Archives pour la catégorie Réflexions sur la bande dessinée numérique

Un panorama historique de la bande dessinée numérique !

Annoncé sur ce blog depuis plusieurs semaines, le premier épisode de « l’histoire de la bande dessinée numérique », par votre serviteur (Mr Petch, aka Julien Baudry) est à présent en ligne dans le webzine Neuvième art 2.0. Cette série sera publiée une fois toutes les deux semaines pour cinq épisodes. Son objectif, sur lequel je reviendrais sur ce blog, est de constituer une première synthèse des connaissances sur l’évolution historique de la bande dessinée numérique. Et en tant que première synthèse, elle est destinée à être corrigée, commentée, critiquée pour être finalement améliorée, polie, savamment lustrée par autant de conseils avisés.

Le tout a été mis en ligne grâce aux bons soins de Gilles Ciment, qui doit être ici remercié pour avoir accepter de publier ce dossier dans la vénérable revue de la Cité de la bande dessinée qui a rejoint le net depuis 2009. C’est un grand honneur pour moi que d’être accueilli dans ses pages, même immaterielles.

Le premier épisode s’intitule « Contexte d’émergence de la bande dessinée numérique en France » et en voici le résumé :

Parler des prémices de la bande dessinée numérique avant les années 2000, c’est vainement essayer de la définir rétrospectivement, de la circonscrire dans des limites souvent incertaines à une époque où on en parle encore peu, et où elle n’existe qu’à l’état de fragments hétérogènes. L’objectif de cette première partie, qui fait office de préambule aux articles qui vont suivre, est justement de délimiter le terrain d’étude à une définition toute subjective de la bande dessinée numérique comme objet culturel de transition entre un champ analogique bien connu à l’histoire presque bicentenaire et un futur « nouveau média » hybride et encore en cours de définition en 2012.
Pour remplir cet objectif, j’examinerai trois contextes qui, à mes yeux, expliquent l’apparition d’une bande dessinée numérique française vers la fin des années 1990 : l’influence des webcomics américains, les évolutions propres à la création artistique numérique et sa rencontre avec la bande dessinée, et enfin la naissance d’une communauté d’intérêt autour de la bande dessinée sur le web.

Bonne lecture ! Tous les retours sont les bienvenus (mrpetch@orange.fr). Et j’en profite pour remercier mes fidèles lecteurs qui m’ont poussé à poursuivre dans la voie du blog, décidément un excellent outil d’expérimentation reflexive et d’échanges !

 

Making-of – histoire de la bd numérique française

Le silence de ces dernières semaines s’explique par le fait que mon esprit soit actuellement fort occupé à la réalisation d’une série de longs articles sur l’histoire de la bande dessinée numérique française, travail dont vous entendrez parler, si tout va bien, dans les semaines qui suivent. Cela ne m’empêche pas, au passage, de pointer quelques observations qui me viennent et que, faute de place, je n’ai pas gardé dans le texte final. Je vais profiter du blog pour les exposer à votre sagacité de lecteur assidu de Phylacterium… Et puis tant que je vous parle de bande dessinée numérique, EspritBd organise à l’ISEG ce jeudi 12 avril une rencontre qui s’annonce passionnante sur le sujet, avec de prestigieux invités tels que Thomas Cadène, Malec, Thomas Mathieu, Pierre-Yves Gabrion, Anthony Rageul, Julien Falgas. Bref, des personnes capables d’évoquer le sujet épineux de la « création » de bande dessinée numérique

Mes reflexions m’ont conduit au niveau de l’histoire de l’art numérique. Pour reprendre l’un des passages de l’appel à communication lancé par Comicalités aujourd’hui même (dans une section dirigée par Julien Falgas et Anthony Rageul (oui, les deux en même temps !)) : « Considérée comme objet esthétique, la bande dessinée numérique invite à observer comment elle s’inscrit dans l’histoire de l’art, comment s’y manifestent ou non les enjeux de l’art contemporain à l’orée du XXIème siècle, comment elle fait ou non écho aux autres arts numériques. ».

De fait, j’ai choisi de ne pas traiter cette question pourtant essentielle dans ma série d’articles à paraître, à la fois pour me concentrer sur le « noyau » de la bande dessinée numérique, et par méconnaissance du domaine de l’histoire des arts numériques. Une lacune qu’il me faudra vite combler, d’ailleurs, car je pense qu’il y a beaucoup à chercher du côté des enrichissements de la bande dessinée par les arts numériques.

Mon attention a d’abord été attirée par une référence trouvée un peu par hasard sur Internet : les oeuvres de François Coulon. J’ai découvert son travail grâce à cet article de Philippe Bootz sur le site de Leonardo/Olats, association scientifique d’étude et de recherche dans le domaine des arts numériques et des technosciences. L’article a le grand mérite de considérer la « littérature numérique » au sens large, et donc d’y inclure des oeuvres proches de la bande dessinée, et enfin de faire ce lien avec le média bande dessinée. Ultérieurement, je me suis rendu compte que les oeuvres de François Coulon ont servi à Jean Clément, spécialiste des littératures numériques, d’exemples d’oeuvres « hypermédiatiques » qu’il appelle « hyperfiction » ou « fiction interactive » (dans Multimédia, les mutations du texte, dirigé par Thierry Lancien, p.27-40, article disponible à cette adresse). Or, dans ce même ouvrage collectif, beaucoup de chercheurs font appel à la bande dessinée pour décrire certains dispositifs multimédia, par exemple Jacques Anis pour décrire des dispositifs de conversation électronique sur les chats (nous ne sommes plus dans le domaine de la fiction). On pourrait d’ailleurs discuter sur la pertinence de ces comparaisons, mais ce qui m’intéresse ici est plutôt le fait que la bande dessinée rentre dans le champ de vision de spécialistes des langages numériques, artistique ou triviaux.

François Coulon, donc… François Coulon est un auteur de fictions numériques et jeux vidéos au moins depuis le début des années 1990. L’article de Philippe Bootz le cite comme un « pionnier » de la fiction hypertextuelle. Au moins quatre de ses oeuvres ont à voir avec la bande dessinée : Egérie (1991 sur Atari avec Laurent Cotton), La Belle Zhora (1992), 20% d’amour en plus (1996, édité en Cd-Rom chez Kaona) et, un peu plus récemment, Pause (2002, édité en CD-Rom chez Kaona). Des deux premières, Philippe Bootz dit « Ces deux hyperfictions sont des bandes dessinées interactives (les zones de textes ne se mélangent pas aux images). ». De fait, on est bien face à une forme de narration en dessin qui emploie, en terme de séquentialité et de rapports texte/image, des dispositifs semblables à ceux de la bande dessinée papier.

