Archives pour la catégorie La bande dessinée et son patrimoine

En relisant la Marque Jaune

A l’occasion d’un déménagement, par un effet de hasard en rien anticipé, je me suis replongé dans La Marque Jaune. Dois-je le préciser à mes lecteurs ? La Marque Jaune est une histoire en bande dessinée de la série Blake et Mortimer, publiée dans Le Journal de Tintin entre août 1953 et octobre 1954, puis en album aux éditions du Lombard en 1956. Pour ma part, c’est une édition de 1970, dans sa réimpression de 1982, que j’ai entre les mains.

Cette relecture tardive d’un récit que je connais par coeur (la traque d’un mystérieux kidnappeur invincible, « La Marque Jaune », par l’inspecteur Blake et le professeur Mortimer dans le Londres des années 1950) a pris une tournure un peu nouvelle en me forçant à m’arrêter, littéralement, sur certaines cases. A connaître l’histoire et chacun de ses mots, ce sont bien les images que j’ai appris à reconnaître. Cet article raconte, en six images, cette relecture buissonnière d’un archi-classique de la bande dessinée franco-belge.

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Le mémoire de Pierre-Laurent Daures : une analyse des expositions de bande dessinée

Cela faisait un petit moment que je voulais en parler, et voilà enfin le temps d’écrire cet article. L’année dernière, Pierre-Laurent Daures (plus connu sur Internet sous le pseudonyme de Pilau Daures et par son site) a soutenu son mémoire de master 2 à l’université de Poitiers. Le mémoire de Pilau Daures est une réflexion théorique sur la notion « d’exposition de bande dessinée » qui passe à la fois par une analyse historique, par des études de cas précis tirés d’exemples récents et par des entretiens avec des auteurs. Une méthodologie bien complète pour un travail d’analyse qui cherche à être juste et à sortir des habituels clivages « pour ou contre les planches originales » et « expo bd vs musée des beaux arts ».

Je ne vous le cache pas non plus, si j’évoque le mémoire de Pilau Daures c’est aussi parce qu’il cite dans son mémoire les quelques articles que j’ai pu produire ici-même sur la question, à une époque où je trouvais le temps de rédiger deux articles par semaine. En particulier, il utilise pour sa partie historique ma série « Exposer la bande dessinée…. à travers les âges » qui mériterait, je le concède volontiers, de faire l’objet d’une étude plus approfondie que ces quelques aperçus ponctuels, mais qui ouvre des pistes sur ce que pourrait être une histoire de l’exposition de bande dessinée (avis aux amateurs !). Une façon pour moi de lui renvoyer la balle et de approfondir certaines de ses réflexions par ma vision personnelle.

Ah, et j’oubliais le plus important ! Vous pouvez retrouver le mémoire de Pilau Daures dans la base des thèses et mémoires universitaires du CIBDI.

Une vision extensive des problèmes posés par l’exposition de bande dessinée

Le principal intérêt de l’étude de Pilau Daures est de faire le tour des problèmes théoriques que posent l’exposition de bande dessinée, autrement dit de multiplier les angles d’analyse. On trouvera donc dans ce travail une courte histoire des expositions de bd, une typologie des différents objets généralement exposés, des interrogations sur l’espace et sur le catalogue, et, naturellement, l’interrogation métaphysique : pourquoi une exposition de bande dessinée ? C’est peut-être cette dernière partie, « les enjeux de l’exposition de la bande dessinée » qui va le plus loin du point de vue théorique en déclinant trois grands objectifs : le didactique, le documentaire et l’esthétique. Le tout est servi, transversalement, par l’analyse de grandes expositions de ces dix dernières années comme Archi et BD, Moebius Transe-forme, Quintett, Maîtres de la bande dessinée européenne, Vraoum, Etienne Davodeau, dessiner le travail

D’un côté, des problèmes récurrents et connus sont traités et Pilau Daures réalise alors des sortes de synthèses ou de mises en contexte des débats. Ainsi, la fameuse question des « originaux » (la planche originale comme objet canonique de l’exposition de bd) est évidemment abordée, avec un rappel sur l’arrivée assez récente des planches sur le marché de l’art. C’est aussi naturel de retrouver les interrogations autour de la « légitimation » de la bande dessinée que procurerait, ou non, l’exposition, ou encore le rappel des fameuses envolées scénographiques des années 1990.

Globalement, Pilau Daures prend assez peu position dans ces différents débats : son propos n’est pas de trancher, mais d’expliciter et d’analyser. Et puis fort heureusement, ces débats et peu anciens et pour certains un peu vains sont dépassés et d’autres pistes sont ouvertes.

J’ai bien aimé, par exemple, l’étude typologique et fonctionnelle des objets exposés : c’est un regard nouveau qui se pose sur l’exposition de bande dessinée, mais aussi très intéressant, car il rappelle à quel point rien n’est figé et qu’une exposition de bande dessinée peut accueillir des objets bien au-delà de la planche originale ou de l’album (peut-être est-ce là sa difficulté par rapport aux expositions traditionnelles). La question que pose Pilau Daures est de connaître « le rapport que l’objet d’exposition entretient avec l’oeuvre publiée », et la fonction de ces objets. Autrement dit, l’objet exposé renseigne-t-il réellement sur l’album de bande dessinée, ou en donne-t-il une image déformée. Même chose avec son analyse des catalogues, qui tranche avec les habituels critiques d’exposition qui cèdent tous à la tentation (moi y compris !) d’évoquer longuement l’exposition mais de ne pas dire un mot du catalogue, alors que parfois ce dernier peut expliquer et compléter certains manques de l’exposition. Il est par exemple opportunément rappelé que « les catalogues d’exposition ont régulièrement servi de support à l’expression d’un savoir et d’une critique qui ne trouvait pas forcément à s’exprimer ailleurs. ». C’est le cas de beaucoup d’expositions du CIBDI qui, à côté des planches exposées, donnent lieu à des catalogues qui peuvent se lire comme des synthèses essentielles sur le sujet (le catalogue de l’exposition Caran d’ache en 1998 est un bon livre d’analyse sur cet auteur). Récemment, le catalogue de Regards croisés sur la bande dessinée belge, d’après l’exposition au musée des Beaux-Arts de Bruxelles, était une intéressante somme sur ce domaine.

Les entretiens : une deuxième vie après le mémoire

D’un point de vue méthodologique, Pilau Daures a aussi fait le choix de la variété. Bien sûr, l’analyse des expositions est l’élément central de son étude. Il a préféré se concentrer sur des analyses directes plutôt que sur la bibliographie, qui du coup se trouve assez peu fournie : on y trouve surtout des classiques (l’article de Boltanski, les ouvrages théoriques de Groensteen et Peeters…) et des articles et ouvrages très récents cantonnés au sujet. Du coup, on en sait assez peu sur la théorie générale des expositions, et cela aurait pu offrir des passerelles d’analyse intéressantes que de quitter le seul domaine de la bande dessinée et d’aller voir du côté de la scénographie et de la muséographie générale.

