Bouquet de bande dessinée en ligne…

Aujourd’hui, un article apéritif pour vous inviter à picorer dans les créations que nous offrent la bande dessinée numérique quand on se donne la peine de chercher. Voilà quelques liens à découvrir pour ceux qui souhaitent en savoir plus sur la bande dessinée en ligne, ou pour que d’autres réalisent que oui, la BD sur Internet, c’est moins cher, voire gratuit, et follement pratique. D’ailleurs, les possesseurs d’I-Phone et fans de blogs bd ont déjà du entendre parler de Bdnum, une nouvelle application est née permettant de lire des notes de blogs sur support mobile. La BD en ligne est en train de s’étoffer doucement au point de vue technique, mais aussi du point de vue esthétique. avec des oeuvres de qualité et de plus grande ampleur. Des projets variés qui montrent qu’il y en a pour tous les goûts : du traditionnel feuilleton à plusieurs mains aux expérimentateurs de l’art numérique.

The Shakers

Bannière Shakers
Soyez un peu curieux et aller voir The Shakers, le webcomic de Fred Boot (http://www.the-shakers.net/), diffusé tous les mardis depuis la plateforme Webcomics.fr (http://www.webcomics.fr/) qui, on ne le répètera jamais assez, est une excellente porte d’entrée vers l’autoédition de BD en ligne. Revenons à The Shakers. Fred Boot, l’auteur donc, nous emmène dans un univers retro où un duo d’espion, Philemeon C. Shooter et Lady Rosethorn déjouent les plans des génies du mal osant s’opposer à eux. La référence est transparente et même revendiquée à l’imaginaire des séries d’espionnage britannique des années 1960-1970 mêlant action, suspens et humour raffiné (Chapeau melon et bottes de cuir, Amicalement vôtre). Fred Boot nous avait déjà démontré sa capacité à dépeindre en quelques cases et en quelques mots une ambiance crédible dans Gordo, album récemment mis en ligne pour des raisons exposées par l’auteur. Son style graphique élégant et coloré, retro lui aussi, s’accorde parfaitement avec l’histoire qu’il raconte et dont je ne peux m’empêcher de vous dévoiler la première phrase : « On ne le dira jamais assez : le peignoir de soie n’est pas la tenue adequate pour fuir des hôtesses en furie… ». On ne le dira jamais assez, en effet.

Au-delà de la qualité graphique, ce qui fait tout l’intérêt de The Shakers est sa vision innovante de la BD numérique. Fred Boot fut, dans les années 2000, parmi les premiers à explorer les possibilités de la BD en ligne. En effet, The Shakers n’est pas une « bande dessinée » à proprement parler mais plutôt une fusion entre le roman, la bande dessinée, le graphisme, la musique et l’animation. Et la mayonnaise prend, puisque Fred Boot sait choisir la musique qui convient avec la lecture, ou l’effet graphique adéquat. En d’autres termes, pour ceux qui suivent un peu régulièrement ce blog ou les questionnements autour de la BD numérique, il exploite le concept de « rich media ». J’explicite pour ceux qui n’appartiennent pas à la catégorie sus-citée ( en citant humblement un article de Julien Falgas sur Fred Boot : « La question pour Fred n’est pas d’inventer un nouveau média au confluent de tous les autres, mais d’imaginer comment raconter dans le passage entre bande dessinée et autres médias. En somme, une démarche humble, empirique et efficace. Si le récit en bande dessinée s’élabore dans l’espace inter-iconique, le récit en BD en ligne chez Fred Boot serait à chercher dans l’espace « intermédiatique ». ». Pour comprendre au mieux comment fonctionne le multimédia appliqué à la BD en ligne, je vous invite à aller lire The Shakers, une bande dessinée en ligne de qualité comme on en voit finalement assez peu.
Pour en savoir plus : le site web de Fred Boot

Les autres gens

Pendant que certains auteurs continuent inlassablement d’explorer de leur côté et à leur manière la BD en ligne, quelques auteurs se regroupent autour d’un grand projet commun. Annoncé sur de nombreux blogs bd, le BD-feuilleton Les autres gens (http://www.lesautresgens.com/) marque une nouvelle étape pour la bande dessinée en ligne autoéditée en groupe, après l’expérience de Donjon Pirate en 2007-2008. Les enjeux sont toutefois très différents, car le modèle choisi dans Les autres gens est celui du feuilleton télévisé et de ses innombrables procédés visant à tenir en haleine le spectateur. Ainsi sera diffusé, tous les jours du lundi au vendredi un épisode quotidien (l’équivalent de 100 pages par jour nous est-il précisé) scénarisé par Thomas Cadène (par ailleurs auteur chez KSTR) et dessiné par un des 21 membres du projet. Le mois de mars est gratuit, mais le webcomic deviendra par la suite payant.
L’histoire (car les 8 premiers épisodes sont déjà en ligne) tourne d’abord autour du personnage de Mathilde, jeune étudiante parisienne, mais rayonne vite, à la façon des soap, vers ceux qui l’entourent, (Hippolyte, Camille, Emmanuel, Romain, Faustine…). Elle se veut donc ancrée dans des « aventures du quotidien » (voilà qui rappelle quelque chose…) mais ces aventures-là possèdent une cohérence scénaristique et le tout s’avère assez bien mené, révélant petit à petit le caractère de chaque personnage (pour reprendre une phrase de l’annonce qui a circulé durant le mois de février : « Avec des personnages comme toi et moi, mais en différent ! »). La profondeur apparaît au fil des épisodes, dont l’unique moteur est l’interaction, toujours imprévisible, entre les personnages et les rebondissements psychologiques incessants, là encore un ressort dramatique classique du feuilleton. S’y ajoute bien entendu le plaisir de retrouver des styles que l’on apprécie, et de s’amuser de l’interprétation que chacun donne à une même histoire. Il est à espérer, pour que la série continue dans sa version payante, que les rebondissements ne viennent pas à manquer et que la qualité graphique soit incontestable.
Nous ne sommes bien sûr pas face à une forte innovation technique en matière de BD en ligne. Les autres gens s’appuie malgré tout sur l’expérience d’auteurs et de lecteurs qui se sont eux-mêmes habitués à la lecture et l’écriture en ligne. Cette expérience emmagasiné depuis plusieurs années permet d’aboutir à un projet de qualité et professionnel. Le feuilleton est disponible soit en scrolling vertical, soit en défilement case par case, deux choix qui sont ceux que l’on retrouvent le plus fréquemment sur internet et s’avèrent les plus judicieux au vu du type de dessins publiés. Pour un webcomic traditionnel (sans interactivité, sans rich media…), Les autres gens présente une des évolutions majeures provoquées par le développement de la BD en ligne : l’affranchissement de la planche comme unité de lecture. La lecture se fait uniquement case par case. De même, je ne peux m’empêcher de remarquer comment l’essor de la BD en ligne a fait revivre le vieux principe du feuilleton qui avait été, depuis les années 1980, en grande partie mis de côté par les auteurs de BD à la suite de l’échec des revues spécialisées. Déjà, des habitudes de lecture commencent à apparaître et à se concrétiser.

