Janvier 2017 en numérique : la tournée mensuelle de Phylacterium

La revue numérique de Phylacterium présente ses plus plates excuses à ses fidèles lecteurs, avec une rétrospective janvier 2017 qui, non contente d’être terriblement en retard, sera fort courte… On y fait l’économie de l’enjeu du mois pour se concentrer sur le principal évènement bd du mois de janvier, le FIBD 2017, cette année bien riche en réflexions sur la bande dessinée numérique.

La revue du mois : retour d’Angoulême

Le début du mois de février est traditionnellement celui du retour du FIBD d’Angoulême où, chaque année, les actualités concernant directement la bande dessinée numérique sont de plus en plus présentes. Pour cette édition 2017, j’étais fort occupé à d’autres activités qui m’ont empêché de suivre réellement les quelques animations en lien avec la bande dessinée numérique. Plutôt que de vous livrer un bilan personnel forcément limité, je me disais que le mieux était de relayer les quelques bilans et retours les plus intéressants par des acteurs du milieu connus en ces pages.

D’année en année, la bande dessinée numérique s’invite de plus en plus au FIBD. En plus des concours estampillés « Pavillon Jeunes Talents » (cf ci-dessous), de nombreuses interventions et conférences sur le sujet ont émaillé les quatre jours. JL Mast et Hervé Créac’h, désormais des créateurs de renom du web, présentait chacun des ateliers. Le premier sur le thème de « la BD en réalité virtuelle », le second sur le Turbomedia (et ce dernier propose d’ailleurs un bilan humoristique de son passage au FIBD 2017 en roman-photo). En plus de ces ateliers courts, il y avait non pas une mais deux conférences importantes sur la bande dessinée numérique lors de ce FIBD.

Commençons par la conférence organisée par l’ADABD sur le thème « La nouvelle économie de la bande dessinée numérique ». Une conférence passionnante en raison du choix des invités : non pas des responsables éditoriaux ou de plateformes de diffusion, mais des auteurs spécialistes du domaine. C’était donc bien l’occasion de parler de bande dessinée numérique de création, avec Thierry Mary (Watch comics), Gipo et les deux compères des auteurs numériques, Frédéric Detez et Hervé Créac’h. Je vous invite à écouter l’intégralité du podcast sur JetFM. Que retenir de cette conférence ? D’abord une approche pragmatique très pertinente, puisque, comme l’a répété régulièrement l’animateur, il s’agissait de présenter des expériences « qui proposent des rémunérations aux auteurs », tout en étant de la création originale. Ensuite, des retours d’expérience vraiment intéressants qui permettent de (re)mettre sur la table des questionnements économiques. Bravo à Gipo, par exemple, de raconter son « échec » relatif autour de Picstell (que l’on souhaite pouvoir voir repartir) qui pose la question de la place de l’auteur et de son « rôle » dans ce nouveau modèle économique et de la façon de juger de la « valeur » d’une oeuvre numérique. On retiendra aussi le lancement d’une application, Allskreen, par Les auteurs numériques, pour une lecture adaptée sur mobile.

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Le créateur Tony, auteur numérique intransigeant et passionné, a lui aussi proposé via Twitter son bilan du FIBD 2017. Avec plein de pistes à explorer pour l’avenir…

Autre conférence, toujours avec des intervenants qui sont de vrais acteurs de la création : « Du blogbd à Instagram, de nouvelles narrations avec le projet Eté« , qui réunissait Thomas Cadène, Erwann Surcouf, Joseph Saffiedine, les membres de Bigger than Fiction et Camille Duvelleroy. Ils présentaient tous un nouveau projet à venir, fort alléchant, Eté. Actant le fait que le blog n’est plus le seul réseau social de diffusion de la bande dessinée numérique, il s’agit d’un projet de bande dessinée à suivre sur Instagram. Financée par arte (comme beaucoup des projets de création les plus intéressants de ces dernières années), elle ne sera accessible qu’en juin, mais laisse déjà augurer une expérimentation très intéressante, dans la lignée des Autres Gens. Cette conférence n’est malheureusement pas (à ma connaissance) en ligne… Mais l’équipe toujours très active de Bigger Than Fiction en propose un avant-goût avec des exemples de bd sur Instagram. On pourra aussi lire ce complet, pertinent et drôle compte-rendu de la conférence par David Neau de 7bd.fr.

Il est intéressant de mettre en parallèle les deux conférences, en particulier sur la question de l’intégration à un système et du modèle de la plateforme. On a bien d’un côté des modèles par « plateformes », c’est-à-dire des systèmes indépendants, conçus expressément pour un nombre d’oeuvres fermées, avec parfois des processus de sélection, et de l’autre un modèle où il s’agit d’utiliser des plateformes populaires existantes. En gros, d’un côté amener le public sur des plateformes sur-mesure, de l’autre aller où le public se trouve. Une opposition qui a pu exister déjà à la fin des années 2000 entre le succès des blogs bd et les plateformes de diffusion (Webcomics.fr, Manolosanctis, Grandpapier.org…).

Pas de bonne réponse, bien sûr, entre les deux. Les deux conférences posaient de vraies bonnes questions sur ce qu’est la bande dessinée numérique de création, et comment la développer pour les années à venir. Des perspectives de réflexion intéressantes sur lesquelles je ne manquerais pas de revenir.

