Parcours de blogueurs : Monsieur le chien

L’humour est sans doute le genre le plus utilisé sur les blogs. Sans doute parce qu’on le croit le plus facile pour accrocher un lectorat. Sans doute parce que les blogueurs bd « historiques », de la première génération (Boulet, Frantico, Mélaka, Cha, Laurel…) ont donné un élan qui s’est poursuivi. Mais l’humour graphique n’est pas un exercice facile, pourtant, et si j’ai choisi de parler de Monsieur le chien et de son blog aujourd’hui, c’est que j’ai toujours été surpris par l’originalité de son humour, violemment voire vulgairement provocateur, et toujours inattendu.

Essor d’un blog à succès


En août 2005, un nouveau blog, un de plus, oui, apparaît sur la toile. Son auteur n’est pas un dessinateur célèbre, mais un simple internaute qui se présente comme un fonctionnaire et un contribuable moyen. Les premiers strips s’enchaînent à un rythme presque quotidien et lentement, un univers se met en place : Monsieur le chien, car c’est son nom, présente au lecteur ses réflexions personnelles sur des sujets variés, (dont le fonctionnariat) réflexions que lui-même qualifie de « vaines et sans sans fondement ». Et puis, au fil des strips, un véritable univers se met en place, avec ses personnages : MLC, l’avatar de l’auteur, antihéros notoire, obsédé par le sexe, ses amis du CHIBRES, sa femme Hélène, leurs enfants, l’éditeur Wandrille, mais aussi Shroubb, une raclette mutante dont le succès fou auprès des femmes ne fait qu’accentuer le désarroi du héros. D’autres rubriques se font jour, MLC révélant peu à peu sa personnalité, et notamment son goût prononcé pour les publicités ringardes et les clichés narratifs. Et puis l’humour et les idées de MLC, une autodérision politiquement incorrecte (poujadiste et réactionnaire, se définit-il lui-même) fait mouche dans une blogosphère où les surprises restent assez rares en matière d’humour.
En l’espace de quelques mois, le blog de MLC trouve son rythme de croisière et son public, public fidèle que le dessinateur n’hésite pas à interpeler, créant ainsi une relation particulière avec les internautes qui le suivent. Les commentaires font partie du jeu du blog, évidemment, mais certaines planches sont directement dédiés à l’un ou à l’autre, ou encore un lecteur est inclu dans la planche… MLC reçoit de nombreux fanarts qu’il publie régulièrement comme autant de trophées. Il invite aussi ses lecteurs à des rencontres IRL avec les membres du CHIBRES, qu’il a fondé, (un club très particulier que je vous laisse découvrir dans cette planche). Lien d’autant mieux entretenus que MLC est un habitué des séances de dédicaces du festiblog, présent dès la première édition en 2005.
Tous les ingrédients d’un bon blog bd sont réunis dans le blog de MLC : des personnages et un univers récurrents, un humour efficace et original, une régularité de publication, un lien fort avec le public… Le blog de MLC est à mi-chemin entre le webcomic, aux strips réguliers, et la page personnelle où l’auteur se dévoile. En pleine gloire, MLC décide de ralentir le rythme de son blog à partir de 2008 et surtout de 2009.

