Egypte et bande dessinée : quelques lectures (2)

Pour tout le mois de décembre, mes chers lecteurs, ne soyez pas surpris de ne plus trouver sur ce blog les habituels articles de réflexion de votre serviteur, Mr Petch. Pour diverses raisons, le rythme se fera plus lâche et les articles moins longs jusqu’à la rentrée de janvier qui, je l’espère, me permettra de repartir avec ardeur.
Du coup, je vous ai prévu un mois de décembre thématique qui vous permettra d’être un peu avec moi puisque je pars en Egypte pour quelques semaines. Je tâcherais de vous présenter toutes les semaines un album lié à ce pays, que ce soit l’Egypte antique, celle des pharaons, ou l’Egypte contemporaine. Je vous livre immédiatement un de mes secrets bibliographiques : une partie de mes réflexions sont issues du catalogue L’Egypte dans la bande dessinée, sorti en 1998 suite à une exposition ayant eu lieu au musée de la bande dessinée. Avis aux amateurs et aux curieux.
Bon voyage.

Le classique pour enfants : Papyrus de Lucien de Gieter, 1974-

Après Blake et Mortimer, restons un peu dans l’héritage de la bande dessinée belge pour enfants avec une série entièrement consacrée à l’Egypte ancienne, Papyrus. Elle voit le jour en 1974 dans le journal Spirou, sous le crayon de Lucien de Gieter. L’arrivée de la série s’inscrit dans la seconde génération de séries traditionnelles du célèbre journal belge, à une époque où la bande dessinée française, grâce à Pilote, puis Fluide Glacial, Métal Hurlant et L’Echo des savanes, prend le dessus. La bande dessinée belge se replie alors nettement sur les formules qui ont fait son succès dans les décennies précédentes : sérialiser le plus possible pour voir émerger de nouveaux « classiques » et s’accrocher au jeune public avec la même tonalité sage et la même ambition pédagogique qu’auparavant. Spirou cherche, à cette date, à renouveler ses thèmes et ses héros, d’où une nette féminisation des héroïnes (Natacha en 1965), une relecture comique du western (Les Tuniques bleues, 1968) ou de l’histoire de gangsters (Sammy en 1973), l’appel de la science-fiction (Yoko Tsuno en 1969, Le Scrameustache en 1972) .
C’est autour de la recherche de nouveaux univers de fiction qu’émerge une série ayant pour cadre l’Egypte ancienne, cadre qui encore inédit à l’époque. Papyrus n’est pas la première série de De Gieter qui avait déjà dessiné pour Spirou le western pour enfants Pony (d’abord sous la forme des célèbres mini-récits du journal), les aventures humoristiques de Tôôôt et Puit (deux séries ayant déjà comme héros des enfants), et il participe aux gags du chat Poussy de Peyo à partir de 1969. Mais Papyrus est sa série la plus connue et la plus durable, puisqu’il la poursuit encore aujourd’hui et que les plus jeunes générations (dont je fais partie !) la connaissent surtout par l’adaptation qui en fut fait en dessin animé vers 1998 (applications des leçons de son maître Peyo !).

L’histoire
Le héros éponyme est un jeune pêcheur qui sauve la vie de la princesse Théti-Chéri, fille de pharaon, et devient alors son protecteur. Il est lui-même soutenu par la dééesse aux cheveux resplendissants, fille du dieu-crocodile Sobek, qui lui donne dans la première aventure un glaive magique. Au fil des albums, ils vivent ensemble une suite d’aventures, tantôt missionnés par le pharaon (ce qui donne à Papyrus l’occasion d’aller en Crète dans le Labyrinthe), tantôt confrontés à des évènements surnaturels sur le sol égyptien.
A ses débuts, De Gieter est encore très proche du style rond de Peyo ou Macherot. Il se détache progressivement de cette influence en allant vers plus de naturalisme, ce qui donne l’impression que Papyrus et Théti-Chéri deviennent progressivement adultes. A ce changement de style correspond un changement dans le traitement de l’Egypte ancienne. Les premiers albums sont encore très marqués par la mise en relation de l’Egypte ancienne et du mysticisme, d’où des apparitions fantastiques et des monstres (là encore peut se sentir l’influence de Peyo dans la tension vers le surnaturel). De Gieter révèle qu’il réalise son premier voyage en Egypte à l’occasion du septième album, La Vengeance des Ramsès (1984). A partir de cette date, il se documente davantage et chercher à ancrer ses albums dans la réalité des recherches archéologiques en cours. Le pharaon est doté d’un vrai nom (Merenptah) qui place la série temporellement dans la XIXe dynastie (vers 1200 avant J.C.). Le fonctionnement de chaque album est trouvé : il prend pour toile de fond un monument célèbres (les colosses d’Abou Simbel dans le cas de La Vengeance des Ramsès) qui est prétexte à une aventure de Papyrus et Théti-Chéri. L’architecture est parfois même le sujet d’une histoire, comme dans L’obélisque qui s’appuie sur les connaissances des égyptologues sur l’érection des obélisques. Le fantastique n’est toutefois pas oublié : c’est la reconstitution de l’Egypte ancienne qui se veut plus précise.