Cette nouvelle expérience bénéficie en outre, pour le futur succès qu’on lui souhaite, de la communauté des blogueurs bd et des lecteurs de blogs bd qui, en l’espace d’environ cinq-six ans s’est formée sur le net, au gré des festiblogs, agrégateurs et réseaux sociaux. Et ce à plusieurs titres. D’abord parce qu’une grande partie des dessinateurs engagés dans le projet sont aussi des auteurs de célèbres blogs bd : Bastien Vivès, Marion Montaigne, AK, Manu xyz, Aseyn, Erwann Surcouf, Singeon, Clotka… Et j’en oublie de nombreux. Mais Les autres gens a aussi profité de la communauté et de l’amplification que permet internet à l’occasion de sa mise en ligne puisqu’elle a été relayée sur les blogs bd, mais aussi sur les différents réseaux sociaux (Tweeter, Facebook…) et les sites spécialisées dans la BD (Bodoï, Comptoir de la BD…) ou non (Rue89, Télérama…). Pour toutes ses raisons, Les autres gens est l’aboutissement de toute une évolution de la BD en ligne de ces dernières années. Une preuve sans doute de ce que rend possible le flux d’internet et le pouvoir de sa mise en réseau. Partant de ce principe, il y a d’ailleurs assez peu de chance pour que, vous, lecteurs, n’en ayez pas encore entendu parler… Je me laisse le privilège de persuader ceux d’entre vous qui ne se sont pas encore laissés tenter.

Du côté de Manolosanctis


Je laisse à présent de côté ces deux projets autoédités aux résonnances très différentes pour terminer sur la dernière expérience, encore en cours de l’éditeur Manolosanctis, qui avait déjà, en 2009, lancé l’intéressant recueil Phantasmes. Un nouveau concours a été lancé en février pour motiver les jeunes auteurs : 13m28 sur le même principe que le concours Phantasmes de l’année dernière, c’est-à-dire avec une double publication en ligne et papier à la clef. Le défi posé aux auteurs est le suivant : continuer enhuit pages une histoire commencée par Raphael B., dessinateur, blogueur bd et éditeur. Un groupe d’amis est confronté à une brutale montée des eaux à Paris qui semble en plus attirer des créatures plus monstrueuses les unes que les autres. Les personnages et le cadre sont fixés, les participants ont maintenant à faire fonctionner leur imagination.
Trois suites ont pour l’instant été sélectionnées, par Thomas Humeau, le tandem Thomas Gilbert et Léonie et Peerlipo. Selon l’esprit de l’éditeur Manolosanctis, ce sont les internautes qui sont appelés à voter pour les suites qu’ils préfèrent parmi les propositions. L’idée n’est pas seulement de publier un recueil de suites, mais de mettre ses suites en rapport les unes avec les autres. L’une des contraintes imposées aux participants est celle d’être cohérents avec les autres propositions, pour que le recueil garde une certaine logique interne : « Il est conseillé de partir des 13 personnages de raphaëlB, approfondir l’un d’eux en particulier, jouer sur leurs relations, mais vous pouvez aussi créer les vôtres si nécessaire. Votre histoire peut se dérouler avant, pendant, en parallèle, après, longtemps après la catastrophe. Encore une fois, la seule contrainte est de maintenir des liens avec le récit initial, les 3 récits-jalons de la 1ère session et un maximum d’autres propositions. » Un choix ambitieux, mais il s’avère que les participants tentent de s’y conformer au mieux, notamment en présentant au fur et à mesure l’évolution de leur scénario. Je reste encore assez sceptique quant à la possibilité de coordonner 20 récits différents, mais l’album final dira ou non si ce projet de grand recueil à plusieurs voix sera réussi, et validera en partie l’enjeu communautaire qui habite l’éditeur Manolosanctis.
En attendant la publication prévue en mai, ce concours est bien sûr l’occasion de lire des planches de BD en ligne sur Manolosanctis et de suivre le travail des participants en direct, avec crayonnés et synopsis.

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