Interview de Yannick Lejeune, deuxième partie

Et sans plus attendre, la suite de l’interview de Yannick Lejeune qui commence à cet endroit. Il parle cette fois de l’avenir du festiblog et de la blogosphère, enfin, il explique mieux que je ne saurais le faire c’est qu’est réellement la bd numérique et ce qu’elle pourrait être…

Est-ce que vous avez envie d’étendre le festiblog à d’autres activités ?
Oui et non. Cette année, on a invité 200 personnes, et c’est une logistique extrêmement lourde. On essaye d’organiser les plans de table pour que les auteurs soient à côté de gens qu’ils aiment bien ou des gens avec qui ils peuvent créer une relation. Le fait d’organiser autre chose, ça risquerait de dépouiller les blogueurs pas très connus des lecteurs venus pour les dédicaces : après avoir attendu longtemps pour Maliki, ils vont voir l’auteur qui est à côté s’il a moins de monde, ça permet à l’un de profiter de l’attractivité de l’autre. Et puis, dans l’espace public on ne peut pas tout faire.
Cette année, vous aviez quand même quelques animations…
Oui, notamment la table ronde de la veille, mais là-dessus nous nous posons pas mal de question. Je ne veux pas des tables rondes trop professionnelles, d’auteurs de bd qui parlent de bd entre eux. J’aurais peur qu’il y en ait un ou deux qui se prennent au sérieux. Cette année, elle avait lieu dans E-art sup, l’école partenaire du festiblog, pour nourrir la réflexion des élèves. On avait la fresque, le festifight club qui fonctionne très bien. On a toujours une expo qu’on affiche… Ensuite, il y a l’aspect communautaire qui prend le relais : les auteurs se retrouvent pour pique-niquer, un auteur emmène ses lecteurs dans le parc pour discuter… Je préfère que ça reste des initiatives d’auteurs. Mon but est de créer des rencontres entre des auteurs et des auteurs, des auteurs et des lecteurs, des lecteurs et des lecteurs pour passer une bonne après-midi. Dans une dédicace, il y a la magie de se voir faire un dessin devant soi. On essaye de reproduire le lien désargenté et interactif entre l’auteur et le lecteur. Certaines filles, pardon mesdemoiselles, qui lisent Pénélope gloussent autant sur son blog que quand elles la voient en vrai ! On aime bien montrer qu’internet, ce n’est pas quelque chose qui déshumanisent les relations, mais qui les multiplient.

En 2013, si le festiblog continue jusque-là, on devrait pouvoir investir dans le 3e le marché du Carreau de Temple, une espèce d’immense bâtisse qui est en train d’être refaite. On aura moins de problème et on réfléchira à des animations. Mais je veux que ça reste des animations participatives. On a quelques idées pour qu’il se passe quelque chose en plus tous les ans. Déjà, le renouvellement des auteurs est une bonne chose.

Tu parlais de 2013… Ça veut dire que tu n’as pas fixé de date limite.

Tous les ans, juste après, je me disais « plus jamais! » pour des raisons d’épuisement. Cette année, ça c’est vraiment bien passé, on a eu une vague d’amour en retour du public et des auteurs, du coup on est bien partis pour l’année prochaine. Après, on verra… On se dit que, si un jour la bd numérique devient un truc majeur, que le format blog s’épuise, on arrêtera. Si on arrête, on vérifiera que si c’est repris par quelqu’un, ce sera quelqu’un dans le même état d’esprit de nous : des gens qui ne s’en serviront pas pour en faire une plate-forme égotiste de promotion de leur être. Par exemple, des gens comme Matt de blogsbd.fr. Ce mec fournit du trafic aux blogueurs, cela ne lui rapporte rien, et il se fait insulter par les auteurs qui se plaignent quand ils n’y sont pas. Il fait ça, parce qu’il veut montrer des choses qui lui plaisent. Je ne lui en ai jamais parlé, mais si on arrête, ce serait un très bon repreneur du festiblog. Dans tous les cas, on en est pas là !

