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Oklahoma Boy de Thomas Gilbert : La tentation des Amériques


Amis lecteurs de Phylacterium qui suivez si bien l’actualité de la bande dessinée sur Internet, peut-être avez-vous remarqué la présence du présent article sur le site du9.org ? Ce n’est que le résultat d’une toute neuve collaboration entre Phylacterium et du9 : cet article sur Oklahoma Boy est publié simultanément sur le célèbre site de réflexions et d’actualités sur la bande dessinée. Une première étape avant la conquête du monde, évidemment.

En janvier dernier est sorti chez Manolosanctis le second tome d’Oklahoma boy par Thomas Gilbert, récit prévu pour être une trilogie, et l’un des premiers projets d’auteur nés de l’expérience « d’édition collaborative » lancée en 2009, dans le paysage encore en construction de la bande dessinée numérique. A une époque reculée où le nom d’Izneo n’évoquait encore rien à personne, Manolosanctis se lançait dans l’aventure de l’édition papier après avoir accueilli sur son site la production de quelques jeunes dessinateurs. Parmi eux, Thomas Gilbert, alors tout juste connu pour Bjorn le Morphir, une série pour adolescents. Avec Oklahoma Boy, tout en restant fidèle au genre du récit d’initiation, il se lançait dans une histoire plus ambitieuse dans son propos et scénarisée par ses soins.
Le second volume vient confirmer que la qualité de l’histoire troussée par Thomas Gilbert tient à son appropriation atypique de l’imaginaire américain… Une tentation des Amériques bien réelle, mais traitée avec suffisamment de recul et d’inventivité pour éviter de douloureux clichés. Se faisant, il s’inscrit dans une solide tradition de la bande dessinée francophone pour qui, non les Etats-Unis à proprement parler mais leur culture, a constitué un champ d’investigation privilégié en terme d’imaginaire – c’est-à-dire, dans le fond, ce qui nourrit la matière d’un récit en images.
Oklahoma Boy me servira donc d’excuse habile pour cheminer d’une époque à une autre, du western aux réinterprétations contemporaines décalées de la culture américaine par des auteurs français.

Oklahoma boy, naissance d’un album


Depuis le milieu des années 2000, et notamment cette bien fameuse vague médiatique des « blogs bd », Internet s’est affirmé comme un média idéale pour lancer des auteurs encore débutants – phénomène qui, par ailleurs, n’a rien de spécifique à la bande dessinée, mais dont on pourrait trouver quelques exemples dans la musique. Entre 2005 et 2009, une forme d’équilibre s’était empiriquement trouvée dans le rapport entre une production en ligne gratuite et un marché papier qui récupérait les auteurs découverts au travers de blogs, sites, webcomics, plate-forme communautaire, et suffisamment plébiscités par un public pour se « professionnaliser » dans l’édition papier. J’emploie l’imparfait car en deux ans, la situation s’est très largement brouillée, entre l’apparition de bandes dessinées numériques payantes (Bludzee, Les autres gens), et la diffusion gratuite d’albums entiers réalisés par des professionnels déjà installés (8comix : http://www.8comix.com/). Mais la naissance de Manolosanctis obéit encore au premier schéma pré-2010 : l’entreprise est à la fois une plate-forme qui diffuse gratuitement en ligne des « albums » postés par des auteurs et une maison d’édition qui commercialise sur papier ceux d’entre eux qui reçoivent le meilleur accueil de la communauté des lecteurs. D’où cette notion « d’édition participative » qui met en avant la participation des lecteurs à la vie de la maison, par divers outils du Web (commentaires, forum, tags, signalement sur les réseaux sociaux…), et la fédération d’une communauté d’échanges autour du site, d’auteurs à auteurs ou de lecteurs à auteurs. Manolosanctis n’étant pas le sujet de cet article, je cesse là ma description qui me permet toutefois de resituer un peu le contexte de la naissance d’Oklahoma Boy. Une dernière précision : en deux ans, Manolosanctis s’est suffisamment agrandi, est distribué en librairie, et possède à présent une activité d’éditeur papier de plus en plus importante, tout en gardant le schéma en ligne-gratuit/papier-payant.
Oklahoma Boy, donc… Thomas Gilbert entre en bande dessinée par la série pour adolescents Bjorn le Morphir, éditée par Casterman et scénarisée par le romancier belge Thomas Lavachery qui adapte là sa propre série de romans à l’Ecole des loisirs. Il ouvre en février 2009 son blog Profondville (http://profondville.blogspot.com/), se joignant ainsi au long cortège des dessinateurs blogueurs. La même année, il commence à publier les premières pages d’un nouveau récit sur Manolosanctis, alors simple plate-forme d’édition en ligne, en même temps que sur son blog. Ce n’est là qu’une simple migration vers un espace collectif à l’interface de lecture mieux conçue que sur un simple blog, et la promesse d’une audience plus large, puisque Thomas Gilbert a l’habitude de poster sur son blog ses projets personnels, tels que Yankee Hotel Foxtrot, et qu’il se lance en même temps dans l’aventure d’un blog collectif, « Le club des uns » (http://leclubdesun.blogspot.com/), projet finalement mis de côté courant 2009. Le succès survient de côté de Manolosanctis : Oklahoma Boy est choisi pour être un des premiers albums papier de la maison d’édition, avec Base Neptune de Renart et le collectif Phantasmes. C’est bien par la voie de la plate-forme d’édition que Thomas Gilbert entre encore plus avant dans le monde de la bande dessinée.
Déjà le titre et l’ambiance de Yankee Foxtrot Hotel (titre d’un disque du groupe de rock Wilco, originaire de Chicago) évoquaient les Etats-Unis, territoire qui semble fasciner Thomas Gilbert. Oklahoma Boy se déroule dans une Amérique à la charnière des deux siècles (la temporalité reste incertaine dans le premier épisode) et raconte le destin d’Oklahoma, jeune garçon durement élevé par un père évangéliste et bâtissant sa vie et ses rêves autour des valeurs chrétiennes. Le second épisode voit notre héros rejoindre les combats en Europe lors de la première guerre mondiale en tant qu’aumônier. C’est, pour Thomas Gilbert, l’occasion d’accentuer encore une violence en partie sous-jacente et fantasmée dans le premier épisode. Violence parfaitement servie par le style de Thomas Gilbert, crument expressif, au trait pointu. Oklahoma Boy entre par la guerre dans ce premier vingtième siècle qui semble voué à la destruction et au chaos, propre à ébranler aussi bien les croyances en Dieu qu’en la science. Telle est le tableau que nous dresse Thomas Gilbert : une épopée américaine puissante et sombre, celle du moment même où les Etats-Unis surgissent sur une scène européenne dévastée.