La notion de « bandes dessinées interactives » est employée pour décrire des oeuvres numériques empruntant aux codes de la bande dessinée mais dans lesquelles l’intervention du lecteur influe sur le narration (je schématise à fond). C’est le cas de Egérie où le lecteur suit une journée dans la vie d’une jeune parisienne, et fait pour elle des choix qui ont des conséquences irrémédiables sur la suite de l’histoire. La Belle Zhora est plutôt décrit comme un hypertexte « d’exploration » au sens où le lecteur est libre de naviguer dans les différents éléments de l’image pour déclencher des textes. Les dispositifs utilisés dans toutes ces oeuvres, et la notion d’interactivité appliquée à la bande dessinée, vont être introduits au début des années 2000 dans les bandes dessinées numériques que je traite dans ma série d’articles, par Fred Boot, Anthony Rageul et aussi par les auteurs du webzine @Fluidz. D’où la familiarité que j’observe entre mes bandes dessinées numériques et ces oeuvres issues des arts numériques, dont l’auteur n’appartient pas au « champ culturel » de la bande dessinée, ce qui explique pourquoi il m’avait échappé.

La découverte des oeuvres de François Coulon m’inspire deux observations par rapport à l’histoire de la bande dessinée numérique, et à ce que pourrait être une histoire de la bande dessinée numérique :

1. La première observation est simplement de me demander, en terme de logiques historiques, s’il y a un lien entre les oeuvres susdites et les autres oeuvres que j’identifie comme appartenant à la bande dessinée numérique, à la même époque (le site xxeciel.com de Hislaire, John Lecrocheur, Operation Teddy Bear, @Fluidz…). Les auteurs de bande dessinée ont-ils eu connaissance de ce qui se passait du côté des arts numériques ou s’agit-il de deux voies parralèlles, l’une partant de la bande dessinée, l’autre partant de la fiction hypertextuelle, mais les deux parvenant au même endroit ? Une fois de plus, c’est la question des influences et des hybridations entre des médias différents qui se pose. On pourrait interroger de même le dialogue entre l’animation graphique et la bande dessinée dans les récents Turbomedia de Balak et ses collègues, avec d’autant plus d’acuité que ces créateurs sont généralement à la fois des auteurs de bande dessinée et des animateurs, qu’ils « incarnent » en quelque sorte l’hybridation qu’ils mettent en scène dans leurs oeuvres.

2. Et puis, pour mettre un peu en question mon propre travail de recherche historique sur la bande dessinée numérique, je m’interroge sur les dangers d’une histoire « bédécentrée », qui partirait d’une définition de la bande dessinée papier pour étudier son adaptation au contexte numérique. Pour l’instant, c’est en ce sens que j’ai travaillé : voir comment le champ culturel de la bande dessinée (ses auteurs, ses éditeurs, son langage, ses médias, ses critiques) entrait dans la course numérique. Jusque là, j’ai tenté de relier la bande dessinée numérique aux évolutions des vingt dernières années de la bande dessinée papier. Or, il y aurait tout à gagner à aller voir aussi du côté des arts numériques et, en sens inverse, à s’interroger sur la façon dont la bande dessinée (cette fois non en tant que champ culturel, mais en tant « qu’espèce narrative à dominante visuelle », pour reprendre Thierry Groensteen) est employée dans des fictions numériques.

Mes réflexions rejoignent finalement la direction vers laquelle tendent Julien Falgas et Anthony Rageul dans leur appel à communications et, d’une façon plus générale, la vision de la bande dessinée numérique de création qu’ils défendent dans leurs travaux de recherche et leurs interventions. C’est l’idée que la notion de « bande dessinée » est bien trop réductrice pour évoquer ce qui appartient, globalement, à de la « fiction numérique » qu’on pourrait dire « à dominante visuelle », par opposition aux oeuvres numérique purement textuelles. La bande dessinée numérique nous oblige à repenser la définition de la bande dessinée, à en étendre encore les frontières, comme son arrivée dans la presse l’avait recomposé au milieu du XIXe siècle.

Mais finalement, c’est un vrai paradoxe d’historien du culturel que je me pose et qu’il me faudra résoudre. Pour faire l’histoire de la bande dessinée numérique, il me faut quitter l’histoire de la bande dessinée. Comment décrire l’histoire d’un objet culturel dont la principale identification est médiatique, comme un marqueur que l’on appose pour relier telle fiction numérique à un champ culturel prédéfini, pour en faciliter la diffusion ? Comment faire l’histoire de la bande dessinée numérique alors que ses frontières ne sont pas encore délimitées, ou qu’elles le sont de façon très limitatives ? Finalement, comment est-ce qu’un champ s’autonomise, pour reprendre les termes de Luc Boltanski à propos de la bande dessinée dans les années 1960, et est-ce que celui de la bande dessinée numérique s’est rééllement autonomisé de ce qui est son « équivalent » papier ? Est-ce qu’il est pertinent, pour parler de bande dessinée numérique, d’aller du côté de l’art numérique sans garantie qu’il existe entre les deux champs un véritable dialogue ? On constate qu’il reste du pain sur la planche à qui veut s’intéresser à l’histoire de la bande dessinée numérique…

 

 

A bande dessinée numérique, presse numérique

Avant tout, un petit lien vers le compte-rendu de la table ronde sur la bande dessinée numérique organisée par l’association Pilmix lors du festival d’Angoulême. J’aurais dû y être présent mais des problèmes de santé légers mais suffisamment pénibles m’ont empêcher d’être de la partie, ce que je regrette fort… Il faudra que je revienne en temps utile sur l’une des questions du public : celle du rôle des bibliothécaires. Bref… Venons-en au sujet du jour.

Bande dessinée et presse, la conjonction parfaite ? Pendant près d’un siècle de son histoire, entre 1860 et 1960, la bande dessinée a principalement été un contenu de presse, les quelques albums paraissant entre ces deux dates étant généralement des recueils ponctuels de grandes séries de presse. Puis l’essor progressif de l’album et le prestige obtenu, dans les années 1990, par des formats rapprochant la bande dessinée de la diversité des formes du livre-texte, ont mis à mal l’hégémonie de la presse. Certains anciens auteurs ayant connu la période faste où le principe de pré-publication assurait un revenu régulier à des auteurs au statut relativement proche du salariat n’hésitent pas à y voir la cause d’une dégradation du statut de l’auteur de bande dessinée, comme récemment Roland Garel dans les colonnes d’actuabd (http://www.actuabd.com/Roland-Garel-dessinateur-ancien). Tout le contraire des Etats-Unis où le principe de périodicité est encore très présent, que ce soit pour les comic books ou les comic strips. On nuancera en disant que toutes les revues de bande dessinée n’ont pas encore disparu, que ce soit auprès des enfants (Spirou est encore là, Tchô s’est affirmé ces dernières années) ou des adultes (Fluide Glacial est l’honorable survivant de la « nouvelle presse » des années 1970). Et puis on en revient ponctuellement à des parutions de série dans la grande presse, en particulier pendant les périodes de fêtes ou de vacances.

Bref, certaines traditions de lectures ont la vie dure, malgré tout ce que l’on peut dire. Car derrière la « disparition » de la pressse et son pendant, le triomphe de l’album, c’est aussi l’effacement des usages : dans les années 1950, on lisait d’abord des bandes dessinées par la presse, périodiquement, avec un jeu d’attente, là où l’album suppose une lecture immédiatement intégrale et plus dense. Il est difficile de savoir, comme pour la poule et l’oeuf, si l’usage a évolué parce que les suipports ont changé ou si les supports ont changé parce que l’usage a évolué. Mais quoi qu’il en soit, l’appréhension de la bande dessinée au début du XXIe siècle semble bien être d’abord celle d’une lecture intégrale de l’album.