Mais ce manque éventuel en terme de bibliographie est fort habilement comblé par les entretiens, qui sont sans doute l’une des matières les plus précieuses du mémoire, qui confirme que l’intention de Pilau Daures était d’aller « à la source » plutôt que de se noyer dans la théorie. En effet, pour réaliser son travail, il est allé interroger des auteurs et des commissaires d’expositions sur leur vision de l’exposition de bande dessinée. Onze entretiens avec des spécialistes des expositions (la galeriste Anne Barrault, Jean-Marc Thévenet commissaire de plusieurs expositions, le théoricien de l’art et de la bande dessinée Christian Rosset, le dessinateur et scénographe Marc-Antoine Mathieu et Dominique Mattéi directrice du festival BD à Bastia) et avec des auteurs ayant déjà été exposés (Etienne Davodeau, Jochen Gerner, Benoît Jacques, Loustal, François Schuiten et Lewis Trondheim). Chaque entretien est retranscrit et on y apprend beaucoup : ce sont des témoignages précieux sur un sujet pas toujours très bien traité par la presse spécialisée.

Surtout, Pilau Daures a eu la bonne idée de republier une partie de ces entretiens dans du9.org. Ces républications sont en cours : Loustal (http://www.du9.org/Jacques-de-Loustal-dessinateur), Schuiten (http://www.du9.org/Exposer-la-bande-dessinee,1434), Dominique Matteï (http://www.du9.org/Exposer-la-bande-dessinee,1433), Davodeau (http://www.du9.org/Exposer-la-bande-dessinee,1439), Jochen Gerner (http://www.du9.org/Exposer-la-bande-dessinee,1440), Benoît Jacques (http://www.du9.org/Exposer-la-bande-dessinee,1432), Christian Rosset(http://www.du9.org/Exposer-la-bande-dessinee,1431). Une seconde vie est ainsi donnée à ces entretiens qui peuvent se lire indépendamment du mémoire.

Il faut aussi citer, dans les annexes, des « fiches techniques » pour chacune des expositions analysées qui offrent une grille de lecture intéressante et des analyses plus détaillées, une mine à conserver précieusement si l’on veut se replonger dans ces expositions, qu’on les ait vu ou non !

Un petit aparté : dans l’entretien avec Jean-Marc Thévenet, Pilau Daures lui pose l’inévitable question des originaux. J’avais pointé dans une critique assez virulente à l’égard de Archi et BD sur ce même blog la présence d’une planche de Franquin qui n’avait que peu de rapport avec le thème vu qu’on n’y voyait pas un élément d’architecture (et il me semble que je n’étais pas le seul à avoir souligné ce fait). Pilau Daures va justement l’interroger sur cette fameuses planche et voici sa réponse :

« Sur les planches de Franquin, ça n’a pas été facile et quand j’ai réussi à récupérer cette planche, je me suis dit que je pouvais faire l’impasse sur Franquin, il y a 350 œuvres, 120 auteurs, il y a suffisamment à donner à voir, mais je me suis souvenu d’interviews qui montraient qu’il était obsédé par la ville, par la dimension du parcmètre, de l’embouteillage, cette récurrence qu’on trouve également dans les Idées Noires, et j’ai décidé de prendre cette planche, parce qu’elle montre aussi cette capacité chez un des grands maîtres de la bande dessinée à évoquer la ville sans la montrer. Ce que j’aimais beaucoup, c’est cette idée de hors champs.  ».

Thévenet confirme implicitement que cette planche a été présentée parce qu’elle a pu être prếtée, comme on le voit plus loin quand il poursuit :

« Faut-il faire l’impasse sur certains auteurs ? Ou bien, profiter des suggestions de collectionneurs prêts à confier telle planche ? C’est là qu’il y a une césure fondamentale entre une exposition grand public et une exposition pour un festival de bande dessinée. Pour une exposition grand public, si je n’ai pas l’original, et que j’ai l’autorisation de l’éditeur, je vais travailler à partir d’un fichier numérique. Par respect pour la bande dessinée, pour l’institution et pour une partie du public, je vais essayer d’avoir des originaux. Mais je vais me décomplexer par rapport à ça. En revanche, il faut avoir une rigueur scientifique dans mes cartels.  »

L’obsession de la planche originale est donc bien réelle, comme objet inévitable de l’exposition de bande dessinée. L’honnêteté de Thévenet aura en effet été de choisir l’agrandissement numérique lorsque l’original n’était pas disponible, et cela avec des résultats plutôt bons, et donc finalement de casser en partie l’obsession. Il a voulu ménager la chèvre et le chou, le collectionneur et le grand public.

Le public des expositions de bande dessinée

Il y a quand même un point sur lequel le mémoire de Pilau Daures n’apporte pas de réponse réelle, et qui me semble pourtant central dans la question des expositions de bande dessinée : c’est la question du public.

Jean-Marc Thévenet aborde la question du public, que Pilau Daures ne traite pas avec autant d’importance que les autres, dans l’entretien. Il dit ainsi : « Mon ambition personnelle par rapport à la bande dessinée, c’est de la montrer au plus grand public ; Mon ambition est de la socialiser, de la valoriser, pour qu’un jour elle soit montrée largement au centre Pompidou, dans ce cas avec surtout des originaux, vraisemblablement, mais dans une scénographie suffisamment riche pour être attractive. ». On en revient finalement à l’opposition traditionnelle entre low art et high art, à cette idée que la bande dessinée devrait être confrontée à l’art contemporain, idée mise en scène par l’exposition Vraoum elle-même, mais aussi, rappelons-la, par la vénérable exposition Bande dessinée et figuration narrative considérée comme fondatrice de l’exposition de bande dessinée moderne. Déjà les commissaires de cette exposition souhaitaient faire porter sur la bande dessinée le même regard que le public portait sur les oeuvres d’art. Les entretiens avec Christian Rosset et avec Jochen Gerner permettent d’approfondir cette question sur des bases moins simplistes, et de rappeler qu’il est peut-être plus important d’exposer un auteur et son oeuvre que d’exposer « de la bande dessinée », et que c’est davantage l’auteur qui peut tendre à être légitimé plutôt que « la bande dessinée » dans son ensemble qui reste objet éditorial. A ce titre, l’une des phrases importantes du mémoire de Pilau Daures, à mes yeux, est dite par Lewis Trondheim : « On sait tous que la bande dessinée est un art moderne, basé sur la reproduction de l’œuvre. Et l’œuvre étant le livre, pas ce qui a permis de composer le livre. ». A quand des expositions de livres de bande dessinée ? L’exemple du musée du manga précédemment évoqué par mon comparse Antoine Torrens sur ce blog en offrait un bon exemple.

La question du public est donc finalement peu abordée dans le mémoire de Pilau Daures : quel est le public d’une exposition de bande dessinée ? S’adresse-t-on à des amateurs du genre ou à un « grand public » que je crains toujours fantasmé ? Il est difficile de le percevoir, mais les entretiens donnent un indice intéressant. Anne Barrault et Jean-Marc Thévenet affirment tous deux que leurs expositions ont l’intention de permettre de montrer de la bande dessinée à des personnes qui n’ont pas l’habitude d’en lire : des amateurs dans le cas de la galerie d’Anne Barrault, le « grand public » dans le cas de Archi et BD. Il y a donc cette piste qui voudrait que l’exposition soit un canal qui permettrait à la bande dessinée de sortir de son lectorat habituel, de faire un peu de prosélytisme pro-bd, comme le faisait déjà les organisateurs de Bande dessinée et figuration narrative ! On en revient aux origines de la bédéphilie, et je me demande si cette intention prosélyte est justifiée : pourquoi ne pas faire des expositions de bande dessinée en premier lieu pour les amateurs de bande dessinée ?