Quelques données de la tentation des Amériques de la bande dessinée européenne
Je ne vais bien sûr pas m’amuser à vous lister ici les auteurs français de bande dessinée qui partagent avec Thomas Gilbert cette « tentation des Amériques » qui les pousse à construire, comme lui, une image graphique des Etats-Unis et des Américains, le temps d’un album ou d’une série entière. Je me contenterai de poser quelques jalons de cette tradition de l’appropriation de la culture américaine par la bande dessinée francophone, pour arriver à nos jours. C’est à la fois dans la forme et dans les thèmes que se lit cette appropriation qu’il faut considérer moins comme une « imitation » des images venues d’Amérique (par le cinéma et la bande dessinée, principalement) que d’un travail de réception et d’adaptation vers le public français. C’est bien l’Amérique imaginaire mise en fiction et non un volet plus documentaire qui m’intéresse ici.
L’année 1934, qui voit l’arrivée en France du fameux Journal de Mickey et de quantité d’autres illustrés pour enfants diffusant des comic strips américains est certes un moment important, mais autant le nuancer d’emblée : avant cette date, la culture américaine a déjà pénétré la France et les dessinateurs français connaissent leurs collègues américains et leurs techniques : ainsi de Martin Branner, auteur de Winnie Winkle (Bicot en français), diffusé en France dès 1924. De fait, Mickey et Felix le chat paraissent dans la presse quotidienne française dès le début des années 1930 et d’importants dessinateurs de la période interprétent déjà les Etats-Unis comme une destination possible pour leurs héros globe-trotter : Alain Saint-Ogan (avec Zig et Puce, en 1925), Louis Forton (Bibi Fricotin, vers 1930), Hergé (qui commence Tintin en Amérique en 1931) pour citer les plus connus. Autour de ces trois auteurs se constituent déjà un premier visage de l’Amérique des années 1930, plus fantasmé que réel, fait d’un mélange de cow-boys et d’indiens, de gratte-ciel et de modernité haut-de-gamme, de culte de l’argent-roi et de prohibition1. Bien souvent, à l’égal des colonies ou de l’extrême-orient, les Amériques sont un terrain de jeu propice à « l’aventure » à tendance exotique : la pratique du stéréotype y est donc essentielle.
Mais c’est surtout après la seconde guerre mondiale que l’influence culturelle des Etats-Unis s’accroît. Pour reprendre l’analyse de l’historien Jean-François Sirinelli : « L’influence américaine, perceptible dès 1939, va connaître une montée en puissance dans ces années d’après-guerre.Car ses vecteurs furent alors souvent des supports culturels de masse aux effets démultiplicateurs. ». Le contexte de guerre froide fait de cette acculturation américaine un enjeu géopolitique particulièrement pregnant à l’heure où la France se rapproche du bloc occidental. L’influence des Etats-Unis n’est pas seulement l’importation directe de la production américaine : elle est davantage une acculturation de la culture française, en particulier dans le domaine de la bande dessinée où la loi du 16 juillet 1949 tend à contrôler l’importation de bandes dessinées étrangères (sans y parvenir véritablement). Dès la fin des années 1930, et plus encore dans la décennie suivante, les dessinateurs français et belges reprennent les thèmes et les formes des productions américaines, parfois sur des sujets « locaux », parfois sur des sujets « à l’américaine ». L’essentiel est que les thèmes américains, fédérateurs car démultipliés sur différents supports de consommation large, plaisent au jeune public. C’est pour cette raison que certains dessinateurs français semblent atteint par la fascination des Amériques (et aussi, peut-être, parce qu’ils sont eux-mêmes des consommateurs de cette culture : l’exemple de Morris est ici le plus connu), et y compris pendant l’Occupation qui est ici un maillon essentiel : l’interdiction d’importer des bandes américaines est une des raisons qui a pu entraîner les français à produire « à l’américaine ».
Un des exemples de cette appropriation européenne d’un imaginaire typiquement américain, né même aux Etats-Unis et parlant des Etats-Unis, est le western3. Déjà présent dans Zig et Puce et Tintin, l’ouest sauvage y est encore un signe d’exotisme parmi des aventures variées. Après la guerre, il devient résolument un « genre » de bande dessinée européenne avec ses propres références visuelles. La bande dessinée n’en a d’ailleurs en rien le monopole : les fameux western-spaghetti de l’italien Sergio Leone seront là pour le prouver dans les années 1960. Il est vrai, cependant, que la Nouvelle Vague française subira plus l’influence du film noir que du western, alors que ce second genre s’exprime tout particulièrement en bande dessinée franco-belge. On le retrouve comme un genre à part entière et autonome, aussi bien dans la bande dessinée de revues (Tintin, Spirou, Vaillant, Coq Hardi…) que dans les petits formats, ces publications de récits complets qui constituent une large partie des ventes de bande dessinée dans les années 1950-1960 (chez Lug, Artima, Sagédition). Le foisonnement des titres donne une idée du phénomène : parmi ceux passés à la postérité, pensons à Lucky Luke de Morris (1946), Jerry Spring de Jijé (1954), Chick Bill de Tibet (1953), Sergent Kirk d’Hugo Pratt et Hector Oesterheld (1953)… Je parle d’appropriation plus que d’imitation dans la mesure où la déclinaison du western en bande dessinée, dès les années 1950, prend des formes extrêmement variées, de l’humour pur à l’aventure à la plus sérieuse. Chaque auteur y trouve des codes qu’ils traitent différemment selon ses objectifs. Blueberry de Jean-Michel Charlier et Jean Giraud et Les Tuniques bleues de Willy Lambil et Raoul Cauvin apparaissent sensiblement à la même date (1965 et 1968) et relèvent d’approches complètement différentes du western.
Cependant, le point commun de la plupart des auteurs cités plus haut un goût pour les images de l’Amérique, en particulier celles que diffusent le cinéma. A ce titre, Lucky Luke est une merveille d’ambiguité, en particulier lorsque René Goscinny commence à la scénariser vers 1954 : là où Morris employait le plus sérieusement du monde l’imagerie des westerns (les figures mythiques, les rodéos, les duels au pistolet…) quitte même à emprunter des scénarios et des scènes à certains films, Goscinny les détourne au profit d’une modalité parodique basée sur le stéréotype, l’un de ses procédés comiques favoris. Il ne s’agit plus d’emprunt mais de détournement. Par ailleurs, dans Les Tuniques bleues, série humoristique, les deux auteurs tentent de coller à l’histoire de la guerre de Sécession et à certaines scènes « fortes », dont des images sont généralement reprises au début des albums. Le scénario fait alors l’objet d’une documentation précise : la bataille de Bull Run en 1861 fait l’objet d’un album éponyme. A travers ces deux exemples, on peut saisir toute l’ambiguité de l’image des Amériques qui est contenu dans l’interprétation du genre « western » : ambiguité du type d’images choisies (d’origine plutôt cinématographique et fictionnel, ou plutôt documentaire) ; ambiguité de l’appropriation qui en est faite (imitation sérieuse et admirative ou jeu sur les stéréotypes et le décalage). Enfin, quoi de mieux que de considérer deux séries diamétralement opposées et pourtant diffusées en même temps en France et traitant de la même période historique : Blek le roc par le studio italien Esse-E-Gesse (1955) et Oumpah-Pah de Goscinny et Albert Uderzo (1958). Dans les deux cas, l’univers est l’Amérique originelle des trappeurs du dix-huitième siècle ; mais au ton sérieux et épique du premier s’oppose le traitement exagérément comique et anachronique du second. On ne s’étonnera guère d’un traitement multiple d’un même sujet ; l’acculturation de la France par les Etats-Unis n’est pas un phénomène homogène, du moins pour la bande dessinée. Mais dans un cas comme dans l’autre, ce qui domine est le jeu sur des stéréotypes et des images et scènes reconnaissables par le lecteur.

De l’exaltation de l’Amérique héroïque à la décadence impériale


Après cet intermède historique qui nous permet de savoir d’où l’on part, revenons à Oklahoma Boy. Du point de la vue de la tentation des Amériques, le récit apparaît profondément ambivalent : à la fois la fascination pour ce pays y est bel et bien présente, et s’exprime naturellement sous la forme de l’emploi d’images évocatrices (l’évangélisme, les enfants en salopette abandonnés à eux-mêmes, sorte de reminiscence des romans de Mark Twain), mais en même temps, l’écueil du stéréotype est évité par un regard décalé, indirect, qui n’idéalise pas la culture américaine, mais en dévoile les aspects les plus sombres et les plus violents, du moins à nos yeux européens.
Si les décennies 1940-1960 sont marquées par la focalisation sur un nombre limité de thèmes pleinement américains, tels que la conquête de l’ouest et la guerre de sécession, c’est à un phénomène bien différent que nous assistons actuellement, me semble-t-il, dans la bande dessinée de langue française. En effet, depuis le début des années 2000, plusieurs auteurs se sont emparés des Etats-Unis avec l’intention d’en diffuser d’autres images au service de la fiction, tout en conservant le rythme de l’aventure historique des productions de l’après-guerre. Ce sont eux qui m’intéressent à présent parce qu’ils définissent un « contexte » de création et de circulation des images en pleine évolution. Est souvent cité Christophe Blain, dont la série Gus (2007) renouvelle le genre du western, tant par un trait jusque là peu employé dans ce domaine que par des préoccupations humoristiques contemporaines qui démontent délicatement l’image classique du cow-boy. Dans la même veine, Lincoln d’Olivier et Jérôme Jouvray (2002) se situe plus franchement dans une parodie de western avec un anti-héros cynique. Enfin, et pour terminer sur les westerns contemporains, Martha Jane Cannary, de Mathieu Blanchin et Christian Perrissin prennent résolument le contre-pied du cliché en étudiant un stéréotype de la légende de l’ouest sauvage (Calamity Jane) sur un mode documentaire et réaliste, inspiré par les écrits de Calamity Jane (2008). Plus récemment et sortant du seul western, je ne manquerai pas de signaler d’autres dessinateurs qui développent d’autres images des Etats-Unis : avec Fred Boot, auteur, entre autres, de Gordo, un singe contre l’Amérique (2008) ou Aseyn, auteur d’Abigail (2010). Chez eux, la culture américaine est bien un champ idéal où l’on va piocher des images : imaginaire des séries policières retro et de leurs intrigues rythmées chez Fred Boot, super-héroïsme revu au filtre de l’enfance chez Aseyn. On assiste ici à une diversification, à la recherche de nouvelles images pour parler des Etats-Unis. Chez ces auteurs, le style est également une marque de différenciation avec la tradition. En réalité, dès les années 1980, des auteurs comme Loustal ou Götting renouvellent les imaginaires américains de la bande dessinée. Non que des westerns plus traditionnels aient disparu : au contraire, Blueberry et Lucky Luke continuent de paraître, tandis que d’autres titres naissent dans une veine fidèle à la codification du genre et à son rythme, tout en lui donnant un souffle nouveau (Bouncer de Boucq et Jodorowsky et W.E.S.T. de Xavier Dorison et Christian Rossi). Simplement, tandis que les genres représentant symboliquement les Etats-Unis, comme le western, sont à présent mûrs pour être détournés et remis en perspective, ce sont de nouveaux mythes américains qui émergent, se concentrant davantage sur les années 1950, l’entre-deux-guerres et la première guerre mondiale. Des périodes plus sombres qui ne sont plus celles d’un héroïsme conquérant mais de grandes crises touchant le monde occidental.

Ce qui frappe surtout est le passage de l’héroïsme épique, de l’aventure presque fondatrice, dans le cas du western, à l’image d’une Amérique crépusculaire dont les failles ressortent bien plus que les succès. En cinquante ans, l’image des Etats-Unis a changé, et certains dessinateurs de bande dessinée en ont pris la mesure. Je me risquerais, sans trop m’aventurer sur un terrain que je connais trop peu, de relier ce phénomène au cinéma américain qui, lui aussi, revisite de grands genres américains (le western et le film de super-héros) sur des modes beaucoup plus désabusés : prenons pour exemples There Will Be Blood de Paul Thomas Anderson (2007) et The Dark Knight de Christopher Nolan (2008). Tous deux se veulent infiniment plus pessimistes et sombres sur la conquête de l’ouest dans un cas, et les Etats-Unis contemporains dans l’autre. Auprès du public européen, ils contribuent à un renouvellement profond des images.