Mais allons… Je ne suis pas ici pour vous parler d’un passé mille fois rabaché de la bande dessinée de presse alors que le titre, puisamment porté vers l’avenir de la bande dessinée (puisqu’il ne doit y en avoir qu’un !) : la bande dessinée numérique. Alors revenons-en.

Lors des premiers frémissements d’un « modèle économique » de la bande dessinée numérique, autour de 2009-2010, plusieurs propositions ont été avancées. Un adossement entre production numérique gratuite et édition papier payante (Manolosanctis), un achat « à la pièce » (Foolstrip), un droit d’accès en ligne pour un temps plus ou moins limité (Izneo), un achat-appli pour support mobile (Ave!Comics, Emedion), un abonnement pour accès régulier (Les autres gens). Vous l’aurez compris, c’est ce dernier modèle qui m’intéresse aujourd’hui : longtemps promis par Izneo mais jamais réalisé, le modèle, finalement assez simple, de l’abonnement, est certainement une des raisons du succès des Autres gens. Les éditeurs américains l’ont vite compris : Marvel a numérisé une partie de son catalogue pour le rendre accessible selon un système d’abonnement mensuel donnant droit à une consultation illimité de la base.

Je ne vais pas prétendre que l’abonnement est le modèle économique absolu de la bande dessinée numérique : nous n’en sommes qu’aux frémissements, et on ne peut sans doute rien affirmer. Simplement en ce début d’année 2012 s’annoncent deux lancements basés non seulement sur un principe d’abonnement, mais surtout sur la réactivation de ce vieil usage de la lecture « périodique » de bande dessinée, et du rapport presse/bande dessinée. Un coup d’oeil du côté de BDNag et de La revue dessinée.

Presse en ligne et bande dessinée

Mais avant cela, un petit rappel. Comme tous les médias, la presse connaît depuis plusieurs années son « passage au numérique », avec le développement à la fois de sites d’information dit pure players, c’est-à-dire uniquement en ligne, et de sites web de grands quotidiens généralistes devenant des rédactions à part entière, avec des articles inédits. Ce qui est intéressant, c’est qu’un certain nombre de ce qui n’est, après tout, que des sites d’information, revendiquent une filiation directe avec le monde de la presse papier et font jeu égal avec leurs confrères en tant que véritables journalistes. Rue89 a été créé en 2007 par le directeur adjoint de Libération et témoigne parfaitement du transfert de la culture journalistique de la presse papier sur Internet. Un syndicat de la presse en ligne, le SPIIL, s’est même monté en 2009 pour défendre les intérêts de ce nouveau type de journalisme qui, tout comme la bande dessinée, s’invente au jour le jour. Le paysage de la presse papier s’est naturellement reconstitué sur Internet, avec ses journaux d’opinion de gauche (Rue89), de droite (Causeur, Atlantico), et ses régionaux (Dijonscope). Ces derniers mois ont d’ailleurs vu quelques évolutions de taille, entre le rachat d’un pionnier, Rue89, par le groupe Perdriel (Le Nouvel Observateur) et l’arrivée en fanfare de la version française du Huffington Post, célèbre pure player américain. Bref, ça bouge aussi de ce côté là.

Côte modèle économique, plusieurs débats ont été lancés, finalement assez proches de ceux que l’ont peut entendre du côté de la bande dessinée numérique : un blogueur est-il un journaliste et doit-on, à ce titre, le rémunérer ? Les premiers sites de presse en ligne se sont partagés entre le modèle Rue89 (revenus de la publicité et gratuité des contenus) et le modèle Médiapart (contenus payants sur abonnement). Le modèle de l’abonnement est directement issu du modèle classique de la presse papier, avec cette nuance que l’abonnement ne permet que l’accès, mais qu’il permet dans le même temps un accès permanent aux archives (là où un journal papier n’est en kiosque que le temps de sa sortie). On comprend que l’abonnement soit un modèle économique idéal pour des parutions périodiques sur l’actualité, puisqu’on ne s’intéresse à lire que ce qui est « frais », et on ne lit généralement un article de presse qu’une seule fois.

On retrouve ici l’idée d’usage évoquée plus haut : du temps de la bande dessinée de presse, on ne lisait les histoires qu’une seule fois, au fur et à mesure de leur parution, là où soit les albums, soit les recueils annuels, permettaient de garder des traces des lectures passées. Les autres gens s’est basé sur un principe proche : les lecteurs reviennent périodiquement lire en ligne les nouveaux épisodes, sans forcément s’en retourner vers les anciens, ce qui rend supportable la seule possibilité de l’accès face à la « possession » des albums papier.

Quelques sites de presse, en particulier chez les sites de journaux papier, ont renoué avec la parution de bande dessinée dans leurs « pages » virtuelles. Le plus actif dans ce domaine est lemonde.fr qui héberge deux blogs bd : celui de Martin Vidberg (L’actu en patates) et celui de Guillaume Long (A boire et à manger). Et comme il l’explique lui-même dans une note récente, Martin Vidberg est bien rémunéré pour ses billets de blog, comme pouvait l’être un dessinateur oeuvrant régulièrement dans un journal papier (http://vidberg.blog.lemonde.fr/2012/01/24/lemploi-du-temps-dun-blogueur-amateur/). Mais les expériences des sites de presse en ligne à destination de la bande dessinée sont encore extrêmement timides. On note un blog de Mathieu Sapin pour Libération par-ci (http://journaldunjournal.blogs.liberation.fr/sapin/), et pour L’Express par là (http://blogs.lexpress.fr/bd/), mais ça ne se bouscule pas beaucoup…

Deux expériences à venir : BDNag et La revue dessinée

Raison de plus pour s’intéresser à deux expériences à venir en matière de presse de bande dessinée en ligne. Elles ne sont pas encore disponibles mais sont annoncées depuis le mois de janvier…

Pierre-Yves Gabrion travaille avec Emedion pour la sortie en cette fin d’hiver d’un webzine pour enfants appelé BDNag. Pierre-Yves Gabrion a déjà expérimenté la publication en ligne en prépubliant entre 2008 et 2010 son album Primal zone sur un site Internet, album finalement sorti chez Delcourt (http://www.bdprimalzone.net/). Cette fois, il se lance dans un projet plus ambitieux, en faisant appel à une entreprise spécialisée dans l’aide aux auteurs à la conception de bandes dessinées numériques. Chez Emedion était sorti en 2010 Le règne animal de Marc Lataste sur le principe du Turbomedia, baptisé chez Emedion « Flip bd » : un diaporama d’images fixes et/ou animées. L’intérêt des Flip bd d’Emedion, principalement conçues pour être lues sur supports mobiles (Appstore, pour iPhone et iPad), est d’être imaginées directement pour une lecture sur écran, et donc d’intégrer des principes d’écriture que j’ai pu évoquer dans mes derniers articles, ces principes largement introduits et théorisés par Balak. Cela tout en gardant en tête le style propre de l’auteur qui imagine lui-même son interface de lecture et de navigation.