A l’inverse, j’ai toujours l’impression, mais peut-être est-elle fausse, que certaines institutions choisissent de faire une exposition de bande dessinée en pensant qu’elles vont pouvoir faire venir plus de monde que, disons, une exposition sur l’art khmer au Xe siècle. Avec derrière cette idée fausse (lire à ce propos l’intervention de Xavier Guilbert dans Vive la crise, aux Impressions Nouvelles en 2009) que la bande dessinée est un « art populaire » et donc facile à aborder et susceptible d’amener du monde. L’exposition de bande dessinée est devenue un « incontournable » des musées, et, en ce moment, le musée de la Franc-Maçonnerie à Paris (rouvert depuis deux ans) présente une exposition sur Corto Maltese et la franc-maçonnerie. Sans doute est-elle intéressante (je ne l’ai pas vu), mais j’ai toujours cette terrible de crainte de l’exposition-pretexte : la Cité de l’architecture expose Archi et Bd, le musée du judaïsme expose Judaïsme et bande dessinée, le musée de la franc-maçonnerie Corto Maltese et la franc-maçonnerie… Jusqu’à quel point s’agit-il d’expositions « sur la bande dessinée » ? Y apprend-on vraiment quelque chose sur la bande dessinée ? C’est une question à laquelle j’ai du mal à répondre et pour laquelle le mémoire de Pilau Daures n’apporte pas vraiment de réponses…

Rééditions numériques des oeuvres anciennes et épuisés

(cet article a été publié sur le blog de la revue neuvième art : http://neuviemeart.citebd.org/spip.php?page=blog_neuviemeart#355 )

Inutile pour moi de m’attarder plus avant sur le constat que la bande dessinée est « un art sans mémoire », dressé par Thierry Groensteen il y a de cela six ans dans La bande dessinée, un objet culturel non identifié (éditions de l’an 2) puis questionné lors d’un colloque tenu en juin 2010 à Saint-Cloud. Si la réponse n’est pas simple à apporter, et que l’affirmation de Thierry Groensteen est avant tout l’occasion d’interroger les pratiques de défense et de diffusion du patrimoine de la bande dessinée, il est vrai que le décalage est énorme avec d’autres arts ressortissant pourtant eux aussi de la catégorie des « industries culturelles », comme la littérature et le cinéma, où les oeuvres du passé sont régulièrement rééditées et donc facilement accessibles autant pour l’amateur que pour le grand public. En matière de bande dessinée, les oeuvres anciennes régulièrement rééditées sont généralement les séries encore en cours de publication (Astérix, Spirou) ou celles à la postérité inconditionnelle (Tintin). J’insiste sur le « régulièrement » : des rééditions ont en effet lieu, et de plus en plus, mais elles demeurent toujours ponctuelles et rarement suivies, ce qui rend la réédition elle-même introuvable en librairie après plusieurs années.

Dans un élan d’optimisme, il me semble toutefois indispensable de souligner une voie nouvelle pour la réédition, possiblement idéale pour donner une seconde vie à des oeuvres anciennes, qu’elles soient totalement inconnues, simplement épuisées ou devenues d’importants classiques : la réédition numérique qui se traduit la plupart du temps par une opération de numérisation de fonds anciens, publics ou privés. Depuis le début de la décennie 2000, plusieurs voies se sont affirmées pour la réédition numérique, et j’aimerais en dresser un court bilan chronologique, en pointant les particularités de chaque entreprise, car elles sont toutes fort variées et ne vise pas les mêmes publics, ni les mêmes finalités.

Le Coffre à BD

Vers 1999, Bernard Coulange commence à numériser la fameuse collection de mini-récits parus dans le journal Spirou dans les années 1960 et à le diffuser sur sa page personnelle, et via le forum Bdparadisio. Quand il crée bdoubliees.com, une importante base de données des oeuvres parues dans la presse de bande dessinée d’après 1945, il y intègre naturellement ces mini-récits numérisés. En 2004, alors que bdoubliees.com a grossi et s’est considérablement fait connaître, que les numérisations concernent d’autres oeuvres que les mini-récits, les archives des versions numériques sont rassemblées sur un site dédié, « Le Coffre à BD », et sont vendues (en version numérique) au prix de 2 euros l’album, tandis qu’une partie (un épisode par série) reste visible gratuitement en ligne, après inscription. Bernard Coulange professionnalise, en quelque sorte, son activité de rééditeur numérique.

Historiquement, le Coffre à BD se situe dans la tradition des rééditions opérées par les collectionneurs dans les années 1970-1980 et, plus particulièrement, dans la branche nostalgique de cette tradition, celle qui souhaite retrouver le plaisir des lectures de son enfance. D’où un intérêt particulier porté à des oeuvres réalisées dans la presse francophone pour enfants de l’après-guerre : Spirou, Tintin, Pilote, Coq Hardi tout particulièrement. L’ambition est d’ailleurs affichée sur le site qui cible ainsi son public : « Les lecteurs de cette époque peuvent retrouver ces histoires qui les ont passionnées. ». Les numérisations proposées par le Coffre à BD sont téléchargeables dans un format .pdf. Par ce principe, il répond en partie à des habitudes de collectionneurs pour qui la possession de l’album est important.

Comme l’indique le nom du site, l’objectif est de faire redécouvrir des oeuvres « oubliées », c’est-à-dire les séries jamais éditées en album, à côté des grands succès (Astérix, Spirou, Les Schroumpfs…). La logique est bien de nouer des rapports de complémentarité entre les rééditions papier et les rééditions numériques. A cet égard, il faut souligner l’attention que le fondateur du site porte aux droits d’exploitation, et ce dès le début : c’est pour respecter ce droit d’exploitation, et laisser aux ayants-droits la possibilité de rééditer les oeuvres qu’elles ne sont pas toutes accessibles gratuitement.

Coconino Classics

Le webzine Coconino World naît en 1999 de l’initiative de Thierry Smolderen et de plusieurs jeunes dessinateurs formés à Angoulême (lire à ce propos l’article de Thierry Smolderen, de janvier 2003). Espace d’investissement du Web par des dessinateurs professionnels, il trouve bien vite une identité propre, très marquée, et une esthétique retro pleinement assumée qui nous plonge à la Belle Epoque (le nom du site provenant de l’univers de la bande dessinée Krazy Kat de George Herriman, créée en 1913). Le webzine se divise en plusieurs espaces de publication, dont un « village des auteurs » qui donne accès aux oeuvres et sites personnels des dessinateurs publiés. Dès 2000 apparaît l’idée de rééditer des versions numériques d’oeuvres anciennes. Le lieu de rassemblement de ces oeuvres sera baptisé « Coconino Classics ».

