Mon palmarès 2018 pour la bande dessinée numérique

Le FIBD d’Angoulême approche. Comme indiqué dans mon précédent post, vous m’y retrouverez à l’occasion d’une table ronde intitulée « Vers une professionnalisation de la bande dessinée numérique », en très bonne compagnie, puisqu’on y trouvera Vidu, Camille Duvelleroy, Florian Dupas (Kwalia) ainsi que Prieur et Malgras. La rencontre a lieu le vendredi 25 à 14h au Pavillon Jeunes Talents, sous la supervision de l’adaBD.

Et puisqu’il est question d’Angoulême… Vous aurez constaté que cette année, aucun prix n’est décerné à la bande dessinée numérique, pas même un petit « Challenge Digital ». Tout cela est bien triste… Alors pour me consoler, je vous livre mon palmarès 2018 pour la bande dessinée numérique française…

Vous me connaissez : plutôt qu’un podium, je vais m’adonner à un petit parcours buissonnier dans les huit bandes dessinées numériques qui m’ont particulièrement plu en 2018… Une liste de lecture capable de ravir tous les goûts.

Leur point commun tient à une formule toute simple : raconter une histoire au format numérique, ni plus, ni moins. Plus clairement : sans chercher d’effets d’esbrouffe, les auteurs ci-dessous montrent que le langage visuel de la bande dessinée numérique est bien spécifique à ce média, et qu’il n’est pas besoin d’aller très loin pour faire de la dimension « numérique » de ces œuvres une part de l’émotion de lecture.

Catégorie « adaptation d’album papier » : Panama Al Brown de Camille Duvelleroy, d’après l’album de Jacques Goldstein, Alex W. Inker

2018-panamaAdapter au format numérique un album papier est une gageure, et on se souvient avec désarroi des premiers systèmes de « lecture guidée » des albums numérisés. Heureusement, des progrès ont été fait depuis, notamment grâce aux fondateurs d’Allskreen, qui s’est fait une spécialité de l’adaptation d’albums en diaporama. Ce n’est cependant pas chez eux que j’ai déniché la meilleure de ces adaptations, mais plutôt du côté d’Arte, avec Panama Al Brown.

J’ai déjà amplement encensé cette œuvre il y a quelques mois, donc juste quelques mots pour les nouveaux venus : Panama Al Brown montre ce que peut être une adaptation numérique réussie, lorsqu’elle réfléchit à la façon dont le numérique enrichit les spécificités initiales d’un récit. Ici, l’effet de réel nécessaire à une bd documentaire se nourrit de sons, de vidéos, de photographies, tout en ménageant une lecture fluide.

Catégorie « meilleure narration numérique » : Still Heroes d’Exaheva

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Connu jusqu’à présent pour des créations plus expérimentales, Exhavea prouve avec Still Heroes qu’il sait aussi s’attaquer à des récits aux enjeux plus ambitieux, et que le numérique n’est pas un simple exercice de style. L’histoire est celle, plutôt classique, d’une adolescente, Ermeline, jeune super-héroïne urbaine en pleine remise en question. Mais ce qui emporte l’adhésion, c’est bien la façon dont la narration numérique (ici mêlant diaporama et interactivité) est menée comme vecteur d’émotion et de sens, caché entre les cases et les clics.

Réalisé avec des outils numériques plus proches du jeu vidéo (moteur de jeu Unity, diffusion sur itch.io, modèle de téléchargement payant à la pièce pour une lecture hors ligne), Still Heroes s’adresse aussi aux amateurs de jeux narratifs élaborés, et intègre d’ailleurs des mécaniques issues du point and click, sans pour autant franchir le pas du tout ludique. Un beau pari en équilibre entre les médias, dont on attend toujours le chapitre 2 (avec impatience).

Catégorie « bande horizontale » : L’Auberge par Tommy Redolfi

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Il faut le dire : à l’heure où la mode est au webtoon vertical, le pari du « stripop » horizontal est osé. Si j’avais été peu convaincu par les premières réalisations de Stripop Creative, leur partenariat avec la région Rhône-Alpes dans le cadre des « Flashbacks du patrimoine » a donné lieu à des créations de fort belle facture (que je regrette d’avoir découvert si tardivement). A chaque fois, un dessinateur revisite un document issu des fonds patrimoniaux des bibliothèques de la région.

La plupart des 8 œuvres réalisées sont de qualité, mais parmi elles, c’est L’Auberge de Tommy Redolfi, libre adaptation d’une nouvelle de Maupassant, qui m’a vraiment tapé dans l’oeil par son utilisation de la parallaxe et ses clairs-obscurs neigeux au fusain ; la verticalité du format y est scandé par l’horizontalité d’une forêt en hiver, des poutres d’une cabane, d’un homme perdu. Un travail graphiquement admirable et maîtrisé.