Quelle Egypte ?
L’Egypte proposé par De Gieter est une Egypte ancienne pour manuels scolaires. Dans la droite ligne d’autres séries de bande dessinée, le dessinateur propose une série qui entend faire référence sur l’époque à laquelle elle se consacre, en l’occurence ici l’Egypte ancienne, tout en masquant sa portée pédagogique derrière des aventures à rebondissements. La civilisation égyptienne, sans doute en raison de la bonne connaissance que permettent d’en avoir les traces qu’elle a laissées, fait partie du bagage classique de connaissances historiques. Elle continue de fasciner et de faire l’objet de nombreux livres, dont beaucoup à destination du jeune public. Chaque album de Papyrus est une invitation à découvrir un aspect de la civilisation égyptienne. Le propos sur l’Egypte ancienne se lit à deux niveaux : celui de la narration et celui de l’iconographie. La démarche de création s’accompagne systématiquement d’une volonté « d’apprendre » quelque chose au lecteur. Dans le cas de la narration, De Gieter inclut souvent dans ses histoires des faits historiques documentés par ses soins. L’authentique stèle de Merenptah (conservée au musée du Caire) lui offre l’occasion de traiter des guerres du pharaon en Palestine dans Le Pharaon fou. Dans certains cas, il utilise expressément des biais scénaristiques pour évoquer certains évènements célèbres, comme le voyage dans le temps de Toutankhamon le pharaon assassiné.
Plus intéressant encore est le cas de la mise en images de l’Egypte ancienne. Elle prend chez De Gieter deux grandes directions opposées qui font de la série une synthèse entre deux visions de l’Egypte (la mystique et l’archéologique). D’une part la reconstitution des sites célèbres se veut la plus fidèle possible, appuyée par des lectures de l’auteur. D’autre part De Gieter met en images des scènes de la mythologie égyptienne et donne un visage aux dieux, là encore en s’appuyant sur les richesses de l’iconographie des temples et des documents de la civilisation égyptienne antique.

Bien sûr, l’ambition éducative est loin d’être la seule, et Papyrus est aussi une série d’aventures (dans une traditionnelle dialectique « instruire en s’amusant » qui sous-tend la littérature pour enfants dès ses débuts). Mais si j’insiste dessus, c’est qu’elle conditionne en grande partie la vision de l’Egypte véhiculée par la série et qu’elle influe sur l’histoire en introduisant quelques faits connus ou en se consacrant à une série de « passages obligées » de l’historiographie égyptienne (Toutankhamon, Imhotep, Akhenaton, Ramsès II…). Il se peut aussi que, comme dans le cas d’Alix de Jacques Martin, la série ait évoluée avec le temps en assumant de plus en plus une place de « support de cours » qui ne la résume pas mais qui lui confère une véritable valeur qui vient contrebalancer un certain archaïsme du style et du propos. En d’autres termes, face à l’arrivée d’autres héros de bande dessinée pour enfants plus impertinents, Papyrus s’est trouvé contraint de mettre l’accent sur son caractère didactique, voire de renforcer ses liens avec l’univers pédagogique (une nuance tout de même, dans l’album 28, Les Enfants d’Isis, De Gieter fait enfin s’embrasser ses deux héros enfantins, franchissant enfin un des « tabous » de la série, et de la bande dessinée belge en général : la vie amoureuse des personnages).
A cet égard, le site officiel de la série et de l’auteur, www.egypteinedite.be est exemplaire puisqu’il se donne explicitement pour but de « faire découvrir les bases historiques réelles qui ont servi l’histoire » et de poursuivre : « un moyen unique pour les plus jeunes de mieux comprendre la civilisation égyptienne ». Le site est réalisé en association avec un photographe spécialisé dans l’Egypte et de ses vestiges, Jean-Pol Schrauwen.
C’est dans ce site que l’on apprend que l’une des principales sources iconographiques de De Gieter pour Papyrus est l’oeuvre du peintre écossais David Roberts (1796-1864) qui réalisa plusieurs voyages en Afrique et publia des ouvrages illustrés sur l’Egypte au milieu du XIXe siècle. Il fait partie des nombreux orientalistes fascinés par les vestiges des civilisations anciennes que les fouilles archéologiques font progressivement connaître. Sous la forme d’un carnet de voyages (dont une partie est disponible sur le site), De Gieter s’est rendu en Egypte en 1996 pour redessiner, plus de 150 plus tard, les paysages vus par Roberts. Un travail de croquis sur le vif qui renoue avec une pratique héritée des orientalistes du XIXe siècle, et qui évoque un dessinateur préoccupé par la recherche de la vraisemblance. Pour qui veut en savoir plus sur le travail de reconstitution de De Gieter pour Papyrus, je l’invite à lire l’article que consacre sur le sujet Michel Thiébaut dans le catalogue L’Egypte dans la bande dessinée.

Je profite de cet article sur Papyrus pour mettre à votre connaissance un intéressant projet de reconstitution numérique et de mise en ligne des tombes de la vallée des rois, près de Louxor, une des plus grandes concentrations de tombeaux égyptiens. A l’origine (1978) travail de topographie des tombes égyptiennes, le Theban Maping Project est organisé par l’université américaine du Caire et vise à « préserver l’héritage des monuments ». Une façon intéressante de découvrir à distance, à l’aide de plans et de photographies, un des plus riches site archéologique du pays.

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