Révélation blog 2014 : retour sur la blogosphère

Comme tous les ans à la même date a lieu le concours Révélation blog, dit aussi « prix du blog », organisé depuis 2008 par le Festival de la Bande Dessinée d’Angoulême dans le cadre de son stand « Jeunes Talents », en partenariat de longue date avec les éditions Vraoum, mais aussi le Festiblog et blogsbd.fr ; bref, trois acteurs particulièrement impliqués dans l’essor des blogs bd, le premier pour avoir édité un certain nombre de blogueurs, le deuxième pour les réunir tous deux jours par an pour des rencontres et dédicaces, le troisième pour les réunir tous sur une blogroll devenu la référence en matière de référencement des blogs bd (et je ne dis pas seulement ça parce que j’en fais partie…). Le concours Révélation blog est ce qui se rapproche le plus, à l’heure actuelle, d’un prix de la bande dessinée numérique, même si le blog bd exploite plus les caractéristiques communicationnelles du média qu’il n’apporte des innovations techniques.

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Cet événement me donne l’occasion de me replonger dans l’univers des blogs bd, cette curieuse excroissance de la bande dessinée numérique apparue au milieu des années 2000 et devenue un outil d’expression, de création et de publication pour des auteurs. Puisque la naissance de Phylacterium étant en partie liée à ma lecture des blogs bd, que j’ai évoqué dans des articles sur ce blog (ref article], à travers ma série « Parcours blogueurs » qui mériterait peut-être d’être relancée (ref série) ou sur d’autres sites, cette nouvelle édition du prix du blog me renvoie près de dix ans en arrière, à une époque où j’avalais plusieurs posts de blogs par jour, où je suivais assidûment les mises à jours sur blogsbd.fr, ou je connaissais par cœur les dates des posts les plus mythiques de Boulet, etc. Un temps révolu mais qui m’a permis de découvrir des auteurs que je suis toujours maintenant. Qui sait si le concours de cette année ne cache pas quelques perles…

Au début de ce mois de décembre, 30 lauréats ont été choisis parmi différents postulants. Jusqu’au 5 janvier, c’est par le vote des internautes que seront sélectionnés les trois finalistes qui se verront remettre un prix à Angoulême, le premier ayant la possibilité d’éditer une bande dessinée aux éditions Vraoum. J’ai scrupuleusement consulté les 30 blogs pour y faire mon choix mais aussi, puisque je suis incorrigible, pour capter les évolutions récentes du phénomène des blogs bd qui a près de dix ans d’âge à présent.

Il n’est pas facile de choisir entre les différents lauréats : le prix Révélation blog conçoit surtout le blog bd comme un tremplin vers l’édition papier. Il faut donc juger, à travers le format « blog » des qualités d’un jeune auteur à pouvoir réaliser un album. Et ensuite aller voter

Voilà maintenant ma sélection personnelle… Je précise que, ne suivant plus l’actualité des blogs bd depuis plus d’un an, mon regard hautement subjectif pourra paraître à mes lecteurs à la fois innocent et naïf.

Aurélien Fernandez

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Aurélien Fernandez tient son blog La bête est méchante depuis 2010, son second blog après Les chroniques nocturnes, qui n’est plus en ligne mais existait depuis 2007. J’ai d’abord accroché au style graphique de l’interview, minimaliste et drôle, qui témoigne d’une gestion de la narration plutôt originale. Le blog en lui-même, bien qu’un peu fouilli et pas toujours à jour, présente surtout, de façon assez traditionnelle, des notes de carnet et des infos sur les projets en cours.

Et puis ce qui m’a frappé, c’est l’évolution du style entre 2010 et 2014, assez spectaculaire. On part d’un dessin au trait plutôt brouillon, qui se cherche au fur et à mesure des années et passe par plusieurs étapes parfois trop impersonnelles. Enfin il se stabilise pour devenir le style si particulier, à mes yeux beaucoup plus personnel, qui est celui de l’interview, à base de petites cases carrées, d’images impromptues, d’emoticones en gros plan qui renforcent encore l’humour décalé déjà présent dans les notes de blog. On retrouve ce style dans sa participation au 23H de la BD en 2013, intitulé Field trip, une histoire avec un scénario plutôt attendu, mais aux couleurs pastel qui parviennent à créer une ambiance. Aurélien Fernandez y montre, au-delà des notes de blog, souvent trop brèves pour pouvoir apprécier pleinement son travail, ce que son style peut avoir d’élégant et d’un peu retro, inspiré par les comic strips des années 1950 et la culture américaine old school, du polar à la SF. Plus de réalisations sur tumblr, wix et deviant art, où l’on trouve son comic Tales of the untellable.

