Collectif, Quoi ?, L’Association, 2011.

Depuis qu’il était annoncé sur le site de Lewis Trondheim dans la rubrique « Projets », ce livre semblait être une riposte, voire un règlement de compte, avec le livre anniversaire des vingt ans de L’Association (XX MMX), auquel la grande majorité des fondateurs n’avait pas participé : une contre-célébration de cette dernière, par quatre anciens (Trondheim, David B., Killoffer et Stanislas). Jean-Christophe Menu aurait pu être la cible de Quoi ?, qui est publié après la longue grève des salariés de L’Association, le retour (à la demande des employés) d’une grande partie des fondateurs de la structure et le départ en mai de Jean-Christophe Menu.

Si Menu n’est pas absent – loin sans faut – des pages de cet album d’un genre particulier, « histoire immédiate » de la fin ou du renouveau d’une belle aventure éditoriale et humaine, il n’est pas non plus trainé dans la boue par ses amis. Tout au long de l’album, les anciens fondateurs et certains compagnons de route de L’Association, dont Joann Sfar, s’en prennent en toute franchise à celui qui en est venu à assumer de facto les fonctions de « patron » de l’Association. Ceux qui suivent L’Association depuis un certain nombre d’années se réjouiront des anecdotes relatives aux débuts de la maison d’édition, comme de l’aperçu donné sur le mode de (dys-)fonctionnement de la structure. Toutefois, en filigrane, c’est aussi et avant tout un album sur l’amitié, ses hauts et ses bas.

David B. et Lewis Trondheim orchestrent et structurent par leurs pages l’album, et pour chaque remise en cause de la gestion de Menu, il y a du recul, une introspection et finalement une grande amitié, qui n’en est pas moins critique. Au fil des pages et des contributions, c’est un sentiment de regret diffus qui se dégage : n’y avait-il pas un moyen de continuer ensemble ? La force de L’Association, c’était cet amalgame entre des styles et des sensibilités différents, mais unis autour de l’idée que la bande dessinée ne se résumait pas à certains formats canoniques.

Ce livre en est d’ailleurs une belle démonstration. Chaque contributeur prolonge à sa façon son expérience autobiographique : Trondheim s’exprime sous la forme de « Petits riens », qui caractérisent aujourd’hui sa production personnelle, alors que David B. fait le lien entre son attitude au sein de L’Association, de son rejet instinctif de l’autorité de Menu, avec l’histoire de sa famille et de leurs tentatives de guérir son frère au sein de groupuscules qui se révèlent être sectaires – le tout est bien-sûr abordé en détail dans L’Ascension du Haut-Mal. Killoffer se met aussi en scène avec la virtuosité graphique qu’on lui connaît, se représentant les bras tombants, comme si la force lui manquait pour parler de cette aventure. La brève contribution de Stanislas semble se conformer à sa description dans Approximativement de Trondheim : assez lacunaire, il égraine sous forme de chronologie ses albums et la vie de la structure.

Jean-Louis Capron (alias Gauthey), éditeur de Cornélius, contribue aussi à l’ouvrage, tout comme Mokeït, l’un des sept fondateurs de L’Association, rapidement parti. Son témoignage est particulièrement intéressant pour plusieurs raisons. D’abord, l’histoire de ce dernier, parti au début de la structure, en désaccord avec Menu, mais qui en reste l’ami dans les années qui suivent. Il revient à la fin des années 2000 comme coursier au sein de la maison d’édition. Participant à la grève, il essaiera de faire la médiation entre les salariés et son ami. En outre, les pages de Mokeït donnent un aperçu de son style graphique, relativement méconnu, mais particulièrement intéressant, entre hachures et aplats de gris.

C’est aussi cela l’intérêt de l’album : la fusion de ces styles et de ces univers, qui ont toujours constitué l’identité de L’Association. D’un côté les classiques, héritiers de la ligne claire de Tintin et Spirou, comme Stanilsas, David B., Lewis Trondheim et Menu et de l’autre, Killoffer et Mattt Konture, plus « underground ». Jean-Christophe Menu fit longtemps la synthèse entre ces styles : le catalogue de L’Association en est le reflet. L’un des grands liants de ce tout était, outre une volonté de s’affranchir de vieux carcans éditoriaux, l’affirmation d’une authenticité dans le récit, qui se traduisait souvent par de l’autobiographie (voir à ce sujet le travail de Bart Beaty, Unpopular Culture : Transforming the European Comic Book in the 1990s, University of Toronto Press, Toronto, 2007, chapitre 5 « Autobiography as Authenticity »). La franchise qui caractérise les pages de cet album, la confrontation des points de vue, surtout avec l’intervention issue des Carnets de Joann Sfar et l’évocation de ses déboires avec Menu pour publier certains passages relatifs à la vie de L’Association, sont tout autant d’éléments qui prolongent l’oeuvre éditoriale de cette dernière.

Plus généralement, ce livre est une illustration des dynamiques qui peuvent traverser une association (avec un a minuscule) et plus généralement un groupe d’amis. L’Association a-t-elle été rattrapé par la logique classique du monde de l’édition : il faut une hiérarchie et il n’est pas possible de discuter autour d’un bon restaurant des prochaines publications ? Les auteurs peuvent-ils être aussi éditeurs ? De nombreux exemples le prouvent contrairement à ce que le parcours de Jean-Christophe Menu pourrait faire croire.

Finalement, ce qui manque le plus à ce livre, c’est la version de Jean-Christophe Menu. Peut-être la livrera-t-il un jour au sein de sa nouvelle maison d’édition L’Apocalypse…

Pour prolonger : le récit de l’année 2011 à L’Association par le Comics Journal : http://www.tcj.com/a-house-divided-the-crisis-at-l%E2%80%99association-part-1-of-2/

D’autres recensions (différentes) de l’ouvrage : http://www.du9.org/Quoi et http://neuviemeart.citebd.org/spip.php?page=blog_neuviemeart&id_article=343 (par Christian Rosset).

Une réflexion au sujet de « Collectif, Quoi ?, L’Association, 2011. »

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