Interview de Yannick Lejeune, organisateur du Festiblog

Yannick Lejeune a fort sympathiquement accepté d’être interviewé pour Phylacterium afin de parler du festiblog (festival des blogs bd et du webcomics qui a lieu depuis 2005 fin septembre et permet aux dessinateurs de blogs de rencontrer leur lectorat) et de sa vision de l’univers des blogs bd et de la bd numérique. L’occasion de nourrir la réflexion que je mène ici sur ces sujets à travers un des acteurs de l’animation de la blogosphère bd.
Je posterais cette longue interview, réalisée le 6 novembre 2009, en deux parties. Dans cette première partie, Yannick évoque son parcours personnel et la rude organisation du festiblog. Il donne sa vision d’une communauté des blogueurs marquée par la diversité.

Quelques liens utiles :
Mon article sur la communauté des blogueurs
Site du festiblog
Blog de Yannick Lejeune
Une autre interview de Yannick Lejeune sur le comptoir de la bd, où il donne son avis sur la bd numérique

Pour commencer, peux-tu présenter rapidement ton parcours avant le Festiblog ?
Rapidement, ça va être difficile parce que je n’y suis pas venu de manière très directe. A la base, j’ai une formation d’ingénieur en informatique avec une spécialisation en Sciences Cognitives. Après quelques expériences de consulting, j’ai dirigé un laboratoire de Recherche et Développement qui regroupait une armée de petits génies. J’ai fait ça 6 ans avant d’avoir envie de changement, j’ai obtenu un Master de Recherche en Sciences de Gestion et j’ai changé de métier. Je suis aujourd’hui Directeur Internet pour le groupe IONIS ce qui me permet de mêler informatique et marketing, c’est dans ce cadre que j’ai repéré le phénomène des blogs.
Comment en es-tu venu à la Bande Dessinée ?
D’abord par le journalisme. J’avais commencé à écrire des bouquins d’informatique ce qui m’a valu d’être contacté par le groupe Posse Presse pour écrire dans des magazines comme PC Team ou Linux Mag. Cela ne s’est pas fait mais j’ai fini par devenir le « monsieur comics » de leur magazine de BD qui s’appelait Bédéka, [paru de 2004 à 2005].
A cette époque, en BD, je ne connaissais que les grands classiques, Les Schroumpfs, Astérix, Franquin… A 12 ans un ami de mes parents m’avait fait connaître Gotlib, Reiser et quelques auteurs Metal Hurlant. Par la suite, j’étais tombé dans le comics et j’avais arrêté la BD franco-belge. Je suis un gros collectionneur des X-men, j’ai à peu près lu tout ce qui s’est fait en X-Men depuis 1963. En travaillant à Bédéka, le rédacteur en chef m’a refait une culture de BD. J’ai pu découvrir des choses qui, aujourd’hui, me paraissent évidentes, Trondheim, Sfar, Larcenet, Les Stryges, Lanfeust… Je me suis mis à écrire dans ce magazine et, par la suite, j’ai pu passer quelques moment privilégiés à interviewer mes idoles, notamment Gotlib et Alan Moore.
C’est en mêlant mon amour des nouvelles technologies et des blogs qu’est né le Festiblog.
Depuis juillet, je suis directeur de collection chez Delcourt. Je travaille sur des projets papier, mais ma grande mission est surtout le développement de la Bd numérique.
Comment en es-tu arrivé à ce poste de directeur de collection chez Delcourt ?
Il y a deux choses.
Je pense que le festiblog a joué. Dans Bédéka et d’autres magazines dans lesquels j’ai pu écrire comme DBD et Bulldozer, j’avais tendance à dire « Hé, il se passe un truc sur internet. Internet permet de s’abstraire des formats, de viser un lectorat qui n’est pas le lectorat classique et de jouer sur l’interactivité entre le lecteur et l’auteur. ». A l’époque, en 2004, il y avait déjà un grand nom qui avait dit ça mieux que moi, Scott McCloud, quand il avait sorti Reinventing comics. Moi quand je le disais, tout le monde s’en foutait jusqu’à ce que j’organise le festiblog. 7000 personnes qui viennent pour voir des auteurs non publiés, ça a interpellé un certain nombre d’éditeurs.
L’autre point, c’est Angoulême. On m’a demandé d’intervenir dans une conférence professionnelle sur la BD numérique. Là, ça m’a permis de dévoiler à l’univers de la BD un autre pendant de ce que je savais faire : la partie technique et business que je pratique dans mon activité principale. Discuter des API, du développement sur Facebook, de la mise en ligne sur une console de jeu, c’est des problématiques techniques que je connais. Dans la salle, il y avait un certain nombre d’éditeurs et plusieurs se sont mis en contact avec moi.