Marjolaine

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Là encore, c’est avant tout l’interview qui m’a interpellé, moins par son style graphique que par l’ironie absurde que Marjolaine met dans les textes qui accompagnent ses dessins. Comme chez Aurélien Fernandez, l’inspiration de ces derniers est plutôt années 50-60, mais plus orienté vers le dessin de presse et l’illustration pour la jeunesse (elle avoue un goût pour Sempé, Quentin Blake, Tove Jansson) ; elle y ajoute son sens personnel de l’humour qui donne un côté doux-amer à son style enfantin. Il y a chez Marjolaine une vraie qualité d’écriture, y compris sur des notes de blogs dans la plus pure tradition bloguesque de récits de « petits riens » du quotidien. Certes, on va y retrouver les ingrédiens désormais classiques de ce genre d’histoires (autodérision, chute impromptue, chats…), mais il faut bien dire que cette jeune dessinatrice suisse les manient avec délicatesse, sans excès et sans naïveté puérile. Cela s’explique aussi, sans doute, par le dessin sobre, abouti, aux couleurs agréables qui est loin d’un simple brouillon. C’est là aussi l’élégance qui m’a attiré.

Et patati et patata est la suite d’un autre blog lancé sur overblog depuis 2010. Marjolaine se présente d’abord comme designer multimédia, elle travaille à Valence à l’école La Poudrière. L’un de ses courts-métrages, Baloon birds, a tourné en 2014 dans de nombreux festivals et on peut voir le reste de sa production sur son portfolio.

Saturnome

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On continue dans la lignée des blogueurs humoristes, avec, pour moi, le plus éclatant de la sélection, Saturnome, présent sur la toile depuis 2011. Un point supplémentaire pour les couleurs, particulièrement chatoyantes et tout droit sorties d’une boîte de stabilos. Saturnome (avatar graphique du dessinateur canadien Francis Lemelin) est un canard, cousin de Saturnin à l’enthousiasme communicatif et régressif, ce qui n’est pas pour me déplaire. Ce qui est encore moins pour me déplaire, c’est que, derrière un ton amusé et un graphisme simple, mais qui s’est nettement amélioré et précisé en trois ans, Saturnome livre des notes de blogs de type documentaire et dans lesquels il présente des sujets aussi variés qu’inattendus et pointus comme le calypso, la Famicom de Nintendo, ou le kaiju des années 30 (http://www.panorama-cinema.com/V2/article.php?categorie=10&id=356). Sans compter quelques notes expérimentales dont le « zoomcomic », immense travelling avant autour d’une histoire de psyché dérangée qui, naturellement, ne pouvait qu’attirer mon goût pour les tentatives numériques. C’est cette originalité, ce décalage entre le ton et le propos didactique qui font la qualité de son blog, aux notes malheureusement trop rares.

Saturnome a auto-publié deux livres, Wilson Bentley, photographe de flocons et Saturnome champion automobile, que je n’ai pas eu le plaisir de lire mais qui, dixit l’auteur rassemble « la crème de la crème de ma production depuis l’été 2013 ». Et on constatera ses liens avec la blogosphère sur le tumblr collectif plein de fanarts Saturnome, Centurnome.

Blogs bd tendance 2014

Quid de l’impression d’ensemble donnée par cette sélection ? D’une façon générale, j’ai le sentiment que le « genre » graphico-communicationnel du blog bd bénéficie depuis plusieurs années d’une vraie stabilité : il est toujours actif, avec constamment des nouveaux venus, mais aussi une codification très marquée. Si je me fie à la sélection (mais peut-être est-ce une déformation), le genre francophone du blog bd semble préféré à celui, anglo-saxon, du webcomics : seul un webcomic est présent dans la liste : La première de Velm. Les autres dessinateurs interprètent le support numérique comme un espace de communication libre plus que comme un lieu de création de bandes dessinées. On va donc retrouver chez la plupart de ces blogueurs (dont certains, comme Ryoga, sont aussi des « anciens » de la blogosphère) des types de notes traditionnelles sur le quotidien, des extraits de projets personnels, parfois des bandes dessinées plus conséquentes, en feuilleton (à noter que Boulet est le point commun à la majorité des blogrolls des lauréats, et plusieurs le citent comme source d’inspiration, preuve de son rôle dans la fondation du genre graphique du blog bd !). Je regrette de ne pas avoir trouvé de vrais blogs thématiques, comme le blog de voyage de Lise et Seth qui mêle dessins et photographies. Et aussi de ne pas voir plus d’expérimentations graphiques, narratives ou numériques, à la façon de Moon et son mythique « blog girly », ou des Turbomedia de Malec, même si des blogs comme ceux d’Ima en livrent quelques unes, exploitant ainsi le potentiel de liberté créatrice du blog. Mais là encore, le concours Révélation blog n’est qu’un échantillon d’un genre multiple, le principe de base du blog bd étant qu’il y a autant de blogs bd différents que de blogueurs bd…

