre façon de nouer ses vêtements et ses cheveux. Il leur invente un langage composé d’expressions fleuries qui fait que le monde de Ohl a parfois des accents médiévaux.
Un supplément aux deux albums paraît en 1997 sous le nom de La clé des confins, et se propose comme une encyclopédie du monde de Cyann. L’illusion de réalité se poursuit, puisque l’ouvrage fait référence à des recherches que les deux auteurs auraient réalisées pour raconter l’histoire de Cyann, comme s’il s’agissait d’une réalité historique. Comme l’indique l’avertissement : « Il donne un aperçu thématique de la vaste documentation dans laquelle ont puisé les auteurs ». Une démarche d’enrichissement des univers de science-fiction qui rappelle celle de Benoît Peeters et François Schuiten pour leurs Cités obscures (en 1996, ils publient un Guide des cités obscures qui imite le format, le contenu et l’organisation d’un guide touristique). C’est d’ailleurs là une direction que prend la science-fiction graphique française quand elle multiplie les spin-offs des séries principales, les encyclopédies et autres guides. L’alliance du texte et de l’image est vécu par ces auteurs comme un moyen incomparable de faire vivre un univers de fiction.

Pour en savoir plus :
François Bourgeon et Claude Lacroix, Le cycle de Cyann, Casterman, 1993-1997 (2 tomes). 2 nouveaux tomes sont parus depuis, en 2005-2007)
idem, La clé des confins, Casterman, 1997
Jean-Marc Rochette et Jacques Lob, Le Transperceneige, Casterman, 1984
Jean-Marc Rochette et Benjamin Legrand, L’arpenteur, Casterman, 1999 (un troisième tome est paru en 2000 sous le titre La traversée)
Site consacré à l’oeuvre peint de Rochette
Revue P.L.G., n°38 (interview de Jean-Marc Rochette)

Baruthon 7 : Sur la route encore, Casterman, 1997

Rien de tel pour la rentrée de Phylacterium que la suite de Baruthon, exploration dans l’oeuvre de Baru. Après la « somme » de L’autoroute du soleil, nous descendons doucement les années 1990 avec Sur la route encore. Il nous prouve son talent de raconteur d’histoires.

Baruthon 1 : Quéquette blues et La piscine de Micheville
Baruthon 2 : La communion du Mino et Vive la classe !
Baruthon 3 : Cours camarade
Baruthon 4 : Le chemin de l’Amérique
Baruthon 5 : promenades et albums collectifs
Baruthon 6 : L’autoroute du soleil

Dans le sillage de Casterman

Plus qu’avec L’autoroute du soleil, qui était surtout un projet coordonné par l’éditeur japonais Kodansha et repris pour la France par Casterman, c’est avec Sur la route encore que Baru entre dans l’équipe de l’éditeur belge pour quelques albums encore, ainsi que plusieurs rééditions. En 1998, pour marquer l’entrée de cette nouvelle recrue au palmarès solide, Casterman réédite Le chemin de l’Amérique. De fait, Baru ne publiera plus d’albums chez Albin Michel, et encore moins chez Futuropolis qui n’existe plus depuis 1994, le catalogue ayant été vendu à Gallimard.
Mais Baru n’arrive pas chez Casterman par hasard, puisqu’il intègre le magazine (A Suivre), dans lequel il publie Sur la route encore de 1996 à 1997. Petit retour en arrière pour ceux qui n’auraient pas suivi ou ceux à qui ce nom, aujourd’hui disparu, ne dit rien. Dans la foulée des grandes créations de revues des années 1970, (A Suivre), à partir de 1978, fait date : il confirme l’évolution de la bande dessinée vers la densité romanesque et le refus de certaines conventions éditoriales, telle que le nombre de pages imposé ou la couleur. Voulant faire de la bande dessinée un média intégré à la littérature, il offre à des auteurs généralement déjà connus le moyen de réaliser des oeuvres plus personnelles. Que Baru arrive dans (A Suivre) après une carrière déjà lancée n’est donc pas étonnant. Dès la fin des années 1980, la revue est en perte de vitesse et se maintient malgré tout grâce à ce que Thierry Groensteen appelle une « acharnement thérapeutique ». La pertinence du rédactionnel baisse et la revue peine à intégrer les évolutions propres aux années 1990. Pourtant, elle tente de récupérer des auteurs qui ont justement débuté dans la décennie précédente, François Bourgeon, Moebius, Jacques Ferrandez, ou des valeurs sûres de la revue comme Tardi, Comès, Schuiten et Pratt. Grâce au prestige d’(A Suivre), l’éditeur, originellement spécialisé dans les ouvrages religieux et porteur de l’héritage d’Hergé, s’attire des auteurs adultes aux fortes ambitions artistiques. A regarder les récits publiés dans ses dernières années ((A Suivre) s’arrête en 1997), on sent que, malgré la baisse des ventes, la qualité est toujours présente et Sur la route encore ne fait pas exception.