BD Nag est prévu pour contenir trois histoires, par Pierre-Yves Gabrion, Louz et Koton : Non-Non, Oto le robot et L’agence 3T qui reprennent les formules classiques de ce qu’on peut trouver dans une revue pour enfants : des « gags complets » d’un côté, une histoire à suivre de l’autre, dans un style animalier et coloré. Pour le coup, l’idée de viser explicitement un public spécifique en fait un « produit » plus lisible que bien d’autres oeuvres sur le marché. Ce d’autant plus que dans la presse de bande dessinée, celle pour enfants s’en sort encore le mieux.

A suivre donc ce BD Nag prometteur par bien des aspects http://www.emedion.com/bd-nag.html. Certes, il s’agit de bande dessinée pour enfants, mais c’est une pierre de plus vers une généralisation de l’écriture de bandes dessinées numériques de création originale, et qui plus est un projet d’auteur. L’interface de lecture imaginée par Pierre-Yves Gabrion est assez simple et intuitive, avec un diaporama lisible pour des effets simples mais efficaces, et parfois surprenant (avant qu’ils ne deviennent banals !). Toujours cette problématique, que j’avais évoquée dans un article sur LAG MAG de Pochep, de la recherche d’un « standard » esthétique de la bande dessinée numérique simple à la fois pour les auteurs et pour les lecteurs. L’originalité, qui peut être discutée, est que les auteurs de BD Nag ont repris leurs Flip bd pour en faire des versions « page » qui reprennent, pour iPad, un format papier classique… A voir si ce choix, typique d’une période de transition où le numérique se vit encore à l’ombre du papier, trouvera un intérêt aux yeux des lecteurs.

Si BD Nag s’inspire de la presse pour enfants, La revue dessinée (http://www.larevuedessinee.fr/) est un projet qui trouve son origine au croisement du reportage et de la bande dessinée, dans cette zone étrange identifiée plusieurs années comme la « bande dessinée de reportage », dont les plus illustres représentants sont Emmanuel Guibert, Joe Sacco, Guy Delisle, Chantal Montellier, Riad Sattouff. Comme beaucoup d’autres courants, il existe depuis bien longtemps (voir les reportages de Cabu dans Charlie Hebdo) mais a trouvé un écho particulièrement favorable ces dernières années.

Et le cas de la bande dessinée de reportage est intéressant, car il mobilise un emploi assez rare de la bande dessinée comme moyen de représenter le réel, là où elle est restée pendant très longtemps un art de la fiction. On en revient en quelque sorte au « reportage littéraire » en vogue dans l’entre-deux-guerres autour d’Albert Londres, Joseph Kessel et Ernest Hemingway, à la limite du journalisme pour le propos et de la littérature par la recherche du style. Alors cette bande dessinée de reportage emprunte plus au langage du journalisme qu’à celui de la littérature, de la même façon qu’on différencie un film de fiction d’un documentaire. On peut saluer la clairvoyance de la récente revue XXI qui traite justement la bande dessinée comme un type d’article journalistique à part entière quand elle publie des pages Jacques Ferrandez, de Stassen d’Hippolyte ou de Cmax qui relève bien du reportage sur le vif.

Avec La revue dessinée, et comme l’explique intelligemment la présentation, c’est finalement deux mouvements émergents qui se rejoignent : la bande dessinée de reportage et la bande dessinée numérique. Le magazine est l’oeuvre de cinq auteurs (Frabck Bourgeron, Kris, Olivier Jouvray, Virginie Ollagnier et Sylvain Ricard ; hé oui, encore une initiative d’auteurs : que font les éditeurs ?). Il est décrit comme principalement composé de bandes dessinées de reportage, avec des contenus supplémentaires du type infos sur les auteurs, des photos ou un making of. Comme dans le cas du format page de BD Nag je me demande si ces ajouts sont bien nécessaires pour des projets déjà forts originaux : ils me donnent l’impression que l’on veut à tout prix tirer une « valeur ajoutée » du numérique sans se rendre compte qu’elle n’est pas forcément utile ou demandée… Mais après tout pourquoi pas, qui peut le plus peut le moins.

La revue dessinée est prévue pour la fin de l’année 2012. Elle sera trimestrielle. Mine de rien, et si on en croit le dossier de présentation finement ficelé, elle est tout aussi originale si on se place du point de vue de la bande dessinée (par son aspect « reportage ») que du point de vue de la presse (parce qu’elle est graphique avant d’être textuelle). Comme BD Nag, elle est appelée à être lue sur des tablettes de type iPad qui confirme ici leur fonction de support pour la presse en ligne. J’espère d’ailleurs que La revue dessinée réussira à se faire une place dans le milieu de la presse en ligne autant que dans celui de la bande dessinée en ligne, car elle hérite des deux modèles jusque là peu communicants. Tout cela a bien l’air d’un retour aux fondamentaux périodiques de la bande dessinée…

Esprit BD/Art of sequence : l’évolution esthétique de la bande dessinée numérique

 

Comme une introduction à l’intervention de l’association Pilmix au festival d’Angoulême ce vendredi 27, à laquelle je participerai, voici quelques réflexions sur de récentes évolutions esthétiques de la bande dessinée numérique.

 

Durant la semaine du 16 janvier, deux évènements en lien avec la création originale de bande dessinée numérique ont simultanément vus le jour sur Internet : le projet EspritBD, mécenat de la Caisse d’Epargne, et le projet de Joël Lamotte (alias Klaim) Art of Sequence, un ensemble d’outil pour la création.
On avance, on avance… Lentement mais sûrement : après une période 2009-2011 marquée par la structuration d’un marché de la bande dessinée numérique, des ballons d’essai dans toutes les directions et l’apparition d’acteurs commerciaux, l’année 2012 signe-t-elle le début d’une évolution esthétique tant attendue ? Mon article précédent sur « les deux clivages esthétiques de la bande dessinée numérique » m’invite à répondre par l’affirmative suite au lancement de 3 secondes de Marc-Antoine Mathieu, premier projet à la fois commercial et porteur d’une réflexion esthétique forte. Jusqu’à présent, j’aurais eu tendance à vous dire que la bande dessinée numérique mettait la charrue avant les boeufs : on construisait un marché sur une absence de création originale, paradoxe peu rassurant à mes yeux. Maintenant, quelques indices tendent à aller en sens inverse.