Delcourt était une maison d’édition que je connaissais bien. Les attachées de presse de chez Delcourt sont efficaces et c’est un endroit où j’avais des amis comme Thierry Mornet qui s’occupe de la branche comics. Quand Guy Delcourt et François Capuron m’ont contacté, ils l’ont fait de manière très cadrée : ils ne m’ont pas dit comme certains « On y comprend rien à la bd numérique, fais ce que tu veux. », ce qui aurait été pour moi très stressant, ils m’ont dit « Voilà ce qu’est la maison d’édition Delcourt, on sait qu’il y a un truc qui se passe, on a commencé à y réfléchir, est-ce que tu veux partager avec nous cette réflexion ? ». Il y a eu un vrai échange qui m’a amené à leur faire un certain nombre de propositions. On a mis du temps à tomber d’accord, pas parce qu’il y avait divergences ou négociation mais parce qu’on essayait d’avoir une vision commune, solide et réaliste. J’ai signé en juillet mon contrat.

Par ton intérêt pour les comics, est-ce que tu lisais les webcomics américains avant les blogsbd français ?
J’ai découvert les webcomics assez tard, encore aujourd’hui je n’en lis pas beaucoup. Je vais lire Saturday morning breakfast, Ctrl-Alt-Del, un truc bien geek, ou PHD Comics. Il y en a une dizaine dans ma liste de flux parce que beaucoup m’ont déçu sur le long terme.

Comment avais-tu pris connaissance du travail de Scott McCloud ?

Par mon boulot dans les nouvelles technologies. On s’intéressait à ce qui concernait les nouveaux modes de diffusion. Le travail de Scott McCloud, c’est comme ça que je l’ai abordé, par Reiventing Comics. Il parlait d’internet et ça connectait plusieurs de mes passions. C’est par la suite que j’ai lu L’art invisible et Making Comics.

Comment te définirais-tu comme lecteur de blogbd ?

J’ai 700 blogs dans mon lecteur de flux. Blogs High-tech, blogs marketing, blogs bd et le reste. Je dois avoir 250 blogs bd et blogs d’illustrations, je ne les lis pas, je les scanne : je fais défiler ça rapidement et je m’arrête sur les trucs qui m’interpellent. Il y a très peu de blogs que je suis de manière quotidienne. Ce sont les blogs de mes potes : Pénélope, Wandrille, Turalo, Nancy Peña, Boulet, les gens avec qui j’ai des rapports réguliers, pour savoir ce qu’ils racontent.
Heureusement, en parrallèle, il y a mon acolyte du festiblog qui lit beaucoup d’autre chose. On n’a pas forcément les mêmes goûts donc on se refile les bonnes adresses.

Comment as-tu commencé à lire les blogs BD ?

J’ai commencé les blogs bd par les blogs de Cha et de Laurel, assez classiques. C’était l’époque où les fans de Cha et Laurel s’entretuaient par commentaires interposés pour défendre leur égérie. Je me suis dit : « Il y a des centaines de personnes en train de s’insulter alors que dans les blogs les plus connus comme le blog de Loïc Le Meur, il n’y a jamais autant de monde. Il se passe quelque chose dans la bd, le côté proximité est intéressant. » C’est de là qu’est née l’idée du festiblog : « ces gens qui se parlent sur internet, si on les faisait se rencontrer une bonne fois ? ». A la base, c’était une rencontre très simple, on a mis dessus le mot « festival » pour que les gens comprennent ce que c’était parce que les notions de blogs et d’IRl étaient inconnues à l’époque. Je ne voulais pas réserver l’évènement à quelques experts…

On en vient justement au festiblog. Quel était le but exact du projet ?
Le but était de se faire rencontrer les lecteurs et les blogueurs tout en promouvant la création en ligne. C’était destiné aux fans inconditionnels et aux gens qui ne savaient pas ce que c’était. Je me suis dit, il faut trouver un lieu où il y a des lecteurs de BD papier : on a démarré à Album Bercy. On va mettre cinq blogueurs autour d’une table qui vont faire ce qu’ils font sur un blog : dessiner gratuitement et offrir ce dessin. En échange, il y aura des gens qui vont venir voir leurs dessins et ils vont avoir des commentaires en vrai. Je suis allé voir quelques « stars », par exemple, Boulet, qui m’a présenté Libon, Capucine, Goretta, Ak… Par le bouche à oreille, petit à petit, ça s’est enrichi.
Le 1er aout, j’ai annoncé « on va faire un festiblog » et je suis parti en vacances. Quand je suis revenu, j’avais 240 mails de gens qui m’écrivaient pour postuler ! Je n’avais pas d’argent, de sponsor, je voulais faire une rencontre avec cinq potes et des blogueurs. J’ai dit aux blogueurs : si vous êtes capables de venir par vos propres moyens, je vous mets des tables et des chaises. 40 auteurs sont venus !
Le festiblog est un cas d’école qui m’hallucine toujours : annoncé le premier août 2005 avec une première édition le 11 septembre, soit un mois et demi après, on a eu presque 1500 personnes. Et ça, pour avoir organisé d’autres trucs dans ma vie, c’est un miracle, le miracle du bouche-à-oreille sur le web.