Le lien entre ce nouveau cinéma américain et Oklahoma Boy me semble possible, même si Thomas Gilbert ne le revendique pas et, au contraire, en appelle aussi à des références plus musicales et littéraires. Néanmoins, le ton des deux albums est véritablement sombre, et traduit une vision des Etats-Unis qui, sans être négative, est ambiguë, entre la folie religieuse et une violence sauvage déjà présente dans certains westerns tardifs moins héroïques. Voyons un peu comment Thomas Gilbert se débrouille avec les images de l’Amérique qu’il intègre dans son récit.
C’est bien le western qu’évoque le premier tome, genre dont Thomas Gilbert isole quelques éléments visuels reconnaissables : les paysages rocheux et rougis, les églises de bois, le soleil au zénith… Ainsi avance-t-on en terrain connu. Mais bien vite Thomas Gilbert se livre à un évitement des stéréotypes et du piège du « genre ». Le western est associé à d’autres images, peut-être parodoxalement plus modernes en tant que représentation des Etats-Unis, comme le Ku Klux Klan et la ségrégation, face sombre de l’Amérique de l’après guerre de sécession. Surtout, l’insistance sur la religiosité est une donnée assez originale, et qui sonne pourtant très juste (peut-être fait-elle écho aux évolutions de l’Amérique actuelle ?). A travers elle, Thomas Gilbert peint une nation de croyant qu’il fait dialoguer avec d’autres images qui semblent venir de l’extérieur : ainsi, les démons qu’Oklahoma Boy voit dans ses transes évoquent avant tout des représentations de la Renaissance européenne.
Avec le deuxième tome, le refus de se laisser enfermer dans un genre et une période est évident, puisque nous sommes transportés dans la première guerre mondiale. On quitte donc les Etats-Unis, mais le personnage central reste pour nous un repère fort de cette culture. Elle se transmet ici par deux éléments essentiels. Tout d’abord la religion, qui fait écho au premier épisode, puisqu’Oklahoma est devenu pasteur et que, chargé de délivrer l’extrême-onction aux soldats sur le champ de bataille, il entremêle encore plus qu’avant la religion et la violence. Mais surtout, au milieu des combats, les Etats-Unis sont signe d’espoir, et, graphiquement, les seules véritables « couleurs » d’une palette noire et rouge : qu’il s’agisse de la bannière étoilée ou des souvenirs du pays. Là encore, Thomas Gilbert marque sa différence en exportant les Etats-Unis dans l’Europe en guerre et en insistant non sur l’héroïsme, mais sur l’horreur et la folie.
Sans doute est-ce la violence omniprésente et l’exagération qui éclatent avec le plus d’évidence comme nouveau signe graphique des Etats-Unis, servi par l’expressivité de Thomas Gilbert : violence du sang qui ne cesse de jaillir tout au fil des pages, venant de tous les côtés. Exagération des visions fantasmatiques du jeune fanatique qui croit devenir un héros universel, sauvant l’humanité toute entière. En cela, la vision de Thomas Gilbert n’est pas si loin de l’image des Etats-Unis du début du vingtième siècle vu d’Europe : un pays qui prend de plus d’ampleur dans un contexte de crise grave et de violence accrue. Ce que Thomas Gilbert dépeint avec le personnage d’Oklahoma Boy, c’est une forme de puissance incontrôlée d’un pays encore jeune, sa face sombre et ambiguë, car, dans le fond, les croyances du jeune héros justifient ses crimes : il n’est ni un héros, ni un anti-héros, mais un héros de l’obscurité, et c’est en cela qu’il fait écho pour moi à la transformation du personnage de Batman qui, sous le crayon de Frank Miller, puis derrière la caméra de Christopher Nolan, s’est assombri de plus en plus. Lorsqu’Oklahoma Boy, au plus profond des combats, fantasme sa propre personne en un monstre surpuissant de griffes et de sang, il incarne un dieu guerrier ambigu, à la fois vengeur et destructeur. On ne se borne plus ici à simplement constater la puissance de la culture américaine, mais plutôt à l’analyser, quitte à découvrir ses mécanismes les plus inquiétants. Oklahoma Boy le temps de quelques albums, nous indique une nouvelle perception des Etats-Unis qui ne fascine plus l’Europe pour son héroïsme, mais pour l’étendue de la violence et de la folie qui émane de sa culture.



Pour lire une partie des albums d’
Oklahoma Boy en ligne : tome 1 ; tome 2

La dernière cigarette, Alex Nikolavitch et Marc Botta, La Cafetière, 2004

La dernière cigarette nous est offerte par Messieurs Alex Nikolavitch (scénario) et Marc Botta (dessin) aux éditions La Cafetière. Le récit court, au rythme maitrisé, se déroule dans la deuxième moitié de la seconde guerre mondiale, sur le front de l’est de l’Europe, et dans les cendres encore chaude de l’après-guerre en Allemagne. En toute subjectivité, le graphisme d’un flou élégant est associé à un texte simple et incisif, dont le traitement sobre et sombre fait ressentir la mélancolie qu’ont pu vivre les acteurs de ces évènements.

Séduit par cette bande dessinée, le propos de ce billet est de livrer quelques raisons expliquant pourquoi ce récit si court et sobre m’a autant plu. Attention, il serait dommage de lire ce commentaire avant de lire l’œuvre.

 

Forces d’un graphisme qui sert la narration.

Sur des planches à peine plus grandes que du A5, le récit est partagée entre du noir et blanc et des passages en « couleur ». En fait de couleur il ne s’agit que d’un dégradé d’ocres ajouté au noir et blanc, mais cela suffit à donner une fraîcheur aux passages ainsi marqués, qui se rapportent aux évènements se déroulant après l’arrêt officiel des combats. Le lecteur, ainsi guidé de manière plus ou moins inconsciente par ce code et par d’autres indices graphiques (les uniformes, en particulier), n’est jamais perdu dans la chronologie. Cela permet au narrateur de faire alterner deux temporalités qui avancent en parallèle et se font écho, l’une pendant la guerre et l’autre dans une paix dont la saveur n’est pas plus douce, sans toutefois que le texte se retrouve alourdi par des précisions chronologiques devenues inutiles. Ce procédé fonctionne d’autant mieux qu’il est utilisé de manière discrète. Sur le trait et la texture du dessin, je dois préciser que je suis admiratif du style adopté, mais les avis divergent probablement, en particulier sur ce qui peut être un abus de flou pour les visages et silhouettes des personnages. Cela permet en tout cas à chacun de plaquer les expressions qu’il imagine, là où un dessin précis ne pourrait pas convenir à l’imaginaire de tous en exprimant des émotions trop figées.

La dernière cigarette utilise une des principales forces de la bande dessinée : combiner l’image et le texte et, dans ce cas, ne garder qu’un texte efficace.

 

 

Comment un monologue descriptif peut-il maintenir l’attention du lecteur ?

Une grande part du récit suit le monologue d’un soldat-narrateur. Ce procédé facile peut parfois manquer d’intensité, mais cela n’est pas le cas ici grâce deux ressorts. Le premier consiste à se reposer sur une culture préexistante sur cette période de l’histoire et à utiliser le graphisme pour se contenter d’ouvrir des portes en ne s’attardant que très peu sur chaque point. Le résultat est un tableau dense d’évocation. Le second ressort consiste à distiller dans ces tableaux des éléments cyniques sur des réécritures de l’histoire par les alliés vainqueurs.

 

De la bonne utilisation des coïncidences.

Dans beaucoup de récits, on trouve des coïncidences en grand nombre, qui sont souvent amenées sans aucun effort de justification et qui surtout n’apportent pas grand-chose. Un défaut de ce procédé est que l’on finit par perdre les effets que pourraient apporter certaines de ces coïncidences (à commencer par la surprise). Par exemple, quand deux personnages se retrouvent contre toutes probabilités, l’esprit critique peut être réveillé par les grosses ficelles du scénario, aux dépens des émotions ou du message. Dans le récit proposé par Nikolavitch, les deux protagonistes se croisent à deux reprises, chaque fois contre leurs volontés. Cela apparait ici comme le résultat d’une fatalité digne d’un mythe, dont certains apprécieront l’ironie tandis que d’autres pourront trouver qu’elle s’insère bien dans l’absurdité de la guerre. Par ailleurs, le lien utilisé pour forcer la seconde rencontre, s’il reste une coïncidence de faible probabilité, est loin d’être invraisemblable et, surtout, il apporte une charge symbolique riche sur le dernier tiers du récit.

Un deuxième exemple de coïncidence bien utile permet à un soldat russe de converser avec un allemand russophone pendant la guerre puis avec un américain russophone dans l’après guerre, à une époque où il n’était pas forcément fréquent que deux soldats ennemis puissent se comprendre. Ces brefs échanges bilatéraux entre les trois camps apportent de la matière au récit et, encore une fois, le scénariste se débrouille pour que cela n’apparaisse ni comme une surprise artificielle, ni comme une banalité sans crédibilité.  La justification qu’il offre dans le second cas apporte même matière à penser sur la notion d’ennemi.

Sans qu’il s’agisse vraiment d’une coïncidence, on peut aussi saluer l’utilisation de la cigarette comme point fixe commun à deux scènes qui se font écho, donnant un sens ex-post très fort au titre au récit.

 

Sur la richesse des thèmes évoqués.

Concernant, la guerre, La dernière cigarette aborde des thèmes qu’il est toujours intéressant de revisiter ou même d’effleurer, pour se souvenir comme pour comprendre :

  • La justice des vainqueurs, avec l’un des procès d’anonymes éclipsés dans la mémoire collective par les procès de Nuremberg.
  • La capacité d’un homme conditionné à faire un choix.
  • La proximité avec l’ennemi pour un soldat.
  • Le malheur d’appartenir à un pays en guerre pour un soldat, un peu comme le fait de n’avoir pas choisi ses parents.
  • Le front de l’est de l’Europe et certaines actions perpétrées par les armées du Reich et de l’Union soviétique pendant, respectivement, la fuite et la marche vers Berlin.