 

Cheminement des recherches esthétiques en France (1996-2011)
Bien sûr, l’évolution purement esthétique de la bande dessinée numérique n’est pas née d’hier, même en France. Je passe sur Scott McCloud qui pose des bases théoriques plus que pratiques dès le milieu des années 1990, et inspire certainement les premiers auteurs-expérimentateurs du numérique avec son ouvrage Reinventing comics. En réalité, la période 1996-2004 est un premier moment de réflexions esthétiques, soit de la part d’auteurs papier « vétérans » comme Benoît Peeters et Hislaire, soit de la part de jeunes dessinateurs qui naviguent entre les mondes de la bande dessinée et de l’animation (Edouard Lussan et Opération Teddy Bear, les frères Jouvray et L’Oreille coupée, Jérôme Mouscadet et Gallien Guilbert et John Lecrocheur, Fred Boot et ses « mangas digitales »). Les webzines Coconino World ou, plus encore, @Fluidz, sont aussi des lieux d’expérimentation d’autres formes narratives. Il y a alors une vraie effervescence qui se vit soit par des textes (comme l’essai L’aventure des images de Benoît Peeters en 1996), soit par des oeuvres. Mais elle demeure très individualisée, portée par des projets ponctuels, et par des auteurs qui ne poursuivront pas nécessairement leurs efforts dans cette voie.
Pour des raisons qui restent à éclaircir, cette phase d’évolution esthétique entre en silence durant la période 2004-2009. Non qu’il n’y ait pas d’inventivité dans les bandes dessinées numériques créées. Mais prennent le dessus des oeuvres fortement liées à des critères esthétiques venus de la bande dessinée papier, certes parfois habilement transposé. La planche ou le strip lu par le lecteur comme un ensemble reste l’horizon de référence, avec ses bons vieux principes de mises en page adaptés à une lecture sur écran, et parfois une prise en compte du défilement vertical. Le phénomène des blogs bd diffuse la pratique des « planches scannées ». Ce qu’on peut dire (et je ne mets là-dedans aucun jugement de valeur), c’est que la bande dessinée numérique de cette époque est presque exclusivement une bande dessinée conçue selon les formats du papier, pour des lecteurs habitués lire ces formats.
On peut percevoir durant l’année 2009 une seconde révolution esthétique. D’abord parce que se pose la question de la lecture de bande dessinée sur smartphone, question à laquelle répondra Lewis Trondheim en concevant Bludzee avec Ave!Comics. Pour la première fois émerge, et pas seulement chez les spécialistes, l’idée que les formats de la bande dessinée papier ne sont peut-être pas adaptés à la lecture numérique, et qu’il faut impérativement réinventer des pratiques. Le paradoxe est que, dans un premier temps, au lieu de réinventer des pratiques, on réinvente des interfaces de lecture qui ont pour but de pouvoir lire sur écran des bandes dessinées papier, avec des systèmes de zoom dynamique qui navigue dans la page de case en case et de bulles en bulles… Ce sera par exemple le système de lecture choisi par Manolosanctis, certes déjà plus avancée que la simple vision offerte par Digibidi ou Izneo où le lecteur ne dispose que du zoom.
Mais on voit surgir une deuxième fournée d’expérimentateurs qui vont, de surcroît, mêler la théorie à la pratique en démontrant eux-mêmes leurs inventions numériques. Anthony Rageul publie à la fois son mémoire de maîtrise sur l’interactivité en bande dessinée et l’oeuvre qu’il a créée pour l’occasion, Prise de tête. Balak théorise le « Turbomedia » et démontre son efficacité et sa lisibilité au sein d’un Turbomedia qui sera publié sur le forum Catsuka. Cette fois, à la différence des années 1996-2004, ces pionniers ont des suiveurs qui ne se contentent pas de copier mais réinventent encore et dialoguent entre eux. Moon Armstrong, avec Le blog girly de Moon, conçoit une bande dessinée interactive qu’Anthony Rageul prendra plaisir à analyser. Derrière Balak se forme une « communauté » du Turbomedia, comme Malec qui pratique sur son blog, ou Gipo qui met en place une veille sur le sujet. Dans le même temps, Julien Falgas imagine un outil, le « tiny shaker », pour réaliser des Turbomedia sans technologie flash. L’outil est repris par Fred Boot, Monsieur To, mais aussi par Joseph Béhé qui le fait tester à ses élèves strasbourgeois. Bref, une effervescence passionnante parti de l’initiative personnelle de Balak, et transmise par la magie d’Internet…

 

EspritBD : des ballons d’essai intéressants
L’esprit d’innovation semble enfin avoir touché la bande dessinée numérique et ses auteurs. Je le vois notamment au dernier « grand projet » en date, le site EspritBD, étonnamment lancé par la Caisse d’Epargne qui se lance donc dans la bande dessinée. S’il n’y avait pas partout le logo de l’écureuil, la démarche n’en serait que plus agréable, mais enfin, ce qui compte, ce sont les oeuvres. Ce n’est pas le premier projet à lancer un site de bandes dessinées numériques originales : Foolstrip l’avait fait dès 2007, de même Manolosanctis en 2009. Mais cette fois, on sort du syndrôme des « planches scannées ». Comme sur Webcomics.fr, l’interface de lecture est expressément étudié pour une lecture numérique agréable et intuitive. Quelques jeunes auteurs ont été choisis pour réaliser des oeuvres avec l’outil développé par Aquafadas, le Comic Composer. En plus, les organisateurs invitent les auteurs à mettre leurs oeuvres sous licence libre, une démarche qui me semble utile à l’heure des expérimentations : il faut que ça circule !
Arrêtons-nous sur deux oeuvres pour voir ce que donne cette expérience.
Thomas Mathieu, connu pour son blog Les drague-misères, récemment adapté en livre chez Delcourt, propose Une soirée de Chien, une histoire de dragueurs-looseurs en boîte. L’oeuvre se présente comme deux pleines pages représentant l’intérieur d’une boîte de nuit et contenant, à elles seules, l’intégralité des scènes. Deux pages colorées, grouillantes des personnages animaliers familiers de Thomas Mathieu. La « caméra » de l’interface circule dans la page et passe d’une scène à l’autre pour offrir au lecteur le déroulé de l’histoire de Chien et Coq dans cette soirée de chien. La qualité de Une soirée de Chien est d’être conçue simultanément à son mode de lecture : la page ne prend du sens que grâce à la caméra qui impose un circuit de lecture. Et au-delà, la pleine page offre une composition virtuose, réinterprétation du genre graphique de la « scène de foule ». Une façon originale, quoique pas toujours pleinement assumée, de résoudre la dialectique entre la lecture de l’oeuvre comme récit, en suivant la narration, et la lecture de l’oeuvre comme tableau à contempler pour y lire milles détails. On pense parfois à certaines pages des Noceurs de Brecht Evans.
L’oeuvre de Lommsek, autre célèbre blogueur, vainqueur du second prix Révélation blog et auteur de La ligne zéro chez Vraoum, s’appelle Ze Race. Elle peut paraître plus traditionnelle : il s’agit d’un film qui se déroule d’images fixes en images fixes sur une dizaine de minutes pour raconter l’histoire de Lommsek devenu conducteur de rame de métro lors d’une course de vitesse souterraine. L’oeuvre de base est bien une bande dessinée « en page » traditionnelle, mais l’interface de lecture dynamise le procédé. La vitesse et le parcours sont spécialement contrôlés et pensés pour aller avec la narration, et non simplement pour passer de case en case. Ainsi interviennent des effets de vitesse, de zoom, ou des jeux de dévoilement qui permettent au lecteur de garder son attention en ménageant des surprises. On est bien dans une fusion entre les techniques de l’animation pour la gestion du temps et de la « mise en scène », et celles de la bande dessinée pour les codes graphiques et narratifs. Et là encore, une oeuvre pensée en même temps que son mode de lecture, non pour être lue sur papier.
Les deux oeuvres de Thomas Mathieu et Lommsek, deux exemples de ce qu’on peut lire sur le site EspritBd (qui accueille aussi les lauréats des concours Révélation blog et Jeunes Talents d’Angoulême) ne vont pas forcément très loin dans l’expérimentation. Elles sont toutefois de timides mais justes exemples de ce que peuvent être les nouvelles pratiques de la bande dessinée numérique si pensée spécifiquement pour ce support, et en lien avec une interface de lecture précise. Les parcours de lecture des oeuvres sont faits pour être consultés sur des petits écrans de supports mobiles (smartphone, iPad). Là est un des enjeux de la nouvelle esthétique : pouvoir s’adapter à des supports de lecture numérique variés, et développer pour cela des outils, comme le Comic Composer, suffisamment faciles d’utilisation pour que les auteurs créent sans difficultés techniques. C’est dans cette direction que les concepteurs du site espritbd essayent de creuser, sans doute pour créer des oeuvres et des pratiques avant de créer un marché. La charrue après les boeufs, en quelque sorte.