De « l’album du blog » à l’album sans le blog


Monsieur le chien n’est pas, quand il commence son blog, un dessinateur professionnel et son passage progressif du statut de blogueur bd à celui de dessinateur de bande dessinée serait une sorte de cas d’école de l’impact du phénomène des blogs bd sur le marché de la BD, par l’arrivée d’une nouvelle génération qui n’aurait jamais vu le jour sans internet.
En effet, la publication de ses trois albums présente une évolution du mode traditionnel d’édition des blogueurs : « l’album du blog » (ce mode étant généralement le moins réussi), à un véritable album complètement autonome du blog. Un effort qui doit être souligné lorsque certains blogueurs n’ont pas encore dépassé le stade de l’album du blog. Petite démonstration en trois temps.
Le premier album publié par MLC est Paris est une mélopée. Nous sommes en 2007, le phénomène des blogs bd bat son plein. Rien d’étonnant donc, que le blog de MLC, encore dessinateur amateur, voit son blog publié chez un petit éditeur, Théloma, crée en 2004 (et dont l’activité stagne depuis 2008, d’ailleurs). L’album reprend une sélection de planches du blog, redessinées, et plusieurs planches inédites. Jusque là, inscription dans la démarche traditionnel du blogueur, puisque, depuis que Frantico/Lewis Trondheim et Wandrille ait largement lancé le mouvement en 2004-2005, l’édition papier de blogs bd a largement commencé. Les exemples se pressent, ne serait-ce que pour cette année 2007, qui voit Souillon vient publier le premier tome de son webcomic Maliki chez Ankama, Martin Vidberg Le journal d’un remplaçant chez Delcourt et Kek Virginie chez le même Delcourt.
Nouvelle année, nouveau projet, mais toujours en partie liée à l’univers des blogs bd. Les éditions Warum co-fondée par le dessinateur-blogueur-éditeur Wandrille, rappelons-le, poursuivent une politique de recherche de jeunes talents parmi les blogueurs bd, politique qui se traduit notamment par le concours Révélation blog () ou par l’édition d’album de Gad, Aseyn, Lommsek, ou encore par l’édition du célèbre blog de Laurel en 2009. Rien d’étonnant, donc, de retrouver au catalogue MLC pour son second album, Homme qui pleure et Walkyries, en septembre 2008 ; il prend place au sein du label grand public de l’éditeur. Un album intermédiaire entre l’album du blog précédent et des créations autonomes. Pourquoi intermédiaire ? Car MLC n’y reprend pas de planches de blog, mais invente de toutes pièces un album inédit pour ses fidèles lecteurs. Mais dans le même temps, il reprend dans cet album le principe des séquences faussement pédagogiques sur un thème donné. Dans Homme qui pleure se déclinent ainsi différents chapitres avec comme fil directeur un pretexte dans la veine absurde du dessinateur : d’aguichantes walkyries demandent à MLC de rédiger un manuel de séduction moderne en BD. Suivent donc des chapitres « se marier hors de la tribu », « lire les signes », « tuer le père » qui reprennent, dans leur forme, en les étendant, les planches publiées sur le blog ; des personnages familiers reviennent également (MLC, sa femme Hélène, ses amis du Chibres, etc. ).
Mais avec Fereüs, fils de la colère publié en 2009 chez Makaka éditions, MLC franchit un nouveau cap, puisqu’il s’agit non seulement d’un album complètement inédit, mais détaché des thématiques du blog. Fereüs raconte l’aventure épique d’un héros choisi pour lutter contre une invasion de morts-vivants menés par l’ignoble Sqol Grafesh. Une parodie d’heroïc-fantasy qui n’empêche pas MLC de conserver le même humour efficace du blog. Cette nouvelle publication est encore liée à l’univers des blogs bd puisque Makaka éditions est la maison fondée en 2007 par les responsables du site 30joursdebd qui s’attache à faire connaître des dessinateurs en proposant à la lecture une nouvelle planche par jour. MLC s’est déjà lié à ce groupe : il participe à un de leur collectif en 2007 et fait partie des auteurs réguliers du site. Le projet Fereüs est d’autant plus lié à Internet qu’il bénéficie d’une pré-publication en ligne, en accès gratuit, des 30 premières planches sur le site http://www.filsdelacolere.com/. MLC a également fréquenté un autre espace important de la BD en ligne, le portail Lapin, pour une planche en « guest star ».
Qu’en est-il des projets de MLC en 2010 ? Sur une interview donnée à l’occasion du festiblog 2010, il avoue ne se sentir pour le moment que dans une phase de semi-professionnalisation : il n’a publié que chez de petits éditeurs et n’est pas parvenu à entrer à Fluide Glacial malgré le soutien de Marcel Gotlib. Quelques projets sont toutefois en préparation, dont un à venir aux éditions Carabas. En espèrant que ces projets se concretiseront et que la carrière de MLC ne fait que commencer…