 

Pour terminer, une dernière approche : la Description par référence à des œuvres connues.

Il n’est pas question, dans ce paragraphe, de juger si une modeste bande dessinée est digne d’être comparée à l’une ou l’autre des références suivantes. En revanche, il est possible de positionner en quelques mots son contenu par rapport à d’autres œuvres afin de définir les contours de ce que nous offrent Nikolavitch et Botta.

  • De la même manière que Les bienveillantes de Jonathan Littell met en perspective la folie de la guerre et la folie d’individus qui en sont acteurs, cette bande dessinée illustre une vision sans espoir de la guerre et de l’après-guerre par les témoignages de personnages désabusés.
  • L’intensité de la mélancolie et du cynisme rappelle le roman Kaputt de Curzio Malaparte (l’absurde et l’humour en moins).
  • Les passages sur l’armée allemande en déroute rappellent l’atmosphère donnée dans le film La chute (Der Untergang) d’Oliver Hirschbiegel.
  • Contrairement aux personnages-héros du scénario de Stalingrad de Jean-Jacques Annaud, les protagonistes de La dernière cigarette ont des rôles plus anonymes et l’identification n’en est plus forte.

 

Theoden Janssen

Fort en moto, FLBLB, 2011

La sortie d’un roman photo est un événement suffisamment rare pour être souligné… Récemment, ce sont les éditions FLBLB qui, sous l’impulsion de Grégory Jarry, tentent de redynamiser un genre par trop mésestimé. Mais qu’est-ce qu’au juste que le roman photo, et quels sont ses liens éditoriaux avec la bande dessinée ? Petit passage par les années 1980 et par Jean Teulé, un des plus inventifs représentants du genre, avant d’en arriver à nos jours.

Le roman-photo, histoire et délégitimation
Le roman-photo est un moyen d’expression qui, par les coups du sort de l’histoire, n’a jamais véritablement connu un développement conséquent comme la plupart de ses cousins : la littérature, le cinéma, la bande dessinée. Il est resté en marge du processus du légitimation culturelle qui permit, à partir des années 1950, à des medias comme la bande dessinée ou à des genres comme la science-fiction ou le polar, de se diversifier et d’emprunter des chemins neufs, touchant aussi bien un public populaire que savant. Pire encore, le roman-photo a connu une forme de regression en ne parvenant pas à s’extirper de l’image d’un support pour bluette sentimentale. C’est en effet dans le genre du mélodrame domestique que le roman-photo a connu sa plus grand notoriété au sortir de la seconde guerre mondiale, dans une production sérielle et stéroétypée pour des magazines féminins à faible ambition artistique comme Nous deux. Le problème n’est d’ailleurs pas que ce type de production existe : le problème est qu’elle est bien trop de visibilité et que le public, prenant la partie pour le tout, assimile le roman-photo à un objet culturel nécessairement populaire et sentimentale.
Car pourtant, d’autres roman-photos ont existé, et existent encore, et c’est dans ce dédale que je voudrais vous amener, même si ma connaissance du domaine reste extrêmement partielle et que ls ouvrages qui en traitent sont rares. Je m’arrêterais principalement sur deux titres : un « ancien », Banlieue sud, de Jean Teulé (1981) et un tout récent, Fort en moto, album collectif paru chez FLBLB. Mais d’abord, chers lecteurs, un peu d’histoire…

Ce n’est pas l’histoire du roman-photo que je vais vous retracer mais plutôt celle de sa collusion avec le monde de la bande dessinée : ses auteurs et ses éditeurs. S’il existe des auteurs et des éditeurs de roman-photo, l’une des caractéristiques du medium est d’avoir été en quelque sorte « adopté » par une partie du microcosme de la bande dessinée qui l’interprète comme un champ possible de la création. Je ne vais pas m’étendre ici sur les liens entre roman-photo et bande dessinée, Philippe Sohet, dont je vous recommande la lecture de l’article en ligne, « Les ruses du roman-photo contemporain » l’a bien fait, ainsi que Jan Batens. L’essentiel est de comprendre que, si les deux media ont plusieurs points communs, ils diffèrent suffisamment pour qu’on évite de considérer le roman-photo comme une simple déclinaison de la bande dessinée. En revanche, l’une des passerelles entre les deux est justement le travail de certains auteurs et éditeurs qui, tout au long de la seconde moitié du XXe siècle, ont considéré roman-photo et bande dessinée comme faisant partie d’un même ensemble éditorial.
C’est autour d’une nouvelle presse que roman-photo et bande dessinée vont se croiser dans les années 1960, au sein de revues composant une forme de contre-culture souvent contestataire pour qui la hiérarchie des moyens d’expression n’existe pas, et le dessin et la photographie méritent de figurer en bonne place, de même que l’érotisme et l’humour peuvent être des registres nobles. Au sein de l’édition de bande dessinée, le roman-photo va pouvoir connaître quelques développements nouveaux. En 1967, Jean-Claude Forest, illustrateur, dessinateur et scénariste de bande dessinée, publie le roman-photo Les magiciennes dans la revue Plexus, croisant l’érotisme ébouriffé et libéré de la décennie avec l’expérimentation visuelle surréaliste (rappelons que le montage photographique vient des expériences avant-gardistes des dadaïstes, puis des surréalistes). Exactement en même temps, la revue Hara-Kiri fondée par le professeur Choron et François Cavanna, fait paraître des romans-photos. Ceux réalisés par Gébé et Lépinay ont d’ailleurs fait l’objet d’une réédition chez FLBLB en novembre 2010 sous le titre Malheur à qui me dessinera des moustaches. Le professeur Choron lui-même s’avérera être un grand auteur de romans-photos humoristiques transgressifs (là encore réédités en 2009 chez Drugstore). La proximité éditoriale entre bande dessinée et roman-photo est manifeste puisque les éditions du Square, qui publient Hara-Kiri, sont aussi à l’origine de Charlie mensuel, revue consacrée à la bande dessinée ; et, bien sûr, le dessin et la bande dessinée ont leur place dans Hara-Kiri sous le crayon de Topor, Gébé, Fred, Siné, Cabu, Wolinski, Reiser… Les années 1960 avaient ainsi tracé une première voie à un roman-photo alternatif, utilisant le cliché détourné à des fins surréaliste et/ou humoristique, et souvent volontairement agressif. C’est une veine provocatrice et iconoclaste qui cherche ici à concevoir une autre forme de roman-photo, peut-être plus artisanale mais nettement plus drôle et inventive.
Le collectif Bazooka, qui rentre en scène au milieu des années 1970, n’est pas si loin de l’esprit hara-kirien : même goût pour la provocation gratuite, même volonté de demeurer dans la contre-culture, même esprit de dérision face à l’absurdité du monde, même inspiration du côté de mouvements philosophico-artistiques tels que le dadaïsme et le situationnisme. Ce sont bien des revues de bande dessinée de la nouvelle presse pour adultes (Hara-Kiri, Charlie mensuel, Actuel, L’Echo des savanes, Métal Hurlant) et des éditeurs comme Futuropolis qui vont permettre au groupe Bazooka de diffuser leurs travaux. Ses membres pratiquent en particulier le montage d’images et la retouche sur photos, et proposent en cela une démarche plus artistique qu’artisanal. Le travail de Bazooka exerce une influence sur de nombreux auteurs de bande dessinée, dont Jean Teulé… Mais patience, je vais en venir à lui.

Jean Teulé incarne bien, pendant les années 1980, les liens entre roman-photo et bande dessinée puisque ses travaux, essentiellement basés sur des clichés photographiques, sont publiés par des éditeurs de bande dessinée. De son côté et à la même époque, Bruno Léandri fait vivre avec verve la tradition potache ouverte par Choron dans Fluide Glacial. Toutefois, il faut souligner la collaboration entre Benoît Peeters et Marie-François Plissart entre 1983 et 1993 : le temps de quelques ouvrages, ils ouvrent une autre voie, très différente, au roman-photo. Dans des « récits photographiques », ils mêlent photos retouchés et textes dans un but qui n’est pas humoristique ou transgressif mais simplement romanesque. Par ce travail, la contre-culture cesse d’être le seul lien entre roman-photo et bande dessinée. Il s’agira toutefois d’une initiative plutôt isolée.
Dans les années 1990-2000, cette ébauche de diversité se poursuit doucement avec une production qui suit les tendances présentées plus haut. Léandri continue inlassablement d’honorer la mémoire de Choron : Fluide Glacial, mais aussi Ferraille, poursuivent la pratique d’un roman-photo satirique qui se diffuse par les revues. C’est aussi la voie que suit Dimitri Planchon avec Blaise, série réalisée en photomontages et publiée dans L’Echo des savanes, sorte de radiographie acide de la gauche bourgeoise de notre temps. En 1996, Jean Lecointre et Pierre La Police poussent encore plus avant le détournement surréaliste et horrifique d’images dans La balançoire de plasma (réédité chez Cornélius en 2006). Enfin, la photographie inspire également un dessinateur comme Emmanuel Guibert qui publie en 2003-2006, avec le photographe Didier Lefèvre, la série justement intitulée Le photographe qui mêle textes, dessins et photographies. Sans parler réellement de roman-photo, Le photographe fait la jonction entre l’émergence d’une bande dessinée dite « de reportage » qui veut s’ancrer dans la réalité et l’apport du photoreportage comme moyen d’expression.