Le champ d’action chronologique de Coconino Classics va des années 1770 aux années 1970, et le champ d’action spatial comprend l’Europe, les Amériques, et le Japon, autant dire une large partie du monde. On y trouvera aussi bien des auteurs amplement connus (Christophe, Winsor McCay, George Herriman, Jean-Claude Forest) que des auteurs moins canoniques, en France du moins (Frank Bellew, Eduard Thony et José Guadalupe Posada). Enfin, il faut souligner l’ouverture d’esprit de Coconino Classics qui ne se réduit pas à une définition restreinte de la bande dessinée, mais accueille toute sorte de dessinateurs de presse. Une entreprise très vaste qui m’intéresse dans son approche si spécifique de la réédition numérique. Contrairement au Coffre à BD où les rééditions se veulent fidèles à l’original, le principe de similarité étant lié à un public d’amateurs nostalgiques, les rééditions de Coconino Classics sont des rééditions de rupture qui semblent vouloir gommer le poids historique de l’oeuvre.

L’intention affichée n’est ni universitaire ni académique, mais obéit à « un regard de dessinateur qui fait fi de l’appartenance supposée des oeuvres à des genres, écoles ou tendances. ». Elle se retrouve dans les rééditions elles-mêmes. Il faut pointer la qualité des numérisations, avec des interfaces de lecture simples qui s’adaptent spontanément au format de l’oeuvre. A travers elle, l’oeuvre numérisée (lisible uniquement en ligne) semble se transformer en une oeuvre originellement numérique, quitte à retravailler la numérisation. Ainsi de la numérisation des dessins d’Antonio Rubino pour le Corriere dei piccoli où l’interface de lecture reprend la page case par case, en repositionnant systématiquement et artificiellement le bandeau-titre du journal. La prise en compte des technologies numériques est d’abord esthétique et les oeuvres numérisées sont transformées pour être de véritables oeuvres numériques que l’on pourrait croire nativement produites pour ce support. Le mimétisme est d’autant plus flagrant quand on observe que la structure du site Coconino Classics reprend la structure du « Village des auteurs » contemporains : même construction triple (auteurs/sites dédiés/albums numériques). L’ambiguïté semble voulue pour faire des auteurs « anciens » les égaux des auteurs contemporains et gommer les frontières du temps. L’ambition n’est pas historique et nostalgique, mais bien au contraire une modernisation d’oeuvres des temps passés.

La Cité de la BD

C’est en 2007 que le CNBDI d’alors, futur « Cité de la bande dessinée », commence à numériser ses fonds de bandes dessinées anciennes. L’intention s’inscrit cette fois dans un plus vaste mouvement de numérisation des fonds anciens des bibliothèques françaises, engagé dès la fin des années 1990 avec la création de Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France. C’est une vaste opération de numérisation du patrimoine imprimé français qui commence, largement soutenue par des fonds publics, l’Etat essayant de coordonner les différents projets locaux. Les enjeux sont multiples, souvent cumulatifs : tantôt il s’agit de sauver des ouvrages en trop mauvais état pour survivre encore longtemps, tantôt il s’agit de faire connaître à un public varié des livres qui, bien souvent, dorment au fond des réserves des bibliothèques et ne sont vus que par quelques chercheurs opiniâtre, tantôt il s’agit, plus lyriquement, de renouer avec l’idée que le patrimoine est un bien commun librement accessible par tous, une « libération des oeuvres » dans la mouvance d’un idéal (désormais contesté) du réseau Internet comme facteur de démocratisation de l’accès. Car bien sûr, c’est sur Internet que les bibliothèques vont diffuser une partie des oeuvres numérisées ; une petite partie pour des raisons de droits d’auteurs, mais j’y reviendrais…

Le CNBDI, lié depuis sa création à une mission de conservation du patrimoine de la bande dessinée, ne pouvait guère échapper au mouvement de numérisation de fonds ancien. Il commence avec les « cahiers Saint-Ogan », un fonds d’archive qui retrace l’ensemble de la carrière du dessinateur phare de l’entre-deux-guerres, créateur de Zig et Puce. La mise en ligne coïncide avec la sortie d’un beau livre écrit par Thierry Groensteen sur cet auteur, L’Art d’Alain Saint-Ogan (éditions de l’an 2, 2007), justement basé sur lesdits cahiers. D’autres numérisations vont suivre, qui concernent principalement la bande dessinée française de la période 1880-1940 : le fonds Caran d’Ache, l’imagerie populaire de la maison Quantin, le journal Le Rire, et diverses revues pour enfants (Pierrot, Lisette…).

A l’évocation de ces noms, on comprend assez vite que la Cité de la BD ne répond pas à la demande d’un public d’amateurs, comme le Coffre à BD, ni à une recherche d’oeuvres esthétiquement marquantes, comme Coconino Classics. Les numérisations sont de qualité mais simplement téléchargeables en .pdf, ou lisibles directement en ligne avec une interface dédiée. Le public visé (et sans doute le public réel) est clairement un public de chercheurs et spécialistes érudits, le même qui fréquente la salle du centre de documentation du musée de la BD. Il s’agit bien d’oeuvres rares, relativement peu collectionnées, qui permettent à la Cité de poursuivre un travail de réédition des niches les plus méconnues du patrimoine de la bande dessinée tout en encourageant la recherche sur le domaine.

Iznéo et la zone grise

Les fonds numérisés par la Cité de la BD ne posent pas de véritables problèmes de droits d’auteur en raison de leur ancienneté. Ce souci, pourtant, est l’un de ceux qui traverse et interroge les grandes campagnes de numérisation des fonds des bibliothèques ; ou, plus précisément de diffusion des fonds numérisés. Car la loi française dit que toute diffusion d’une oeuvre sous droit ne peut se faire qu’avec l’accord des ayants-droits. Si une entreprise puissante comme Google a tendance à faire fi de ces considérations malgré de nombreux procès pour non-respect du droit d’auteur, pour sa bibliothèque numérique Google Books, les institutions publiques ont plutôt choisi un modèle de prudence qui consiste à numériser « d’abord » les fonds qui garantissent l’absence de procès : ceux dont les auteurs sont morts depuis plus de 70 ans. Ce qui corrrespond, grosso modo, à la fin du XIXe siècle. Le choix reste donc vaste mais, en ce qui concerne la bande dessinée, on remarque assez vite qu’il exclut la plus grosse partie du patrimoine d’un art relativement récent.

Depuis 2008, pour contourner ces problèmes de droits d’auteur, le ministère de la Culture cherche des moyens de négocier avec les éditeurs pour les encourager à produire, parfois avec subvention de l’Etat, des rééditions numériques, et d’encourager de leur part la production de livres numériques. Parmi les e-distributeurs impliqués dans l’accord avec le ministère se trouve justement Izneo, la plateforme de bandes dessinées numériques qui constitue notre quatrième source de rééditions numériques. L’accord avec le ministère permet notamment aux oeuvres numérisées d’être signalées (mais pas accessibles) dans la bibliothèque numérique Gallica qui devient, pour l’occasion, une sorte de librairie en ligne.

