Parcours de blogueur : Sophie Guerrive

Parce qu’il n’y a pas que Les autres gens dans le monde de la BD en ligne et qu’il parfois bon de revenir dans de chaleureux endroits comme le portail Lapin pour dénicher de jeunes auteurs apparus sur Internet ces dernières années. Aujourd’hui, petite présentation du travail de Sophie Guerrive aux multiples pseudonymes (vous la trouverez sous le nom de Zof ou simplement de Guerrive), qui a déjà fait paraître en librairie trois astucieux albums…

Du côté des éditeurs : passerelles


Passons sur le fait que Sophie Guerrive a étudié l’illustration à l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg, j’ai déjà fait suffisamment de publicité dans mes parcours de blogueur à cette école qui a vu passer Boulet, Lisa Mandel, Nicolas Wild et Vincent Sorel, pour ne citer que ceux que vous pouvez retrouvez sur ce blog (liens). Elle en sort tout récemment, en 2009.

Heureusement pour elle et pour nous, Guerrive n’a pas attendu la fin de ses études pour publier des albums de bande dessinée. On la retrouve chez deux éditeurs : Warum et Delcourt. C’est avec un livre petit mais dense, Girafes, publié chez Warum en 2007, qu’elle débute dans la bande dessinée. Album minimaliste, dans son style et dans son format de poche, pas si courant dans la bande dessinée (même si les « pattes de mouche » de l’Association avaient déjà lancé le concept). On y suit trois girafes dans leurs aventures archéologiques et amoureuses. Elle reste fidèle à Warum pour publier les deux tomes de sa série en ligne, Chef Magik (un premier tome en 2008 et le second vient de sortir en mars dernier). Même format, même style, même humour absurde : ceux qui ont aimé Girafes aimeront Chef Magik, et inversement. Le héros est, comme vous vous en doutez, « Chef Magik », un être étrange, chef d’une tribu tout aussi stupide et incohérente que lui. Ces trois albums sont les bienvenus dans la collection « Décadence » de Warum, dédiée à « l’humour absurde et la dérision contemporaine » ; dans cette même collection se trouvent d’autres albums cultivant le minimalisme du trait, qu’il s’agisse de la série Seul comme les pierres de Wandrille, ou les deux Moi je d’Aude Picault.
Le quatrième album de Guerrive est Crépin et Janvier, paru en mars dernier chez Delcourt, album que vous trouve surement encore en tête de gondole dans les librairies. Il trouve sa place dans la fameuse collection Shampooing, dirigée par Lewis Trondheim et dont la dévise est explicitement « une collection où Lewis Trondheim met tout ce qui lui plait ». Crépin et Janvier est un ancien projet de Guerrive, dont on peut encore trouver la trace sur son blog sous le titre Alice . Elle l’a amplement retravaillé pour l’occasion.

La présence de ces deux éditeurs n’étonnera pas vraiment ceux qui suivent le parcours de jeunes auteurs s’étant fait connaître sur la toile : Warum et la collection Schampooing de Delcourt ont la curiosité d’aller voir sur Internet pour trouver des auteurs, soit en adaptant leur blog (Chicou-Chicou chez Delcourt, Un crayon dans le coeur de Laurel chez Warum), soit en éditant des projets inédits sur Internet (Abigaild’Aseyn chez Warum, Transat d’Aude Picault chez Delcourt). Chef Magik, Crépin et Janvier, sont autant de projets nés sur Internet et qui trouvent leur résolution dans des collections attentives aux évolutions récentes du monde de la bande dessinée. Editer des auteurs connus sur Internet est à double bénéfice : pour l’auteur, qui met un pied dans l’édition de bande dessinée, et pour l’éditeur qui s’assure un public minimal (parfois déjà suffisamment important!) de lecteurs déjà conquis. Edition numérique et édition papier commencent à fonctionner de concert, même si le support papier reste la voie dominante.
Enfin, je signale au passage et pour être complet que Sophie Guerrive a publié quelques dessins dans le magazine de bande dessinée Comic strip magazine, une expérience de gratuit de bande dessinée ayant donné lieu à trois numéros en 2009 et qui regardait lui aussi du côté des dessinateurs publiés et autopubliés sur Internet. (http://www.comicstripmag.fr/)

Du blog au portail Lapin


Ce qui me conduit à parler des dessins de Guerrive que l’on peut trouver, en cherchant bien, sur Internet. Sophie Guerrive possède un blog, Antenne Nocturne, désormais fermé depuis 2009 au profit d’un site plus complet où l’on peut voir ses travaux (http://poste99.over-blog.com/). Il y a d’abord les dessins qui ont donné naissance aux deux Chef Magik. Commencés dès 2007, ils se poursuivent à partir de 2008 sur le portail Lapin (http://lapin.org/). Pour ceux qui ne le sauraient pas, je rappelle que le portail Lapin est parmi les plus anciens projets d’édition numérique. Fondé en 2001 à partir du webcomic Lapin de Phiip, le portail Lapin est devenu à la fois une communauté d’auteurs et de lecteurs avec une trentaine de bande dessinée disponible gratuitement, et une maison d’édition papier qui publie régulièrement des dessinateurs généralement issus du webcomic. Sur ce portail s’épanouit Chef Magik, sur le mode du strip vertical régulier jusqu’à la fin de l’année 2008, forme de publication courante pour les webcomics. Les aventures du chef-magicien s’étoffent de semaine en semaine de nouveaux personnages, jusqu’à leur consécration dans un album.