On the road


Sur la route encore regroupe plusieurs thèmes propres à Baru. Il y a notamment cette violence crue, même si son trait s’est désormais apaisé par rapport à ses débuts pour réserver l’expressionnisme aux moments les plus adéquats. Il y a bien sûr le sexe, toujours présent chez Baru, souvent sur un mode faussement comique et potache. Les récits indépendants (en apparence) qui composent l’album sont parsémés d’histoires où ces deux éléments moteurs, la violence et le sexe, sont étroitement mêlés, mais jamais de façon racoleuse : par exemple, dans le personnage de « Bouboule », autostoppeuse un peu enveloppée qui craint de se faire violer par les automobilistes. Baru adore jouer sur l’ambiguité de la sexualité dans notre société : tantôt ce qui se présente comme un drame tourne finalement à la farce, comme dans les « Teutons pointeurs », tantôt la farce initiale conduit au cauchemar, dans « Au rendez-vous des amis ». Les histoires de Baru ont quelque chose de jubilatoire, maltraitant certains interdits avec le plus grand des plaisirs.
A chaque nouvel album de Baru frappe la cohérence de ses thèmes, qui donne l’impression que tous les albums ne sont que plusieurs chapitres d’une même histoire sans cesse répétée. Il suffit de considérer le titre de Sur la route encore. Le sens du mouvement est omniprésent chez Baru, dans les titres, au moins depuis Cours camarade. Le chemin de l’Amérique et L’autoroute du soleil sont deux autres exemples de l’invitation au voyage perpetuel, même s’ils proposent une destination. Sur la route encore est presque un constat : Baru est toujours en route. Venons-en, justement à l’image de la route.

Par le titre, une double référence résonne avec une Amérique mythifiée des années 1950. C’est d’abord le roman de Jack Kerouac, On the road (1957) : roman initiatique qui raconte le parcours imaginaire, mais aux tonalités autobiographiques, du narrateur à travers les Etats-Unis. On the road évoque le mouvement littéraire dit de la « Beat generation » qui renouvelle le mythe américain (importance de la musique, de la bohème, de la liberté) et possède une forte influence sur des artistes qui lui succèdent. C’est ensuite une célèbre chanson de Willie Nelson, On the road again (1980), devenu un classique repris de nombreuses fois. La country de Nelson trouve également ses racines dans la tradition propre à l’Amérique du Nord et mélange la musique et le thème de l’errance. Cette Amérique mythifiée a une bonne place dans l’oeuvre de Baru : du héros de L’autoroute du soleil passionné par les années 1950 au titre même du Chemin de l’Amérique. Et l’un des héros de Cours camarade, Stanislas, se prend pour James Dean dès le début de l’album. Les Etats-Unis semblent être un rêve qui permet aux héros de Baru, immigrés, ouvriers et banlieusards, d’avancer ; une façon de les lancer dans l’aventure. La première histoire de Sur la route encore, « Calypso rock », en devient presque symbolique du vieux rêve de jeunesse devenant étape originelle : le héros retrouve par hasard la trace des membres de son ancien groupe de rock, reconvertis en accompagnateurs d’un insipide crooner de variétés, marque du temps qui passe. L’occasion est trop belle : le groupe se reforme à l’improviste et injecte un peu de rock dans la soupe « calypso », insufflant une frénésie puissante dans le public. Le ton est donné : il y aura du rythme et de l’action.