Comment vois-tu l’avenir des blogs bd ?
Un blog, c’est un moyen de diffusion et de communication, comme le téléphone. Petit à petit, ça sera moins original d’être blogueur. On voit d’ailleurs des auteurs de BD plus classiques se diriger vers le blog. Ce qui m’intéresse, c’est les blogs dans lesquels on utilise le media pour créer.
Sur l’avenir des blogs, il y a une discussion de fonds par rapport à leur disparition au profit des réseaux sociaux. C’est non négligeable. Avant, sur certains blogs, on se contentait de transmettre des liens. J’avais moi-même un linkblog : un blog où je disais juste : « Vous devriez aller voir ça ». Maintenant, je fais ça sur Facebook. Demain, pour certains auteurs, publier les planches sur Facebook rapportera plus de commentaires que sur un blog. On est dans une réflexion qui dit : « Comment je peux être à un maximum d’endroits en même temps tout en conservant un endroit sur internet où je suis chez moi ? ». Chez Facebook, on est pas chez soi, on est chez Facebook. Et puis on sait exactement à qui on parle alors que sur son blog, on peut être découvert par des inconnus.

Et pour ce qui est de la BD numérique ?
La question de la bd numérique serait un sujet à elle toute seule. Qu’est-ce que c’est la bd numérique ? Est-ce tout ce qui est lié à la BD et encodé avec des zéros et des uns ? Si demain on publie une planche de bd maquettée sur un blog, est-ce qu’on fait de la bd numérique ? Oui, parce que c’est du jpeg. Est-ce qu’on apporte quelque chose à l’utilisation du numérique ? Pas sûr. Il y a plein de formes de bd numérique. Je pense à Jean-Michel Ponzio qui fait des modèles 3D de ses décors pour placer ses personnages, il fait aussi de la bd numérique.
Les gens ont tendance à mélanger l’outil, la bd faite avec des outils numériques qui aujourd’hui a de moins en moins de sens puisque tout le monde y vient ; la plate-forme de diffusion, diffuser par des canaux numériques et le support de lecture, avec les bd sur téléphone qui sont de la bd numérique.
Une BD sur téléphone ne serait donc pas forcément une BD numérique ?
La plupart des bd sur support numérique ne sont pas des bd prévues pour le numérique mais des BD diffusées par voie numérique. Le dernier Achille Talon sur iPhone, c’est Achille Talon qui a été charcuté pour rentrer sur un petit écran. Il faut se poser la question : qu’est-ce que le numérique peut apporter à la BD ? Par exemple, Raphael B fait un truc intéressant : des pages verticales qui coulent bien plus loin que celles auxquelles nous sommes habituées en papier. Il s’abstrait du support papier et utilise quelque chose que seul un écran peut permettre. Options, c’est la même chose, c’est un webcomics qui utilise le défilement de l’écran pour ajouter à la narration. Il y a ensuite la question de la bd numérique en tant que bd interactive qui va utiliser le lecteur ; là, il n’y a pas de grands efforts visibles mais je pense qu’on y viendra. Il y a la bd multimédia où on ajoute des sons. Je pense qu’aujourd’hui, ça ne peut venir que des auteurs. Je travaille sur des projets d’auteurs qui ne peuvent se faire qu’en utilisant des moyens numériques. On est vraiment dans la BD : des séquences qui prennent du sens, mais pas dans le dessin animé mal fait. La bd numérique, c’est beaucoup de gens qui en parlent et pas assez qui en font. Elle doit naître d’une envie des auteurs et la maison d’édition est là pour être le facilitateur. On ne peut pas demander à un auteur d’être développeur, marketeur, mettre en place un contrat… J’attends de voir des auteurs qui ont envie de se lancer, heureusement il y en a plein qui ont juste besoin d’une petite impulsion.
Qu’est-ce qui bloque ?
Il faut être honnête, il n’y a pas de business model éprouvé. Par exemple, pour les bd sur iPhone, il y a 30% qui part à Apple. Ensuite, 35% part à la personne qui a fait le développement de la bd. Ensuite, il y a la part de l’auteur et de l’éditeur qui doit payer le marketing, éventuellement qui a investi dans la partie technique… Personne ne gagne d’argent à part Apple. Ce n’est pas vraiment intéressant, sauf pour quelqu’un qui veut faire une expérimentation. On est dans cette problématique-là : des auteurs qui veulent bien apporter quelque chose mais être payé, et des éditeurs qui ne vont rien gagner et ne veulent pas faire le projet. Comme le marché n’existe pas, à moins de trouver des mécènes, c’est compliqué à financer. Heureusement, il y a des moyens de financement liés à ce qui est multimédia. C’est comme ça que s’est fait Bludzee, par des aides à la recherche multimédia. Comme ça, Trondheim touche un peu d’argent, et Aquafadas peut financer. On manque d’auteurs comme Lewis. Oui, il vit bien, mais on manque d’auteur qui disent : je vais défricher, prendre des risques, peut-être me planter mais j’aurai avancé d’un pas. Il s’est fait beaucoup secouer, mais lui, au moins, il l’a fait.