 

Le projet Art of sequence
Pendant que la Caisse d’Epargne promeut quelques jeunes auteurs, d’autres tentent de partager des outils de création nouveaux pour les dessinateurs, sortis du Comic Composer ou des technologies flash du TurboMedia. C’est l’objectif de Joël Lamotte pour son projet « Art of Sequence », un site, en anglais, sur lequel il propose des outils sous licence libre pour créer des Turbomedia sans flash. L’inspiration revendiquée par Joël Lamotte est bien le Turbomedia de Balak qu’il entend améliorer, comme Julien Falgas avec son tinyshaker, pour le débarrasser du format flash auquel il est pour l’instant lié, format qui ne permet pas une lecture sur tous les supports.
Les outils de création numérique devant naître du projet Art of Sequence sont de différentes natures : des logiciels de création intuitifs (Art of Sequence Designer est en cours de développement), des outils d’exportation et de conversion de fichiers vers d’autres formats, des lecteurs adaptés aux formats Web d’après le format HTML5, un langage XML qui serait une grammaire de base pour la réalisation des oeuvres. Bref, l’ensemble de la chaîne de conception numérique, de la création à la diffusion, est examinée comme un tout pour une maîtrise globale de l’oeuvre. Tous les outils sont en Open Source, une fois de plus dans un esprit où l’expérimentation appelle la libre circulation hors de toute propriété.
Mais à côté de la fourniture d’outils, Joël Lamotte a un autre but. Il vise la mise en place d’une communauté de créateurs pour réfléchir autour de la séquentialité numérique : l’élaboration d’outils doit se faire sur un mode communautaire. Il fait appel à toutes les bonnes volontés, chez les développeurs et les auteurs, pour mettre en place des logiciels nouveaux.
L’atout du projet Art of Sequence est de partir du constat que les outils actuels sont trop contraints : adaptés à une seule interface de lecture, à un seul support ou à un seul rythme de lecture. L’expérience des oeuvres de Thomas Mathieu et Lommsek le montre : la narration fonctionne parce que le lecteur le permet. Ces outils ne favorisent pas des créations ouvertes, outre le fait que leur usage pour la bande dessinée numérique est souvent un usage détournée (à l’exemple de le technologie flash). L’inventivité du créateur est bridée par des contraintes techniques, ce qui n’est pas souhaitable. Comme l’explique Joël Lamotte (la traduction est de moi, n’hésitez pas à l’amender au besoin en vous référant à l’original) : « Il existe des formats qui ressemblent beaucoup aux descriptions du langage Art of Sequence (AOSL), comme les formats dérivés du Power-Point. Cependant, ils ont un certain nombre d’inconvénients : ils ne permettent pas d’insérer toute sorte de medias, sont pour la plupart des formats propriétaires, reposant sur des outils propriétaires ou dépendant d’un outil unique, ils ne permettent pas de créer des ramifications (les « if » des langages de programmation) ou des boucles (les « while » des langages de programmation). (…) AOSL permet aux auteurs de ne pas perdre leur temps à programmer lorsqu’il souhaite créer une séquence qui demande une « logique ». ».
Trivialement, on pourrait traduire l’ambition du projet Art of Sequence comme un moyen de permettre aux créateurs de dessiner aussi bien avec des stylos qu’avec des feutres ou des pinceaux, sur des grands formats ou des petits formats, en noir et blanc ou en couleurs ; de maîtriser de façon autonome jusqu’à leur interface de lecture. Eviter, comme le rappelait utilement Anthony Rageul lors du colloque sur la bande dessinée alternative à Liège, l’apparition d’un « 48 CC » de la bande dessinée numérique ; c’est-à-dire un format commercial dicté seulement par les éditeurs. C’est à ce prix, sans doute, que pourra se développer la création.

D’un clivage historique de la bande dessinée numérique de création

Info express avant que vous lisiez l’article du jour : l’association de promotion de la bande dessinée numérique Pilmix interviendra lors du Festival d’Angoulême, le 27 janvier à 12H au stand Jeunes Talents. N’hésitez pas à venir nous écouter !

A l’automne 2011 est sorti 3 secondes, une bande dessinée de Marc-Antoine Mathieu à la fois numérique et papier (l’accès à l’oeuvre numérique se faisant à travers un code délivré dans l’album). Anthony Rageul a livré dans Du9 une intéressante analyse de cette création originale (au sens de « créer originellement pour le numérique, la version papier venant « en plus »), tandis que d’autres blogs, comme celui de Thanagra, ont commenté les sources d’inspirations et références présentes dans l’oeuvre. Il serait donc bien présomptueux de ma part de me lancer dans ma propre analyse, assurément redondante. Au contraire, je vais essayer d’enrichir les pistes ouvertes par Anthony Rageul au moyen d’une comparaison entre 3 secondes et une autre oeuvre numérique de création originale, le LAG MAG de Pochep, supplément humoristique de la bédénovela Les autres gens.

Marc-Antoine Mathieu - 3" - 2011

Dans les deux cas, nous sommes face à des oeuvres créées spécifiquement pour une diffusion numérique et qui, selon cette logique, exploitent pleinement un mode de lecture qui n’est pas de la copie de la bande dessinée papier avec zoom labyrinthique de case en case. Pourtant, Marc-Antoine Mathieu, fidèle en cela aux obsessions formelles de ses albums papier, offre une conception du récit numérique que l’on pourrait appeler « productrice », pour reprendre la typologie dressée par Benoît Peeters pour la bande dessinée papier, tandis que Pochep s’inscrit dans une écriture numérique « conventionnelle ». La différence tient au rapport au médium : dans le premier cas, l’outil numérique est utilisé comme producteur de sens ; dans le second cas, il est volontairement rendu transparent. C’est l’éternel débat entre l’oeuvre qui montre ses propres ficelles et l’oeuvre qui joue au maximum de l’illusion narrative offerte par le medium. Il se trouve que ce clivage traverse aussi l’histoire de la bande dessinée numérique.