Mais, outre la solide tradition humoristique et satirique qui va d’Hara-Kiri à Fluide Glacial en passant par L’Echo des savanes, l’initiative la plus durable de ces dernières années en matière de roman-photo concerne les éditions FLBLB et la figure de Grégory Jarry qui en est l’un des fondateurs (1996 pour la revue, 2002 pour la maison d’édition). Grégory Jarry est lui-même un auteur de roman-photo : il publie en 2004 chez Ego comme X L’os du gigot, puis poursuit dans cette voie avec Savoir pour qui voter est important chez FLBLB en 2007. Le premier de ces albums a été numérisé par Ego comme X et mis en ligne gratuitement avec accord de son auteur, comme une partie de leurs archives (à lire ici). L’occasion de découvrir le travail de Jarry, qui oscille entre la voie satirique et le travail documentaire : L’os du gigot est une oeuvre sur la notion de témoignage et sur la transmission de la mémoire par l’image photographique qui démontre, s’il en était besoin, que le roman-photo peut aussi servir à livrer des oeuvres profondes, même sans retouches et montages comme chez d’autres auteurs, le style de Jarry étant extrêmement classique et lisible.
Au sein des éditions FLBLB s’opère un véritable travail de réhabilitation du roman-photo. Il s’agit d’abord d’en rééditer des oeuvres importantes (le recueil de Gébé et Lépinay déjà cité). Puis d’en démontrer la diversité d’approches (fiction, documentaire, pour adultes, pour enfants, sous forme de flip-book…). Enfin, de promouvoir la création auprès de jeunes auteurs, ce qu’on verra plus loin avec Fort en moto.

Jean Teulé : roman-photo années 1980

Revenons un peu du côté de Jean Teulé. S’il suit une formation d’illustrateurs, c’est bien par la photographie qu’il aborde la bande dessinée, dans l’idée de s’approprier un outil moderne plutôt que le traditionnel papier/crayon. Pendant la décennie 1980, la carrière de Jean Teulé apporte un renouveau considérable dans la bande dessinée, par l’emploi d’une technique mixte de photos retouchées ; considérable par la radicalité et l’originalité de son approche de l’image, mais bref puisqu’il abandonne la bande dessinée dès 1990 pour se consacrer à l’écriture. Présent dans plusieurs revues pour adultes (L’Echo des savanes, Charlie, (A Suivre), Circus), il publie quelques albums chez les éditeurs de bande dessinée correspondant : aux éditions du Fromage (maison d’édition de L’Echo des savanes avant son rachat par Albin Michel dès 1982), Glénat (Bloody Mary avec Jean Vautrin, prix de la critique de l’ACBD en 1984) et Casterman (Gens de France, prix spécial du jury au FIBD 1989). Teulé oscille entre la fiction et un travail documentaire proche du photoreportage « social ». Même ses fictions restent d’importantes chroniques de son époque, de la banlieue, du monde rural, des « gens de France » qui donneront leur nom à son plus célèbre album.
Banlieue sud correspond plutôt au début de son travail sur le photoreportage et n’est pas aussi abouti, au niveau du propos, que Gens de France, et plus trash dans sa vision de la société. Nous sommes clairement là dans de la fiction, ce qui ne signifie pas que la réalité n’est pas à portée de main. L’album publié en 1981 aux éditions du Fromage réunit cinq histoires de taille variée qui furent toutes publiées dans L’Echo des savanes durant l’année 1980. Leur point commun est de s’intéresser à des paumés, chomeurs, loubards, fous, sur lesquels le destin s’acharne inexorablement. Un soupçon de fantastique vient parfois relever des situations glauques et l’absurde n’est jamais très loin, comme une triste ironie au-dessus de la tête de chacun des protagonistes. L’histoire qui donne son nom au recueil, Banlieue Sud, est le paroxysme de cette vision noire de la société contemporaine. Deux loubards désoeuvrés décident un jour de voler le chien d’une vieille sculptrice un peu folle. Ils le regretteront amèrement car leur victime est loin d’être sans défense. Dans le monde de Banlieue Sud, des paumés s’attaquent à d’autres paumés, et l’emploi de la photographie ne fait qu’accentuer la sordide réalité de cet univers de vieilles maisons abandonnées, de chemins de fer, de terrains vagues, qui pourraient être celles du bas de notre rue (si trente ans n’avait pas passé depuis…).

Le travail de Jean Teulé n’est pas du roman-photo « pur » dans le sens où il retouche la matière première photographique. Ce travail de retouche est ce qui le différencie le plus des deux traditions antagonistes du roman-photo qui le précèdent : celle des bluettes romantiques et celle des farces hara-kiriennes. La photographie n’est pas prise dans son état d’origine, mais elle n’est qu’une première étape. L’image est déformée, parfois jusqu’à l’horreur ou la saturation expressive. C’est toute la saleté de l’âme de ses personnages qui s’imprime sur la pellicule. Par la suite, notamment dans Gens de France, le choix clair de l’approche documentaire l’amènera à se renouveler et à interpréter l’image intacte. En ce début de décennie 1980, la force contestatrice et le goût du baroque « pop » des décennies précédentes, trafiquant et déformant l’image tout azimut, produit encore ses effets.
Banlieue sud retrace aussi l’esprit d’une époque, mais sa noirceur peut s’apprécier à tout moment. D’autant plus que les textes ciselés de Jean Teulé, auxquels il attache une grande importance, nous transporte dans tout un univers d’argot et de poésie de banlieue. Rares sont les bandes dessinées où le texte atteint cette qualité poétique.

Fort en moto ou le retour du roman-photo à l’aube d’un nouveau siècle.

On aurait pu croire le roman-photo éteint à l’exception de quelques albums déjà cités plus haut. Heureusement, Grégory Jarry s’est mis en tête de le ranimer, non seulement lui-même, mais en motivant de jeunes auteurs. Fort en moto est le fruit de cet activisme, comme l’explique délicieusement la quatrième de couverture : « Les éditions FLBLB ont tiré du caniveau onze jeunes auteurs de bande dessinée, on leur a donné des vêtements décents, une miche de pain et pour les aider à se réinsérer, on les a obligé à réaliser des romans-photos. ». Ce choix du collectif, outre qu’il offre à de jeunes auteurs qui, pour la plupart, sortent de l’Ecole de l’Image d’Angoulême, une première occasion de publication professionnelle, permet d’apprécier plusieurs déclinaisons possibles du roman-photo, et d’en explorer les possibilités multiples. Si l’histoire qui ouvre le recueil, Aux chiottes de Cléry Dubourg, Daniel Selig, Léo Louis-Honoré, utilise les ressources classiques des romans-photos humoristiques de Léandri, d’autres réalisations innovent largement. Jon, de Robin Cousin, opère un vrai travail sur la répétition des images et sur l’identité, tandis que Façonnée, de Morgane Parisi, utilise la photographie comme souvenir et persistance d’une adolescence montagnarde.
Le plus étonnant est de voir combien le cinéma peut être une source d’inspiration dans la conception du roman-photo. Un constat que Jean Lecointre et Pierre La Police avaient déjà fait dans La balançoire de plasma en empruntant clichés et mises en scène aux films de série Z. Ici, dans L’écluse, Théo Calmejane et Mickaël s’inspirent du cinéma burlesque muet, de sa gestuelle exagérée et de ses panneaux de dialogue. Zot !, de Morgane Parisi, Erik Driessen, Fanny Grosshans et Robin Cousin est aussi, dans un autre registre, un voyage entre dessins et photos dans la SF absurde.
Car l’utilisation de la photographie n’empêche pas d’employer le crayon : Le manger de Morgane Parisi et Fanny Grosshans le prouve habilement sur fond de récit du quotidien.
Je suis loin d’avoir épuisé la diversité des histoires courtes de Fort en moto, qui réussissent à explorer un continent inconnu dont l’histoire est vraiment à redécouvrir.

Pour en savoir plus :

Fort en moto (collectif), FLBLB, 2011
Grégory Jarry, L’os du gigot, Ego comme X, 2004 (à lire intégralement en ligne)
Gébé et Lépinay, Malheur à qui me dessinera des moustaches, réédition FLBLB2010 (histoires parus dans Hara-Kiri entre 1962 et 1966).
Jean Teulé, Banlieue sud, Editions du Fromage, 1981… Malheureusement pas réédité, comme la majeure partie de l’oeuvre en images de Teulé : je vous conseille donc l’achat de Gens de France, Casterman, 1988 mais réédité en 2006 par Ego comme X… Ouf !
Article de Philippe Sohet : « Les ruses du roman-photo contemporain », analyse intéressante du roman-photo (1997) dans la revue Etudes littéraires, à lire en ligne
Lire aussi l’ouvrage de Jan Baetens, Du roman-photo, Médusa-Médias et les Impressions nouvelles, 1992
Une interview de Jean Teulé par Thierry Groensteen réalisée en 1987 et republiée sur le site d’Ego comme X

Mythe français et imaginaire japonais : La Rose de Versailles (Riyoko Ikeda)

La venue de Riyoko Ikeda au dernier festival d’Angoulême est l’occasion de revenir sur l’œuvre qui a fait son succès, La Rose de Versailles. C’est aussi l’occasion de commencer à effleurer le domaine du manga, bien peu présent jusqu’ici sur Phylacterium, il faut l’avouer.

Les mangas tiennent une place énorme dans le paysage français de la bande dessinée ; à l’inverse, la bande dessinée européenne est totalement absente du paysage culturel japonais. On peut légitimement s’interroger sur les raisons de cette relation à sens unique : inadaptation du format européen aux pratiques de lecture des lecteurs japonais ? timidité du côté des éditeurs français ? Protectionnisme de l’édition japonaise ? Cette question fort vaste ne sera pas traitée ici.