L’oeuvre du mois : Challenge Digital vs RevelatiOnline

Continuons sur le FIBD pour vous parler non pas d’une oeuvre précise, mais des oeuvres numériques que le festival a « généré » en organisant deux concours à présent récurrents, le Challenge Digital d’un côté (3e édition) et le concours RevelatiOnline de l’autre (10e édition, deuxième sous ce nom). Petit rappel : ces deux concours, tous deux organisés dans le cadre du Pavillon Jeunes Talents, se distinguent dans leur finalité et leur règlement. Côté Challenge Digital, il s’agit de créer une oeuvre numérique, sans limite particulière de format ou de thèmes, tandis que RevelatiOnline pose une contrainte importante puisqu’il faut adapter au format numérique une planche de bande dessinée existante.

Je critique tous les ans l’absence de « prix » de la bande dessinée numérique au FIBD (ou dans n’importe quel autre festival de bd francophone) mais il faut bien admettre que cette année, le niveau des deux concours était meilleur que d’habitude. Le Challenge Digital s’est presque transformé en prix dans la mesure où plusieurs concurrents, presque des professionnels de la création numérique, ont proposé des oeuvres qui n’avaient pas été réalisées spécifiquement pour le concours. Par ailleurs, le concours propose maintenant des conseils aux auteurs que tout auteur voulant se lancer dans la création graphique numérique devrait lire, car ils synthétisent en une page les différents types de bande dessinée numérique. Et puis, consécration ultime, on a parlé du Challenge Digital à la radio, sur France Inter, ce qui montre que le niveau de compréhension de ce type d’expérience bouge aussi du côté des grands médias. Un bilan plutôt positif de mon point de vue.

Qu’en est-il des oeuvres ?

Je commence par le Challenge Digital qui, des deux, proposaient les oeuvres les plus ambitieuses. J’en parlais déjà le mois dernier, et pour le coup mon préféré (Freaks de Krukof2), n’était même pas dans les 10 finalistes. Peu importe.

Le grand vainqueur est sans doute Vidu, par ailleurs auteur sur la plateforme Les auteurs numériques, et qui proposait, en collaboration avec BatRaf, grand créateur de Turbomedia devant l’éternel, une oeuvre expérimentale, L’immeuble, sorte de bande dessinée-marelle jouant admirablement sur le temps et l’espace à la façon d’un La vie mode d’emploi graphique et numérique. On en arrive à une expérience de lecture multiforme à fins multiples, mêlant plusieurs lignes de narration dans un même immeuble, et pourtant assez fluide, dans un grand délire avec zombie, extraterrestre et adultère.

Parmi les deux autres lauréats, Antoine Maillard avec Roaxaca Zone brille surtout par sa qualité graphique et par le jeu entre images fixes et gif animés. L’histoire de disparitions au milieu du désert est fortement inspiré par le principe des found footage horrifiques, utilisé ici avec intelligence pour une oeuvre trop courte dont on aimerait en lire davantage.

Troisième gagnant du concours, le duo Vincent Malgras & Camille Prieur de la Comble pour une oeuvre maintenant un peu ancienne (sortie à l’été 2016), L’odyssée 2.0, dont on ne peut cette fois pas reprocher d’être trop courte puisqu’il s’agit d’un long western en scrolling vertical avec son et animation. Mon principal problème est la lenteur de certains temps de chargement qui grève un peu la lecture. Mais entre le professionnalisme du graphisme et la sobre mais bonne utilisation du défilement vertical, cette troisième place montrait la qualité générale du concours.

Venons-en à RevelatiOnline. Les organisateurs m’avaient fait l’honneur de me proposer parmi les membres du jury, et je suis d’autant plus ravi que c’est mon favori qui l’a emporté ! Les oeuvres de ce concours sont traditionnellement plus « amateures », et à l’ambition plus limitée, mais il y avait quand même de belles réussites. Notamment, le scrolling vertical était à l’honneur avec deux des trois lauréats. Matthias Bourdelier proposait une réinterprétation du Pinocchio de Winschluss. On est certes sur une énième variation de la traditionnelle « descente » dans les abysses (marins, en l’occurence), mais le rendu final est simplement beau, à défaut de proposer un renouvellement du genre, avec des couleurs bien pensées et comme une douce ironie écologiste. L’autre scrolling était celui de Papix, pour une adaptation du Corbac aux baskets de Fred. Cette fois, pas de descente, si ce n’est dans les souvenirs du fameux « corbac », avec une gestion très libre et inventive de la narration verticale. Entre les deux, un autre Pinocchio, celui de Marina Savini, qui jouait quant à lui plutôt sur les gifs, en une seule planche.

A lire aussi…

Allez, on quitte pour terminer le FIBD 2017 avec le lancement par la maison d’édition québecoise La Pastèque d’une chouette initiative à suivre : Tout garni. Une fois par mois, une nouvelle oeuvre de bande dessinée interactive. C’est simple, plutôt mignon, et à suivre.

Et bien sûr, on ne manquera pour rien au monde la deuxième saison du Secret des cailloux qui brillent. Non content de proposer à présent une version anglaise, le feuilleton mediévalo-fantastico-psychotronique de l’équipe du fanzine Attaque surprise revient en 2017, pour notre plus grand joie. Pour ceux qui ne connaissent pas, Le secret des cailloux qui brillent est un feuilleton à suivre en diaporama, où une équipe de dessinateurs se relaient pour proposer une histoire loufoque et fantastique. C’est visuellement original, le scénario est palpitant, et c’est une vraie création numérique comme on les aime…

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