Izneo rassemble un grand nombre d’éditeurs de bande dessinée, parmi les plus imposants sur le marché (Casterman, le groupe Medias-Participation, Glénat…). La différence majeure par rapport aux autres sites évoqués ci-dessus est qu’il s’agit de rééditions d’intentions commerciales, sur le modèle de ce qui se pratique pour les rééditions papier : il ne s’agit pas de faire revivre un patrimoine de niche pour des connaisseurs. D’abord fondé sur un principe de « location par albums », le système économique d’Izneo, qui se limite à une lecture en ligne, il s’est transformé tout récemment en une possibilité d’abonnement mensuel qui donne accès au catalogue, à raison de quinze ouvrages par mois.

Certes, Izneo ne concerne qu’indirectement mon problème de rééditions du patrimoine numérique : on y trouve principalement des nouveautés, et non de véritables « rééditions » au sens d’oeuvres introuvables en librairie faisant partie du patrimoine de la bande dessinée. Indirectement, oui et non… Car l’une des actions du ministère à destination de ces éditeurs-partenaires a été justement de pousser à des numérisations dites de la « zone grise ». La zone grise est l’ensemble des oeuvres épuisées qui ne sont plus rééditées par les éditeurs et introuvables dans le commerce. Nous avons vu que, dans le cas de la bande dessinée, cela concerne une assez large partie, voire constitue le principal problème : le patrimoine de la bande dessinée encore sous droits est inaccessible aux lecteurs, y compris moyennant finance. On pourrait éventuellement espérer que les éditeurs membres d’Izneo suivent l’exemple de son confrère Ego comme X qui, en 2010, avait eu l’idée de livrer gratuitement sur son site Internet des versions numériques des albums épuisés de son fonds, en plus de nombreuses archives d’auteurs. L’occasion de relire, par exemple, l’excellent Os du gigot de Grégory Jarry, ou encore les archives des premiers récits d’Aristophane. Le numérique pourrait devenir une belle opportunité de redécouvrir un grand nombre d’oeuvres qui n’ont plus guère d’existence que chez les bouquinistes spécialisés.

 

L’auteur inconnu

Dans La bande dessinée objet culturel non identifié, Thierry Groensteen évoque parmi les facteurs nuisant à une pleine reconnaissance culturelle du médium « l’interchangeabilité des producteurs ». Celle-ci serait particulièrement le fait des éditeurs, comme aux États-Unis, où les personnages appartiennent le plus souvent à des agences (syndicates) et changent de créateur au grè des albums et des stratégies éditoriales. En France, il met le doigt sur le phénomène du « scénariste maison », comme Raoul Cauvin chez Dupuis, qui prête sa célébrité à un jeune dessinateur, qui aurait pu être un auteur complet si la maison d’édition n’avait pas souhaité le voir s’associer à un scénariste reconnu afin de garantir un certain minimum en terme de ventes. L’auteur est donc de facto bridé. Enfin, Groensteen rappelle que de nombreuses séries sont reprises à la mort (ou à la retraite) de leur créateur originel. Les exemples sont trop nombreux pour être tous cités : Lucky Luke par Achdé et Laurent Gerra, Achile Talon par Widenlocher, Cubitus et Clifton par Rodrigue, etc. La seule exception à la règle n’est autre que Tintin, Hergé ayant fait très clairement savoir son refus de voir son personnage lui survivre après sa mort1.

L’une des conséquences de ce trait de la bande dessinée n’est autre que l’absence traditionnelle de biographie de l’auteur en quatrième de couverture des albums. Alors que l’auteur de premier roman, l’historien titulaire d’une maîtrise ou le rédacteur de recettes de cuisine, auront tous le droit à une courte présentation, visant dans le cas des ouvrages relatifs à une connaissance précise à affirmer son droit à parler d’un sujet, les auteurs de bande dessinée ne bénéficient en aucun cas de ce type d’introduction. Même un éditeur comme L’Association, qui œuvre pourtant, à la fois en paroles et en actes, à une meilleure reconnaissance de la bande dessinée – faisant jeu égal avec la littérature – et de ses créateurs, ne prend pas la peine de rédiger une présentation de ses auteurs.

La liste des livres publiés par le même auteur fait finalement office de biographie. La bibliographie se substitue à une réelle présentation de l’auteur et de son œuvre, réduite à l’état d’énumération (parfois incomplète quand un éditeur rechigne à faire mention des albums publiés ailleurs que chez lui). D’autres albums renvoient au site personnel de l’auteur (comme Blast, publié chez Dargaud par Manu Larcenet), ce qui indirectement conduit à une biographie. Autre phénomène intéressant, le Kafka de David Zane Mairowitz et Robert Crumb, qui relève de l’hybride, entre biographie écrite, bande dessinée et illustration, édité par Actes Sud, dans sa collection « Actes Sud BD » ne prend pas le soin de présenter ses auteurs. Quand Actes Sud publie de la « littérature », l’écrivain est bien-sûr introduit, même si cela se résume à sa date de naissance et à la mention que c’est son premier roman. Ici, rien du tout, alors que Robert Crumb est autrement plus reconnu que nombre d’auteurs de romans du catalogue de l’éditeur arlésien.

Une collection, Shampooing (Delcourt), dont le directeur n’est autre que Lewis Trondheim, l’un des fondateurs de L’Association, a pris le parti de présenter chacun de ses auteurs2. Toutefois, cette initiative est ambiguë pour deux raisons : tout d’abord, il s’agit bien souvent d’une fusion entre la biographie de l’auteur et un résumé de l’ouvrage, et ensuite, la biographie prend clairement le parti-pris de la dérision. Il s’agit alors plus d’une caricature que d’une réelle présentation de l’auteur, même si à l’humour des éléments véridiques sont introduits. Il convient certes de contextualiser : la collection Shampooing est humoristique en large mesure, même si certains des titres ont aussi une dimension plus « sérieuse » (semi-philosophique avec Les petits riens de Lewis Trondheim, ou témoignage/reportage avec Le Journal d’un remplaçant de Martin Vidberg).

Deux biographies peuvent servir à illustrer notre propos, celle de Lewis Trondheim dans La Malédiction du parapluie :

« Lewis Trondheim est né durant le millénaire précédent. Aussi, bien qu’aimant les nouveaux gadgets high-tech comme les clefs de voiture qui ouvrent à distance, il continue à apprécier plus particulièrement les petites choses simples qui donnent à la vie tout son sel. Il s’est très vite rendu compte qu’il n’aurait aucune prise sur les guerres à travers le monde, le terrorisme de masse et l’utilisation d’armes bactériologiques. Par contre, un lacet, un paquet de Fingers ou un parapluie sont des outils qu’il maîtrise à la perfection. Quoique… Ça dépend si une malédiction pèse sur l’un d’eux. »

Et celle d’Olivier Tixier pour Croisière Cosmos :

« Lorsqu’il ne surveille pas les rues de Nantes dans son costume de justicier Girafe, et qu’il ne se livre pas (sous l’identité de Michou la Savate) à des combats de Catch de Dessin dans les bars, Olivier Texier travaille au Service Communication d’une petite commune de 15 000 habitants. Le peu de temps qui lui reste (dans les transports en commun, ou lors de ses pauses déjeuner, par exemple), il le consacre à la confection de bandes dessinées, peuplées de petits personnages bizarres et crétins, mais toujours attachants. »

Si le second extrait est plus informatif que le premier (mention d’un métier et d’une pratique qui existe vraiment3), le second ne donne aucune indication sur Lewis Trondheim – qui nécessite certes moins de présentation – si ce n’est le fait qu’il est né au XXème siècle. Le résumé ne sert qu’à présenter l’album d’une façon humoristique. Dans les deux cas, nous avons affaire à une parodie de biographie d’auteur plus qu’à un réel désir d’affirmer la place de l’auteur, même si répétons-le, il s’agit bien d’une collection principalement humoristique.

