Colloque sur le style et l’auteur : la bande dessinée en Sorbonne

Avis aux amateurs, étudiants ou simples curieux : les 20 et 21 novembre prochain auront lieu deux journées d’étude autour du thème Styles et figures d’auteurs: quelle autorité pour la bande dessinée ? L’occasion de rappeler que le monde universitaire sait aussi s’emparer de la réflexion sur la bande dessinée à l’aide de ses propres outils de lecture… Quelques mots sur le programme et les infos pratiques, des commentaires personnels et des pistes pour aller plus loin.

Où ? Qui ? Quand ? Quoi ?
D’abord les informations pratiques : ces deux journées d’étude auront lieu les 20 et 21 novembre à la Maison de la Recherche de la Sorbonne (28 rue Serpente à Paris), en salle D035, à partir de 10h30 pour le 20 et dès 9h le 21. L’entrée est libre, sans inscription. Elles sont organisées par Jacques Dürenmatt, Véronique Gély et Clotilde Thouret pour le GRENA, ou Groupe de REcherche sur le Neuvième Art, un groupe de chercheurs réunis par le souhait de former un espace de réflexion sur le média au sein de l’université française.
Qu’allons-nous trouver lors de ces deux journées ? Pour le programme complet, suivez ce lien. Elles seront composées de dix contributions de chercheurs et jeunes chercheurs portant, le jeudi 20 sur la question de l’auteur (comment représenter l’auteur en bande dessinée ?) et le vendredi 21 sur la question du style (quels outils nous permettent d’analyser le style d’une bande dessinée ?). Des interventions variées qui évoqueront aussi bien le manga, la science-fiction, la littérature du XIXe siècle, que la bande dessinée contemporaine (Futuropolis, Goossens, Winshluss…).
Mais au-delà des interventions, ces journées seront aussi l’occasion d’entendre des auteurs parler de leur art. Le 20 novembre, la journée se conclura, à partir de 16h, par un entretien avec Catherine Meurisse et François Ayroles. Le 21, Benoît Peeters et Séra, auteurs mais aussi théoriciens et enseignants sur la bande dessinée, tenteront de répondre à la question : Question de style : de l’appropriation à la restitution, quelle est la part inspirée du dessin ?