Les autres années, on a voulu trouver des sponsors pour nourrir les auteurs, leur payer des billets de train, acheter des tentes. Et, tous les ans, trouve des sponsors. On organise ça à deux tout au long de l’année avec Mike (http://www.pastroplesboules.com/). On essaye que ce soit à la bonne franquette, mais carré. On veut que les auteurs soient dans un truc bien organisé, sérieux mais pas trop et que les gens soient heureux.

Ce qui n’était pas prévu c’est que les blogueurs investissent autant le festiblog et organisent des choses en parrallèle…
Non. Je suis d’Avignon et je sais que dans tout grand festival, il y a un festival off. J’essaye d’y voir ce qui est flatteur. On essaye de canaliser ça, parce qu’on est sur l’espace public et on ne peut pas faire une grande beuverie, un feu d’artifice… Tous les ans, on demande aux gens qui organisent d’autres trucs de nous prévenir, pour les conditions de sécurité. Cette année, il y avait 800 personnes dans le parc qui faisaient des dédicaces et discutaient. Ce qu’on ne pourrait pas faire dans un festival payant, dans un lieu fermé. C’est l’avantage quand il fait beau, le jour où il y aura un déluge, les gens trouveront ça moins sympa.

C’était clair pour toi que le festiblog se démarquait des autres festivals de BD ?

Non mais on essaye de ne pas être comme les autres, pas par « prétention » mais parce que des festivals de BD plus classiques, il y en a déjà plein des biens, ne serait-ce qu’à Paris. Au festiblog, les gens viennent probablement plus pour la rencontre que dans une démarche collectionneuse. Je n’ai pas vu de dessin du festiblog revendu sur ebay jusqu’à présent. La moitié des auteurs invités n’ont jamais été publié et on ne paye pas pour avoir un dessin. Pas de ticket ou de tirage au sort non plus, ça a été imposé par Boulet mais c’est ce qu’on voulait.
C’est Boulet qui a imposé cette idée ?
Je me voyais mal, moi, imposer quoi que ce soit aux auteurs publiés. Il y a toujours la crainte du chasseur de dédicaces. On en a alors discuté avec les auteurs. Boulet, qui faisait alors office de chef de file dans la blogosphère bd, a dit : « J’ai horreur des tickets, de l’obligation d’achat. Quand c’est pour mon éditeur, ça me paraît normal. Là, c’est pour le blog, c’est pour mes lecteurs. Donc, on n’impose aucune règle dans la dédicace et on fait des dessins jusqu’à ce qu’on en ait marre. ». C’est la règle du premier parrain du festiblog et cette règle est incontournable. Si un auteur dit qu’il ne veut dessiner que ses albums, il ne vient pas au festiblog !

Economiquement c’est intéressant ?

On fait ça sur notre temps libre, avec comme ambition d’apporter de la joie dans ce monde triste. Ça fait niais de dire ça, mais ce qui nous préoccupe c’est de savoir si les gens vont être bien. On ne se rémunère pas sur le festiblog : à la fin du festiblog, on n’est pas loin de zéro et quand on est au-dessus, c’est réinvesti l’année d’après. Le festival est organisé à la hauteur des moyens dont on dispose. Du coup, la vente d’albums ne m’importe que pour la part qui va aux auteurs.
Si j’étais un festival classique, que je louais une salle, je serais obligé de faire payer l’entrée d’augmenter les coûts, de rentrer dans un truc très lourd, j’aimerais que ce ne soit jamais le cas !