 

Tintin en japonais, une exception

 

Si les Japonais ne lisent pas les bandes dessinées occidentales, en revanche ils reprennent parfois des motifs occidentaux pour les adapter aux formats japonais : on peut s’étonner du caractère franchement occidental des villes de certains dessins animés japonais, au hasard celles de Cardcaptor Sakura (du collectif CLAMP) ou même des films de Hayao Miyasaki (Kiki la petite sorcière, ou même Le château ambulant). Il arrive aussi que le manga adapte à l’usage japonais des thèmes narratifs occidentaux : c’est ce qui se passe dans La Rose de Versailles, qui adapte aux codes et aux thèmes du manga l’histoire bien connue de Marie-Antoinette. La Rose de Versailles (en japonais ベルサイユのばら, Berusaiyu no bara) a été publié dans le magazine Margaret (マーガレット) en 82 épisodes, du printemps 1972 à l’automne 1973. Il a remporté rapidement un vif succès et a fait de son auteur, qui avait alors 25 ans, une mangaka reconnue. La Rose de Versailles a connu, dans sa version de poche, un tirage à 12 millions d’exemplaires et a été adaptée au théâtre par la troupe Takarazuka. La série télévisée qui en a été tirée, Lady Oscar a été diffusée entre 1979 et 1980 au Japon, puis dans le monde entier, mais Riyoko Ikeda n’a pas pris part à sa réalisation.

L’histoire de Marie-Antoinette comme mythe français

L’histoire de Marie-Antoinette peut à bon droit être considéré comme un mythe national français. Cette histoire n’est pourtant pas comptée au nombre des Lieux de mémoire1 et elle possède un statut ambigu, à la fois mythe républicain anti-monarchiste et expression d’une fascination certaine pour la vie de cour à la fin de l’Ancien Régime : à bien des égards, la figure de Marie-Antoinette est une anti-Marianne de la même façon qu’Ève est une anti-Marie (et vice versa).

Ce mythe est fait à la fois d’un fondement historique et de développements fictionnels. La réalité historique de cette période a été dépeinte par une multitude d’historiens et de manuels scolaires, même si la limite entre la réalité et la fiction est floue sur de nombreux points : si l’on a plus ou moins élucidé aujourd’hui les tenants et aboutissants de l’affaire dite du collier de la reine, en revanche bien des doutes subsistent sur la relation entre la reine et le comte de Fersen, sur les intentions de Louis XVI à différentes étapes de la Révolution, sur le rôle des Polignac et sur bien des acteurs de la cour de l’époque. Les événements eux-mêmes possèdent des côtés profondément littéraires. La fuite à Varennes, notamment, correspond exactement au schéma de la tragédie : dénouement connu et poutant attendu, personnages de rang élevé, rôle du destin, sentiment de terreur et de pitié, etc.

Autour de ce noyau d’événements historiques attestés, des motifs ont été inventés à l’époque, puis développés et élargis progressivement. Ces motifs tournent autour de l’intimité de la reine : amours avec Axel de Fersen, turpitudes autour de l’affaire du collier de la Reine, intrigues de la Polignac… Souvent sont ajoutés des personnages supplémentaires, comme le comte de Cagliostro dans la pentalogie des Mémoires d’un médecin2 d’Alexandre Dumas ou Oscar François de Jarjayes dans La Rose de Versailles. La trentaine de films qui se sont attachés à décrire l’histoire de Marie-Antoinette ont eux aussi leur lot de personnages secondaires inventés, à commencer par Lady Oscar, le film que Jacques Demy a tiré de La Rose de Versailles en 19783.

L’écriture de La Rose de Versailles

Riyoko Ikeda, en 1972, s’est appuyée sur la documentation qu’elle avait à sa disposition. Le 29 janvier dernier, à Angoulême, elle expliquait qu’elle avait d’abord reçu, à l’école, une vision assez simpliste de l’histoire de Marie-Antoinette, puis qu’elle avait eu à lire sa biographie par Stefan Zweig quand elle était en classe de 1re. Il faut rappeler que cet ouvrage de Zweig, sobrement intitulé Marie-Antoinette4, n’est pas un roman, contrairement à ce que prétend la préface de l’édition française du manga ; parmi les nombreuses biographies écrites par Zweig (Fouché, Magellan, Érasme…), Marie-Antoinette est l’une des plus rigoureuses, des plus exactes et des mieux documentées. Pour l’écriture du manga, Riyoko Ikeda s’est appuyée sur d’autres documents, dont nous ne connaissons pas le détail. Elle reprend tels quels de nombreux aspects du mythe, en particulier dans la première partie du manga : le règne de la Du Barry à Versailles, l’insouciance de la jeune Marie-Antoinette, la maladresse de Louis XVI, les dépenses excessives au jeu, l’affaire du collier de la Reine, les intrigues du duc d’Orléans contre son frère, les amours de la reine avec le comte de Fersen, etc.

Apports japonais au mythe français

Toutefois, la reprise par le manga ne va pas sans des modifications. De la même manière que la vision des villes européennes dans les films de Miyazaki, ou même la représentation des gâteaux français dans les pâtisseries tokyoïtes, ont de quoi étonner l’oeil occidental, la cour de Versailles décrite ici paraît bien caricaturale et bien étrange à la fois, comme si l’on avait plaqué sur le mythe d’origine des caractères qui habituellement ne lui appartiennent pas.

Le premier fantasme plaqué sur la cour de Versailles est celui de la duplicité, du double visage. Oscar François de Jarjayes, le personnage principal à la double identité de femme dans l’uniforme d’un général, en constitue peut-être le paroxysme, mais bien d’autres personnages du manga illustrent cet aspect : la duchesse de Polignac, Jeanne de la Motte, et de manière générale toutes les représentations du courtisan habile à couvrir ses aspirations les plus basses derrière un masque d’urbanité. Surtout, l’évolution du caractère de Marie-Antoinette, d’abord jeune femme futile et ensuite reine responsable, montre que cette dualité peut aussi avoir vocation à recouper la dualité entre Ancien Régime et Révolution. Ce caractère binaire convient bien à la forme du manga, qui donne généralement à chaque personnage deux expressions graphiques : la principale est plutôt statique et calme tandis que l’autre, aux traits simplifiés et aux expressions accentuées, est utilisée pour dénoter la colère, la surprise, la peur ou le trouble amoureux. Les bulles elles-mêmes, dans le manga possèdent deux formes principales : l’une est la bulle la plus banale, ronde et lisse, l’autre est hérissée de piquants et dénote une parole moins maîtrisée.

Un autre élément par lequel l’histoire de Marie-Antoinette se prête bien au format du manga est le découpage en épisodes. Le mythe français autour de la période pré-révolutionnaire se compose d’une certaine quantité d’épisodes que l’on peut choisir de traiter ou de ne pas traiter et qui peuvent faire l’objet d’un volume de type manga : entrée de la dauphine en France, conflit avec la comtesse Du Barry, déboires sexuels du couple royal, affaire du collier de la reine, amours avec Axel de Fersen, convocation des états généraux, fuite à Varennes, etc. Cette division en épisodes se retrouve dans la division des mangas en volumes assez courts, même si l’édition française estompe cette division puisqu’elle ne comporte que deux tomes épais5. Il est à noter que pour La Rose de Versailles, Riyoko Ikeda a fait la même chose qu’Alexandre Dumas en choisissant d’aller de l’arrivée de Marie-Antoinette en France en 1770 jusqu’à son exécution en 1793. Le choix de poursuivre le récit jusqu’à la mort de la reine même après la mort du personnage principal se retrouve également chez Dumas : le cinquième et dernier des volumes de la série, Le chevalier de Maison-Rouge – en réalité paru juste avant les autres, ne reprend pas les personnages des livres précédents et constitue une histoire à part.

Le thème le plus typiquement japonais de La Rose de Versailles est sans doute toutefois l’ambiguïté de genre. Le personnage d’Oscar peut faire penser à la figure historique du chevalier d’Éon, qui d’ailleurs vivait à cette même époque, mais il s’en distingue fortement. Oscar est une femme élevée comme un homme pour occuper des fonctions militaires et elle ne se distingue pas graphiquement de des personnages masculins à l’apparence androgyne que l’on trouve dans nombre de bandes dessinées japonaises. Toutefois, ses relations amoureuses se limitent à l’autre sexe et s’il arrive que des femmes s’éprennent d’elle, c’est uniquement lorsqu’elles la prennent pour un homme ou décident de la voir comme un homme. L’ambiguïté sexuelle est un thème qui se retrouve dans énormément de mangas, en particulier dans ceux qui relèvent du shôjo (manga pour jeune fille). Dans ces mangas, les héros présentent souvent une apparence androgyne et le dessin estompe au maximum les éléments qui permettraient de les différencier des jeunes filles. Des pans entiers du manga pour jeunes filles (principalement le shônen-ai) mettent en scène des amitiés ambiguës entre garçons, dépassant ou non la limite qui sépare la relation platonique de la relation charnelle. Si ces motifs sont récurrents aujourd’hui, il n’en était pas forcément de même en 1972 et La Rose de Versailles avait clairement quelque chose de transgressif.

Dans le même ordre d’idée, la littérature japonaise regorge d’amours repoussées, hésitantes, d’amours impossibles condamnés à demeurer perpétuellement platoniques. Ce motif se matérialise ici en une chaîne amoureuse : Rosalie et André aiment Oscar, qui aime Fersen, qui aime la Reine, qui lui rend son amour, mais cet amour partagé est interdit par la position sociale des amants. Les amours de La Rose de Versailles sont une série d’impossibilités qui aboutissent à une impossibilité d’un autre type.

C’est la richesse de La Rose de Versailles que d’ajouter à l’intérêt de l’histoire d’amour, marque traditionnelle du shôjo manga, l’intérêt historique. Ce livre, connu en France surtout grâce à son adaptation télévisée, a été d’une importance capitale pour faire connaître la culture européenne aux jeunes japonaises ; par la suite, Riyoko Ikeda a d’ailleurs continué dans cette veine en racontant les suites de la révolution dans son manga sur Napoléon, 栄光のナポレオン (Eikô no Naporeon, ou Napoléon le Victorieux), qui n’a pas encore été publié en français.

