FIBD 2016 : Challenge Digital

En cette veille de l’ouverture du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, zoom sur le concours « Challenge Digital », un des (rares) prix de bande dessinée numérique remis en France.

Pour rappel, ce prix s’inscrit dans le cadre des concours « Jeunes Talents » et récompense donc des auteurs principalement amateurs. Les critères sont à la fois le caractère innovant des oeuvres numériques, et les qualités graphiques et narratives plus traditionnelles. Contrairement au concours RevelatiOnline, par exemple, le Challenge Digital encourage une véritable inventivité de création numérique. C’est ce qui fait sa qualité : il permet de prendre le pouls de jeunes créateurs et de la façon dont ils s’emparent de l’idée même de « création numérique ». Je me réjouis de constater une vraie diversité dans les formats numériques choisis. : j’aurais crains que le diaporama et surtout le Turbomedia, à la mode ces dernières années, ne soient trop hégémoniques… Ce n’est pas trop le cas. Sur les 27 oeuvres ayant concouru, environ la moitié sont des diaporamas, mais là aussi avec des choix différents : animations, effets « turbomedia », etc… Et si on se limite aux 10 oeuvres finalistes, il n’y en a que 4 qui soient vraiment des diaporamas. Le gif animé et le scrolling, par exemple, donnent lieu à de belles réussites. Le seul manque est peut-être, à une exception près, l’absence d’oeuvres interactives impliquant le lecteur : la plupart sont très linéaires. Mais quand même, la diversité des choix me réjouit.

De même que me réjouissent les rendez-vous numériques du FIBD 2016, plus nombreux que les autres années : le Pavillon Jeunes Talents sera au coeur de cette création numérique avec des ateliers réguliers, bien sûr, mais on peut aussi penser à l’oeuvre numérique Phallaina présentée sur les remparts de la ville, moment important de la création numérique sur laquelle je reviendrais sans doute. Et plusieurs conférences, dont j’ignore globalement le contenu à cette heure, mais qui ont le mérite d’être programmées : un » Histoire du Turbomedia et des récits numériques de 1816 à nos jours », avec Mast, et un workshop « BD numérique : un partage d’expérience » organisé par le dynamique Atelier Capsule.

Pour revenir au Challenge Digital : 10 oeuvres lauréates ont été dévoilées le 11 janvier comme « finalistes » et seront exposées lors du FIBD au Pavillon Jeunes Talents. Le 28 janvier, premier jour du festival, les trois lauréats seront désignés… Et en attendant, voici mon petit trio de tête.

 

3e place : Gauvain Manhattan avec La Légende des Huit Champions et du Grand Chromatophage.

GauvainManhattan

L’auteur fait le choix d’un scrolling vertical et, honnêtement, ce choix est toujours le plus casse-gueule, souvent trop réduit à des exercices de chute et de vitesse. Ici, rien de tout ça : on lit plutôt un parchemin ancien, un volumen qui déroulerait son histoire. C’est une histoire de sorcellerie, de monstre et de chevalerie que raconte Gauvain Manhattan : un jour, dans une vallée, les couleurs disparaissent mystérieusement. Quelques héros se mobilisent pour traquer le « Grand Chromatophage ».

Ce qui me séduit tout de suite dans cette oeuvre, c’est la qualité du dessin et des couleurs, logique pour une histoire sur un thème chromatique. Il y a une vraie maîtrise de la couleur, l’auteur réussissant même à pallier des faiblesses graphiques par un schématisme bienvenu et une chatoyance impeccable dans les ombres et les nuances.

Le format numérique est surtout exploité pour permettre de le scrolling et fluidifier la lecture. Quelques animations par-ci par-là, mais dans le fond cette économie de moyens n’est pas plus mal. Par contre, j’ai moins accroché à l’histoire, finalement peu originale, parfois un peu faible, comme sur la fin, et ne parvenant pas à dépasser la surface des choses. Dommage, le reste étant vraiment de grande qualité !

 

2e place : Juliette Mancini avec Pan !

juliette mancini

J’ai beaucoup hésité à mettre cette oeuvre sur le podium. De prime abord, elle n’est pas dépourvue de défauts : un propos un peu simpliste, un graphisme pas forcément séduisant, un traitement en gif stroboscopique qui peut être rébutant…

Mais dans le fond, c’est la seule oeuvre de la sélection à porter un discours politique et à proposer un regard sur l’actualité, là où les autres lauréats ont préféré aller vers l’imaginaire ou l’anecdotique. Juliette Mancini explique en quelques cases légendées comment la peur naît dans la population. Une évocation directe d’une année 2015 dont l’actualité politique nous dit qu’on ne se remettra sans doute pas…

Pour cette prise de risque dans le discours, je pense qu’il faut saluer Juliette Mancini, qui en plus a su faire entrer en adéquation le fond et la forme numérique, celle d’un clignotement permanent qui rappelle tantôt les lumières des boîtes de nuit, tantôt les gyrophares de la police ou l’éclatement des bombes et des voix. Une utilisation presque « politique » du format numérique et une vraie inventité narrative et visuelle derrière la simplicité du propos ; voilà qui me fait mettre cette oeuvre en deuxième position.

1ere place : Cátia Ana Baldoino da Silva avec Refuge

Catia Ana Baldoino Silva

Assez peu de doutes à mes yeux : l’oeuvre de Catia Baldoino da Silva arrive loin devant. D’abord, hébergée sur la propre plateforme de l’auteur, elle possède un vrai caractère professionnel qui détonne avec la plateforme BD Jeune Création hébergeant la plupart des autres oeuvres. Ensuite il y a ce graphisme parfaitement maîtrisé, élégant, joliment aquarellé. Enfin il y a le choix d’une modalité de lecture numérique simple mais inattendue qui s’appuie beaucoup sur son côté ludique… Refuge est une histoire à « tirer », un scrolling qui se déroule par glisser-déposer au milieu d’une petite fenêtre.

Ce caractère inattendu se retrouve aussi dans l’histoire, petite fable courte qui commence comme un conte de fées et se termine en réflexion métaphysique sur le temps qui passe et l’abandon de l’enfance. Des thèmes qui me touchent beaucoup, et que je trouve ici exploités avec simplicité et cohérence.

Pour moi tout le génie de l’auteur tient au fait d’avoir trouvé une modalité de lecture numérique qui puisse rappeler la lecture physique d’un livre tout en demeurant originale. Dans son rapport à l’enfance, Refuge n’est autre qu’un livre pop-up, ces petits albums à tirette et à système que certains d’entre vous ont peut-être connu et qui remontent au début du XXe siècle. Elle fait appel à notre sens de ludique, justement enfoui dans nos souvenirs d’enfance. Franchement bravo à l’auteur pour avoir fait dialoguer deux siècles de création graphiques !

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