 

J’ai quand même repéré quelques tendances que l’on ne trouvaient pas, ou moins, dans les blogs bd d’il y a quelques années, toujours en considérant que mon analyse se limite à la sélection du prix du blog.

La première est sur le plan esthétique, le développement des animations graphiques. Même s’il n’y a pas, dans la sélection, de blogs « Turbomedia » comme Malec, qui avait remporté le prix en 2013, année de consécration pour le Turbomédia, nombreux sont les blogueurs à ajouter des animations ponctuelles dans leurs notes. C’est en particulier le cas d’Odett. Le mélange image fixe/image animée devient peu à peu une norme, et cela se ressent aussi dans le profil des candidats : on trouve beaucoup de designers multimédia, d’animateurs graphiques, ou d’étudiants dans des filières d’animation. Mes connaissances dans le domaine de la formation des graphistes sont trop limitées pour en déduire quoi que ce soit avec certitude, mais j’ai bien quelques hypothèses : peut-être est-ce la conséquence du fait que la spécialisation dans la bande dessinée n’est plus possible, économiquement. Les jeunes dessinateurs se rabattent vers les domaines, peut-être plus lucratifs, de l’animation et du graphisme (publicité, illustration de presse), mais conservent un goût et des influences qui mêlent bande dessinée, animation, et pour certains jeux vidéo, dans une vision très « multimédia » du travail d’illustrateur. En un sens, il n’est pas étonnant de trouver plutôt ce type de profils sur le web, le support numérique facilitant la convergence des techniques et des métiers.

La seconde évolution, plus significative pour le genre même du blog, est la restructuration de la stratégie numérique de communication dans une logique de dissémination. Dans mon souvenir, les blogs bd « à l’ancienne » était des outils de communication uniques, cohérents en eux-mêmes et par eux-mêmes en tant que principal espace de publication de l’auteur, professionnel ou amateur. À présent, il semble que le blog ne soit qu’un outil au cœur d’un réseau d’outils plus ou moins interconnectés qui sont autant d’espaces de publications. Ainsi, si la plateforme de blog est encore majoritaire (blogspot étant ici l’éditeur le plus fréquent), la plupart des blogueurs dispose aussi d’un ou plusieurs tumblr. Certains mêmes (six sur les trente sélectionnés) se servent de tumblr comme d’un blog, comme Jean-Bon, structurant ainsi leur publication selon d’autres règles, moins axées sur des rubrications, sur l’accès aux archives, ou sur le mélange image/texte, et proposant une mise en valeur plus immédiate par l’image et une utilisation plus simple. À mon sens, ce choix rend le blog moins lisible, mais facilite aussi le partage des images et va dans le sens des nouveaux outils de microblogging, plus concis que les blogs traditionnels et plus faciles à lier aux réseaux sociaux. Tumblr semble aussi être lié à la mode du portfolio, page sur laquelle l’auteur présente l’ensemble de ses créations en une série d’images, là encore une rubrique présente sur la majorité des blogs qui se transforment alors en CV virtuel géant et multiformes.

À côté de tumblr, de nombreux autres outils numériques et réseaux sociaux sont utilisés en complément du blog, pour la plupart des outils de publication de contenus plus que d’édition : twitter et facebook bien sûr, mais aussi vimeo pour les vidéos, avec lecteur exportable (essentiel pour des dessinateurs/animateurs), instagram ou pinterest, society6 pour les boutiques, deviantart… À mon sens, cette profusion d’outils qui morcellent des usages numériques jusqu’ici centralisés sur le blog, renforce encore davantage le côté « communication » de cet outil : le blog est définitivement l’interface de dialogue avec les lecteurs, tandis que les aspects publication, création, vente, sont gérés par d’autres outils.

Au vu des différents candidats-lauréats, le blog bd est bien devenu, plus qu’un support de création, cette vitrine pour de jeunes illustrateurs cherchant du travail, ou à se faire publier. C’est bien cette chance qu’il va offrir à l’un d’entre eux lors de la remise des prix à Angoulême, fin janvier…

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