Epopée narrative
Que Sur la route encore ait été publiée dans (A Suivre), revue porteuse d’une conception très littéraire de la bande dessinée et mettant l’accent sur le scénario, ne doit pas surprendre : cet album est celui dans lequel Baru laisse le mieux apparaître ses talents de conteurs. J’entends ici conteur dans le sens de raconteur, de tricoteur d’histoiree ; il laisse dans l’ombre tel élément pour mieux nous surprendre ensuite ; il emprunte au polar un art du suspens et du drame ; il multiplie les voies narratives pour faire varier les ambiances. Sur la route encore, composé de six histoires de taille variable est finalement un bon exercice de style. Certes, l’ampleur n’est plus celle de L’autoroute du soleil ; certes les enjeux sociaux et politiques marquent un peu le pas (quoique, si on lit entre les images) ; certes l’intrigue policière apparaît parfois comme un peu artificielle. Mais elle porte une forme de réjouissance personnelle de l’auteur par laquelle il est agréable de se laisser porter.
La structure narrative de Sur la route encore donne même l’impression de jouer sur la liberté de diffusion de (A Suivre), détournant les codes propres à la revue par une dissolution de l’intrigue linéaire romanesque. Il faut ici oublier un instant qu’on lit un album pour se souvenir qu’il y a d’abord prépublication. (A Suivre) publie soit des « récits complets » (courts récits autonomes de quelques pages, ayant un début et une fin propre), soit des « récits à suivre » (feuilletons qui s’étendent de numéros en numéros). Baru joue sur les deux tableaux. Chacun des « chapitres » de Sur la route encore est un récit complet. La publication n’est d’ailleurs pas régulière et plusieurs mois s’écoulent entre chaque épisode. Et après tout, Baru est depuis le début un amateur d’histoires courtes au rythme rapide, telles celles de La piscine de Micheville ou de La communion de Mino, ou beaucoup d’autres disséminées dans la presse spécialisée ou dans des collectifs. Ce n’est qu’au fur et à mesure que l’on se rend compte qu’il s’agit en réalité d’un récit à suivre : le dernier chapitre résout naturellement le fil de l’intrigue et explique la fuite en avant des deux narrateurs. Baru confronte ainsi le rythme allusif et intense de ses débuts à une intrigue au long cours telle que celle de L’autoroute du soleil. L’exercice est d’autant plus amusant que la principe de prépublication est alors en perte de vitesse et que son interprétation par Baru est proche du détournement, jouant sur l’attente et les interrogations du lecteur.
L’exploration des techniques de narration n’est pas si courante dans la bande dessinée contemporaine que l’on doive passer à côté. L’adoption de la bulle a fini par évacuer les lourds récitatifs défilant sous les images mais, comme je le faisais remarquer à propos de Christophe, la présence d’un narrateur commentant l’action peut aussi être une valeur ajoutée quand elle est parfaitement maîtrisée par des auteurs comme Jacques Tardi, Jacques de Loustal et… Baru. Dès Quéquette blues, Baru s’adjoint un récitant qui ne le quittera pas, tantôt à la première personne, tantôt à la troisième, toujours ironique. Il sait en jouer et nous le prouve dans Sur la route encore. Deux narrateurs se partagent les six récits. On suit tour à tour André et Edith, chacun poursuivant son propre road-movie. Et même si on finit par comprendre qu’André cherche Edith, ils vivent, jusqu’au sixième récit, des aventures séparées. Comme dans un morceau de musique, chaque récit a sa propre mélodie, son propre parfum (explosion nostalgique et libératrice de « Calypso rock », farce jubilatoire et absurde des « Teutons pointeurs »…).

Avec Sur la route encore, Baru explore plus que jamais son chemin en solitaire. Dans le paysage de la fin des années 1990, son parcours ne ressemble à rien de connu. Baru ne s’intègre pas à la dynamique qui porte les éditeurs alternatifs sans pour autant baisser ses exigences. Cet album qui a pourtant plus de dix ans n’a jamais été réédité, contrairement à d’autres oeuvres, encore plus anciennes, de leur auteur. Je vous invite, si vous aimez les autres oeuvres de notre Grand Prix du FIBD 2010, à le redécouvrir, en espérant que votre médiathèque est aussi bien fournie que la mienne…

Pour en savoir plus :

Sur la route encore, Casterman, 1997

A suivre dans : Bonne année et autres récits sociaux, 1995-2009

Les dimanches oubapiens de Phylacterium – 5

Résumé des épisodes précédents : pendant l’été, Mr Petch, sur son blog Phylacterium, réalise quelques exercices oubapiens…

Mr Petch –
Mon cher Fulgence, je suis fort navré de vous annoncer qu’aujourd’hui est notre dernière rencontre de l’été… Le monde reprend son cours, le blog son rythme bi-hebdomadaire et nous nos activités respectives.