L’éditeur manolosanctis est peut-être l’un des seuls à offrir une biographie sérieuse pour ses auteurs. L’âge et le cursus du créateur sont présentés, de même que ses incursions précédentes dans le monde la bande dessinée. Enfin, son aventure au sein du site manolosanctis et les réactions des internautes sont rappelées. Cela reste toutefois marginal et le fait d’un éditeur récent dans le monde de la bande dessinée, ayant de de surcroît un modèle semi-participatif.

Pour reprendre les mots de Thierry Groensteen, il y a encore du « complexe du cancre » dans la démarche de la collection Shampooing4. Les auteurs refuseraient in fine de prendre leur art au sérieux de peur d’une récupération culturelle et élitiste d’un art « populaire ». Les ennemis d’une reconnaissance entière du médium ne seraient autres que ses créateurs. Pourtant, des présentations sérieuses d’auteurs existent, comme dans les pays anglo-saxons. L’édition britannique du comic Watchmen (Titan Books) présente en quatrième de couverture, avec une photographie, les deux auteurs, Alan Moore et Dave Gibbons, respectivement scénariste et dessinateur. Dans la petite biographie qui est leur réservée, leurs œuvres principales sont rappelées, ainsi que leur impact dans le monde de la bande dessinée (pour Alan Moore : « As one of the major innovators of comics in the ’80s, he has influenced a generation of comics creators. »), mais aussi leur début d’activité dans le monde de la bande dessinée et dans ce cas particulier, les héros de séries qu’ils ont repris. En outre, même si cela intéresse moins notre sujet, les critiques de la presse sont inscrites au dos de l’album. L’influence d’un Alan Moore explique sûrement le soin porté à une telle présentation, ainsi que le fait que le livre est annoncé comme « One of Time Magazine’s 100 Best Novels ».

Cet exemple a toutefois de quoi faire réfléchir sachant que la France est souvent perçue et décrite par les auteurs étrangers de bande dessinée comme le pays qui honore le plus ses créateurs. Pour aller jusqu’au bout de cette logique, les éditeurs qui disent œuvrer à la légitimation de la bande dessinée se devraient de présenter systématiquement leurs auteurs, même si un certain d’entre eux utilisent encore un pseudonyme (même si cela semble en baisse parmi les auteurs regroupés sous le vocable « Nouvelle bande dessinée »). Après tout, ce n’est parce que Romain Kacew avait pour nom de plume Gary, qu’une biographie ne précédait pas ses romans.

1. GROENSTEEN, Thierry. La bande dessinée un objet culturel non identifié. Editions de l’AN 2, Angoulême, 2006. p. 65-67.
2. C’est la première fois que je remarque un tel dispositif sur un album, mais je serai reconnaissant à tout personne me signalant des pratiques similaires chez d’autres éditeurs.
3. http://catchdessin.blogspot.com/ (consulté le 1 octobre 2011)
4. GROENSTEEN, Thierry. op. cit. p. 129.

Astérix et la Bibliothèque nationale de France

En pleine parution de ma série sur « exposer la bande dessinée », je ne pouvais décemment pas passer à côté de la nouvelle qui circule depuis quelque jours : un don d’Albert Uderzo à la Bibliothèque nationale de France fait « entrer Astérix à la Bibliothèque nationale de France », pour reprendre l’expression consacrée, relayée par différents médias comme par exemple dans actualitté, ou encore sur artclair, qui met en parallèle le don du dessinateur et le procès qui oppose actuellement Uderzo à sa fille Sylvie sur la question des droits de succession. Petite mise en contexte de l’évènement, assortie de réflexions personnelles…

Le communiqué de la BnF
De quoi s’agit-il exactement ? La transaction entre Uderzo et la BnF était connue depuis quelques temps, elle s’officialise en ce début de mois d’avril et se médiatise dans un communiqué de la BnF. Le communiqué s’intitule « Astérix entre à la BnF ! ». Sur la rhétorique de « l’invasion des lieux de la culture traditionnelle par la BD », je vous renvoie à mon article précédent, mais le titre du communiqué, avec son point d’exclamation, est dans la droite ligne d’un discours qui se veut pseudo-transgressif, et vise à démontrer par l’exemple l’ouverture d’esprit d’un grand établissement qui n’hésite pas s’intéresser à la bande dessinée. Le communiqué nous apprend d’autre part que cette transaction est un don de la part d’Albert Uderzo, non un simple dépôt, et qu’une exposition est prochainement prévue à la BnF pour présenter lesdites planches. Enfin, sur la nature des objets, il s’agit de 120 planches des épisodes Astérix le Gaulois, La Serpe d’or, Astérix chez les Belges. Les deux premiers sont respectivement parus en 1959, 1960 dans la revue Pilote, puis en album chez Dargaud (1961, 1962), le troisième directement en album en 1977 (c’est là le premier album a n’avoir connu aucune prépublication). Quelles types de planches ? « État antérieur à la mise en couleurs, ces planches encrées avec lettrage, de grand format, donnent à voir le dessin à nu, la subtilité du trait, la force du mouvement, la verve caricaturiste, autant d’ingrédients qui caractérisent le grand talent de dessinateur d’Albert Uderzo. Elles permettent également d’apprécier l’évolution du style qui s’élabore, s’expérimente dans le premier album pour parvenir à une parfaite maîtrise dont témoigne le vingt-quatrième titre de la série.  ». Par cette précision, nous apprenons qu’il s’agit des sempiternelles « planches originales encrées », dans ce noir et blanc qui, dans les premières années de la bédéphilie, était conçu comme « originelle » et idéalisé, la couleur, généralement réalisée par un tiers, étant une trahison du trait du dessinateur. Malheureusement, ce ne sont pas des documents de travail, des croquis, des crayonnés, qui auraient eu un véritable intérêt historique, mais aurait certes été beaucoup moins présentables et lisibles. En revanche, le choix des titres est plutôt judicieux, et sans doute a-t-il fait l’objet d’une réflexion : Astérix le Gaulois est le premier épisode, témoin de la première manière de l’auteur, plus expressive et caricaturale, celle, encore, de Jehan Pistolet et Oumpah-pah ; La Serpe d’or est le second et, déjà, Uderzo « apprend » à dessiner Astérix ; enfin, Astérix chez les Belges est le dernier épisode, où le trait est désormais figé dans la maturité acquise en une quinzaine d’années à dessiner des petits gaulois. Bon… Il manquerait un des albums centraux, peut-être Astérix chez les Bretons, ou Le Domaine des Dieux, pour que l’évolution soit réellement saisissante. Mais déjà, on peut « apprécier l’évolution du style », en effet.
Je passe sur les louanges superlatives qui accompagnent le communiqué : « don exceptionnel », « célèbre bande dessinée », « oeuvre phénomènale » et, cerise sur le gâteau : « « Quoiqu’il s’en défende, Uderzo est un très grand artiste. Avec René Goscinny, il est l’inventeur de personnages mythiques qui ont fait le tour du monde. » déclare Bruno Racine, président de la BnF, en exprimant sa gratitude pour ce don si généreux.  ». Ce sont des formules de politesse qui n’ont guère d’autre intérêt que de remercier Albert Uderzo et d’encourager aux dons. Par ses artifics rhétoriques, le communiqué s’inscrit dans la nouvelle manière de communication de la BnF qui « évènementialise » certains dons et acquisitions susceptibles de parler au grand public. Une mise en scène semblable, et encore plus considérable, avait été déployée lors de l’arrivée dans les collections des manuscrits inédits de Casanova. Peut-être que certains de mes lecteurs se souviennent du « mystérieux donateur » et des péripéties jamesbondesque de la remise de l’oeuvre. Il ne s’agit là que d’enrobage, pour une époque qui préfère l’enrobage au gâteau, mais les faits peuvent se résumer en : « Uderzo fait don à la BnF de 120 planches originales avant mise en couleur. ».