Quelle est la situation aux Etats-Unis et au Japon, par exemple ?
C’est très différent. Au Japon, la bd est souvent vue comme jetable, cette notion est plus applicable au numérique qui a un coté immatériel. Cependant, aux dires des éditeurs locaux, ce n’est pas non plus la ruée vers le numérique.
Aux Etats-Unis, on est dans une approche différente. Le comics a vécu une période de crise assez forte. Il s’était centré sur des réseaux liés à des boutiques spécialisées. Or, on le voit bien, Zep vend beaucoup plus à Carrefour que chez Album parce qu’il y a plus de gens qui passe par les grandes surfaces. Aux Etats-Unis, il faut être chez Barnes & Nobbles. Parallèlement l’arrivée du manga supporté par le dessin animé, Dragon Ball, Naruto, Pokemon a obligé les éditeurs à repenser leur rapport aux écrans notamment en lançant leurs propres dessins animés Batman ou X-Men. Du coup, ils ne pensent pas la BD comme nous.
En plus de cela, leur grosse différence, c’est que les comics, c’est un épisode tous les mois. Si je prends X-Men, on a fêté le 500e exemplaire de la série principale. Il y a X-men, X-Factor, Génération X, et, finalement, ça fait près de 3000 numéros. C’est ingérable en fond, donc ils ont compris qu’il vaut mieux faire des recueils, avec une couverture cartonnée. Puis ils ont tous numérisés et tout mis en ligne, par exemple chez Marvel, avec un abonnement « all you can eat » pour dix dollars, rentable parce qu’il y a un important volume. C’est plus simple aussi parce que les personnages n’appartiennent pas aux auteurs et qu’il n’y a pas de droits à gêrer. C’est plus simple de vendre un catalogue « à la louche » quand on a rien à verser aux auteurs et qu’on a plusieurs dizaines de milliers de numéros à offrir.
Et pourtant les Américains ont beau être 5 fois plus que nous, les ventes de nos best-sellers BD les feraient rêver.
Existe-t-il l’équivalent du Festiblog aux US ?
Aux Etats-Unis, le Webcomics week-end s’est créé l’année dernière et je suis super jaloux de leur nom. Pour l’instant, c’est plus petit, mais ils vont grandir. Je pense qu’on va les contacter pour faire des échanges d’auteurs. On va essayer l’année prochaine, mais avec le billet d’avion d’un auteur américain, on peut faire venir dix auteurs français. Mais on y songe, on aimerait bien faire venir Zach Weiner, Scott McCloud, pourquoi pas !

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