Comment as-tu fédéré la communauté des blogueurs ?
La communauté des blogueurs, c’est une vaste blague. Il y a plein de blogosphères. Il y a quelques années, j’avais donné un coup de main à Loïc Le Meur pour une conférence qui s’appelle « Le Web » qui est la conférence des blogueurs. Il y avait des blogueurs du monde du business, du marketing, eux aussi avaient l’impression de représenter la blogosphère alors les lecteurs de blogs bd ne les connaissent pas.
Dans la blogosphère bd, en 2005, quand on a commencé, il y avait un groupe homogène, avec Cha, Laurel, Mélaka, Boulet, Libon, princesse Capiton, Poipoipanda… Des gens qui se connaissaient tous. Aujourd’hui, il y a tellement de blogs qu’il n’y a plus d’idée de blogosphère bd. Il y a des groupes qui se forment : le duo démoniaque Margaux Motin/Pacco, Boulet et ses potes, 30joursdebd, qui est une communauté à part entière…
Donc pas d’unité au Festiblog ?
Le Festiblog, ce n’est surtout pas une unité ! Le mot-clef c’est diversité ! Le but, c’est d’avoir un échantillon représentatif de tous les styles qu’on peut trouver sur le net. On va avoir Maliki et d’autres influencés par l’animation japonaise, des gens comme Cha dans la bd punk, comme Turalo dans la bd franco-belge à gros nez, comme Manu xyz qui a un dessin retro qui rappelle le Fluide Glacial des années 1980… Ma grande fierté, c’est la différence de dessins entre Pénélope et VonKrissen, entre Lucile Gomez et Paka. Ce qui m’intéresse aussi c’est de montrer qu’il n’y a pas que des blogs bd d’autofiction ironique, des gens qui racontent la vie en finissant par un gag sur « les petits travers de chacun ». C’est très français, on ne le retrouve pas dans le webcomics qui est plutôt dans la fiction. Chez nous, dans la mouvance webcomic, il y a des gens comme Chanouga et ses histoires de sirènes ou alors Chicou-Chicou qui est plus dans l’exploration créatrice. On essaye vraiment de ne pas donner l’impression d’unité. Je ne voudrais pas que ça devienne le festiblog des blogsbd que Yannick aime bien, parce que ce serait vraiment chiant !
Alors, comment se fait le choix ?
Cette année, on a invité environ 200 auteurs. D’abord, on invite les 40 qui nous paraissent incontournables pour des raisons d’envies des lecteurs et de représentativité. Difficile d’imaginer un festiblog sans Maliki, Pénélope, Boulet, Laurel, Everland, Cha… On essaye d’avoir tous ceux que nos visiteurs ont envie de voir. Ce n’est pas la chasse au nombre de lecteurs, c’est la liste des talents incontestés.
Dans ceux-là, il y a des gens qui ont su rencontrer leur public en ligne sans pour autant être les meilleurs dessinateurs de la blogosphère, par exemple Paka ou Davy. Je pense qu’ils ne m’en voudront si je les cite en exemple. L’un comme l’autre sont des bons exemples d’auteurs dont on apprécie l’humour, la personnalité et l’humilité, trouvez-moi des mecs aussi sympathiques et aussi légitimes pour être au festiblog ! Etre capable de dessiner une calèche et 4 chevaux en plongée avec réalisme ne permet pas forcément de trouver son public, eux ont su le faire et leurs files d’attente en a fait rêver plus d’un.
Ensuite, on invite les gens qu’on a envie d’inviter parce qu’on les lit. C’est hyper subjectif. La chance qu’on a, c’est que Mike et moi avons des goûts totalement différents du coup, on peut avoir Christophe « Kawaï » Achard et Laetitia « Trash » Koryn dans la même liste.
Ensuite, comme on a peur de rater des gens très bien, on invite les gens à postuler. Cette année, on a reçu les adresses de plus de 500 postulants ayant des blogs et des webcomics. On a été les voir un par un, à trois. On a invité ceux qui plaisaient à l’un d’entre nous. Ca donne une belle diversité de style. Par exemple, il y a 3 ans, on a invité Vincent Caut qui avait 15 ans. Cette année, il est venu en tant que vainqueur du prix Révélation blog !
On essaye d’être en accord avec ce que le public a envie de voir et en accord avec nous-mêmes. Il y a des gens qu’on a envie de faire découvrir, même s’ils ont 4 visiteurs sur leur blog. Dans les 500, on a récupéré une soixantaine d’invités.

Les éditeurs ont-ils leur importance ?
On se fout de qui est pote avec qui et on se fout de qui est publié chez qui. Nous invitons les gens pour ce qu’ils font sur leur blog. Nous invitons aussi des gens parce qu’ils sont sympas. Tout ça ne passe pas par l’éditeur, et les éditeurs ne sont pas trop sollicités festiblog même si nous avons de bons contacts avec eux. Certains nous ont demandé de prendre des stands, mais on a dit non parce que le festival est indépendant. Par contre, on était ravis de voir qu’Ankama, Paquet, Drugstore, Lapin, Diantre !, Delcourt, Makaka et Warum étaient sur place. Depuis 3 ans, pas mal d’auteurs nous disent avoir été contactés pendant le Festiblog et nous sommes toujours ravis de créer des contacts pour faciliter les rencontres.

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