Catégorie « bande dessinée scientifique » : You, Robot d’Emmanuel Espinasse

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Le projet ERC Comics, proposé par le conseil de la recherche européen, a déjà donné lieu à de très chouettes réalisations sur le principe de l’illustration d’un sujet de recherche scientifique par un dessinateur. Emmanuel Espinasse, déjà connu pour d’autres réalisations numériques, livre ici un premier récit long, You, Robot, sur le thème de l’interaction entre les humains et les robots. Par des histoires du quotidien sont déclinées les questions traitées par la robotique moderne : drones de surveillance, robots de compagnie, adaptabilité des intelligences artificielles, part d’émotion de la communication robotique… De courts paragraphes explicatifs renvoient à la fin de chaque épisode aux notions scientifiques abordées.

Le style de l’auteur, néo-retro et élégant, s’accorde bien à cette histoire d’un futur pas si lointain. La bonne idée est de dépasser le simple diaporama par un jeu chromatique sur des zones à cliquer, où l’on bascule régulièrement de la vue « humaine » à l’écran du robot. Simple mais efficace.

Catégorie « équilibre papier/numérique » : la collection RVB des éditions Hécatombe

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L’arrivée de la « Collection RVB » dans le paysage d’une édition alternative peu intéressée par le numérique a été la bonne surprise des éditions Hécatombe, sous la houlette de son fondateur Yannis La Macchia. Un pari surprenant : des « cartes » à acheter pour accéder à partir d’un code à une bande dessinée numérique en ligne. Il fallait bien tenter l’expérience.

Parmi les trois réalisations ayant vu le jour, celle de la toujours excellente Oriane Lassus, sous le titre évocateur Sylvie pour la caisse 5, est sans doute l’histoire qui tire le mieux parti de cette double existence, où le numérique devient un jeu de pistes pour décoder les coulisses de la grande distribution…

Catégorie « réseaux sociaux » : Au fond du trou de Nepsie et Le Vilain

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On ne pouvait pas passer à côté de la hype de 2018 : la bande dessinée sur instagram. Les créations se sont multipliées, de la saison 2 de Eté à l’aventure improvisée de Lapinot par Lewis Trondheim. Mais… Celle que j’ai suivi avec le plus d’attention est le journal de bord Au fond du trou de Nepsie et Le Vilain, où le couple d’artistes racontent avec humour leur installation dans une maison troglodyte.

Bien sûr, le format est simplissime : des diaporamas carrés instagram, avec parfois photos et schémas pour l’explication d’un bricolage ou d’une plantation. Mais le propos clair, l’enthousiasme communicatif et l’humour permanent font de ce feuilleton troglodyte une vraie réussite, toujours en phase avec ses abonnés via les commentaires, la FAQ, le Tipeee et les multiples contenus bonus. L’impression de renouer avec l’ambiance chaleureuse de la blogosphère des années 2000 où, de la proximité retrouvé entre auteur et lecteur se dégageait le plaisir de suivre, à distance, des amis en vadrouille.

Catégorie « interactivité » : Elya police investigation de Vidu

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Commencé à la suite d’un financement participatif réussi et publié à raison d’un épisode par semaine sur Facebook, Elya repose sur un principe assez simple : chaque épisode se terminait par un choix entre deux ou trois issues, et c’était les lecteurs qui déterminaient, en votant, la suite de l’histoire.

Ce qui aurait pu n’être qu’un gimmick devient un feuilleton policier-SF palpitant et drôle, capable d’exister hors de son procédé interactif, grâce à une histoire bien ficelée et un univers dystopique cohérent. S’ajoute à ça une gestion inventive du format de défilement vertical qui permet à l’auteur de passer d’une échelle à l’autre, ou d’une voix à l’autre. Et une petite surprise à l’épisode 11 pour qui connaît le style de Vidu…

Catégorie « webtoon » : Lastquest de Prieur et Malgras

2018-lastquestJe dois vous faire un aveu : je ne suis pas un grand fan du format webtoon à la mode en ce moment, qui se limite souvent à un simple recollage à la verticale de planches. Et pourtant, ce que Camille Prieur et Vincent Malgras ont fait de ce format avec Lastquest vaut le coup. Alors bien sûr, c’est du webtoon augmenté, avec son et lumière. Mais pas seulement : comme les auteurs ont compris que gérer la verticalité de lecture, c’était gérer l’attente, la surprise et la découverte, ils s’en donnent à coeur joie en multipliant les effets (fondus au noir, apparition du héros, perspectives profondes, transformations, paysages spectaculaires surgissant du fin fond de l’écran). Et ça marche pour rendre vivant une lecture numérique d’images fixes.

On y suit des aventuriers mi-antiques mi-scientifiques dans une quête digne d’un space opera seventies (on passe des cités antiques à l’âge de glace en passant par la jungle reptilienne) à la sauce franco-belge. Le numérique renforce ici le côté épique et mouvementé de l’aventure en allant voir, par l’animation et la musique, et bien sûr les nombreuses références visuelles, du côté du cinéma hollywoodien.

Une réflexion au sujet de « Mon palmarès 2018 pour la bande dessinée numérique »

  1. Belzaran

    Je suis aussi sur Instagram « Au fond du trou ». Je n’ai aucune envie de faire une maison comme eux, mais c’est communicatif. Et c’est vrai qu’il y a un petit côté retour au blog BD sur leur compte… En tout cas, ça m’a plus captivé que les BDs façon « une case par jour » de Trondheim et Bianco.

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