Quelques pensées sur le style et l’auteur…
Je vais commencer en évitant le poncif de « l’entrée de la bande dessinée à l’université » et de la « légitimation », étant entendu 1. cela va faire plus de quarante ans que, à l’image de Pierre Couperie, des universitaires ont fait de la bande dessinée un objet d’étude ; 2. les universitaires aussi, peuvent produire de mauvais discours sur la bande dessinée (heureusement !). Les journées d’étude des 20 et 21 sont intéressantes en ce qu’elles cherchent à relier à la réflexion sur la bande dessinée deux problématiques traditionnelles de l’étude universitaire de la littéraire, la question stylistique et l’enjeu de l’autorité. L’occasion de produire un autre discours, d’utiliser d’autres outils que les spécialistes les plus éminents du média, généralement à l’écart de l’université. L’un des atouts du discours sur la bande dessinée est d’avoir réussi à mêler les apports d’un discours scientifique et d’un discours « profane » (au sens de non-universitaire) d’amateurs savants ; le fait que le second soit toujours dominant offre aux études sur la bande dessinée une forme de modestie et peut leur permettre d’éviter la pédanterie (ce dernier point reste à vérifier). Mais il sera temps dans un autre article d’évoquer la question des rapports entre la bande dessinée et le discours scientifique universitaire.
J’en reviens au style et à l’auteur… Voici quelques idées personnelles sur ces deux points. De quoi, je l’espère, vous donnez envie d’assister à tout ou partie des ces journées pour mieux saisir la façon dont la bande dessinée s’intègre aux études littéraires universitaires.
L’enjeu de l’auteur est d’autant plus crucial à notre époque où les débats sur la précarisation des auteurs, dont ont pu témoigner les « états généraux » lancés depuis Saint-Malo en octobre pour repenser les conditions de la créations. La journée du 20 abordera surtout l’auteur sur le plan littéraire (mais sait-on jamais…) en se demandant comment représenter l’auteur en bande dessinée, auteur étant considéré au sens large. Il y a trois pistes à suivre pour répondre à cette question. La première est celle de l’autobiographie et de l’autoportrait : comment l’auteur de bandes dessinées se représente lui-même, en tant qu’auteur de bande dessinée ou en tant qu’être humain. Le sujet de l’autobiographie intéresse l’université, comme en témoigne la thèse récemment soutenue de Catherine Mao sur la bande dessinée autobiographique française de ces trente dernières années. La revue Comicalités avait elle posé la question de la représentation de l’auteur en 2013 et les contributions finales s’étaient surtout concentrées sur cette question de l’autoportrait. La deuxième piste est de s’interroger sur la représentation de « l’instance auctoriale », c’est-à-dire non pas la présence du narrateur mais celle de l’auteur dans l’oeuvre. Quelques unes des contributions à la journée poseront cette question. La troisième piste est de se demander comment l’auteur, en général, quel que soit son art, est représenté en bande dessinée. Les deux auteurs invités aideront certainement à suivre cette troisième piste puisqu’eux mêmes ont été confrontés à cet enjeu de représentation de l’auteur. Catherine Meurisse s’est souvent intéressée aux auteurs des autres arts, comme la littérature dans Mes hommes de lettres (2008 – Sarbacane). François Ayroles, dans Nouveaux moment clés de l’Histoire de la bande dessinée (2008 – Alain Beaulet) a proposé sa vision humoristique de l’histoire du média, et donc de l’auteur de bande dessinée. Ce que ces deux œuvres ont en commun, outre leur tonalité comique, c’est de livrer deux histoires littéraires centrées sur les auteurs comme moteurs de l’évolution créative. Et moi d’en revenir à la nécessité de remettre l’auteur au centre dans les discours sur la bande dessinée, comme l’avait fait l’université d’été 2011 de la CIBDI.
La question du style est certainement un vaste chantier pour la bande dessinée, et aussi celui qui nous rapproche le plus des enjeux purement littéraires… S’il est facile de constater que le style d’un Jacques Martin est bien différent de celui d’un Reiser, pour prendre deux exemples extrêmes, il est plus difficile d’expliquer pourquoi en employant des termes suffisamment précis et objectifs. Comme l’explique Thierry Groensteen dans son dictionnaire esthétique de la bande dessinée : « S’agissant plus précisément du champ de la bande dessinée, l’on constate que le style est très souvent évoqué mais que ce qu’il recouvre est rarement défini. ». Dans ce même article, Groensteen distingue « style graphique », lié au dessin, et le « style d’écriture », qui touche à la dimension verbale, la réunion des deux formant un « style global ». Réussir à comprendre les procédés employés, spécifiquement, par l’auteur pour mener son récit graphique est d’autant plus complexe qu’on est face à un art qui mêle verbal, iconique, et narration. Tout peut faire style (le trait, la mise en page, les mots employés…), et toute la difficulté de l’analyste est de dresser des catégories stables. Groensteen rappelle dans ce même article les efforts de certains théoriciens : l’opposition entre style ostentatoire et style transparent pour Peeters, la lecture historique de Bruno Lecigne et Jean-Pierre Tamine qui distingue l’ère classique d’une disparition du style au profit du code et le retour de sa prévalence matérielle à l’époque contemporaine, la « polygraphie » de Smolderen, la notion de « système » de Groensteen lui-même. Quiconque s’est déjà essayé à l’analyse stylistique d’une œuvre de bande dessinée sait que l’une des difficultés, mais aussi tout le sel de l’exercice, est la multiplicité des théories et le caractère flottant du vocabulaire d’analyse. Nous verrons si les participants à la journée du 21 pourront proposer des outils qui permettent de distinguer des styles de bande dessinée : style d’auteur, d’école, d’éditeurs, ou liés à un genre.
Pour un avant-goût
Et pour finir, quelques suggestions de lecture comme avant-goût de ces journées d’étude :
François Ayroles, Nouveaux moment clés de l’Histoire de la bande dessinée, Alain Beaulet, 2008
Dupuy et Berberian. Journal d’un album, L’Association, 1994
Bruno Lecigne et Jean-Pierre Tamine, Fac-simile. Essai paratactique sur le nouveau réalisme de la bande dessinée, Futuropolis, 1983
Catherine Meurisse, Mes hommes de lettres, Sarbacane, 2008
Benoît Peeters, Lire la bande dessinée, Flammarion, 2003 (réédition de son Case, planche, récit de 1991)
Thierry Groensteen, « Style » dans le Dictionnaire esthétique de la bande dessinée, [en ligne], octobre 2012 (http://neuviemeart.citebd.org/spip.php?article464)
Voir les vidéos de l’université d’été 2011 de la CIBDI, « autour de l’auteur »

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