Les forces en présence
Voilà pour les données factuelles. La plupart des articles de presse rappellent au passage qu’Albert Uderzo et sa fille Sylvie sont actuellement en procès, l’un accusant sa fille de harcèlement, et l’une portant plainte contre l’entourage de son père pour abus de faiblesse ; le noeud du problème est l’argent, ou plus spécialement les droits d’exploitation d’Astérix sous la forme de l’entreprise détentrice de ces droits, les éditions Albert-René, détenue actuellement par les éditions Hachette, intégralement depuis mars 2011. L’enjeu, on le devine, est la suite d’Astérix. Hachette continuera-t-il à faire d’infinis bénéfices grâce à la marque « Astérix » ? La série sera-t-elle reprise après la mort d’Uderzo ? Après tout, au vu de la qualité des derniers albums, peut-être vaudrait-il mieux qu’un repreneur redonne du souffle au si fameux « phénomène » Astérix. Je m’arrête sur la question du procès Uderzo, affaire plus sordide qu’intéressante : des vautours se disputant autour d’une vieille carcasse en survie artificielle. Elle montre simplement que la série est à une étape clé de son évolution, où elle devient d’une façon de plus en plus affirmée une parcelle de l’Histoire de la bande dessinée, et non plus une série « vivante ». Astérix est en effet une des dernières séries à succès de la « bande dessinée franco-belge » mythifiée des années 1950-1960 dont le créateur soit encore en vie, après la mort de Jacques Martin et de Tibet en 2010. Uderzo essaye, entre Hachette et la BnF, de gérer la transmission mémorielle de sa série.
Revenons-en au don Uderzo à la BnF. Sans doute convient-il de mieux présenter les forces en présence, à l’adresse soit des fans de bande dessinée peu au fait du fonctionnement de la BnF, soit des bibliothécomanes peu au fait de la nature du « phénomène Astérix ».

Commençons par Astérix. La série créée par René Goscinny et Albert Uderzo en 1959 fait partie des quelques « phénomènes » de la bande dessinée dont les journalistes raffolent, pensant que parler chiffre leur évite d’avoir à lire les albums (avec Tintin, et maintenant Titeuf, Largo Winch, Lanfeust). Astérix ne dépasse sans doute pas l’ampleur du « phénomène Tintin » mais présente l’avantage de ne pas mettre en scène des héritiers tatillons sur l’image de leur héros (et autre avantage : c’est un héros national, et non belge). D’autre part, Astérix a été élevé très tôt à ce statut, notamment par une fameuse une de L’Express en septembre 1966 justement intitulée « Le phénomène Astérix : la coqueluche des français ». De fait, la série est bel et bien un succès commercial : comme le rappelle Patrick Gaumer dans son Dictionnaire de la bande dessinée, l’article de L’Express paraît alors que Astérix chez les Belges vient de se vendre à 600 000 exemplaires en deux semaines. Les albums suivants dépasseront le million d’exemplaire, suivant une courbe exponentielle. Dans la tradition de la bande dessinée pour enfants des années 1950-1960 (celle du trio Tintin, Spirou, Pilote), sa médiatisation a été amplifiée par une exploitation commerciale savamment déclinée en plusieurs produits, dont des dessins animés (certains réalisés par Goscinny et Uderzo eux-mêmes dans le cadre des « studios Idéfix » dédiés : Les douze travaux d’Astérix, sorti en 1976 présente en plus l’avantage d’être inédit en album avant sa sortie), afin de globaliser l’univers d’Astérix dans un univers multimédia qui dépasse largement la seule bande dessinée. La réussite d’Astérix a permis, en partie, le décollage de la revue Pilote elle-même mythifiée par toute une génération comme celle du « passage à l’âge adulte ». Enfin, Astérix, par sa richesse, mais aussi par son succès, est une des rares séries de bande dessinée a avoir fait l’objet d’études nombreuses hors du cercle des revues spécialisées, et notamment dans le milieu universitaire dès les années 1990. Il est certain que la série, terrain de jeu idéal de René Goscinny, mort en 1977 avant la fin d’Astérix chez les Belges, a permis de renouveler l’humour graphique et de le rendre plus intergénérationnel qu’il ne pouvait l’être avant. La principale innovation de Goscinny a été de ne pas se limiter à un seul type d’humour, mais de mêler une grande part de la gamme de l’humour français : jeux sur les mots, comique de situation, double lecture, jeux sur les stéréotypes, allusion à l’actualité, parodie, le tout étant souligné par le style caricatural et expressif d’Uderzo.
La notion de « phénomène », ou de « mythe » est essentiel : dans le grand concert unanimiste qui est souvent de mise dans le domaine de la bande dessinée, il s’applique à une série qui vaut désormais plus pour sa valeur symbolique que pour ses qualités réelles. D’où un certain aveuglement à chaque nouvel album d’Astérix, où les journalistes s’empêchent de dire qu’il est mauvais. L’entrée d’Astérix à la BnF obéit indirectement à ce même diktat du « phénomène », de la même manière que, en 2005, le centre Pompidou avait fait entrer dans ses collections une planche d’Hergé. Ce qui rentre à la BnF, c’est autant un dessinateur talentueux qu’un symbole du succès de la bande dessinée depuis une cinquantaine d’années.