Des Autres gens à LAG MAG

LAG MAG est une belle trouvaille de la bédénovela numérique Les autres gens qui, rappelons-le, a été créée en mars 2010 (deux ans d’existence bientôt !), et que j’ai déjà assez largement évoquée dans mes colonnes. Là où Les autres gens est fondamentalement sérieux dans son propos, l’humour n’y étant distillé que par petites touches et étant loin d’être l’essence principale de la série, le LAG MAG propose une relecture parodique du feuilleton, d’autant plus drôle quand on est un habitué de la série. L’idée survient au détour de l’été 2011, pour alléger les épisodes d’été : au lieu des épisodes quotidiens, le mois d’août est consacré à trois numéros du magazine fictif LAG MAG, magazine des lecteurs des Autres gens, dessinés par le blogueur Pochep. On a déjà vu Pochep illustrer quelques épisodes ponctuels, ainsi que plusieurs résumés mensuels, ces derniers étant une autre tradition parodique mis en place dès le début de la série. Et puis, les mois suivants, LAG MAG continue au rythme d’un numéro par mois, toujours dessiné par Pochep. LAG MAG s’affirme assez rapidement comme un défouloir de la série où Pochep ne respecte rien et casse justement la quasi absence de seconde degré de la série.

Je vais passer rapidement sur le principe parodique mais il me paraît être une idée tout à fait judicieuse des auteurs des Autres gens : par nature, un feuilleton s’inscrit dans la durée et fonctionne selon un principe de fidélisation et de renouvellement continu de l’intérêt des lecteurs réguliers. Or, le comique parodique étant fondé sur le détournement des codes d’une oeuvre de référence « sérieuse », il fait lui aussi appel à cette idée de connivence très forte entre un lecteur et une oeuvre, d’autant plus quand cette oeuvre est dense en intrigue et en personnage. De là les différents éléments comiques du LAG MAG qui sont tous de l’ordre de la transgression. Pochep transforme Les autres gens en un soap opera pour grands-mères, et travaille à saper l’image sublimée de « l’auteur » en faisant de Thomas Cadène un scénariste râleur à la tête d’une équipe de dessinateurs qui n’en font qu’à leur tête. L’une des forces de LAG MAG est d’exagérer certains traits de la série ou les sentiments des lecteurs sur certains personnages : Florence devient une looseuse magnifique et Mathilde une emmerderesse tandis que la verve gauchiste de Henri est sans cesse appuyée.

Pochep est évidemment un excellent choix d’auteur parodique : il utilise abondamment ce type de comique fortement référencé, par exemple dans son album La batte mobile où Batman est un incapable qui se fait voler son identité et où l’inversion finale se traduit par la métamorphose du duo héroïque Batman/Robin en celui d’une mère maquerelle et d’un policier travesti. Le retournement des codes du récit de super-héros est habile dans son outrance qui rapproche l’art de Pochep du registre littéraire du « travestissement burlesque », où l’auteur transforme un genre noble en oeuvre grotesque.

Mais au-delà du comique très habile de LAG MAG, examinons un peu son dispositif de lecture, en temps que bande dessinée numérique. Il faut rappeler ici que Les autres gens fonctionne selon un principe de diaporama, une image chassant l’autre sur l’écran à mesure que le lecteur clique sur « suivant ». Principe simple, qui explique sans doute en grande partie le succès des Autres gens puisqu’il ne demande pas de réfléchir pour lire la suite et n’oblige pas le lecteur à des manoeuvres complexes. Récemment, l’interface de lecture a changé, s’est encore simplifié pour chasser les bugs et rendre le mode de lecture en scrolling vertical, également disponible, un peu plus obsolète.

Ce principe de lecture image par image a l’avantage de permettre un respect relatif des codes de la bande dessinée, et donc de faire des Autres gens une oeuvre reconnaissable « en tant » que bande dessinée : le lecteur se repère par rapport à un mode de lecture qui lui est familier. Dans le même temps, il n’est pas difficile de constater que l’écriture traditionnelle de la bande dessinée est bouleversée, ne serait-ce que par la disparition de la notion de page, et donc de mise en page, si important dans la bande dessinée papier. Ici, on gère les images les unes après les autres. L’autre différence majeure avec la bande dessinée est l’absence de vision simultanée : impossible de voir plusieurs cases en même temps. J’enfonce ici quelques portes ouvertes, déjà enfoncées par des théoriciens de la bande dessinée numérique ; simplement faut-il rappeler ces différences qui vont évidemment influencer l’écriture des auteurs.

Dans LAG MAG, l’effet le plus visible de cette nouvelle écriture du récit dessinée numérique tient à la gestion de « l’itération », c’est-à-dire de la juxtaposition de deux images graphiquement très proches, aux cadrages identiques, où seuls quelques détails changent. Le procédé a déjà été utilisé dans des bandes dessinées expérimentales comme celle de François Ayroles Jean qui rit Jean qui pleure (L’Association, 1995), mais il s’agissait bien d’expérimentations graphiques où le procédé étant volontairement mis en avant pour ce qu’il avait d’exotique et de signifiant. Ici, Pochep l’utilise comme un procédé normal et non exceptionnel. De fait, l’itération correspond bien au dispositif de lecture numérique des Autres gens : les images se substituent les unes aux autres, et l’itération permet de n’insister que sur ce qui change à l’intérieur de la scène.

LAG MAG #5

Suivons cette séquence de dédicace de Thomas Cadène et Bastien Vivès vu par Pochep dans le LAG MAG #5 (15 octobre 2011) : la succession des images conserve le cadrage et l’arrière-plan. Puis, pour ce qui est de l’action, certains éléments sont des copies parfaitement immobiles (Thomas Cadène entre les scènes 1 et 2, la femme de dos entre les scènes 2 et 3) tandis que d’autres éléments bougent pour traduire les expressions des personnages, souvent les mains et les bras chez Pochep. Et on peut suivre, à côté de l’enguelade reçue par Thomas Cadène, les difficultés capillaires de Bastien Vivès avec une décomposition du mouvement de la main et des cheveux, tout le reste du corps étant parfaitement identique d’une image à l’autre.

Evidemment, ce principe de contraste entre des éléments mobiles et des éléments identiques sert parfois de procédé comique, comme dans cette scène où de jeunes fans des Autres gens lisent ensemble l’épisode du jour (LAG MAG #7, 17 décembre 2011)… Pochep laisse libre cours ici à son goût de l’outrance !

LAG MAG #7

De l’illusion narrative en bande dessinée numérique

L’interprétation des modalités de lecture numérique des Autres gens par Pochep démontre une adaptation très juste à un système spécifique et nouveau de lecture : en jouant sur les éléments fixes et mobiles entre deux images, il arrive à créer des effets de lecture qui n’auraient aucun sens dans une bande dessinée papier. Mais surtout, il parvient à rendre cet effet naturel et invisible : à moins de décomposer artificiellement image après image, comme je viens de le faire, le travail du dessinateur n’apparaît pas. Ce que Pochep fait est donc d’imaginer, dans un contexte précis, une écriture graphique spécifique à la bande dessinée numérique mais aussi transparente que lorsqu’un lecteur lit une bande dessinée et sait interpréter le rapport entre deux images sans se poser de multiples questions. Il invente des codes nouveaux, en quelque sorte. Ce qui se comprend d’autant mieux que l’objectif de Pochep est de rendre son gag efficace et lisible, pas de surprendre par des effets vertigineux.