Internet permet de voir que les dessins de Guerrive ne se limitent pas à des strips minimalistes et absurdes en noir et blanc. Sur ses blogs se retrouvent d’autres personnages, comme l’ours Tulipe, mais aussi des dessins plus complexes. A voir par exemple, ses nombreux dessins en noir et blanc foisonnant de détails, inspirés de gravures anciennes ; ses monstres des profondeurs aux formes incroyables. Elle est également l’auteur d’un récit en cours de réalisation, La Très singulière expédition du capitaine Vermulet, qui reprend certains thèmes des dessins en question, avec une ambiance d’expédition médiévale vers des mondes inconnus.

Les délicieux dédales absurdes de l’humour graphique

L’humour est aux origines de la bande dessinée et, en près de deux siècles, les auteurs qui se sont succédés dans cette discipline difficile qu’est l’humour graphique ont eu le temps de raffiner leur savoir-faire et de tester tous les humours possibles, au gré des modes et des écoles. Guerrive se plait dans un humour poético-absurde.
Le point commun aux premières réalisations de Sophie Guerrive, Girafes et Chef Magik, est donc l’humour. Un humour absurde qui a ses règles, la première et la principale étant que tout est susceptible d’advenir, et en particulier ce qui est le moins logique. Guerrive trace des mondes qu’elle fait ensuite dévier au gré de son imagination. Les girafes peuvent ainsi devenir archéologues et porter des chapeaux. Le chef Magik est surement l’incarnation la plus pure de ce grand n’importe quoi, ses pouvoirs ne faisant qu’amplifier l’étendue des gags. Mais l’humour n’est jamais seul et s’accompagne toujours d’une tonalité poétique, surtout quand il va voir du côté du nonsense, à la manière du Concombre masqué de Mandryka, quoiqu’en plus épuré, mais non moins déluré, la sexualité des personnages de Guerrive étant elle aussi contaminée par l’humour et la poésie.
C’est aussi le minimalisme que cultive Guerrive. Les personnages sont composés d’une simple ligne, de façon suffisamment schématique, et toujours en noir et blanc. N’oublions pas que, dans le fond, chef Magik n’est qu’un bonhomme patate sous un chapeau de magicien et qu’il n’a même pas de nez. Le dessin permet ensuite tout, y compris transformer une de ses jambes en écureuil et l’autre en poisson. Les dessins semblent flotter en liberté dans la page blanche. Dans ce type de strips, l’humour passe beaucoup par les dialogues et les mots, et parfois aux jeux de mots, mais Guerrive sait naviguer du dessin aux dialogues. C’est du coup l’exploration d’une gamme très riche de comiques qui se concentre dans les pages de ses albums.

L’album Crépin et Janvier présente déjà une tentative d’évolution et d’approfondissement. Certes, l’humour absurde n’en est pas absent. Crépin, le héros, ne cherche-t-il pas une aimée qui ressemblerait à ses poèmes plutôt que de trouver d’abord une aimée et ensuite lui écrire des poèmes ? Le trait est reste schématique et épuré, en noir et blanc et sans modelé. Mais vient s’y ajouter en arrière-plan un décor du XVIIIe siècle et ses obsessions : le romantisme marivaudant, le mythe du bon sauvage, le libertinage, le retour à la nature. L’histoire prend ainsi une dimension nouvelle, plus littéraire et presque savante. Et le scénario, plus complexe, abandonne le minimalisme narratif des strips à suivre pour une intrigue entre parodie romanesque et comédie théâtrale aux multiples retournements de situation, selon les mêmes principes absurde que dans Girafes. Les deux héros sont deux cousins, Crépin et Janvier, l’un romantique et l’autre pragmatique, qui vont de rebondissements en rebondissements en cherchant l’amour, et croisent sur leur chemin une évadée du couvent, un noble autoritaire, une sauvage venue d’Amérique et une bonne libertine (entre autres personnages). Guerrive complète également son style en entrecoupant son histoire de scènes de paysages où elle déploie un style plus fouillé, précis jusqu’au moindre détail. Un album qui laisse bien augurer de ses futurs travaux…

Pour en savoir plus :

Girafes, Warum, 2007
Chef Magik, Warum, 2008
Crépin et Janvier, Delcourt, 2010
Chef Magik 2, nouvelle formule, Warum, 2010
Le site de Sophie Guerrive
Lire Chef Magik sur le portail Lapin

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