Fulgence – Nos activités respectives ? Mais… Je n’ai pas d’activités respectives ! Je n’existe que par et pour les dimanches oubapiens, pour vous empêcher d’oubaper en rond ! Tenez, par exemple, la réponse de la semaine dernière : j’ai fini par la trouver !

Mr Petch – Ho ho !

Fulgence – Riez donc, si vous ne me croyez pas. Vous allez voir ce que vous allez voir…

Mr Petch –
Je suis toute ouïe…

Fulgence – Il s’agit de la page 34 de l’album Momies en folie, de la série Adèle-blanc-sec de Jacques Tardi… Ça vous épate, hein ? Je deviens bon ! Et j’ai même remarquer que vous aviez déjà consacré un article à Tardi, pour son Démon de glaces. C’était il y a un bon moment. C’est que je suis votre blog avec assiduité.

Mr Petch –
C’est parfaitement exact ! Toutes mes félicitations ! Quel dommage que nous devions nous quitter…

Fulgence –
Attendez ! Attendez ! Pas si vite ?

Mr Petch –
Quel empressement, mon cher Fulgence ! Que se passe-t-il donc ?

Fulgence – J’ai voulu m’amuser un peu, moi aussi ! C’est vrai, il n’y a pas que vous qui avez de la culture ! Moi aussi, je vous ai préparé une petite hybridation…

Hybridation à partir de la page 7 du premier tome de De Cape et de Crocs, sur un dessin de Jean-Luc Masbou (scénario d'Alain Ayroles, Delcourt, 1995)

Mr Petch – De Cape et de crocs d’Alain Ayroles et Jean-Luc Masbou… J’en parle dans un ancien article qui est…

Fulgence – Hé, ho ! Ça va, avec vos articles… Et le texte, alors, d’où vient-il ?

Mr Petch –
Comme ça, au jugé, je dois dire que…

Fulgence –
C’est une petite astuce, et le hasard n’y est pas pour grand chose… Car ce n’est pas une bande dessinée… C’est une des sources mêmes de la série De Cape et de Crocs ! Une référence qui revient sans cesse et que nos lecteurs auront peut-être, au moins deviné…

Mr Petch –
Vous m’intriguez de plus en plus…

Fulgence –
Comme je ne suis pas aussi cruel que vous, et comme c’est mon dernier jour, aujourd’hui, je vais vous dire de quoi il s’agit…

Mr Petch – Trop aimable.

Fulgence –
Ce n’est rien moins que le début de l’Histoire comique des états et empires de la Lune du poète Savinien Cyrano de Bergerac. Le brave Cyrano, qu’Edmond Rostand a mis en scène en 1897, y raconte son voyage imaginaire dans la Lune et s’en sert pour railler les travers de son époque. Un roman publié rien de moins qu’en 1657 ! Il y a trois siècles et demi ! Et pourtant, la bande dessinée le fait revivre dans les aventures de Don Lope de Villalobos y Sangrin et Armand de Maupertuis, le loup et le renard. L’oeuvre confrontée à sa référence littéraire ; le spectacle est amusant, non ? J’ai trouvé le texte dans Wikisource.

Mr Petch –
Wikisource ? Ce n’est pas très sérieux, ça, Fulgence !

Fulgence – J’étais sûr que vous diriez ça ! Et c’est vrai que la version de Wikisource n’est pas tout à fait juste. Du coup, j’invite nos chers lecteurs que le sujet intéresse à télécharger eux-mêmes la version numérisée de l’édition de 1657, disponible sur Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France.

Mr Petch – Sage précaution… Et maintenant, Fulgence, rideau… Laissons le blog reprendre son cours tranquille, et retirons-nous de la scène.