Une page de l'édition papier de 3" de Marc-Antoine Mathieu

Et c’est là qu’intervient la comparaison avec 3 », car la démarche de Marc-Antoine Mathieu est à l’opposée de celle de Pochep : son objectif est, précisément, d’exploiter le potentiel de l’écriture numérique pour produire une mise en abyme déroutante. Et l’intérêt de son oeuvre numérique pour le lecteur se situe autant, sinon plus, dans la modalité de lecture elle-même que dans l’histoire qui nous est racontée (même si l’une des prouesses de Marc-Antoine Mathieu est de ne pas livrer une belle coquille vide, simple exercice de style, mais de concentrer l’attention du lecteur sur le récit en multipliant les indices à déchiffrer).

Rappelons que 3 » est parue en septembre 2011 en album et que l’album papier fournit un code d’accès à l’oeuvre numérique, en ligne, sur le site de l’éditeur Delcourt. Anthony Rageul affirme qu’il ne s’agit pas d’une « bande dessinée numérique » mais plutôt  : « une animation continue au lieu d’images fixes, pas de juxtaposition d’images, pas d’ellipses, une lecture contrainte par le déroulé de l’animation ». La conception de l’oeuvre semble en effet complexe, mais on demeure sur une création en images fixes qui restent fixes à la lecture. Mais peu importe après tout, car Marc-Antoine Mathieu invente une sorte de récit numérique et réfléchit vraiment à l’écriture numérique au lieu de scanner un album papier (la version papier étant seconde dans la conception de l’oeuvre).

Là où Pochep travaille sur la transparence des dispositifs de lecture pour une lisibilité du gag, Marc-Antoine Mathieu insiste sur le procédé de lecture qui n’est pas naturel, puisque le lecteur peut (ou doit) procéder à des arrêts sur image et pour cela suivre une « règle du jeu » expliquée au départ, comme le souligne Anthony Rageul. C’est une lecture interactive où le lecteur est invité à participer par ses actions sur l’oeuvre. Il doit faire une démarche volontaire de compréhension, de lecture attentive.

C’est en ce sens que je reprenais les deux termes de Benoît Peeters (Lire la bande dessinée, p.47-80 de la réédition Flammarion de 2003) pour la mise en page de bande dessinée : productrice et conventionnelle. Termes forcément impropres car on ne parle plus du même médium, mais dans les concepts sont à retenir, même s’il faudrait les préciser.

Un dispositif « producteur » implique que l’organisation de la planche ait un impact direct sur le récit et la narration, comme dans ces planches de Little Nemo où les personnages grandissent et rétrécissent simplement parce que le format de leurs cases se transforment. Dans 3 », on retrouve cette même idée que l’organisation des images a un sens pour le lecteur, en l’occurence elle permet à la fois l’écoulement du temps et le déchiffrement du récit (ce qui est intéressant, c’est que Marc-Antoine Mathieu, dans sa série Julius Corentin Acquefacques, est un spécialiste des mise en abymes de ce type).

A l’inverse, un dispositif « conventionnel » rend transparent ses artifices en réduisant au minimum les effets qui empêchent la lisibilité (l’exemple type dans la bande dessinée contemporaine étant Watchmen de Dave Gibbons et Allan Moore). Il se traduit souvent par des tailles de cases constantes « où la disposition des cases dans la planche, à force de se répéter, tend à devenir transparente ». Pochep procède de la même façon quand il joue sur les éléments fixes, afin d’insister sur la compréhension des éléments mobiles (dont les textes).

Un clivage important dans l’histoire de la bande dessinée numérique

Si la comparaison m’intéresse, c’est aussi parce qu’elle traduit un clivage présent dès les origines de la bande dessinée numérique en France. Deux interprétations de la bande dessinée numérique s’affronte : dans l’une, l’illusion narrative qui régit l’enchaînement des images doit être parfaite et l’implication du lecteur minimale (c’est l’écriture « conventionnelle »), dans l’autre, l’illusion narrative est volontairement amplifiée, exagérée, mise à nu et expliquée, pour obliger le lecteur à intervenir s’il veut parvenir au récit. Il serait assez facile de remarquer que ce clivage n’est pas propre à mon sujet, qu’on en connaît des exemples dans tous les arts qui ont connu des oeuvres et des mouvements où la prouesse technique et l’exercice de style passe avant le contenu (Nouveau Roman en littérature, art conceptuel dans les arts plastiques, OuBaPo dans la bande dessinée papier…).

Les débuts de la bande dessinée numérique française sont en effet marquées par la mise en avant du principe de « bande dessinée interactive », avec des oeuvres comme Opération Teddy Bear (Edouard Lussan, 1996) ou John Lecrocheur (2000), où le principe d’interactivité est mis en avant (même si finalement, le dispositif de lecture demeure assez simple et linéaire). Mais en même temps, d’autres dessinateurs, à des années-lumières de la bande dessinée interactive, ont plutôt cherché à éviter les effets et à rapprocher les modes de lecture des codes classique de la bande dessinée : d’où les innombrables dessins scannées des premiers blogs bd. Dès le début des années 2000, un débat s’engage (qui ne sera pas vraiment repris après, d’ailleurs) entre des puristes pour qui la bande dessinée numérique est forcément un dispositif exotique et purement numérique, et ceux qui élargissent la notion de bande dessinée à toute forme de bande dessinée publiée sur un support numérique, quel que soit son dispositif de lecture.

Avec le temps et les habitudes de lecture numérique, le clivage s’est déplacé. D’abord parce que plusieurs oeuvres numériques ont vu le jour qui innovent vraiment et cherchent à dépasser la lecture linéaire de la bande dessinée pour exploiter pleinement les potentialités du numérique : c’est le cas de 3 », mais aussi d’autres auteurs comme Anthony Rageul (Prise de tête, 2009) et Moon Armstrong (Le blog girly de Moon, 2010) qui ont cherché à joué sur l’interaction et sur la nécessité pour le lecteur de comprendre le dispositif, voire de l’inventer lui-même. Ensuite parce qu’à l’inverse est née une façon « conventionnelle » de lire de la bande dessinée numérique selon un dispositif en diaporama que l’on peut rapprocher du « Turbomédia » de Balak. Les autres gens a largement contribué à diffuser ce mode de lecture qui éclate l’espace de la page, mais la vogue des blogs bd a largement eut son rôle à jouer en habituant les lecteurs à déchiffrer des suites d’images « flottantes » sans l’appui d’une mise en page : Lewis Trondheim va progressivement abandonner la mise en page issue du papier en passant du blog de Frantico (2005) à ses Petits riens, puis à Bludzee (2009).

 

Il me semble donc que ce à quoi nous assistions soit un double mouvement à encourager : d’une part la poursuite d’expérimentations du récit numérique loin des frontières de la bande dessinée papier, d’autre part la mise en place progressive de dispositifs de lecture conventionnels pour une bande dessinée numérique qui ne cherche pas la prouesse mais la lisibilité. Il est intéressant de voir, en direct, comment les codes de la bande dessinée papier évoluent petit à petit dans un environnement numérique. Réjouissons-nous que, pour le moment, la bande dessinée numérique soit très diverse et favorise ces expériences. Elle n’en sera que plus riche et nous nous lamenterons le jour où elle se figera en une forme devenue trop banale !