 

Antoine Torrens

 

1. Les lieux de mémoire, sous la direction de Pierre Nora, Paris, Gallimard, 1984-1990.

2. Mémoires d’un médecin, cycle de cinq romans publiés par Alexandre Dumas entre 1846 et 1855 : Joseph Balsamo (1846-1849), Le Collier de la Reine (1849-1850), Ange Pitou (1850-1851), La comtesse de Charny (1851-1855), Le chevalier de Maison-Rouge (1846). Le chevalier de Maison-Rouge fait suite aux volumes précédents d’un point de vue chronologique mais il fut publié avant eux et fait intervenir des personnages différents.

3. Lady Oscar, film de Jacques Demy, 1978.

4. Stefan Zweig, Marie-Antoinette, 1933.

5. La Rose de Versailles a été publié pour la première fois en français par les éditions Dargaud-Kana entre 2002 et 2005.

Terreur Graphique, Rorschach, Six pieds sous terre, 2011

Parmi les nouveautés fraîches d’une année 2011 qui ne fait que commencer, un album édité chez Six pieds sous terre a pu se faire remarquer des lecteurs assidus de blogs bd. Rorschach, du dessinateur-blogueur graphique Terreur Graphique, est loin d’être une énième mise en papier d’un carnet numérique. C’est un album complet, inédit et au scénario original, qui éclaire d’une manière neuve le travail de Terreur Graphique, fort connu, jusque là, sur la toile. Et qui confirme la capacité à révéler de jeunes dessinateurs que le phénomène de l’autopublication sur internet porte depuis plusieurs années maintenant.
Fidèle à la méthode éprouvée lors des débuts du blog Phylacterium, j’ai choisi de profiter de Rorschach pour mettre en avant une oeuvre plus ancienne mais proche, ici plutôt dans ses thèmes et dans son contexte éditorial. Ce sera Les Contures, recueil publié en 2004 à l’Association, qui constitue une étape essentielle pour comprendre l’univers de son auteur, Mattt Konture, connu et reconnu au moins depuis le milieu des années 1990 pour son travail autobiographique. C’est sous le signe de l’hallucination graphique et des bienfaits de l’auto-édition que sera placée la comparaison entre les deux albums, pour une navigation entre les obsessions dérangeantes de Terreur Graphique et la mythologie personnelle, mais tout autant obsessionnelle et psychédélique, de Matt Konture.

Terreur Graphique, du blog à l’album


J’entends d’ici les remarques des éventuels fidèles du blog Phylacterium (pour les autres, inutiles de lire ce qui suit, passez directement à la phrase suivante) : j’aurais pu faire un Parcours de blogueur sur Terreur Graphique, tout de même ; certes, mais, à l’instar de Tanxxx, Terreur Graphique fait partie des nombreux blogueurs bd que je n’ai découvert que tardivement. Rorschach constitue donc d’une certaine manière mon premier contact avec son travail, et ce n’est que pour cet article que je me suis penché plus en détail sur ses trois blogs, Terreur Graphique, le blog musical en collaboration avec Dampremy Jack, La musique actuelle pour les nuls, sur le site des Inrockuptibles ; et, depuis janvier 2011, Niveau caché. Il n’en sera question que de façon périphérique.

Rorschach
n’est pas le premier album de Terreur Graphique, comme l’indique habilement la dernière page de l’album. Il a déjà publié deux ouvrages, tous deux collaboratifs : avec Gwenole Le Dors, il a dessiné Retiens la nuit chez Vide Cocagne éditions (2010) et il est l’auteur d’une des histoires du recueil On dit de Lyon publié par Quenelles graphiques. Toutefois, il s’agit dans les deux cas d’édition relativement confidentielles : exclusivement papier dans le cas de Vide Cocagne (basée sur Rezé depuis 2003), davantage numérique dans le cas de Quenelles graphiques (qui a mis au point son propre agrégateur de blog, Petit Format, qui rassemble un grand nombre de blogs bd de qualité). Ainsi, avec Rorschach, Terreur Graphique quitte le domaine foisonnant mais peu visible de la petite édition pour une maison de taille importante et à la solide tradition éditoriale, Six pieds sous terre. Pour mémoire, Six pieds sous terre est une maison d’édition qui émerge justement du monde du monde du fanzinat : d’abord entraînée par le fanzine Jade à partir de 1991, qui devient une revue professionnelle diffusée en kiosque à partir du milieu de 1995, Six pieds sous terre finit par se concentrer sur l’édition d’albums, tout en restant en contact avec de jeunes auteurs ainsi qu’avec l’auto-édition. Six pieds sous terre a vu débuter, et continuer de publier Pierre Duba, Guillaume Bouzard, et plus récemment James et la tête X. On reste donc dans l’édition alternative, celle qui, née d’initiatives d’auteurs et passionnés dans les années 1990 (Ego comme X, l’Association, Les Requins Marteaux, Cornélius, Frémok, Atrabile) a confirmé, à l’aube du XXIe siècle, sa capacité à motiver la jeune génération et à passer le relais.
Qu’elle aille voir dans la pépinière de l’auto-édition en ligne (James et la tête X se sont eux aussi fait connaître par un blog) est significatif d’une capacité d’adaptation bienvenue. Elle est d’autant plus pour des auteurs comme Terreur Graphique dont l’univers, très affirmé et original, cherchant ouvertement à susciter le malaise chez son lecteur, auraient eu bien du mal à trouver sa place au sein de plus grosses maisons. Cet univers, on le voit naître progressivement sur son blog, lancé en mai 2006. Il y développe ses personnages caractéristiques, difformément épais et suant sans cesse, semblant toujours au bord du malaise, qui suffisent à déclencher une impression d’incongruité chez le lecteur, comme face à d’étranges freaks trop ressemblants pour nous être totalement étranger. C’est là ce qui fait la force de ce qu’on peut proprement appeler un style.

Style qui s’accorde parfaitement avec la tonalité de l’album, que l’on pourrait lire comme une recherche expressive des effets les plus sordides de la psychanalyse. Le héros de Rorschach est un jeune dessinateur névrosé qui, au cours d’une séance chez son psy, reste captivé par un de ces tests dites « de Rorschach » (du nom du docteur qui le conçut en 1921) censé révéler le portrait psychologique inconscient du patient. Sa vie va en être changée puisque les fameuses tâches deviennent une obsession, envahissent progressivement son champ de vision, et, surtout, l’entraînent périodiquement dans des cauchemars plus vrais que nature au cours desquels il revit les traumatismes les plus horribles de son existence.
L’idée de départ de Terreur Graphique, ingénieuse, est d’exploiter le caractère graphique des tâches graphiques pour leur donner vie. Masses informes, elles se changent en d’étranges monstres organiques. Le style même du dessinateur est un écho aux tâches : adepte de déformations expressives, de formes organiques en tout genre (plantes carnivores, racines, tentacules) ou de différents types de suintement et d’écoulement, il trouve ici un sujet idéal. Au-delà de cette astuce visuelle qui lui permet de s’adonner à quelques expérimentations graphiques, Terreur Graphique tisse un scénario plutôt habile en plusieurs séquences fonctionnant autour des hallucinations du héros. Si le début est un peu long à se mettre en place, hésitant entre humour noir et introspection, et quelque peu téléphoné dans ses interprétations psychanalytiques, un rythme est vite trouvé jusqu’à un climax final très éprouvant pour le lecteur. Terreur Graphique s’affirme, par cet album, comme un digne représentant de ce qu’on pourrait appeler, par une comparaison avec le cinéma, de la bande dessinée d’horreur. Si cet aspect était déjà présent sur quelques notes de blog, le retrouver sous la forme d’un album et d’une histoire longue est une excellente nouvelle qui permet aussi à Terreur Graphique de singulariser d’emblée son univers auprès de lecteurs de passage qui n’auraient jamais vu son travail en ligne.

La naissance des Contures, où l’émergence d’une mythologie personnelle hallucinée

Certes, les différences entre Rorschach de Terreur Graphique et Les Contures de Mattt Konture sont nombreuses en apparence. Le second se situe explicitement dans le registre autobiographique et le premier dans la fiction. A la sensibilité délicate de Mattt Konture s’oppose l’exubérance cynique de Terreur Graphique. Et pourtant, il n’est pas si difficile, me semble-t-il, de tisser des liens.
Sur le plan du contexte éditorial, tout d’abord. Reprenons. L’album dont il est question, Les Contures, paraît en 2004 à l’Association, maison d’édition dont Mattt Konture est l’un des fondateurs. L’histoire de l’Association est sensiblement identique de celle de Six pieds sous terre : partie du fanzinat dans les années 1980 (Le Lynx et Nerf), elle commence à éditer des albums à partir de 1990 et publie la revue Lapin qui voit débuter de jeunes auteurs, là encore de façon renouvelée sur vingt ans, non sans des tensions internes (dont le tout dernier rebondissement est une grève du personnel suite à plusieurs licenciements). En tant que fondateur, Mattt Konture reste très lié à l’Association, qui est son principal éditeur. Les Contures n’est pas un album original mais un recueil regroupant plusieurs récits courts parus dans Lapin entre 1991 et 2001.
Le travail de Mattt Konture, dispersé en plusieurs fanzines, revues et albums depuis 1986, est essentiellement autobiographique. Les Contures n’échappe pas à la règle, même s’il frôle la fiction sans jamais s’y arrêter réellement. Ces fameux « contures » sont les monstres personnels de l’auteur, d’où il tire son pseudonyme. Croisement improbable entre des lampadaires de jardins et des poulets sans plume (et aussi un peu des Shadoks), ils l’obsèdent tout au long de sa vie. Tout comme le héros de Rorschach voit sans cesse les tâches, Mattt Konture voit sans cesse les contures dans ses rêves et ses souvenirs. Bien que regroupant des histoires parues à près de dix ans d’intervalle, le recueil se présente comme un tout cohérent, une recherche personnelle de l’origine d’un pseudonyme. Mattt Konture propose au lecteur un parcours dans ses souvenirs, là encore de la même manière que le héros de Rorschach, la seule différence étant que ce dernier ne contrôle pas le jaillissement des souvenirs en question et que ces derniers sont beaucoup plus dérangeants. D’autres thèmes sont proches mais traités différemment, en particulier le rapport au souvenir d’enfance, géré pacifiquement chez Konture, comme une recherche volontaire et comme une invasion très agressive et subie chez Terreur Graphique.
Enfin, nos deux auteurs, chacun à leur manière, portent une partie de l’héritage de la bande dessinée underground qui émerge dans les années 1960-1970. Chez Konture, la rapport est direct, lui-même se revendiquant de la mouvance underground qui, ne l’oublions pas, fut l’une des premières à promouvoir l’autobiographie dessinée. Son trait libre, son inspiration punk, fait de Konture une juste figure de l’underground français. Quant à Terreur Graphique, il capte l’héritage underground dans sa recherche d’une esthétique trash où plane sans cesse une obsession sexuelle qui peut aller jusqu’au dégoût.