Clichés et ringardises

Le blog est aussi, pour son auteur lorsqu’il est amateur, un espace d’entraînement et d’amélioration du dessin. C’est un des caractères du blog de MLC : les premiers dessins sont encore assez rudimentaires au niveau du trait et de la narration et le style de MLC s’affirme progressivement, vers une plus grande complexité. La virtuosité du trait n’est pas ce que recherche MLC : il suffit qu’il soit facilement lisible ; de simples représentations de personnages, il passe à des décors de plus complexes, jusqu’à l’ambiance pseudo-médiévale de Fereüs.
Mais c’est surtout son humour et son sens de la narration qui se précisent. MLC part du principe de la planche-séquence où, sur un sujet donné, se succèdent des cases illustrant le récitatif de l’auteur, dans un style faussement pédagogique. Le récitatif en question sert de fil conducteur aux courtes séquences en images : c’est le principe du manuel que nous présente MLC dans Homme qui pleure et Walkyries, manuel d’amour à l’usage du dieu Wotan. Le principe est mis à l’honneur, dès les années 1960, dans les Dingodossiers ou plus tard la Rubrique-à-brac de Gotlib dont l’auteur est friand, puis souvent repris par d’autres dessinateurs humoristes puisqu’il permet généralement un second degré en opposant le commentaire prétendument sérieux et l’image qui, elle, l’est beaucoup moins. Voilà pour la construction du gag chez MLC. Elle varie par la suite dans des récits plus narratifs, sans récitatif : c’est le cas de Fereüs où le narrateur n’intervient qu’au début pour présenter l’intrigue puis s’écarte au profit des personnages.
Et quel est donc cet humour dont MLC a le secret ? C’est sans doute là la principale force de ses travaux. On retrouve bien sûr le principe fondateur, là aussi très gotlibien, mais pas seulement, de la parodie, comme dans ce croisement improbable entre le surfer d’argent et les Schroumpfs. Prendre une référence et la tordre en la forçant à cohabiter avec une autre référence, principe vieux comme le monde de l’humour. MLC recherche dans ses gags l’absurde le plus puissant et l’outrance où, naturellement, la violence et le sexe trouvent leur place comme signes de transgression. L’humour est acide dans cet épisode méconnu de Dora l’exploratrice.
Mais ce qui le démarque de beaucoup d’autres blogs bd d’humour est la recherche constante du non-conformisme des idées, des références employées, de l’humour choisi. Je laisse de côté les idées et me concentre sur l’humour. Le ringard est un des principes centraux de l’humour MLCien, se retrouve aussi dans les noms employés, noms de personnages ou de lieu dont la sonorité suffit à déclencher le rire (enfin… dans mon cas, en tout cas) ; ainsi faut-il saluer la riante introduction de Homme qui pleure qui se situe dans la ville de Vesoul et voit la pendaison de supporters du F.C. Sedan. Autre principe qui se marie à merveille avec la parodie : le cliché. Il fait pour cela appel à sa connaissance des comics et romans-photos kitchs des années 1960 et 1970. Les phrases convenues y sont légion et offrent de délicieux dialogues pour les récits de MLC. Le cliché ne vaut, bien évidemment, que s’il est détourné. Fereüs est plein de ces clichés que nous servent les auteurs d’heroïc-fantasy, ce qui le situe juste à la limite entre la parodie et la série B… Je vous laisse en découvrir quelques uns en lisant les premières planches de cet album, encore en ligne.

Bibliographie et webographie :
Paris est une mélopée, Théloma, 2007
Homme qui pleure et Walkyries, Warum, 2008
Fereüs le fléau, Makaka, 2009
Le site de MLC : http://www.monsieur-le-chien.fr/
Le site de Fereüs : http://www.filsdelacolere.com/
Lire des planches de MLC sur 30joursdebd
Interview sur le site du festiblog
Présentation sur le site de Warum
Site de Makaka éditions

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