Quant à la Bibliothèque nationale de France, elle s’est toujours montrée relativement timide vis à vis de la bande dessinée (jamais foncièrement hostile, toutefois ; je vous renvoie à un article de mon collègue Antoine Torrens), laissant le soin de conserver le patrimoine du médium au musée de la bande dessinée d’Angoulême, dans un partage des tâches et des compétences plutôt réussi puisque, depuis 1983, l’institution angoumoisine reçoit le second exemplaire de chaque album déposé au titre du dépôt légal auprès de la BnF (le CIBDI est « pôle associé » de la BnF, pour reprendre le terme exact). Toutefois, un effort assez important a été fait par la BnF pour numériser ses collections de bande dessinée de presse au sein de la bibliothèque numérique Gallica (http://gallica.bnf.fr/), comme nous l’expliquait la lettre d’information de février dernier. On peut notamment y consulter en ligne des exemplaires du Petit journal illustré (qui publiait Christophe dans les années 1890) ou de Ouest-Eclair (qui publiait Le professeur Nimbus d’André Daix dans les années 1930). Ainsi se constitue doucement le patrimoine numérique de la bande dessinée française, le CIBDI numérisant activement de son côté ses collections anciennes (http://collections.citebd.org/). De même que la BnF commence à mettre en valeur ses collections de dessins de presse, elle poursuit le mouvement en direction de la bande dessinée. Le don d’Uderzo se lit dans ce contexte plutôt encourageant. A voir l’exposition « Astérix » qui sortira des cartons.
Une donnée essentielle toutefois : le don d’Uderzo ne s’est pas fait n’importe où dans la noble institution. Les planches d’Astérix sont données à la « Réserve des livres rares ». Contrairement aux autres départements thématiques de la BnF (droit, lettres, sciences et techniques, manuscrits, cartes et plans, etc.), la Réserve se veut transversale. Son autre particularité tient aux conditions de consultation des documents qu’elle conserve, nécessairement soumise à une autorisation spécifique et individuelle, là où les autres collections du rez-de-jardin sont accessibles à tout chercheur accrédité. Une présentation des pièces de la Réserve est faite aux simples visiteurs soit dans un espace dédié à Tolbiac, soit lors d’évènements précis. Elle conserve des imprimés et des documents jugés « exceptionnels », sans qu’il y ait de règles ni de systématisme au processus de « mise en réserve », commencé en 1792 et poursuivi depuis lors. La Réserve ne se contente pas d’aller choisir dans les fonds existant, elle mène une politique d’acquisition directe, comme dans le cas des planches d’Astérix. Dans le domaine du dessin pour enfants, elle conserve déjà des planches originales de Babar de Jean de Brunhoff.

En d’autres termes, la Réserve est, à la BnF, le dernier carré où est défendue la vision traditionnelle de la BnF, que l’on pourrait qualifier de « poussiéreuse » si l’on voulait faire du mauvais esprit, celle que le public applique parfois à tort à l’ensemble de l’institution, de la primauté d’une mission de préservation d’un patrimoine national sélectionné selon des critères de prestige, au détriment de sa consultation. Une mission qui se justifie assez souvent par la rareté de certains documents, ou simplement par des besoins de conservation nécessaires pour éviter la détérioriation. Les documents qu’on garde dans la Réserve sont d’abord destinés à d’hypothétiques générations futures, pour garder la mémoire de ce qu’était le patrimoine de la France. Le terme « prestige » est ici essentiel (et Dieu sait s’il est important en France !) : la Réserve est un espace arbitrairement grandiloquent à l’intérieur d’une BnF qui s’ouvre de plus en plus à un large public. Elle contrebalance les hordes de lycéens qui viennent travailler en Haut-de-Jardin, à la recherche de tables et de chaises.
Avec l’entrée d’Astérix à la BnF, on assiste donc à la rencontre entre un « phénomène » de société et un lieu de prestige, deux mythifications irrationnelles de la culture, la première témoignant de l’amusante puérilité de la société de consommation, l’autre du charme suranné de la hiérarchisation culturelle. La notoriété de la série est un critère déterminant dans le choix du lieu de conservation (les planches d’Astérix auraient pu être déposées soit au CIBDI, soit à la BnF aux Estampes ou dans le département Littérature et Arts). On entérine une situation clamée haut et fort : Astérix fait partie du « patrimoine national », c’est une bande dessinée « digne », en quelque sorte, à côté de tas d’autres bande dessinée « indignes ». A cet égard, l’avant-dernière phrase du communiqué est maladroitement éloquente : « Ce remarquable don est un évènement pour la Bibliothèque nationale de France et un évènement pour la bande dessinée qui intègre les collections de la Réserve des livres rares rejoignant ainsi l’Apocalypse de Dürer et le Buffon orné par Picasso.  ». La morgue de la dernière expression (« un événement pour la bande dessinée »), qui sous-entendrait que, ça y est, la bande dessinée est digne du patrimoine mondial, à l’égal de Dürer et Picasso, est sans aucun doute une maladresse plus qu’autre chose. Mais une maladresse amusante quand on connaît la qualité et la diversité atteinte par la bande dessinée dans les vingt dernières années.

Conclusion subjective
Je vous rassure tout de suite : moi aussi, quand j’étais petit, j’ai adoré Astérix, et même maintenant, j’aime en relire quelques uns, en particulier Astérix chez les Goths et Astérix légionnaire. Et puis, que la BnF s’intéresse à la bande dessinée ne peut être qu’une bonne chose, qu’un bon signe, même si elle le fait avec une maladresse tout à fait pardonnable. Le plus curieux est de constater à quel point la BnF peut être très en avance sur certains domaines (pour exemple : son investissement dans le dépôt légal et l’archivage du Web et ses réflexions poussées sur la politique de numérisation nationale) et en retard sur d’autres. Le communiqué de la BnF sur le don d’Uderzo a un petit quelque chose d’anachronique, l’impression d’avoir été rédigé dans les années 1970 ou 1980, au moment où, par divers subterfuges, la bande dessinée finissait par casser son image de médium infantile et uniquement commercial, en même temps que le polar et la science-fiction.
Ce qui m’interpelle, c’est que, si on m’avait demandé de choisir une bande dessinée à conserver en priorité, je n’aurais pas choisi Astérix, qui est certes une excellente bande dessinée… des années 1960. Avec toutes ses incontestables qualités, elle est surtout une des bandes dessinées les plus surévaluées, de même que Tintin. Sa vénération relève d’une vision encore marquée par la nostalgie et le collectionnisme, par l’idée que la bande dessinée est un art populaire et fédérateur, comme au temps de la bédéphilie militante des années 1960-1970. Par son anachronisme, ce choix correspond à la nature même de la Réserve des livres rares. Qui aurais-je choisi ? Le choix est difficile ; de Crécy, Hislaire, comme l’a fait le Louvre ces dernières années, Baudouin, Davodeau, Gotlib, Rochette, Blutch, ou encore, pour être plus consensuel, Moebius ou Bilal. Tout choix est fortement subjectif, le mien y compris, et, dans la transaction entre la BnF et Uderzo, le prestige joue un rôle plus important que l’intérêt patrimonial et esthétique. Si, dans le domaine de la bande dessinée, la Réserve se focalise sur Astérix, quand il s’agit de graphisme et d’art de l’affiche, elle n’hésite pas à acquérir des oeuvres de jeunes graphistes peu connus du grand public.

Puisqu’on parle de bande dessinée et de bibliothèques, j’en profite pour faire un peu de publicité pour un événement qu’Antoine Torrens et moi-même organisons le 12 mai dans les locaux de l’Ecole nationale supérieure des sciences et de l’information et des bibliothèques, à Villeurbanne, sur le thème de la bande dessinée numérique. Vous trouverez plus d’informations sur le site internet de l’enssib et dans les semaines qui viennent.