Mais c’est sur le plan des choix graphiques, que les liens sont les plus évidents et les plus intéressants. Tous deux prennent comme sujet d’expérience graphique (visuelle autant que graphique, même), des hallucinations née de l’inconscient, Terreur Graphique dans le registre de l’horreur, Mattt Konture dans celui de la fantaisie enfantine. Il y a derrière les deux oeuvres un même projet de mise en dessin d’entités abstraites et immatérielles qui sont de pures créations de franges lointaines de l’imaginaire. Ce qui donne dans les deux cas des planches ou des cases qui, muettes, n’ont d’autre but que d’être « regardées » (contempler serait plus juste) en profondeur par le lecteur et interprétées selon des biais symboliques. Chez Terreur Graphique, la « grille de lecture » symbolique se rapporte aux thèmes classiques de la psychanalyse : patricide, représentation utérine et vaginale, vision des parents faisant l’amour… Chez Konture, la lecture est plus subtile, puisque les clés de déchiffrement sont liées aux souvenirs propres à l’auteur, et, à la façon d’un sous-texte, il nous les énonce au fur et à mesure qu’il les redécouvre lui-même : les lampadaires de jardin deviennent des monstres, la mairie de Creil devient un château disneyen, une tante charmante devient une fée.
Toujours sur le plan des expériences graphiques, les deux dessinateurs, prenant toujours pour pretexte une quête psychanalytique, font montre d’une belle virtuosité graphique. Ils s’inscrivent dans une esthétique psychédélique, que l’on peut faire remonter aux années 1960 et à la découverte des psychotropes, qui met en avant la qualité décorative abstraite des hallucinations. Ce sont autant de formes aléatoires proliférantes ou se répétant à l’infini, tournoyant sur elle-même, bouleversant et contaminant leur environnement, qui jaillissent des pages. Konture explore surtout la puissance du trait et de ce qui peut en jaillir : un vieux pavillon en ruines se change en un amas illisible de traits où toute perspective est faussée. Terreur Graphique s’intéresse plutôt à la tâche (forcément !) et à son potentiel de métamorphose constante, à sa malléabilité. Tous deux pratique une écriture ou le dessin est image à voir autant que langage à comprendre.

Fanzinat et blogs bd : évolution et complémentarité de l’auto-édition

Burp, fanzine piloté par Mattt Konture


Mattt Konture, on l’a vu, est ici du milieu du fanzinat. C’est dans des publications artisanales et auto-éditées qu’il a débuté et la naissance même de l’Association, on l’a vu, est indissociable de la matrice fanzinesque. Nombre de dessinateurs qui se sont fait connaître dans les années 1990 ont connu un parcours identique, passant ainsi d’une pratique amateure à une pratique professionnelle (Jean-Christophe Menu, Guillaume Bouzard, Pierre Druilhe, Carali, Stéphane Blanquet, Alex Baladi…). Tout comme Alex Baladi, Mattt Konture fait partie des rares auteurs qui, bien qu’ayant à présent un statut professionnel indéniable, continuent d’auto-éditer artisanalement des fanzines, brisant le cliché qui voudrait que le fanzine n’est qu’une étape vers la professionnalisation : il est aussi un espace de création à part entière, certes centrée sur une pratique amateure (ou si l’on préfère non-rémunératrice).
Pour résumer à grand trait l’histoire du fanzinat, il n’est pas lié uniquement à la bande dessinée, mais plutôt, plus largement, à une production de revues par des passionnés en marge de l’édition traditionnelle, dans des domaines où le fandom est très organisé, tels que le rock, la science-fiction, le cinéma. Pour certains, cette marginalisation est simplement liée à des nécessités financières, pour d’autres, elle est une véritable philosophie de la publication libre indépendemment des lois du marché et des médias mainstream, la pratique amateure ayant, dans ce dernier cas, tout autant de valeur que la pratique professionnelle. Des « graphzines », fanzines accueillant des bandes dessinées, se multiplient en France dans les années 1970, soit dans le cadre de la diffusion d’une contre-culture contestataire liée au mouvement punk et à l’underground, soit au sein des écoles d’art, comme une première expérience éditoriale. Dans le secteur de la bande dessinée, les fanzines sont très tôt reconnus comme un secteur à part entière de la production : depuis 1981, un prix du fanzine est remis à Angoulême (même si leur traitement dans les médias ou leur des festivals reste encore très marginal). Et, au cours des années 1990, des fanzines comme Le Psikopat, Jade, Le Goinfre, PLGPPUR finissent par devenir des revues essentielles de l’histoire de la bande dessinée dans leur capacité à faire émerger des auteurs et des styles neufs, quitte à se professionnaliser davantage pour certains d’entre eux.
Or, l’apparition des blogs bd au cours de la décennie suivante a fait jaillir une seconde source d’autopublication qui a progressivement émergé, à son tour, comme un tremplin efficace vers l’édition papier. Faudrait-il se mettre à penser que, un mode de publication chassant l’autre, le blog bd se soit substitué au fanzinat ? Point du tout, et ce n’est en rien notre intention ; les deux ne sont pas entièrement comparables et, plutôt que de substitution, il faut remarquer la complémentarité qui a finit par s’installer entre les deux modes d’autopublication amateure.

Le fanzinat porte en lui deux différences essentielles avec le blog bd : son caractère collectif et le maintien, en son sein, d’un « esprit artisanal » presque libertaire bien particulier que l’on ne retrouve pas dans le blog bd. En tant qu’espace collectif, le fanzine astreint ses participants à une certaine rigueur qui les rapproche encore davantage de la professionnalisant. A la rigueur, le fanzinat comme pratique pourrait se comparer à certains cousins des blogs bd : les blogs collectifs, fruit d’une collaboration entre plusieurs dessinateurs avec comme objectif d’oeuvrer pour un projet hors de toute contrainte éditoriale ; parmi ses blogs collectifs, le plus durable est certainement le blog Damned qui réunit Goupil Acnéique, Clotka, Olgasme et Flan, au moins depuis 2005. Chicou-Chicou avait constitué, en 2005-2006, un autre projet organisé par Boulet, Aude Picault, Lisa Mandel, Domitille Collardey, Erwann Surcouf. Plus certainement, les fanzines ont trouvé leur extension sur Internet sous la forme de webzines (El Coyote, Numo, Puissance maximum). Là où les blogs collectifs conservent la periodicité de publication propre au format blog, le webzine explore souvent d’autres organisations de la publication : par rubriques, par auteurs, par grands thèmes déclinés au fil des pages.
Et n’oublions pas non plus que beaucoup de blogueurs ont aussi un fanzine et jouent ainsi sur les deux tableaux (internet se révélant alors un formidable moyen de faire connaître le fanzine). La célèbre blogueuse Cha participe par exemple au fanzine Speedball. Le blogueur Unter est l’un des fondateurs, avec Filak et Radi, du fanzine Onapratut devenu maintenant maison d’édition. Comme l’atelier, le fanzine reste un espace de sociabilité professionnelle important pour les dessinateurs de bande dessinée. Terreur Graphique est certes blogueur, mais il participe aussi à plusieurs fanzines (Kronik, Bévue !!!…) ou publie chez des micro-éditeurs (Vide Cocagne, Quenelles graphiques).
Une dernière chose : il faut considérer les fanzines et les blogs bd en eux-mêmes, avec leur esthétique propre, leurs codes propres, et pas seulement en tant qu’antichambres d’une édition papier classique qui serait forcément le point d’aboutissement. Les études menées sur le phénomène du fanzinat bd et de l’auto-édition restent extrêmement réduites, même si une bibliothèque leur est consacrée, la fanzinothèque de Poitiers.

Pour en savoir plus :

Terreur Graphique, Rorschach, Six pieds sous terre, 2011
Le blog de Terreur Graphique
Mattt Konture, Les Contures, L’Association, 2004
Sur Mattt Konture, je vous invite à lire la monographie que lui consacre Pacôme Thiellement, parue à l’Association en 2006. Comme je ne l’ai honteusement pas compulsée pour cet article mais que je n’ignore pas son existence, je vous enjoins à faire ce que je dis plutôt que ce que je fais !
Un site fort intéressant consacré aux fanzines bd
Site de la fanzinothèque de Poitiers